Débat sur la question de l’attente

Vendredi 12 Janvier, à la mairie du Xe arrondissement de Paris, un débat était organisé autour de la question de l’attente, débat qui fait suite à l’exposition “Waiting – Un temps pour l’attente” présenté à la Mairie du 9 au 26 Janvier 2018. En effet, la mairie du Xe est depuis longtemps très ancrée autour des problématiques liés aux conditions des réfugiés et à l’exil.

Dans un premier temps, une projection de 5 courts métrages réalisés par des journalistes exilés issues de la Maison des Journalistes était organisée. Le débat a ensuite démarré devant une cinquantaine de curieux.

Pour Mortaza Behboudi, journaliste afghan exilé en France : “L’attente est définie par les conditions dans lesquelles elle s’effectue.” Il raconte l’histoire de cette réfugiée enceinte bloquée dans un camp en Grèce et met en parallèle l’attente que cette dernière a vécu avant la naissance de son enfant et l’attente concernant la durée de leur séjour. Enfin, il ajoute que “certains attendent pour entrer dans leur pays d’accueil, d’autres pour quitter leur pays de transit.”

Pour Meena Dhawle, ancienne responsable d’Action Sociale et d’Hébergement à la Maison des journalistes, il y a une injustice dans l’attente. Elle dénonce l’absurdité du système et donne l’exemple d’un journaliste exilé inquiet pour sa famille, qui doit parfois patienter 2 ans et demi avant de pouvoir tenter de réunir ses proches.

Oliver, diagnostiqué schizophrène, associe “l’attente” à la “souffrance”. Malade quotidiennement, il a dû attendre plusieurs années avant que son diagnostic ne soit posé et donc bénéficier d’un traitement qui le soulage. Il y souligne également la brutalité de l’administration. La solitude du patient face à la froideur des diagnostiques.

Jean-Pierre Chrétien-Goni, philosophe, anthropologue, qui travaille notamment en prison, partage deux visions de l’attente. Une du côté de la vie : l’idée que l’attente fait partie de la vie et qu’elle peut prolonger le désir, par exemple attendre Noël. A l’opposé, il y une vision de l’attente mortifère. Par exemple en prison, l’attente est constante. “Certains deviennent fous”. L’exemple de deux chinois en prison française, incapable de communiquer avec les services et constamment seuls et dans l’attente, a marqué notre interlocuteur. Le vide dans leurs yeux… l’attente les dévorait.
L’attente est aussi un instrument de pression, une manière de prouver sa force : la capacité de faire attendre quelqu’un dépend du pouvoir qu’on lui attribue.

Laura Genz, dessinatrice, militante qui a notamment témoigné, par son travail, des réalités vécues par les personnes vivant dans les camps d’Austerlitz et de La Chapelle à Paris. Elle constate que lors de l’attente, on se retrouve sans perspective : “Je rappelle que 30% seulement des demandes d’asile aboutissent. C’est une torture lente. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne sait pas ce que c’est.” Attendre, c’est une autre manière de vivre différente.

Pour Jean-Philippe Cavroy, directeur de l’association Club House Paris qui accompagne les personnes fragilisées par des troubles psychiques, l’attente a aussi des vertus. Il faut alors laisser à chaque personne le temps d’avancer à son rythme et donner du sens à chaque jour. Néanmoins, il fait remarquer que dans l’attente, on a l’impression que son sort dépend des autres. On ne maîtrise plus son temps.

Beraat G, journaliste turc exilé en France, établit un parallèle entre son histoire et la métamorphose de Kafka qui souligne le pouvoir du temps : “j’étais un journaliste turc, je suis devenu un réfugié.” Depuis l’attente est perpétuelle. Il attend quelque chose, qu’on finira peut-être par lui donner, cela lui donnera accès à une nouvelle attente, et ainsi de suite. Seul et dépendant des autres, d’une administration qui ne peut pas estimer le temps d’attente. “J’étais un journaliste turc, je suis devenu un réfugié”.

Josiane Mieté, cadre de santé, responsable d’une unité de soins accueillant des patients au long cours (dans un établissement public de santé mentale) nous confie que l’attente fait partie intégrante de la vie de ses patients. Atteints de pathologies, ils doivent apprendre à vivre avec. Enfin, certains ont un rapport au temps qui passe différent du nôtre, « le patient psychotique nous entraîne dans sa temporalité ».

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