Nabil Benabdellah: Les prisonniers de « Gdeim Izik » sont peut-être victimes d’arrestations arbitraires

[Par Hicham MANSOURI]

Dans des déclarations qui risquent de faire couler beaucoup d’encre, Nabil Ben Abdallah, le ministre marocain de l’Habitat et de la politique de la ville, et le secrétaire général du Parti du Progrès et du socialisme (PPS), a remis en doute l’implication des vingt-trois détenus de l’affaire de « Gdeim Izik » ayant causé en novembre 2010, 11 morts dont 9 des forces de l’ordre.  

Nabil Benabdallah alors qu'il assistait aux familles des forces de l’ordre, victimes de « Gdeim Izik », devant le tribunal militaire de Rabat Source : lakome2.com

Nabil Benabdallah alors qu’il assistait aux familles des forces de l’ordre, victimes de « Gdeim Izik », devant le tribunal militaire de Rabat
Source : lakome2.com

« C’est possible… qu’il n’y ait pas de rapport direct… c’est possible… C’est possible que dans le flou global, et dans les événements… » (en faisant un mouvement tourbillonnant du bras), a-t-il affirmé, devant une délégation de la marie d’Ivry-sur-Seine, où habitait Naâma Asfari et Claude Mangan, son épouse française.

Ces déclarations sont parues dans documentaire « Dis-leur que j’existe », projeté jeudi soir dernier au cinéma « Le Brady » à Paris. Le film, qui a nécessité trois ans de travail selon l’équipe, raconte l’histoire du prisonnier sahraoui Naâma Asfari et de ses codétenus de la prison Zaki de Salé. Tous condamnés à des peines allant de vingt ans à la perpétuité.

Ben Abdellah a été le seul membre du gouvernement ayant accepté de rencontrer la dite délégation. On ignore si Ben Abdellah a été un émissaire du Palais ou un représentant du gouvernement. Ou, encore, qu’il a été convaincu par sa collègue dans le parti, Gajmoula Bent Abi, qui a assisté à cette rencontre, et qui a déjà réfuté la thèse officielle à travers de nombreux médias espagnols.

Il faut rappeler que Nabil Ben Abdallah a récemment été violemment attaqué par Fouad Ali El Himma, le conseiller du roi Mohammed VI, via un communiqué officiel du Cabinet Royal dans lequel on l’accusait de «tromperie politique ».

Burundi : le Général Ndayishimiye, « terminator » des FNL

[Par Elyse NGABIRE]

Quatre ans à la tête du parti de l’Aigle, Pascal Nyabenda est remplacé avant le terme de son mandat par un ancien homme fort du maquis : le général Evariste Ndayishimiye. Du coup, le plan « Safisha » est réactivé, déclare Aimé Magera, porte-parole d’Agathon Rwasa, leader historique des Forces Nationales de Libération (FNL).  

Agathon Rwasa (en polo rayé) pendant une visite à l'intérieur du pays Source : iwacu-burundi.org

Agathon Rwasa (en polo rayé) pendant une visite à l’intérieur du pays
Source : iwacu-burundi.org

« Durant les trois semaines que le parti CNDD-FDD est sous le contrôle total des anciens maquisards qui ont échoué complètement à se transformer en hommes politiques, nous avons documenté plus de 65 cas de violations graves des droits de l’homme », constate Aimé Magera, porte-parole de M. Rwasa, premier vice-président de l’Assemblée nationale.

Inacceptable, dit M. Magera, qui s’inquiète de l’enlèvement, de la disparition, de la torture et des assassinats perpétrés contre leurs militants. Des chefs de collines (à plus de 60% sont FNL), poursuit-il, sont abusivement arrêtés. Motif : non collaboration avec la milice de la jeunesse Imbonerakure du parti au pouvoir.

Plus grave, remarque Aimé Magera, c’est lorsque des éducateurs et enseignants des collèges et lycées, membres du parti FNL, sont arrêtés en pleine rue par leurs propres élèves qui sont dans les rangs de cette milice sans convocation. Aimé Magera raconte qu’ils sont tabassés, ligotés, humiliés comme des brigands devant parents et autres élèves, puis jetés en prison ou disparaissent tout simplement. Leur seul péché, fait-il savoir, est d’avoir adhéré au parti d’Agathon Rwasa : « Le but du pouvoir est de les humilier, les réprimer et les déshumaniser. »

Le général Evariste Ndayishimiye Source : yaga-burundi.com

Le général Evariste Ndayishimiye
Source : yaga-burundi.com

La situation s’est considérablement dégradée, raconte le porte-parole d’Agathon Rwasa, depuis que le général Evariste Ndayishimiye assure le secrétariat du parti au pouvoir : « Nous inscrivons cette recrudescence de la violence dans la logique, somme toute, dictatoriale d’un pouvoir à l’agonie, qui n’épargne personne. »

D’après Aimé Magera, c’est l’exécution du plan Safisha des années 2010 qui se poursuit où des centaines de fidèles de M. Rwasa ont été arrêtés, torturés, puis jetés dans des rivières. Aujourd’hui comme hier, leurs bourreaux, insiste-t-il, sont des miliciens du parti CNDD-FDD au pouvoir, le service des renseignements et les forces de l’ordre : « Ils s’en prennent indistinctement à tous ceux qui s’opposent au maudit troisième mandat de Nkurunziza. »

Depuis longtemps, Aimé Magera indique que son camp a condamné ces tueries qu’ont subis beaucoup de Burundais non acquis à la cause du pouvoir CNDD-FDD, spécialement leurs militants qui sont les premiers à subir les foudres de la dictature du système Nkurunziza, en vain : « Malheureusement, ils continuent d’endurer les affres de cette milice Imbonerakure, dont le seul dessein est de ramener de force tout le monde à adhérer à leur parti. »

Aimé Magera, porte-parole d'Agathon Rwasa Source :

Aimé Magera, porte-parole d’Agathon Rwasa
Crédits photo : Elyse Ngabire

Ainsi, son parti saisit cette occasion pour dénoncer encore une fois ces exactions. Il présente toute sa sympathie envers les familles endeuillées depuis plus d’une décennie et spécialement durant cette période de contestation contre ce 3e mandat de trop, maudit, illégal et inconstitutionnel de Pierre Nkurunziza.

Nous déplorons et dénonçons toujours les arrestations arbitraires, les tortures, les exécutions extra-judiciaires et autres sévices dont souffrent la grande majorité de la population non acquise à la cause du CNDD-FDD, notamment celle de vouloir se positionner en parti-Etat. Cela se passe au moment où les Burundais aspiraient à jouir des dividendes d’une démocratie épanouie, dont ils ont payé le plus lourd tribut durant les longues crises qui ont secoué leur pays : le Burundi.

Contacté pour s’exprimer sur ces bavures commises par la milice Imbonerakure, le président de la Ligue des jeunes du parti CNDD-FDD riposte toujours que la responsabilité pénale est individuelle : « Il faut mettre les noms sur les visages pour éviter toute généralisation, toute globalisation. »

La rédaction a essayé de joindre le nouveau patron du parti présidentiel burundais sans succès.

Au moment où nous mettons sous presse, on apprend que 15 autres militants ont été victimes d’arrestations dans le nord, le centre et le sud du pays. Selon toujours Aimé Magera, ils sont accusés de tenir des réunions illégales du parti. Pour M. Magera, c’est presque une prise en otage de leurs militants qui n’ont même pas le droit de rendre visite à leurs familles. Plus grave, conclut-il, Agathon Rwasa, leader historique des FNL et premier vice-président de l’Assemblée nationale est empêché par les autorités provinciales (Ngozi, sa colline natale, ndlr) de visiter sa famille alors qu’il y a 30 ans qu’il ne l’a pas revue : « Nous sommes dans une République bananière ! ».

La liste (non exhaustive, selon M. Magera) des militants FNL séquestrés depuis que général Ndayishimiye est secrétaire du CNDD-FDD

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Quand les cultures de la Maison des Journalistes dialoguent avec celles du musée du Quai Branly

[Par Elyse NGABIRE]

A l’occasion de la célébration du 10e anniversaire du musée du Quai Branly qui porte désormais le nom de Jacques Chirac, ancien président de la République française, les journalistes résidents et anciens de la MDJ n’ont pas manqué à ce grand rendez-vous. Une expérience à la découverte de l’autre visage de l’ancien homme d’Etat.

Des journalistes de la Maison des Journalistes en visite au Musée du Quai Branly Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Des journalistes de la Maison des Journalistes en visite au Musée du Quai Branly
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Au 37 Quai Branly, dans le septième arrondissement de Paris, du 21 juin au 9 octobre, le musée du Quai Branly portant désormais le nom de Jacques Chirac, ancien président de la République française,  commémore les dix ans de sa création.

Depuis l’été donc, ses portes restent grandes ouvertes au public et propose une gamme d’événements : expositions, spectacles, conférences, colloques, etc.

C’est en effet dans ce cadre, qu’une équipe d’une dizaine de professionnels exilés des médias composée des résidents et anciens de la Maison des Journalistes (MDJ) en compagnie du personnel du pôle communication ont effectué une visite guidée des lieux.

Ils sont d’origines et de cultures différentes : Syriens, Afghans, Érythréens, Soudanais, Burundais etc. « Ils », ce sont ces journalistes qui ont été accueillis à bras ouverts à la MDJ qui a son siège au 35 rue Cauchy, dans le 15e arrondissement de Paris.

Ils sont du même avis que l’ancien président français : pas de hiérarchie entre les cultures et toutes les civilisations naissent libres et égales. Contents de découvrir ce grand espace culturel et d’apprentissage, ils sont également impressionnés par la petite histoire de sa création, telle qu’elle nous est racontée par l’une des guides du musée : « Tout commence en 1999 lorsqu’un concours de maîtrise d’œuvre aboutit au choix de Jean Nouvel pour la construction du musée qui sera édifié au pied de la tour Eiffel. Le 20 juin, il est inauguré par Jacques Chirac qui fait savoir dans son discours que ce musée doit promouvoir, auprès du public le plus large, un autre regard, plus ouvert et plus respectueux. Et ce, en dissipant les brumes de l’ignorance, de la condescendance ou de l’arrogance qui, dans le passé ont été souvent présentes et ont nourri la méfiance, le mépris et le rejet. »

La façade du Musée du Quai Branly Crédits photo : Lisa Viola Rossi

La façade du Musée du Quai Branly
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Sur cette petite histoire commence alors une grande découverte

Surprises et étonnements s’invitent déjà dès l’entrée de ce grand musée, serti dans un écrin paysage conçu par Gilles Clément et occupant 27 700 mètres carrés en plus des 17 500 mètres carrés réservés au jardin.

Des murs végétaux, imaginations de Patrick Blanc, composés de 15 000 plantes et 150 espèces retiennent notre attention, avant de se diriger vers la Mezzanine Est et Ouest.

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine l’équipe des professionnels des médias et leurs accompagnateurs, soit 300000 œuvres parmi lesquelles 11 000 de la collection « Mondialisation historique et contemporaine ». A travers des photographies, 710 000 collectionnées apprend-on, disposées de part et d’autre du musée, certains journalistes se retrouvent dans leurs différentes civilisations. C’est le cas notamment d’un journaliste burundais qui, en parcourant l’espace réservé à l’Afrique australe, découvre les habits traditionnels, des bijoux, etc. portés par le peuple kenyan, tanzanien, etc. Pourtant, son plus grand regret aura été l’absence du tambour du Burundi alors que c’est un outil culturel très connu. Pendant les années 80, une équipe de tambourinaires burundais ont séjourné à Paris à l’occasion d’une exposition sur la culture africaine.

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine les journalistes Crédits photos : Lisa Viola Rossi

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine les journalistes
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Devant chaque œuvre et chaque photographie, indique une journaliste d’origine « ouzbekistanaise », elle a envie de s’arrêter et de dialoguer avec cette autre civilisation qu’elle n’a jamais rencontré.

« Plus qu’un lieu de visite, le musée Quai Branly-Jacques Chirac doit être perçu comme  un lieu de dialogue et d’apprentissage, un lieu adapté à chacun, que l’on construit et qui nous construit » précise Stéphane Martin, président du musée.

Au cours de cette visite guidée, nous retiendrons enfin ce corridor communément appelé « Rivière » qui donne pour certains des vertiges. La « Rivière » est en effet, une invitation au voyage dans le temps et dans l’espace. Elle conduit à ces lieux remarquables, faisant découvrir toute une série d’installations affleurant tout au long de la rivière, vertigineuses pour certains. La « Rivière » sollicite le sens et l’esprit. On est perdu dans le regard, on a tendance à s’arrêter pour toucher, déchiffrer ou écouter. Et puis, on se perd encore dans ce dialogue de cultures et de civilisations… dont le président Jacques Chirac est fou amoureux… et dont le musée porte désormais son nom, un signe d’un grand honneur…

Ce n’est pas fini

Pour ceux qui veulent toujours y aller, des expositions vous y attendent.

Jusqu’au 9 octobre 2016 : – Jacques Chirac ou dialogue des cultures

– Homme blanc, Homme noir : les représentations de l’Occident dans l’art africain du 20ème siècle

Du 4 octobre au 15 janvier 2017 : The color line, les artistes africains-américains et la ségrégation

Du 22 novembre au 29 janvier 2017 : Plumes, Vision de l’Amérique

Du 22 novembre au 2 avril 2017 : Eclectique, Une collection du 21ème siècle

Du 22 novembre au 2 avril 2017 : Du Jourdain au Congo, Art et Christianisme en Afrique centrale

Du 31 janvier 2017 au 19 novembre 2017 : L’Afrique des routes

Du 28 mars 2017 au 23 juillet 2017 : Picasso Primitif

Du 23 mai 2017 au 8 octobre 2017 : La pierre magique des Maoris

Gabon : lourde atmosphère de fin de règne

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

La situation qui prévaut au Gabon, après les premières heures d’orage, fait bégayer l’histoire post-électorale de l’Afrique. Certes, avec des nuances, qui font de ce petit pays pétrolier d’Afrique centrale une véritable pétaudière. Où se mêlent, avec drame, histoire de famille, alliances d’intérêt, soif inassouvie du pouvoir… Brouillant, pour l’heure, l’horizon immédiat du pays.

Des gabonnais expriment leur colère à Libreville le 1er septembre 2016 Source : rfi.fr

Des gabonnais expriment leur colère à Libreville le 1er septembre 2016
Source : rfi.fr

A la tête de l‘imbroglio, s’opposent deux individus jadis unis par alliance : Ali Bongo, dont la réélection est contestée, et Jean Ping, l’ex-compagnon de Pascaline, demi-sœur du premier. Ancien cacique du régime. Ils se vouent, paradoxalement, une haine tenace et se battent sans concession pour le pouvoir.

Derrière eux se forment deux camps adverses animés de la même malveillance : l’opposition portée par Ping et renflouée par les transfuges (pour la plupart des proches de la famille Bongo) et le Parti démocratique gabonais (PDG) au pourvoir, dépeuplé; au rang desquels le général Ngiri, propre cousin du chef de l’Etat. Sans oublier la place qu’occupe, en Afrique, le tropisme ethnique.

Un des éléments évoqués ci-dessus n’est pas classique dans la situation qui gangrène le continent. Il s’agit de voir les membres d’une famille s’engager, à ciel ouvert, dans une bataille homérique pour le pouvoir. A l’exception de la Centrafrique et de la Guinée équatoriale. Bokassa, pour le premier pays, et Nguema, pour le second, furent chassés du pouvoir par leurs neveux respectifs, au cours de l’année 1979. Loin de l’implication du grand public, ce qui a permis d’éviter la formation des partisans et des camps, prêts à en découdre.

Ali Bongo Source : rfi.fr

Ali Bongo
Source : rfi.fr

En Côte d’Ivoire, où la situation fut des plus tragiques, avec plusieurs milliers de morts, le combat n’avait pas mis face à face des membres d’une famille ; au contraire, il avait inclus des dimensions régionales, avec un brin de tonalité religieuse :  le nord à dominante musulmane contre le sud majoritairement chrétien.

Rien de tel, au Gabon. Le bras de fer engagé actuellement entre Ali Bongo et Jean Ping relève d’un drame familial à large spectre. C’est le cas d’un groupe, en désintégration, contre un autre groupe, tous portés par un arrivisme insatiable.  Autrement dit, c’est une espèce de guerre « des mêmes contre les mêmes », car ils sont tous issus de la même matrice, forgée par la main de feu du président Omar Bongo. Mais, avec, aujourd’hui, deux leaders connotés : Ali Bongo qualifié de « fils illégitime » et Jean Ping de « Chinois », car issu d’un père chinois. A brève échéance, ils seront tous deux perdants.

Ainsi, quel que soit le verdict de la Cour Constitutionnelle, dans quelques jours, à laquelle les deux belligérants viennent de déposer leurs recours, la « question gabonaise » restera-t-elle d’actualité. Demain plus aujourd’hui.

Jean Ping Source : lexpress.fr

Jean Ping
Source : lexpress.fr

Aujourd’hui, parce qu’étant aux ordres, les Cours Constitutionnelles africaines ne disent pas le droit, mais « lisent la volonté du pouvoir » en place. Quelle serait l’issue de l’affaire en cours ? Du désordre en perspective, si l’un ou l’autre camp perdait ! Et, demain ? Alors que dans l’opposition de nouvelles ambitions auront certainement vu le jour, la lutte pour le pouvoir sera plus âpre encore. Mais, sans les Bongo.

Nous disons : sans les Bongo. Car l’atmosphère est, déjà, celle de fin de règne. Et, d’ici-là, il n’y aura plus de régimes dynastiques, en Afrique. Les Kabila, en RD Congo et les Eyadema, au Togo, au pouvoir, seront déjà passés.

 

 

La diplomatie française à l’épreuve de la laïcité

[Par Clara LE QUELLEC]

L’affaire très récente du burkini en France a ravivé les interrogations autour du concept de laïcité. L’ONU s’est d’ailleurs exprimée sur la question en estimant que les arrêtés anti-burkini « favorisaient la stigmatisation des musulmans ». Le troisième débat de la journée du mardi 30 août lors de la semaine des ambassadeurs fut consacrée à la thématique « État laïque, fait religieux et diplomatie ». L’occasion de revenir sur les fondements de la laïcité, son application française, sa promotion sur la scène internationale et son influence dans les relations diplomatiques de la France avec des pays étrangers. Le débat a rassemblé Gérard Araud, ambassadeur aux États-Unis, Jean-François Girault, ambassadeur au Maroc, Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège, Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses et membre de l’Observatoire de la laïcité et Lilian Thuram, grand témoin de la semaine des ambassadeurs et président de la Fondation « Lilian Thuram-Éducation contre le racisme ». La discussion a été animée par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef de La Croix.

Femme portant le burkini ( Source : huffingtonpost.fr)

Femme portant le burkini
( Source : huffingtonpost.fr)

« La laïcité n’est pas une opinion, c’est la possibilité d’en avoir une » rappelle Jean-Christophe Peaucelle. S’il est clair que le principe de laïcité repose sur trois fondements : la liberté de conscience et de culte, la séparation entre le politique et le religieux et l’égalité de tous devant la loi, son application pose à beaucoup certaines réserves, au sein même de la société française. La définition défendue par la France n’est pas non plus entièrement comprise autour du monde. Les sujets du débat s’intéressent principalement au rapport de la France entre État et religion, à la manière dont la laïcité est comprise dans les autres pays et aux moyens dont un État laïque mène sa diplomatie alors que la religion est très présente dans de nombreuses régions du monde. Autant de points qui ont permis d’apprécier les différences sociales, culturelles et politiques liées au fait religieux dans différents pays.

Jean-Christophe Peaucelle, conseiller pour les affaires religieuses et membre de l'observatoire de la laïcité (Source : gouvernement.fr)

Jean-Christophe Peaucelle
(Source : gouvernement.fr)

« Au Maroc – explique Jean-François Girault – la laïcité est comprise comme la liberté de croire ou de ne pas croire », précisant néanmoins que ce dernier aspect est le moins bien perçu. Pour les marocains, la religion fait donc partie de la vie et de l’identité et le Roi du Maroc y détient une forte légitimité à tous égards. L’ambassadeur mentionne notamment le travail du souverain dans la condamnation des obscurantismes.

Jean-François Girault, ambassadeur au Maroc (Source : ledesk.ma)

Jean-François Girault
(Source : ledesk.ma)

Au contraire, aux États-Unis où la devise américaine « In God we trust », adoptée en 1956 par le Congrès fait explicitement référence à la religion, le fait religieux est appréhendé de manière très libérale. « La laïcité américaine – commente Gérard Araud – se réfère au concept de religion neutre ». Alors qu’en France, cette dernière n’est pas valorisée, il est très courant dans les entreprises américaines d’afficher ses croyances au vu de tous et de célébrer « Dieu » dans l’absolu. Une promotion du communautarisme ? « Non – répond l’ambassadeur –  on assume tout simplement la diversité ». C’est ainsi que l’affaire du burkini a profondément choqué les Américains. Pour eux, la liberté individuelle des citoyens prime à tous égards. « Aux Etats-Unis, l’État est une menace pour les libertés, c’est l’individu qui doit décider ».

Gérard Araut, ambassadeur aux Etats-Unis (Source : innercitypress.com)

Gérard Araut
(Source : innercitypress.com)

Au sein du Vatican, si la loi française sur le mariage pour tous a heurté de plein fouet la doctrine de l’ Église, il n’est cependant pas question d’ingérence. Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège explique que ce dernier n’a « aucun problème avec la laïcité française ».

Philippe Zeller, ambassadeur au Saint-Siège (Source: france-vatican.org)

Philippe Zeller
(Source : france-vatican.org)

Le principe de laïcité en France reposant donc en partie sur la séparation du politique et du religieux, comment comprendre alors la protection de la diplomatie française envers les Chrétiens d’Orient ? Pour Jean-Christophe Peaucelle, interrogé sur ce point, il s’agit de ne pas nier le passé historique des relations et donc à la fois de ne pas abandonner « ses amis qui sont les siens depuis cinq siècles », de ne pas rester passif devant des actes inhumains « sous peine de perdre sa crédibilité » et de promouvoir ainsi « le pluralisme ethnique et religieux » qui constitue « l’avenir du Moyen-Orient ». « Pouvoir questionner sa religion » déclare Lilian Thuram, n’est-ce finalement pas cela qui constitue l’enjeu principal du débat ? Les récents événements terroristes en France mais également dans de grandes parties du monde perpétrés au nom de la religion musulmane ont par exemple révélé, à la différence du catholicisme, des interrogations sur l’absence d’autorité suprême dans l’islam. Dans les pays musulmans, « l’islam structure le politique, le social, l’espace, le temps » rappelle Jean-François Girault. L’ambassadeur note alors l’avancée du Maroc sur cet aspect avec la formation d’un Conseil des Oulémas (docteurs de la loi coranique) présidé par le Roi et l’accord signé entre la France et le Maroc pour la formation des imams qui reviendraient travailler dans l’Hexagone.

Lilian Thuram, président de la Fondation "Lilian Thuram-éducation contre le rascisme" (Source : leparisien.fr)

Lilian Thuram,
(Source : leparisien.fr)

Les relations entre la diplomatie et le fait religieux sous-tendent ainsi des rapports de force complexes. Jean-Christophe Peaucelle rappelle qu’une diplomatie ne doit en aucun cas « négliger le fait religieux » car celui-ci relève « d’une importance capitale dans de nombreuses sociétés » et constitue un facteur essentiel à prendre en compte dans les relations internationales. Ce que l’on peut retenir en tout point de ce débat est la difficulté toujours plus croissante de la libre appréciation d’un juste équilibre entre intérêt diplomatique, affirmation des valeurs de la Nation et mise en œuvre des principes d’égalité, de liberté de conscience et de religion.

 

Gabon : victoire à la Pyrrhus d’un fils à papa

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le fils à papa, Ali Bongo, vient de gagner les élections « sur le fil » par 49,80 % contre 48,20 % récoltés par son rival, Jean Ping. Avec de violentes contestations à la clé. Comme ce fut le cas, en 2009, quand il accéda au pouvoir par les urnes, en remplacement de son père, Omar Bongo, décédé deux mois plutôt.
A cette occasion, à Port Gentil, capitale économique du pays, bâtiments publics et marché furent brûlés, commerces pillés…

Des hélicoptères survolent l'Assemblée Nationale d'où s'élève un panache de fumée ©lemonde.fr

Des hélicoptères survolent l’Assemblée Nationale d’où s’élève un panache de fumée ©lemonde.fr

L’histoire semble donc bégayer. Car, mercredi 31, quelques instants seulement après la proclamation des résultats du vote, faite à travers une grande tension, les scènes de violences ont éclaté. Par rapport en 2009, celles-ci ont vite gagné en intensité et en étendue, car elles ont touché à la fois plusieurs quartiers populaires de la capitale. En un tournemain, les manifestants ont réussi à brûler une partie de l’Assemblée nationale. En riposte, les forces de sécurité prenaient d’assaut par hélicoptère le quartier général de l’opposant. Inédit !

Avec cette montée en puissance de la colère des Gabonais et face à la détermination du pouvoir à défendre ses intérêts, on n’en est déjà qu’aux frémissements d’une insurrection. Toutes proportions gardées, il en était ainsi de la prise de la Bastille, en 1789 ou de celle du Palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, en 1917.
Pour le Gabon, ce pays d’Afrique centrale, deux fois moins grand que la France, et peuplé de plus d’un million et demi d’habitants, les causes ne sont que plus apparentes.

Il s’agit, d’abord, de la théorie qui démontre que « le pouvoir use ». Ali Bongo, qui a succédé à son père, après 42 ans de règne, en constitue un archétype idéal. Le septennat qu’il vient de consommer amène ce chiffre à quasiment un demi-siècle de direction suprême du pays. Est-ce dans un monde où le mot démocratie, qu’on le veuille ou non, a tendance à devenir culte, sinon à se sacraliser. Or, dans les trois pays africains où « les fils à papa » se sont emparés du pouvoir (RD Congo, Togo et Gabon), ceux-ci ne sont autrement perçus que comme des usurpateurs à la tête des « dynasties dévoyées ».

Un militant de l'opposant Jean Ping brandit un drapeau du Gabon, le 31 août 2016 à Libreville. © MARCO LONGARI / AFP

Un militant de l’opposant Jean Ping brandit un drapeau du Gabon, le 31 août 2016 à Libreville.
© MARCO LONGARI / AFP

Avec, au Gabon, une situation spécifique, où « le roi est nu » : la majorité des caciques du régime ayant déserté le Parti démocratique gabonais (PDG) au pouvoir. Au rang desquels le général Ngari, un des cousins du président, et considéré comme gardien du temple du clan Bongo. Sans oublier André Mba Obamé, ancien ministre de l’Intérieur et « pote » du chef.

En clef de voûte, se trouvent l’union – bien que de circonstance – de principaux partis de l’opposition -, la méfiance de l’Eglise Catholique et l’inimitié sournoise des pays voisins comme le Congo et la Guinée Equatoriale. Ce dernier pays aurait eu partie liée avec l’opposition, à travers un appui financier.

Au regard de tous ces éléments, on s’aperçoit que la position du fils à papa gabonais est au ras des pâquerettes et que « La Maison Bongo » n’est plus, désormais, une citadelle ni inexpugnable ni honorable. En fait, cette victoire à la Pyrrhus ne manquera pas de peser sur le rapport de forces entre un pouvoir esseulé et un peuple méfiant. Le Burundi en est un exemple parlant. L’autre conséquence est à situer en externe : une aubaine pour les à fils à papa en exercice (RD Congo et Togo) qui y trouveront une jurisprudence pour s’incruster au pouvoir. Et, une belle promesse pour ceux qui se préparent à y faire leur entrée (Ouganda et Guinée Equatoriale).

En Algérie, la gestion des cultes est dans l’impasse

[Par Larbi GRAÏNE]

Algérien d’origine kabyle mais de confession chrétienne, Slimane Bouhafs a été condamné par la Justice algérienne à 5 ans de prison ferme pour « atteinte à l’islam et au prophète Mohamed ». Ces accusations sont basées sur des messages qu’il aurait postés sur Facebook. Ses avocats ont fait appel et le verdict est attendu pour le 6 septembre prochain.

Slimane Bouhafs (Source : siwel.info)

Slimane Bouhafs
(Source : siwel.info)

Ad ṣelliɣ af nbbi lmexttar taqbaylit teswa kter (je traduis du berbère (1), je prie sur le Prophète élu (Mahomet) mais la kabylité est d’un meilleur prix.) (2) Ce blasphème prononcé par un thaumaturge kabyle du XIXe siècle, Cheikh Mohand-ou-Lhoussin, illustre parfaitement la philosophie qui imprègne l’islam kabyle sous l’ère du maraboutisme et du confrérisme. L’islam est alors compris comme une religion de tolérance et de pardon, qui de par cette qualité ne saurait absorber le code de l’honneur adopté en pays kabyle. Mais sous l’impulsion du réformisme musulman d’origine levantine, né en réaction à l’expansionnisme colonial, le mouvement national algérien a combattu d’une manière opiniâtre l’islam traditionnel. Pourtant, la période ayant précédé le réformisme a été jalonnée par de hauts faits d’armes sous la conduite de grands marabouts. Mais, le récit national, très lacunaire sur ce point, attribue la résistance à autre chose que le maraboutisme. Si la mémoire de l’Emir Abdelkader est officiellement célébrée et honorée, on fait tout pour faire oublier ses origines maraboutiques. (3) Ce qui est mis en avant c’est son côté guerrier et chevaleresque et sa stature d’homme d’Etat. (4) De même, on éprouve de la gêne quand il s’agit d’évoquer la révolte kabyle de 1871 à laquelle avait participé le chef de l’ordre confrérique Rahmaniyya, le cheikh Aheddad. En outre, l’évocation de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh, puissante famille maraboutique du Sud-Oranais, est encore perçue comme problématique du fait qu’elle fait référence à une tribu de marabouts. La volonté d’occulter l’islam traditionnel a été imposée au FLN par les Ulémas. L’historiographie algérienne, d’ailleurs, fait débuter l’histoire de l’Algérie le  1er novembre 1954, soit au moment du déclenchement de la guerre d’indépendance. L’Algérie indépendante a, ensuite adopté l’islam comme « religion d’Etat ». Cette formulation est une pure abstraction, car l’Etat y prétend connaître ce qu’est l’islam. Ce dernier n’ayant pas de clergé, il va s’en accaparer pour fabriquer une religion artificielle expurgée de toute spiritualité. Ce qui fera office de clergé est une espèce de cléricature fonctionnarisée disséminée dans les rouages administratifs de l’Etat. Un ministère des Affaires religieuses est requis pour moduler la religion, désormais propriété de l’Etat, et assurer la police des cultes autres que musulmans. C’est alors qu’on assistera à la naissance d’un marketing islamique radiophonique et télévisuel, dont la finalité est de scénariser les rituels religieux.

Alors que l’islam traditionnel s’appuie sur les zaouïas et les écoles coraniques, le néo-islam se développera sur les pupitres d’écoliers, les universités et autres instituts spécialisés, sur les ondes de la radio, de la télévision, les séminaires de la pensée islamique animés par de doctes messieurs rappelés de l’Orient. L’islam est forcé de se couler dans le moule de la République une et indivisible, et gommer toutes ses aspérités jusqu’à devenir une matière irrémédiablement lisse. Le prêche hebdomadaire télévisé sert de modèle pour des milliers de mosquées que compte le pays qui répète à l’envi le discours des imams souvent dépourvus de culture générale. Sans s’attarder sur le drame qui va éclater durant les années 1990, il convient de signaler l’émergence depuis le début des années 2000 d’une nouvelle communauté religieuse extérieure à l’islam : les convertis au christianisme dont Slimane Bouhafs, 49 ans, en est un bel exemple. Sortis du giron du mouvement évangélique, leur nombre qui n’est pas encore estimé en l’absence d’enquêtes officielles ou officieuses, semble tout de même important en Kabylie. D’après des recoupements personnels, dans cette région berbérophone, le mouvement évangélique est en constante progression. Pour l’instant on n’en connait pas la raison précise. Est-ce une réaction au déni identitaire ? aux restrictions des libertés ? Je pense qu’on ne tardera pas à le savoir.

Les convertis au christianisme, une nouvelle donne

Quoi qu’il en soit, l’irruption des convertis sur la scène nationale algérienne est une nouvelle donnée importante. Certes, une tentative d’évangélisation des Algériens durant la colonisation a eu lieu sous l’instigation du Cardinal de Lavigerie, mais elle s’est globalement soldée par un échec. Le peu de convertis qu’avait pu former cette campagne, ont, dès l’indépendance du pays, rejoint la France. Les personnages les plus connus de cette communauté chrétienne aujourd’hui disparue, sont les membres de la famille Amrouche : Jean, Taos et Fadhma, tous écrivains qui ont fait de la revendication de la berbérité l’un de leur leitmotiv. En dehors de cet épisode, l’Algérie n’a pas connu de communauté chrétienne établie sur son sol. Sans remonter à l’Eglise d’Afrique et à Saint-Augustin, on peut trouver trace d’une très petite communauté chrétienne au temps de la dynastie berbéro-musulmane des Hammadides. Mais elle sera décimée au XIIe siècle sous les Almohades.

Le berbère devient officiel, mais la Kabylie continue d’entretenir son particularisme

En gros, la Kabylie est la région d’Algérie la moins infectée par l’islam bureaucratisé de l’Etat. Elle y a échappé grâce au mouvement culturel berbère et à la forte émigration vers l’Europe que connait la région depuis le début du XXe siècle. Avec l’affaire Bouhafs le gouvernement algérien se retrouve dans l’impasse. Si son illégitimité le pousse à rechercher le soutien des populations les plus travaillées par l’islam étatique, il échoue cependant dans sa tentative de mettre un frein aux campagnes d’évangélisation. Force est d’observer que sa loi sur le culte autre que musulman, qu’il a fait adopter en 2006 n’a pas eu l’effet escompté. Pis, la chape de plomb islamiste que les autorités font peser sur le pays est en train de créer une fissure entre la Kabylie et le reste de l’Algérie. Alors qu’il n’y a pas longtemps, la revendication kabyle se limitait à la langue, elle s’ouvre maintenant à la revendication d’un territoire.

Militants du mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) (Source: Algerie1.com)

Militants du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK)
(Source: Algerie1.com)

Le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) est en train de se tailler des fiefs dans certaines localités de cette région, lesquelles entendent ne pas se laisser soumettre à la morale publique imposée dans le pays et à la police des mœurs qui sévit à l’effet d’interdire la consommation d’alcool, les loisirs, etc.Le MAK est en possession d’un projet politique qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Il veut l’indépendance de cette région et il possède une politique claire envers les convertis auxquels il promet, – s’il venait à asseoir l’Etat kabyle – un régime de laïcité. En revanche, n’ayant aucun projet politique, en face l’Etat algérien navigue à vue. Actuellement il est occupé à gérer la maladie du chef de l’Etat dont il se plait, suivant un programme savamment orchestré, à en exhiber à la face du monde, l’image horrifiante.

 

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(1) Le berbère (tamazight) a été promu en février 2016 langue officielle en Algérie à côté de l’Arabe.

(2) Mouloud Mammeri, Inna-yas Ccix Muḥend ( Cheikh Mohand a dit), à compte d’auteur, Alger, 1990.

(3) Que cela soit dit en passant, Abdelkader dans son exil à Damas en Syrie, a sauvé des centaines de Chrétiens d’un massacre certain.

(4) D’une certaine manière le nationalisme algérien a repris à son compte le portrait d’Abdelkader tel qu’il a été élaboré par la France coloniale, qui insiste sur les traits nobles et aristocratiques de l’homme par comparaison avec ses comtes et marquis.