Nouvelle visite sentimentale à la Seine

ou « Je n’ose pas  regarder la vérité face »

Un poème de Nahid SIRAJ

Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN,

(téléchargez la version originale ici)

Sans titre ©Nahid SIRAJ

 

Chère Seine,

 

Je ne connais rien du cerveau droit de Pachebel,

Mais une nuit je me suis senti prêt à quitter Paris,

La cadence du Canon a pris le dessus sur mon esprit

Et mon existence n’a pas su trouver ses racines… mais des larmes.

 

Supporterais-tu à jamais ces pleurs ?

Un « Paillard » arrivera-t-il à donner plus du sens à ma vie ?

Je me souviens de la nuit où tu t’es révélée toi-même

Une sorte de flot se muant en paroles

M’a fait comprendre d’où proviennent les discours.

Tu m’as amené vers cet instant précis où naît le premier mot.

Comme il était profond  ton amour pour moi, Seine !

Néanmoins je désirais alors  me séparer de tout

Pour un voyage désespéré.

Pour cause de cœur brisé

De volonté annihilée ?

Moi, je n’ai plus de certitudes, Seine !

 

Tu te souviens de ma voix effarée

Tentant de trouver le tempo de la vie ?

Oh ! J’ai cherché les sentences

Capables de m’aider à franchir l’espace qui me sépare d’elles !

 

Lors de la plus solitaire et inédite des nuits

Tu as bien convié des légendes suprêmes ?

Et  tel l’altruiste, ont elles bien joué le plus pur des airs pour nous ?

Cela m’a donné des ailes, celles de la mélodie ;  je pourrais voler, je ne pouvais pas, pourquoi ?

 

Existe-t-il quelqu’un qui souhaiterait le savoir,

Sur le grand écran de la pleine Lune

Et montrer le récit de Malick avec la finesse de Lubezki ?

 

Qu’il te soit rendu grâce car j’étais là ;à m’imprégner de «  la meilleure façon de regarder ».

 

Sans doute as-tu œuvré au mieux à mon bénéfice, Seine !

Mais jusqu’où aller dans le consentement pour implorer la vérité ?

Jamais nous ne vénérons l’utérus du Temps.

Est-ce l’empilement de données abstraites accumulées dans ma tête,

Ou bien des images obsédantes ?

 

Qu’est-ce qui provoque ce séisme d’ordre chimique dans ma tête ?

Le sais-tu ? Je l’ignore, ma Seine !

Néanmoins je suis bien là, ici je dis mon amour –

Et je me sens si médiocre au point de ne pas te posséder

Tellement « académique » au point de ne pas te désirer tel ce trésor que tu es !

 

Note de l’auteur : Nouveau pays, nouvel environnement ; par-dessus tout, nouveau langage. Et, être confronté à des événements inattendus, voire désolants. Ma vie à Paris a commencé de la pire des manières ce qui a fortement influencé mon adaptation sociale. De fait, je suis devenu solitaire. Et cette solitude m’a fait devenir un amoureux de la Seine. J’aime profondément la Seine et elle me le rend bien. Le lien qui nous unit est particulier, tellement spécial qu’il me rappelle parfois le «réalisme magique». Le poème Nouvelle visite sentimentale à la Seine raconte le commencement de ma vie à Paris et les révélations qui ont accompagné mes nuits solitaires sur les berges du fleuve.

 

LA FILLE DU RHIN

Un poème de Nahid SIRAJ

Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN,

(téléchargez la version originale)

Notebooks @Nahid SIRAJ

 

…Et alors ce jour-là à la Bastille

Surgit le plus précieux des frissons

Provenant du plus profond du Rhin et de sa puissance

Avec “eine wundersame melodei”.

 

Bénis soient mes yeux,

Psyché pourrait être séduite

Comment pourriez -vous chérir ceci,

« Sans devenir cupide ? »

 

Et maintenant se tourner vers Dieu ? S’arroger la lyre  d’Orphée ?

La musique peut-elle parler à l’oreille  d’une sirène des temps nouveaux ?

“Ich weiß nicht’, mais ‘ich so traurig bin”.

Cortisol ? Ou Serotonin ? Que faut-il pour vaincre ?

 

Ma tête est envahie de paroles,

Mon coeur exilé,

Elle vient de ta terre, Heine !

Ce n’est pas seulement une œuvre  d’art !

 

Viola italiana

Un poème de Nahid SIRAJ

Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN

(téléchargez la version originale)

Sur le pont Alexandre III, entre Invalides et le Grand Palais (crédits photo : Lisa Viola ROSSI)

Elle arrive, heureuse et libre
Se moquant des soubresauts glaçants.

Un sursaut de vie quête des silhouettes défuntes
Avant de faire naître un sourire sur ses joues
Alors qu’elle ralentit à l’approche d’un feu.

Un parfum de Seine depuis les Invalides
La cerne comme si de rien n’était,
Il y a cette jubilation quand elle redémarre
De jeter d’insistants regards à la Seine.
Il semble que leur dialogue est le même chaque matin.

Que dire aussi de cet héritage enterré de Toscane ?
De l’angoisse née d’un trop pesant changement de monde ?
Ou peut-être de l’effacement de ce qui faisait sa vie, à elle ?
Qui sait, après tout ?

Regardez. Voici donc les écoliers !
Elle fait tinter la cloche.
Un petit rire l’accompagne
Oublieux du corps qui sue
Préservant de son sourire la part d’ombre d’un destin parisien.

Retrouvant ce rythme qu’elle interprète habituellement
Elle se rappelle « Nella Fantasia »
Mue par le besoin de songer encore
A la perversité de l’existence,
Et à ces conversations qui par une impérieuse nécessité
Nous convient à parler ensemble
D’elle et du reste.

 

 

Zakaria Abdelkafi : « Un photographe n’a besoin que d’un seul œil »

[Propos recueillis par Hicham MANSOURI et Camille PEYSSARD-MIQUEAU]

Trois femmes de dos traversent une rue où personne, mis à part un homme et son vélo, n’est visible. Face à elles, les gravats s’amoncellent. Notre regard remonte vers là où semblent se diriger leurs yeux. C’est ici que la sidération nous frappe : trois bus aux couleurs criardes se dressent, à la verticale, vers le ciel. Sorte de barricade surréaliste qui mure tout l’horizon. Cliché d’un instant, d’une rue d’Alep, symbole de la guerre sans fin qui fait rage en Syrie depuis maintenant six longues années. Zakaria Abdelkafi, photographe syrien, correspondant de l’AFP à Alep de 2013 à 2015, signe ce portrait d’hommes et de femmes pris au piège d’Alep et de son chaos. 

Rue d’Alep, 2015 @Zakaria ABDELKAFI

Une trentaine de photographies sont présentées au public parisien au sein de son exposition « Je suis de là bas… Je suis d’Alep… », à la Mairie du XXème arrondissement, du 6 au 29 mars 2017. L’occasion de s’entretenir avec lui sur le rôle du photographe de presse en tant de guerre, son parcours personnel et sa vision du conflit qui détruit la ville de son enfance.

Zakaria ABDELKAFI ©Zakaria ABDELKAFI

Comment tu te définis? Comme un photographe de guerre ?

D’abord comme photographe de presse qui informe les gens sur ce qui se passe dans leurs régions. Ensuite comme photographe de guerre, car j’aime tout ce qui est action. J’aime couvrir les conflits et les combats. A Paris, où je vis depuis une année, je continue à couvrir les manifestations, les grèves des français, syriens et toutes les autres communautés.

Pourquoi as-tu décidé de monter cette exposition ?

Je voulais faire quelque chose pour montrer aux gens ce qui se passe réellement en Syrie. C’est une injustice et un crime aussi bien de la part du régime que des islamistes. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet pour montrer de manière simple ce que vit le peuple syrien avec la révolution, la guerre et le silence de la communauté internationale. On ment au peuple Syrien. C’est pourquoi je m’adresse aux peuples. Je suis à la fois content et triste pour cette exposition : content de montrer la réalité et triste car je vois mon pays détruit. On voit les décombres et les martyres dans mes photos. On me demande souvent quelle est mon cliché favori et j’ai toujours répondu « aucun », car c’est une vie difficile et douloureuse que j’y montre. Mais je vais continuer à exposer ces photos à Lyon et dans d’autres villes françaises et européennes.

Dans le chaos de la guerre, le Bien et le Mal, si tentés qu’ils existent, se confondent souvent. Tes photos suivent majoritairement l’Armée Syrienne Libre, des combattants parfois coupables de crimes. Comment as-tu exploré le concept d’autocensure face à de telles situations ?

Avant la révolution tu ne pouvais pas travailler dans le journalisme sauf si tu plaisais déjà au régime et à ses médias. Ils ne te laissent pas créer un journal ou publier des informations en ligne. C’est pourquoi j’ai commencé par couvrir des événements sportifs comme des matchs de football. Après la révolution, je me suis senti libre de transmettre la vérité et la réalité. Quand une personne se trompe une seule fois, ça ne sert à rien d’en parler. C’est des erreurs individuelles et isolées. Mais quand l’erreur se reproduit, on transmet l’information. Mais personne ne m’interdit de faire mon travail sauf l’Etat Islamique, Le Front Al-Nnosra, le régime et le PKK [Parti des travailleurs du Kurdistan]. L’Armée Syrienne Libre (ASL) et les conseils des villes ne m’ont jamais censuré.

La dangerosité du terrain sur lequel tu as exercé à Alep a, de fait, influencé le cadre, la prise de vue et l’esthétique de tes images. Selon toi, la neutralité et l’objectivité des images peuvent ou même doivent-elles exister ?

En tant que syrien, pour sauvegarder la Syrie, je crois qu’il faut une révolution pour faire chuter le régime et la dictature. Dans cette perspective, la seule ”neutralité” qui peut exister c’est la liberté de la presse et d’expression.

A Alep, tu étais à la fois observateur derrière ton appareil mais aussi immergé dans un conflit où les gens qui t’entourent pouvaient être blessés, portés disparus ou tués, où la ville que tu as toujours connu est détruite jour après jour. Comment as-tu réussi à poursuivre ta pratique journalistique dans un tel contexte?

Quand tu couvres les affrontements dans des zones de conflits, tu peux être tué à tout moment. Le régime peut te cibler. C’est un risque continu. Même quand tu termines ton travail et tu rentres chez toi dormir, tu es réveillé par les avions. Que peux-tu faire ? Tu as peur, mais tu ne peux pas t’enfuir. Le photographe de guerre est un métier très difficile. Il faut être convaincu et courageux. Après des années de travail on s’habitue. Après la mort d’un ami ou un proche, on est triste 4 heures, puis on revient travailler. Ici à paris, c’est plus facile de couvrir les manifestations, les grèves et les événements officiels. Dès que j’obtiens mon titre de voyage, j’envisage voyager en Iraq pour couvrir les conflits.

Tu penses avoir pris goût à la violence?

Ce n’est pas que j’aime les dangers mais l’action. Prendre des photos que personne ne peut prendre. Ce n’est pas le cas quand tu couvres une conférence. Moi, j’ai besoin des défis. Si ma blessure n’étais pas arrivée, je serai encore aujourd’hui en Syrie en train de continuer mon travail.

Tu évoques beaucoup ta blessure.  Celle qui a mis fin à ton combat en tant que journaliste à Alep. Veux-tu nous raconter comment elle t’a été infligée ?        

C’était le 15 septembre 2015. Il y avait un combat dans le quartier de Sahaleddine à Alep, entre l’opposition, c’est-à-dire l’Armée Libre, et le régime de Bachar. On a su un jour avant ce qui allait se passer. Je me suis donc préparé. Tôt le matin, j’ai filmé les préparations comme le transport des armes et l’organisation sur les axes etc. A 11 heures, les affrontements ont commencé. Il y avait trois axes. J’ai choisi de me placer dans l’axe du milieu pour couvrir les deux côtés. J’étais presque en face d’eux, caché devant une porte. A 13 heures, un groupe de l’Armée Libre, environ quinze personnes, a été assiégé par les forces du régime. Ils étaient à environ vingt mètres de moi. J’ai entendu dans le talkie-walkie du chef de groupe qu’il y avait quatre personnes blessées et qu’ils devaient être évacué. Afin de faire des prises meilleures et de filmer leurs tentatives de quitter les lieux, j’ai décidé de me rapprocher malgré les coups de feu. Mais, il y avait un sniper du régime sur le toit de l’immeuble et je ne l’ai pas vu.

J’étais à genou en train de prendre des photos, à 14 heures 30 environ, quand une balle a touché le cadre métallique de la porte et est venue percer l’arcade de mon œil gauche, que j’utilisais pour les prises de vue. J’ai vu le sang couler, j’ai crié « mon œil, mon œil ! », puis je me suis évanoui.

Et ensuite, que s’est-il passé?

Par la suite, j’ai appris que c’est l’Armée Libre qui a demandé une ambulance pour mon évacuation. Les secours n’ont pas pu avoir accès à la zone où je me trouvais. On m’a porté. Je me suis réveillé plusieurs fois. On m’a emmené dans un hôpital situé dans une zone sous le contrôle de l’Armée Libre. Mais cet hôpital n’avait pas de service pouvant soigner mon œil. On a alors demandé une évacuation vers la Turquie, mais les autorités turques nous ont refusé le passage : il était tard dans la nuit et je n’avais aucun document sur moi. L’ambulance m’a alors transporté à une clinique aux frontières où on m’a opéré. L’opération a duré une heure et demi. Je ne vois plus rien, j’ai perdu la vision. Dans l’ambulance vers Alep, j’étais presque évanoui. J’ai essayé de me lever et j’ai demandé « Il y a quelqu’un ici ? Où suis-je ? ». Une voix m’a répondu qu’on me ramenait « à la maison ». J’ai demandé ce qu’il en était de mon œil. La personne n’a pas répondu. J’ai reposé la question. « Malheureusement tu as perdu ton œil » m’a-t-on dit. Je suis resté silencieux pendant un moment, puis j’ai pleuré. Ma famille pensait que j’étais mort. Une fois à Alep, ma mère et mon père m’ont appelé de la Turquie et ils ont pleuré. Ma femme aussi. Quelques jours après, je me suis rendu en Turquie. Ma famille, mes amis et mes proches m’ont accueilli. Après deux mois en Turquie, je suis venu en France où j’ai continué le traitement. On m’a implanté un œil artificiel.

Aujourd’hui, tu habites en France où, comme dans le monde entier, les médiasrelaient les analyses d’experts de plus en plus confuses. La longueur du conflit et la multiplication des acteurs sur le terrain rendent difficile toute lecture simpliste de la situation actuelle. Quel est ton regard sur Alep depuis Paris ?

Au début c’était la révolution d’un peuple. Après c’est devenu, à cause du jeu politique international, une guerre sectaire entre les Chiites et les Sunnites que l’Iran et Hezbollah attisent. C’est une guerre pour le pétrole, le gaz et les autres intérêts personnels. La Syrie est actuellement dans une situation très difficile. Beaucoup de conflits et d’intérêts particuliers rivaux s’y affrontent. Les islamistes radicalisés que le régime a libérés de la prison Saidnaya en 2012, pour faire dévier la révolution populaire syrienne, compliquent les choses davantage. Maintenant , la situation apparaît comme tellement inextricable que le conflit semble sans fin. Le peuple reste la victime de cette situation.

Quels sont tes projets en France ?

J’ai commencé à étudier puis à chercher du travail. Pendant les entretiens d’embauche,  on m’a demandé si j’étais vraiment capable de faire la photo. J’ai à chaque fois répondu la même chose : «un photographe n’a besoin que d’un seul œil !». Maintenant je travaille pour l’AFP. J’attends mon titre de séjour pour pouvoir voyager en Turquie pour une exposition puis en Iraq pour couvrir les conflits.

Aujourd’hui, tu es optimiste  ?

Sur le plan personnel je suis optimiste. Je suis fier de mon travail, de moi et même de ma blessure. C’est un symbole, un sacrifice pour faire parvenir la vérité aux gens à travers la photo. Mais, pour la Syrie, je ne suis pas du tout optimiste. C’est trop compliqué la situation là-bas et personne ne sais pas ce qui va se passer.

«Je suis de là-bas… Je suis d’Alep…» de Zakaria ABDELKAFI à découvrir du 6 au 29 mars 2017 à la Mairie du XXème arrondissement de Paris @Zakaria ABDELKAFI

« Les Bobines Du Monde » Kézako ?

[Par Mortaza BEHBOUDI]

Avoir une idée c’est une chose, la mettre en œuvre c’en est une autre ! C’est là que Bobines du Monde intervient en donnant un coup de pouce à ceux qui souhaitent, notamment des réfugiés, s’emparer du moyen vidéo pour s’exprimer. 

Réunion de préparation, le samedi 4 mars 2017, avec les acteurs pour le premier film de Zarif ALIKHANI © Mortaza BEHBOUDI

À Paris, cette association à but non lucratif et fondée en octobre 2016 a été initiée par une dizaine de jeunes de profils différents, qui partagent la passion du cinéma et l’enthousiasme pour l’action sociale et humanitaire.

L’esprit de Bobines du Monde est que toute idée doit avoir la chance d’être entendue, mais aussi d’être vue ! L’industrie du cinéma ne doit pas être limitée aux maisons de productions ou aux professionnels, mais doit être ouverte à tous les talents.

Pour ces jeunes, le cinéma est un joli détail de leur quotidien, et ils sont persuadés que la diversité saura le rendre plus riche.

Quelles sont les missions de l’association ?

« Bobines du monde » s’engage à accompagner des personnes (notamment des réfugiés), à réaliser leurs projets cinématographiques ou vidéos en mettant à leur disposition du matériel, des conseils et/ou en leur proposant de co-réaliser des films. Son objectif est de permettre à ces personnes de s’exprimer en leur nom par un média vidéo et de diffuser et faire connaître leurs projets. Plus largement, l’association a pour objectif de faire connaître des écritures cinématographiques différentes portant d’une manière large sur la thématique des réfugiés ou des projets des personnes réfugiées en France.

Le premier scénario des « Bobines du monde » est porté par Zarif Alikhani, un jeune réfugié afghan également membre de l’association qui a décidé de décrire dans un court métrage les premiers pas d’un réfugié à Paris, en alimentant le petit film d’informations sur la demande d’asile et les étapes à suivre dans la procédure.

L’équipe lors d’une réunion de l’association © Lucile FROITIER

Behzad Qayomzada est le président de l’association. Passionné de cinéma, il a décidé, après avoir réalisé plusieurs courts -métrages, de lancer sa propre association. Il est réfugié en France depuis cinq ans. En Afghanistan, il était journaliste et continue ici de produire des films : « Rien ne vaut la vie », « Avoir le cœur sur la main » et « Dans l’autre sens ».

Ali Hasan est originaire de Syrie, il est aujourd’hui étudiant et apporte à BDM ses connaissances cinématographiques, mais également ses compétences graphiques. Il s’occupe de la communication et des projets.

Soizic Chevrat, très intéressée par le cinéma et étudiante en Master 2 “Droits de l’Homme et Droit Humanitaire” a rejoint l’équipe pour s’occuper de la communication.

L’association compte également Lucile Froitier, Zarif Alikhani, Perrine Baré, Aglaé Olivier, et Mortaza Behboudi.

Leurs actions s’appuient donc sur l’entraide, particulièrement le partage de connaissances, la formation et la mise en contact entre les porteurs de projets et les professionnels.

Ernest Becker : l’asservissement comme parade contre la mort

[Par Johanna GALIS] Le travail de l’anthropologue et sociologue américain Ernest Becker, auteur d’une dyade saluée par la critique : The Denial of Death (1973, prix Pulitzer 1974) et Escape from Evil (1975), n’est pas connu en France ; pour preuve aucun de ses ouvrages n’a été traduit. Ernest Becker cherche dans ces deux livres à révéler de la manière la plus simple l’homme dans sa véritable nature. Dénué de tous ses apparats, il apparaît comme une créature dont la logique mortifère est au cœur d’actions de plus en plus destructrices. 

Autoportrait avec la Mort au violon, Arnold Böcklin, 1872 ©fr.wikipedia.org

L’essai Escape from Evil permet de balayer sur un large spectre historique les dérives de l’être humain, depuis ses débuts primitifs jusqu’à aujourd’hui. Comment, lui pour qui la liberté est une valeur fondamentale, est-il devenu en réalité de plus en plus asservi – aux autres, mais aussi à sa propre nature ? Becker considère ce deuxième essai comme le compagnon de son volet précédent ; il transmet cependant à lui seul l’enseignement d’une pensée essentielle pour comprendre les dysfonctionnements de notre société contemporaine.

Un être qui cherche le contrôle

« Je veux montrer un homme dans toute la vérité de sa nature » écrivait le philosophe Jean-Jacques Rousseau en incipit de son livre autobiographique Les Confessions (1782). Dénuder l’homme pour l’exposer lui et ses vices au grand jour n’est pas sans rappeler l’entreprise de Becker. Cependant, tandis que Rousseau considérait l’homme bon par nature mais corrompu par la société, Becker déclare ici que l’un des moteurs premiers de l’homme est sa soumission à l’autre.

En reprenant les mots de Rousseau dans son Discours de l’Académie de Dijon (1750), l’anthropologue tord le cou à des décennies, voire plusieurs siècles, d’une interprétation erronée sur les origines de l’inégalité parmi les hommes. « La première personne qui, ayant planté une barrière sur un terrain, s’est mis en tête de dire que c’était le sien et a trouvé des gens assez simples et crédules pour le croire, était le véritable créateur de la société civile » L’idéologie marxiste reprendra un siècle plus tard cette citation, à des fins politiques, en soutenant l’idée que la création de l’Etat et la propriété privée sont à l’origine de la corruption de l’homme – les mots de Rousseau ayant été détournés de leur sens premier. Car il y a, selon Becker, une sorte de « maladie psychologique » de l’homme, soutenue par Rousseau lui-même – l’expression étant empruntée à quelqu’un dont il fait maintes fois référence tout au long de ce livre, l’anthropologue américain Norman O.Brown. Cette maladie entraîne la servitude d’un homme à un autre, car il semblerait « assez simple et crédule » pour croire à la prétendue supériorité de l’autre sur lui. Ce sont en effet les qualités personnelles de l’un qui attirent d’abord de la considération : comme sous le charme d’un enchantement, la société des hommes primitifs s’organisait déjà en fonction des capacités plus ou moins grandes de chacun – et la capacité de l’homme à émerveiller les autres en fonction de ses atouts a toujours fait l’effet d’un coup de magie, à l’image d’un « don de Dieu ».

Selon Becker, les tribus se sont dotées au fur et à mesure du temps de chefs qui ont été progressivement apparentés à des Dieux : quid d’une meilleure émulation ! La productivité et la combativité des membres de la tribu s’en est trouvée décuplée, comme sous l’emprise de cette mise-en-scène du pouvoir d’une figure aux atouts majeurs qui veillerait au bien des autres à partir de son rayonnement cosmique. L’asservissement à une figure d’autorité s’est subtilement mise en place au fur et à mesure des siècles, comme si le fonctionnement d’une société ne pouvait pas se faire sans un processus de mystification de l’autre qui aliénerait ses individus.

 La quête d’immortalité d’un organisme conscient de sa propre mort

Rappelons là un paradoxe, clef de voûte de la pensée de Becker : l’homme est un organisme, il recherche donc la survie. Il est cet organisme qui « lève sa tête au-dessus d’un champ de cadavres, sourit au soleil, et déclare que la vie est belle », comme l’écrit l’écrivain allemand Elias Canetti, cité par Becker.

Il se distingue des autres animaux par la conscience de sa propre mortalité, qu’il cherche à transcender par l’élaboration d’une fiction collective, appelée culture. Les coutumes développées dans son rapport à l’autre, ainsi que les élaborations techniques de l’homme visent à le rassurer en marquant de son sceau le plus « éternel » sur présence sur terre.

Tout l’aspect paradoxal de sa condition sur terre repose sur ce raisonnement ; lequel se mord inévitablement la queue : doté de la connaissance de sa propre fin, l’homme va chercher à l’outrepasser coûte que coûte par des inventions ”dysfonctionnantes” – quitte à se détruire lui et son environnement, dans l’optique obsessionnelle de laisser une marque.

Les moyens qu’il érige pour atteindre un certain équilibre et viser l’accomplissement d’une vie la plus confortable possible ont en effet leurs propres limites : plus l’homme va avancer dans l’Histoire, plus ses techniques de gestion de la nature en vue de la création d’une culture d’assurance et d’expansion de soi vont devenir destructrices. En effet, l’émergence de mouvements politiques écologistes atteste de nos jours que la trace de l’homme laissée sur terre est allée au détriment de l’équilibre naturel de celle-ci. Pire que cela, il semble que l’état actuel de la planète est un reflet d’une destruction du bien-être de l’homme en général.

 L’Histoire comme l’expansion d’une maladie du vivre ensemble

L’homme est amoureux de ses propres chaînes : à force de vouloir se comparer aux Dieux en cherchant l’immortalité sur terre, il devient progressivement aliéné à sa propre logique délétère. Car l’investissement symbolique de son monde – Becker développant l’idée que la société est un jeu d’interprétation monumental, un jeu comme étant « le principe même de toute civilisation » – a ses propres limites.

En effet, l’homme va chercher, étant asservi à sa propre nature, à asservir les autres de même. Le moteur de cette soumission ? Une culpabilité existentielle qu’il refuse de voir : elle est cette « tâche informe », ce sentiment difficile à définir qui obstrue et s’étend, et qui vient directement se mettre entre lui et les autres. Nous avons dit que l’homme a besoin d’interpréter symboliquement le monde qui l’entoure pour pouvoir s’assurer de l’illusion d’une contrepartie immortelle de sa présence sur terre. Il refuse de voir, à travers la construction de ses valeurs absolues, tout l’aspect temporaire de sa présence – plus que ça, l’aspect irréalisable de sa quête de perfection. Il refuse de reconnaître « l’ombre », telle que le psychologue Carl Jung la définit, qui plane à côté de lui et qui fait partie intégrante de sa personne. Celle qui lui rappelle qu’il est un corps vivant avant tout, un organisme voué à mourir. L’ombre est cet « ancrage à la terre » : essayer de sauter par-dessus elle, l’ignorer, c’est refuser d’admettre sa propre mortalité – ainsi que les défauts de sa « machinerie interne ».

D’où la recherche constante d’un bouc-émissaire qui représenterait tout ce que l’on considérerait de négatif en soi, dans un monde que l’on souhaite contrôler à tout prix : plus la frustration d’un réel inadéquat, face à des attentes démesurées, est grande ; plus elle est reportée sur l’autre. L’Histoire nous a démontré que l’une des plus grandes maladies du « vivre ensemble », du vivre en société donc, était cette victimisation de soi. Plus l’homme a avancé dans la création d’un monde contrôlé, fait de valeurs absolues – visant, comme nous l’avons dit, à fuir le déclin, l’imperfection, par extension sa propre mort – plus il a dû reporter sa frustration, du fait que les choses ne tournaient pas aussi parfaitement qu’il le souhaitait, sur l’autre. Reprenons-là un exemple de l’un des génocides les plus grands que l’Histoire ait connu : pourquoi le nombre de Juifs exterminés lors de la Seconde Guerre Mondiale s’est-il accru si soudainement quand les Nazis ont senti qu’ils allaient perdre ? Il s’expliquerait par un besoin d’offrir des otages de dernière minute à la mort, les Nazis affirmant d’une manière têtue, aveugle et quasi-viscérale « Je ne mourrai pas, moi, tu vois ? ».

L’homme, selon Becker, ne connaît donc pas, et ce depuis ses tous débuts, ce que pourrait être sa véritable liberté. Sa peur viscérale de la mort l’entraîne vers une quête d’immortalité grâce à un système d’expansion de soi où il devient héros de son propre monde. Il vit dans une illusion néfaste pour les autres et pour lui-même. Becker prône, à la fin de son essai, l’avènement d’une nouvelle science de l’homme, où, en tenant compte de certains principes du fonctionnement de l’être humain, il s’agirait de trouver l’idéologie adéquate qui l’animerait pour qu’il ne soit plus dans une logique de contrôle destructrice envers lui-même et envers ce qui l’entoure.

Rencontre Renvoyé Spécial PJJ, Romaric Kenzo Chembo : « N’arrêtez jamais de croire en vous »

[Par Clara LE QUELLEC]

Mercredi 19 octobre, la Maison des journalistes accueillait un groupe de jeunes et de professionnels de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) du Val d’Oise. Environ cinq adolescents, leurs éducateurs et la référente laïcité et citoyenneté de la structure val-d’oisienne, Odile Villard, ont pu découvrir la « Maison de la liberté d’expression » et échanger avec l’un de ses anciens pensionnaires, le journaliste centrafricain, Romaric Marciano Kenzo Chembo. Cet après-midi initiait la première rencontre du projet Renvoyé Spécial PJJ dont l’objectif vise à aider les jeunes à mieux s’informer, à les amener à s’ouvrir à d’autres mondes, et ainsi à prendre conscience des valeurs de la liberté de la presse et d’expression, de la tolérance et du vivre ensemble. 

Rencontre entre Romaric Marciano KENZO CHEMBO journaliste et les jeunes et professionnels de la PJJ – Val d’Oise, mercredi 19 octobre. (Crédits photo : Lisa Viola ROSSI)

Pendant plus d’une heure, les jeunes ont pu écouter le témoignage tant professionnel que personnel de Romaric Kenzo Chembo : sa lutte pour exercer son travail de journaliste librement, son enfance, les difficultés de l’exil, ses doutes et obstacles mais également ses réussites et ses espoirs… Une histoire qui a particulièrement fait écho dans la tête et le cœur de ces jeunes, tous passés par des étapes de vie douloureuses et difficiles.

« Un peuple qui n’a plus d’espoirs et de rêves est un peuple mort »

A trente-six ans, Romaric Marciano Kenzo Chembo revient de loin. Aujourd’hui en pleine résilience, il raconte avec un mélange de gravité et d’humour son enfance en Centrafrique. Le combat en faveur de la liberté d’expression semble avoir été en partie délaissé par la population de ce pays de quatre millions d’habitants « où tout est surveillé par le gouvernement ». « Si à la maison vous avez la chance de répondre avec respect à votre père, considérez-vous chanceux » note Romaric. Le ton est donné. La salle déjà captivée. Le quotidien de la majorité des enfants centrafricains est rythmé par la faim, les 15 km par jour à effectuer pour aller à l’école et le travail. « Il y a beaucoup d’enfants de rue chez moi – explique le journaliste – mais nous ne pouvons pas parler de ce sujet. Systématiquement, on nous traite d’opposants et on nous accuse de préparer un putsch ». Les enfants travaillent à partir de six ans et sont souvent recrutés par les armées rebelles. Romaric se souvient par exemple d’un enfant-soldat surnommé « Colonel » pour avoir eu beaucoup de morts à son actif. Les jeunes découvrent alors la dure réalité de ce pays où « les grenades se vendent à 1 euro, les kalachnikov à 10 euros et où il y a trois fois plus d’armes que de population ». « Vous voyez, un peuple qui n’a plus d’espoirs et de rêves est un peuple mort » déclare le journaliste.

Centrafrique : un adolescent de la rébellion Séléka pose avec une arme, le 25 mars 2013 à Bangui

Centrafrique : L’enfant-soldat de la rébellion Séléka, surnommé “Colonel”,  le 25 mars 2013 à Bangui (Crédits photo : Sia KAMBOU/AFP)

Du combat pour la libre parole aux menaces

Romaric Kenzo Chembo a travaillé de 2006 à 2012 à la Radio Ndeke Luka de la Fondation Hirondelle. Animateur d’une émission intitulée « À vous la parole », il n’avait qu’un seul leitmotiv : « Non à la censure ». Chaque jour, pendant une heure, l’émission donnait la voix aux citoyens, protégés par l’anonymat, sur différents thèmes d’actualité. Pour le journaliste, « tous les propos devaient être écoutés ». A partir de l’année 2010, il était de plus en plus difficile pour Romaric d’exercer son métier librement. « Chaque jour, il y avait une critique au vitriol. Il fallait me faire taire ». C’est alors qu’ont commencé les appels téléphoniques anonymes, les lettres de menaces et les agressions physiques. Pendant cette période, Romaric a perdu sa fiancée et sa famille. Sa mère est restée son seul soutien infaillible. « Quand ça commence à chauffer, tout le monde te laisse. Les gens privilégient leur propre intérêt car ils ont peur de la mort ». Émotion palpable dans la salle. Un jour, la radio entend parler d’une histoire avec le fils du Président de la République. Ce dernier aurait enterré une personne presque vivante pour une histoire amoureuse de jalousie. La radio charge le journaliste d’obtenir le scoop. Le lendemain, toute la ville était au courant et Romaric en danger de mort. Le journaliste quitte alors la capitale pour rejoindre le Cameroun afin de prendre l’avion. « J’ai marché 550 km à pied à travers la brousse ». « A pied ? » s’exclame un des jeunes.

Une patrouille des Casques bleus à Bangui le 2 janvier 2016 (Crédits photo : Issouf SANOGO)

Une patrouille des Casques bleus à Bangui le 2 janvier 2016
(Crédits photo : Issouf SANOGO)

L’exil et l’arrivée en France

En septembre 2012, Romaric Kenzo Chembo débarque à l’aéroport Charles de Gaulle et est placé dans la zone d’attente de Roissy avec de nombreux autres étrangers. « Vous savez, ce fameux hôtel cinq étoiles » ironise t-il. Les autorités veulent le ramener en Afrique. Ils sont deux dans ce cas. « J’ai fait un scandale. Me ramener en Afrique, c’était comme signer mon arrêt de mort ! ». Attitude payante. Son compagnon d’infortune n’a malheureusement pas eu cette chance et a été renvoyé dans un avion. « Vous voyez, si je ne m’étais pas battu, j’aurais été raccompagné comme lui ». Croire en soi et ne jamais lâcher, tel est le message passé ici par le journaliste aux jeunes de la PJJ. Après avoir dormi à la Gare du Nord et dans les abribus, Romaric se laisse guider au plus profond de lui-même par une seule conviction : « Je dormais avec les SDF mais je me suis dit que ça allait changer ». Le journaliste entend alors parler par l’association France Terre d’Asile de la Maison des journalistes accueillant des professionnels de l’information en exil pour avoir exercé leur métier librement. Romaric y obtient une chambre et commence le long travail de reconstruction. Grâce à une formation, il est maintenant responsable de communication dans une grande entreprise de sécurité. « La France nous donne l’opportunité de refaire sa vie et d’obtenir une seconde chance ». « Vous voyez les amis, l’essentiel n’est pas de tomber mais bien de savoir se relever » conclut le journaliste, aujourd’hui en attente de rapatrier ses six enfants en France.

Arrive alors le temps des questions. « Vous allez repartir en Centrafrique ? » demande un des jeunes au 1er rang. « Peut-être un jour, j’aimerais y créer une station de radio ». « Où sont vos enfants ? » s’interroge un de ses camarades. « Ils sont réfugiés dans un pays voisin » répond Romaric. « Mais pourquoi vous n’avez pas arrêté ? » questionne un autre. « Car j’adore le journalisme. Si je ne m’étais pas battu, je ne serais pas fier de moi aujourd’hui ». La rencontre touche à sa fin. « J’ai beaucoup aimé ce témoignage – note un des jeunes du public – ce n’est pas un exemple de plus raconté par d’autres, c’est juste réel ». Une formidable leçon de combativité, de détermination et d’optimisme à partager donc sans modération et au plus grand nombre.