#FreeStanis : comment un hashtag devient le symbole d’une presse en quête de liberté

Cet article a été rédigé par le journaliste congolais Will Cleas Nlemvo, collaborateur de la Maison des journalistes.

Bientôt quatre mois depuis qu’en République démocratique du Congo, les artistes, les activistes et les journalistes protestent d’un même ton. #FreeStanis ou #LibérezStanis sont les hashtags qui regroupent chacun de leurs coups de gueule postés sur les réseaux sociaux. Ces mots-clés traduisent la résilience d’une presse ciblée par des combines visant à absorber l’écho de sa voix. Une presse qui voit le fondement de sa liberté péniblement construit se fissurer depuis qu’un régime politique s’est résolu à le détricoter.

La campagne #FreeStanis mobilise aussi bien de grandes figues que des humains lambda. On a par exemple vu le célèbre journaliste français Hervé Edwy Plenel, le chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly et plein d’autres personnalités publiques s’y engager. Contrairement à ce qu’on serait tenté de croire, derrière ce mouvement aux allures de la mobilisation pour une cause mondiale se cache plutôt une figure modeste. C’est celle de Stanis Bujakera, 33 ans, éminent journaliste congolais de sa génération dont l’arrestation arbitraire au mois de septembre dernier ne cesse de provoquer la clameur en République démocratique du Congo (RDC) et ailleurs.

Accusé à faux d’usage de faux

Stanis Bujakera est depuis détenu à Makala, l’une de pires prisons de la RDC connue pour l’insécurité, pour l’insalubrité et pour la surpopulation carcérale qui la caractérisent. Il est poursuivi sur fond d’un dossier aux contours nébuleux. La justice congolaise l’accuse d’avoir frauduleusement reproduit un document de services des renseignements dans le but de propager des rumeurs au sujet de l’assassinat d’un ancien ministre congolais. De graves accusations que la même justice peine à en prouver l’authenticité. D’autant que le résultat d’une contre-expertise a réussi à démontrer que les éléments mis à charge de l’accusé sont montés de toutes pièces avec une volonté manifeste d’enfermer ce journaliste sans prêter le flanc à la critique. Une conclusion qui ne surprend presque personne car rien que l’acheminement des évènements autour de cette affaire témoigne suffisamment de la détermination du président congolais Félix Tshisekedi à museler la presse indépendante qui échappe à son contrôle.

Histoire de « je t’aime… moi non plus »

Stanis Bujakera est une étoile montante de la presse libre en République démocratique du Congo. Son agilité à puiser la vraie information depuis la source l’expose à la convoitise de prestigieuses rédactions nationales et internationales. Sur Twitter, Stanis est suivi par plus de 500 000 abonnés. Parmi eux des diplomates et des chercheurs. Ce type de profil fait donc de Stanis Bujakera une denrée rare que n’importe quel dirigeant aux dérives dictatoriales aimerait avoir sous la paume de sa main.

En 2018, alors que Félix Tshisekedi s’apprêtait à briguer son tout premier mandat présidentiel, il avait sollicité l’accompagnement de Stanis Bujakera pour la couverture de sa campagne électorale. Une collaboration que Félix Tshisekedi voulait maintenir, un an après son accession au pouvoir, en proposant à Stanis Bujakera de rejoindre son staff des « communicants du président de la République ». Fidèle à son éthique, Stanis avait décliné cette offre dans le souci de préserver son indépendance en tant que journaliste sans avoir à se barbouiller la figure avec des couleurs politiques.

Ce bref épisode idyllique aurait suffi pour chagriner Félix Tshisekedi jusqu’à lui susciter la haine exactement comme ça se passe dans de vieilles histoires « d’amour perdu ». Il fallait donc agir rapidement et surtout méthodiquement pour faire taire Stanis Bujakera en guise de punition. Tout en oubliant que cet acte ne profiterait jamais à l’actuel gouvernement congolais tenu à s’acquitter de sa promesse de faire de la RDC un véritable État des droits où la liberté de chacun est respectée.

En tant que journaliste connu pour la neutralité et la fiabilité de son travail, Stanis Bujakera incarne cette liberté de la presse qui fleurit dans un paysage médiatique économiquement peu viable. Stanis Bujakera fait preuve d’honnêteté dans un environnement où il est difficile pour des professionnels des médias de résister aux pots-de-vin à cause de la pauvreté qui mine leur secteur. L’enfermer juste parce qu’il a refusé d’être la poupée ventriloque d’un régime politique, c’est priver ses milliers de lecteurs de leur droit à la bonne information.

C’est d’ailleurs ce qui justifie l’implication d’Amnesty International, de Reporters sans frontières et d’autres grandes organisations de défense de liberté d’expression dans le monde. Elles exigent du gouvernement congolais la libération sans condition de Stanis Bujakera jusque-là pris au piège par les tentacules d’un président qui se transforme progressivement en une monstrueuse pieuvre contre tous ceux qui n’ont pas le talent de satisfaire son égo.

Will Cleas Nlemvo

Le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi libéré après plus de 9 mois de détention

Après exactement 284 jours d’emprisonnement à Kaboul, la justice talibane a ordonné ce mercredi 18 octobre la libération du journaliste Mortaza Behboudi. Un véritable soulagement pour ses proches.

Libéré et délivré. Âgé de 29 ans, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi a appris ce mercredi 18 octobre sa libération, après plus de neuf mois de détention. Le collaborateur de France Télévisions, Arte, Radio France ou encore Médiapart et hébergé par la Maison des journalistes en 2015 a été acquitté par la justice afghane ce jour. L’ONG Reporters sans frontières (RSF), qui l’a accompagné tout au long de ces 284 jours derrière les barreaux s’est réjouie de sa libération.
« Lors d’une audience de la cour criminelle de Kaboul, ce jour, les juges ont prononcé son acquittement de toutes infractions, incluant , l’espionnage, le « soutien illégal à des étrangers » et l’aide au franchissement de frontières vers « l’étranger », réagit RSF.

Arrêté pour espionnage
Alors qu’il était arrivé à Kaboul (Afghanistan) le 5 janvier 2023 et qu’il effectuait des démarches pour obtenir une accréditation dans le but de réaliser un reportage, Mortaza Behboudi a été placé en détention deux jours plus tard. Il a été accusé d’espionnage par les Talibans. « Il a été arrêté pas en tant que journaliste, mais parce qu’il a des relations directes avec des opposants à notre régime », a déclaré Zabihullah Mujahid, le porte parole des Talibans au pouvoir, dans un reportage de France Télévisions, diffusé au début du mois de juillet.

Son arrestation, rendue publique par RSF un mois plus tard, avait provoqué une forte mobilisation des médias français en faveur de sa libération. Mortaza Behboudi est notamment co-auteur de la série de reportages « À travers l’Afghanistan, sous les Talibans » publiée sur Médiapart et récompensée l’année
dernière par le prix Bayeux des correspondants de guerre
et le prix Varenne de la presse quotidienne française.

« Le journalisme n’est pas un crime »
L’épouse de Mortaza Behboudi, Aleksandra Mostovaja, a tout de suite réagi à sa remise en liberté, dans un communiqué publié par Reporters sans frontières : « Avec la libération de Mortaza, la lumière est revenue dans mon monde et la vie peut désormais recommencer. Je suis reconnaissante pour tout le soutien reçu, pour avoir pu voir comment la personnalité de Mortaza a brillé même dans les moments les plus sombres. Personne ne devrait subir de détention arbitraire ni la douleur de ne pas savoir ce qu’il est advenu d’un être cher. Je le répète : le journalisme n’est pas un crime ».

Chistophe Deloire, le secrétaire général de RSF, a précisé que Mortaza Behboudi devrait regagner la France d’ici la fin de semaine.

Au total dans le monde, 514 journalistes et 23 collaborateurs de médias restent en détention, d’après Reporters sans frontières.

Mortaza Behboudi, enfin libre

Article de Chad Akoum


Photo en avant © Le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, le 16 octobre 2020, à Lorient (Morbihan). (QUEMENER YVES-MARIE / MAXPPP)

Initiative Marianne 2023 : la Maison des journalistes aux côtés des défenseurs des droits

Ce lundi 13 février 2023, la MDJ a accueilli l’Initiative Marianne, à l’occasion d’une table ronde. Fondée par l’Elysée en 2021, l’Initiative Marianne a pour vocation d’aider et soutenir des défenseurs des droits du monde entier à construire leur projet. Les 12 lauréats 2023 ont ainsi pu rencontrer les journalistes de la MDJ, afin d’échanger expériences et perspectives.

Leur particularité ? Faire partie des lauréats 2023 de l’initiative. Bahreïn, Bangladesh, Cameroun, Russie, Ouganda, ou encore Venezuela, les quatre coins du monde sont représentés. Ils sont avocats, directeurs d’un institut des droits de l’Homme, fondateurs d’associations, d’agence de publicité ou encore d’ONG, interprètes pour les instituts de l’ONU, consultants en environnement, et sont de fervents défenseurs des droits.

La directrice de la MDJ Darline Cothière effectue la visite aux défenseurs des droits.

Les journalistes Niaz Abdullah (Irak), Noorwali Khpalwak (Afghanistan), Nadiia Ivanova (Ukraine), Manar Rachwani (Syrie), Laura Seco Pacheco, Wimar Verdecia Fuentes (Cuba), Alhussein Sano (Guinée Konakry) et Elyaas Ehsas (Afghanistan) étaient présents pour échanger autour d’une table ronde avec les lauréats. Au programme, les droits de l’Homme, de presse et d’expression dans les différents pays représentés.

De nombreux partenaires permettent à l’Initiative Marianne de pérenniser sa mission : le ministère des Affaires étrangères favorisant les candidats en France pour six mois, avec le groupe SOS, l’Agence Française de Développement et la Plateforme des droits de l’Homme. Une fois par mois, les lauréats visitent un organisme, association ou institut français pour la protection des droits de l’Homme afin de faire évoluer leur projet.
Les lauréats 2023 de l’Initiative Marianne discutent et débattent avec les journalistes de la MDJ.

La guerre en Ukraine a occupé une certaine place sur la table, évoquée par des défenseurs de droits russes : Tamilla Ivanova, seulement âgée de 23 ans, défendait le droit de manifester et de se rassembler à Moscou, et enquêtait sur les disparitions inexpliquées en Tchétchénie lorsqu’elle a dû quitter le pays au début de la guerre. Des amis activistes avaient été emprisonnés à l’aube du conflit pour s’être exprimés contre l’invasion russe, la poussant alors à s’exiler.

La question des indigènes a également été soulevée à travers les interventions de Virginia Roque Aguilar, activiste environnementale du Salvador et persécutée par le président actuel, ainsi que du Colombien Eliecer Aras, indigène de la Sierra menacé de mort. Originaire du nord de la Colombie, Eliecer Aras a été témoin des politiques d’extermination des peuples indigènes menées par les milices paramilitaires, et dont son frère a été la malheureuse victime.

Recevant toujours des menaces de mort depuis la Colombie, il s’était réfugié un temps en Espagne avant de participer à l’Initiative. Aujourd’hui, Eliecer Aras travaille pour l’Organisation des victimes d’Etat en plus d’être bénévole pour la Croix Rouge.

Le Pérou a également été évoqué avec la défenseure péruvienne Karin Anchelia Jesusi, une femme courageuse se donnant corps et âme pour le peuple et les indigènes de son pays. Elle a expliqué accompagner depuis une quinzaine d’années des femmes ayant subi une stérilisation forcée (politique mise en place par l’Etat), alors que le pays traverse une crise économique et politique considérable.

Karin Anchelia Jesusi a tenu à rappeler qu’environ 60 personnes autochtones sont mortes dans les dernières manifestations, sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte, faute d’intérêt du gouvernement. Une violation des droits de l’Homme que la Péruvienne a dénoncé et mis en lumière.

Estelle Lobe, activiste camerounaise de l’environnement et protection des populations locales, aide de son côté à protéger les autochtones vivant dans les espaces forestiers (dévastés par les groupes industriels). Elle a enquêté et exposé depuis plusieurs années « la chaîne de corruption de la zone forestière du bassin du Congo », tout en étant cofondatrice d’une ONG.

Cette dernière s’est fixée pour objectif la protection des déplacés internes et des migrants environnementaux d’Afrique. Autour de la table, Estelle Lobe a rappelé la gravité de la situation des libertés au Cameroun, et du muselage extrême des journalistes dans le pays, évoquant l’affaire du journaliste Martinez Zogo, assassiné en janvier 2023. Le collègue d’Estelle Lobe, originaire du Gabon mais travaillant dans le bassin du Congo, s’était fait tirer dessus il y a quelques semaines et est toujours persécuté à l’heure actuelle. Il a pu s’enfuir du pays depuis, gardant secret sa localisation précise.

La Maison des journalistes et l’Initiative Marianne aux termes d’une rencontre enrichissante. Une photo d’Alhussein Sano.

Maud Baheng Daizey

Afghanistan : cri d’alarme des femmes journalistes

Le 15 août 2021 semble avoir signé la mort de la presse en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans. Abandonné à son sort par l’OTAN et les Etats-Unis, le pays sombre depuis plus d’un an dans un obscurantisme total. Si le régime promettait vouloir respecter les droits de l’Homme, ses nombreuses politiques exclusives et autoritaires n’ont cessé de prouver le contraire. En un an, les médias afghans ont subi tant de répression que plus de 50% d’entre eux ont disparu. Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le pays pour échapper au régime, sans pour autant renoncer à l’Afghanistan et à leur liberté. Comment s’organisent-ils à l’étranger et en Afghanistan pour faire entendre leurs voix et continuer leur travail sans risquer la prison ?

En septembre 2021, le gouvernement Taliban impose une directive contenant 11 articles pour censurer et contrôler la presse et les journalistes afghans. Ils utilisent les organes de presse pour répandre leurs propres informations, rendant le travail des journalistes très éprouvant. Selon le rapport du SIGAR, l’Inspecteur Général Spéciale pour la Reconstruction de l’Afghanistan, « des lois ont été promulguées pour prohiber la publication ou la diffusion d’informations considèrent contre l’Islam ou le régime. »

Plus de la moitié des médias fermés en Afghanistan

Depuis la prise de pouvoir, au moins 80 journalistes ont été arrêtés et tous subissent la censure. Plus de 51% des organes de presse ont été fermés et 80% des femmes journalistes se sont retrouvées sans emploi en 15 mois. Ainsi, 10 provinces sur 34 d’Afghanistan sont dépourvues de femmes journalistes. Zan et Bano TV, deux médias privés qui étaient dirigés par des femmes, ont dû stopper leurs activités et licencier leurs équipes, majoritairement féminines.

Le cas le plus récent est Kaboul News TV, une des plus grandes chaînes d’information du pays. Elle a été fondée par l’ancien chef de cabinet de l’ancien président Karzai, Karim Khorram. Durant ces dernières années, la chaîne était en opposition avec le gouvernement du président Ghani, mais a été fermée en 2021 sous la pression exercée par les Talibans et de difficultés économiques.

Depuis plusieurs mois, les femmes et filles ont vu leur liberté se réduire comme peau de chagrin. Elles n’ont désormais plus le droit d’aller à l’école ou d’exercer leur profession et les journalistes afghanes encore en place luttent pour garder cette dernière. Nous avons pu échanger avec l’une d’entre elles ainsi que des confrères désormais basés au Pakistan, pays limitrophe, sur leur condition actuelle et leurs moyens de lutte contre la censure et le régime. 

Facteur révélateur de leurs difficultés, les multiples obstacles rencontrés afin d’entrer en communication avec eux : les numéros de téléphones des journalistes réfugiés au Pakistan ne sont joignables que sur une période donnée, avant qu’ils ne soient redistribués à d’autres personnes. 

Deux contacts n’ont ainsi jamais répondu à nos appels, leur visa ayant expiré et leur numéro de téléphone donné à un autre réfugié. D’autres n’ont pas la mainmise sur leur téléphone, leur frère ou des inconnus répondant à leur place.

La double punition de la femme journaliste afghane

Heureusement, certains ont pu répondre à nos appels. Banafsha Binesh est une Afghane vivant toujours à Kaboul et travaillant pour TOLOnews, première chaîne d’information télévisée d’Afghanistan. Il nous faudra attendre le second appel qu’elle soit seule pour l’interviewer et obtenir des réponses sans détour. 

Banafsha Binesh pour TOLOnews

« Nous travaillons dans de très mauvaises conditions », déplore-t-elle au combiné. « La censure est extrêmement stricte et les interdits dans notre travail se multiplient. Par exemple, j’ai couvert il y a quelque temps un événement des Nations-Unies concernant la situation des Afghanes. Des représentants y critiquaient l’agenda et les politiques talibanes et nous avons reçu l’interdiction de diffuser notre reportage car nous n’avons pas le droit de critiquer le régime. » Avec sang-froid et fierté, Banafsha Binesh nous assure ne pas vouloir être anonymisée car elle se bat « déjà contre les Talibans depuis Kaboul. » 

Mais pourquoi continue-t-elle de travailler malgré la censure et le danger ? En-dehors de la nécessité de « faire entendre la voix des femmes et du peuple afghan », la journaliste explique être la seule à supporter financièrement sa famille. Sans elle, personne ne mangerait. TOLOnews n’a pas échappé à la répression et a réduit le nombre de ses employés d’elle-même, mais Banafsha Binesh est parvenue à conserver son poste. 

« Nous devons continuer notre travail et montrer à la communauté internationale que les Afghanes n’ont pas abandonné leur vie. Elles continuent de se battre pour leur liberté, la démocratie et à tenir tête aux talibans. Elles sont toujours vivantes ! », clame-t-elle d’une voix franche. « Si les Talibans ne nous laissent pas travailler, nous nous tiendrons debout et nous refuserons d’être dévalorisées. » 

Avant les Talibans, la jeune femme a expérimenté ce qu’elle qualifie de « vrai journalisme » lors de ses multiples reportages et refuse de s’en détourner.  « Avec [mes] collègues, nous élevons les voix du peuple qui vit sous la menace constante. Nous nous sentons comme des activistes, dans un sens. »

De la prison pour une interview

Mais son courage est quotidiennement menacé. Elle est terrifiée chaque matin à l’idée de se rendre à son bureau, étant à la fois femme et journaliste. « Un jour, alors que j’effectuais avec mon cameraman un reportage sur la terrible situation économique des Afghanes, nous avons été brutalement interrompus. J’interrogeais une vendeuse de crème glacée à Kaboul lorsque le Département des Renseignements du 8ème district de la ville est arrivé pour nous arrêter. Nous avons été emprisonnés pendant quatre heures, menacés et torturés. Ils nous ont interdit de faire des interviews et de donner une image négative du gouvernement. Nous n’avons pu diffuser notre travail. »

Banafsha Binesh et son caméraman.

Il ne s’agissait pas de l’unique intervention des Talibans durant ses heures de travail, loin de là. Binesh témoigne qu’à plusieurs reprises le régime a interrompu et coupé ses interventions en live, notamment lorsqu’elle interviewait des réfugiés ou des étudiants devant les écoles. Ce jour-là, « ils sont venus m’empêcher de parler avec les étudiants et les filles sur place, je n’ai pu que les saluer avant de devoir partir. » Elle ne peut d’ailleurs pas apparaître à l’écran sans son hijab et son masque.

Mais Banafsha Binesh et ses compatriotes ne peuvent remporter cette lutte seuls, martèle-t-elle à de nombreuses occasions. « C’est le rôle de la communauté internationale de mettre la pression sur les Talibans. Elle les rencontre tous les jours à Doha au Qatar, qu’attend-t-elle pour les obliger à respecter les droits des femmes, la liberté d’expression ? Nous ne pouvons plus aller dans les parcs ou au hammam, nous ne pouvons plus nous instruire ou faire des activités culturelles. Nous ne pourrons avancer sans la communauté internationale. Les journalistes du monde entier doivent aussi pouvoir porter l’attention sur l’Afghanistan et la condition des femmes ici, il en va de notre responsabilité. »

Tenter de remettre un pied à l’étrier du journalisme

D’autres journalistes n’ont eu d’autre choix que de s’enfuir loin du régime et de trouver refuge au Pakistan. La situation n’est hélas guère plus brillante pour eux, comme en témoignent les deux Afghans avec qui nous avons pu communiquer et qui ont tenu à rester anonymes. 

Le premier d’entre eux est basé au Pakistan depuis 15 mois et travaillait auparavant pour Itlat-E-Rooz Daily en tant que journaliste d’investigation et de la paix. Wahid Haderi et quatre membres de sa famille ont fui leur pays d’origine en août 2021. Il relate que ces derniers mois, les journalistes réfugiés étaient arrivés par des visas médicaux et de tourisme. « Mais sans un visa de journalistes, nous ne pouvons travailler au Pakistan. Il coûte environ 1000 dollars si on veut passer par un intermédiaire, une somme bien trop importante lorsqu’on a fui avec ce qu’on avait sur le dos et sans travail. » 

Wahid Haderi au travail

« La plupart des journalistes qui ont un visa ne l’ont que pour trois ou six mois et même le mien est arrivé à expiration. Le Pakistan a annoncé fermer les frontières et nos collègues n’ont d’autre choix que de passer la frontière illégalement. A la fin de l’année, ils risqueront trois ans de prison ou la déportation en Afghanistan, mais que peuvent-ils faire ? Beaucoup ont à charge une famille et ils ont plus de chance de répondre à leurs besoins depuis le Pakistan qu’en Afghanistan. »

Risquer la mort sur place ou tenter une maigre chance ailleurs, voilà ce qu’exprime notre intervenant. Il évoque des aides internationales aux conditions d’accès trop spécifiques pour véritablement aider les journalistes afghans. 

« Quelques organisations comme Amnesty International ou le Comité de Protection des Journalistes fournissent des aides financières, mais vous devez prouver que vous êtes en grand danger pour les obtenir. Or, la plupart ont fui sans aucun document légal pour sauver leur peau. Et quand bien même vous parvenez à toucher les aides, elles ne sont jamais suffisantes pour survivre plus de quelques semaines. Il faut par ailleurs que vous ayez été torturé ou emprisonné, pas simplement menacé. Ils sont pourtant tous victimes de problèmes mentaux ou psychologiques parce qu’ils sont traumatisés. Beaucoup n’arrivent toujours pas à évoquer leur vécu et leur fuite. » 

Wahid Haderi en reportage sur la liberté de la presse en Afghanistan

Même son de cloche au micro de notre troisième journaliste. Lui aussi s’est réfugié au Pakistan pour échapper à la mort promise par les Talibans, mais le pays n’est pas sûr pour les journalistes. « Nous nous sentons menacés ici aussi, nous ne pouvons pas non plus critiquer le gouvernement du Pakistan. Des groupes terroristes comme Daesh et les Talibans eux-mêmes ont de l’influence et des soutiens au Pakistan. Nous pouvons toujours être emprisonnés par Islamabad pour nos opinions ou à la suite de l’expiration de notre visa. Nombre de journalistes ne peuvent désormais même plus louer un appartement », se désole-t-il. « C’est une situation cauchemardesque. » Il a beau avoir demandé un visa à la France et l’Allemagne en février dernier, aucune réponse ne lui est parvenue.

Il nous confie attendre simplement de nous « qu’on nous laisse être entendus et de pouvoir travailler sans être menacés de mort ou de torture. » Près de 350 journalistes et acteurs des médias sont actuellement réfugiés au Pakistan et demandent à la communauté internationale de s’occuper de leurs dossiers d’asile.

Il s’agit de leur donner une réponse le plus rapidement possible, afin qu’ils puissent prendre un nouveau départ et avoir une vie normale. Ils doivent également être informés de leurs dossiers et visas qui nécessitent beaucoup de temps pour être examinés afin de les sortir de leur situation désespérée. Leur vie est en jeu.

Ces journalistes doivent être soutenus par la communauté internationale, sur la base d’un mécanisme clair et transparent, afin que leur voix puisse être entendue dans le pays. Les journalistes en danger en Afghanistan doivent également être évacués, et leur dossier d’asile doit être examiné dans un pays approprié.

Après tout, l’Afghanistan n’est pas figé dans l’immobilisme politique. Le fait que le gouvernement taliban ait conservé son bureau politique au Qatar signifie qu’ils veulent négocier dans de nombreux cas, ils ont des réunions régulières avec les représentants du bureau politique de l’Émirat islamique et des sections politiques européennes. Ces visites ont permis de faire comprendre aux talibans que le maintien de leur pouvoir politique dépend de l’acceptation des droits fondamentaux des citoyens.

Les questions de la liberté et des droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression, ont été abordées avec les représentants politiques de ce groupe. Et cela a ouvert la voie à une conversation politique, conversation qui a abouti à la création d’un gouvernement global et à la fin de quarante ans de violence.

Maud Baheng Daizey et Noorwali Khpalwak

Afghanistan : un an sous le régime des Talibans

Le 15 août 2021, la république islamique d’Afghanistan est tombée à la suite d’un complot international et national, laissant les Talibans prendre le contrôle du pays. L’occasion pour eux de prouver qu’ils pouvaient représenter cette grande nation, et qu’ils possédaient les outils et les connaissances nécessaires pour mener le pays vers un avenir prometteur. Cependant, le régime des Talibans n’a eu qu’un impact limité et temporaire sur la sécurité en Afghanistan, tandis que tous les autres secteurs du pays ont été impactés négativement. Retour sur les réformes talibanes qui minent le pays.

Une République désormais islamique

Les conséquences du retrait des Etats-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan ont été bouleversantes et tristes pour un grand nombre d’Afghans. Certes, l’effondrement du précédent gouvernement républicain a mené au retour des Talibans, mais cette chute a été corrompue de différentes manières. Il est important de souligner que les États-Unis et l’OTAN essayaient d’établir des valeurs démocratiques, bien que ces valeurs aient été difficiles à mettre en œuvre et que le système précédent avait des qualités supérieures au régime actuel. Un an après le début de leur règne sur le pays, et au regard du traitement réservé aux femmes et aux filles, il apparait clair que les Talibans conduisent l’Afghanistan vers un régime extrémiste, basé sur une vision étroite de l’Islam, qui ne permettra pas la reconstruction économique du pays promise au moment du retrait des troupes étrangères. 

Même s’ils tiennent à afficher leurs dissemblances avec les autres groupes terroristes, les Talibans continuent de jouer un double-jeu. L’attaque de Kaboul ayant tué le chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri a été une réalisation majeure pour les communautés du renseignement des États-Unis et de la lutte contre le terrorisme, mais la présence d’Al Zawahiri dans la capitale démontre que les Talibans sont toujours disposés à fournir des cachettes aux groupes terroristes internationaux. 

L’opium, nerf afghan de la guerre

Autre terrain d’entente, la drogue. Les Talibans comme les terroristes se financent en bonne partie grâce à la production d’opium en Afghanistan : elle est en effet la principale source de financement et d’équipement des groupes violents de la région, et joue un rôle essentiel dans l’instabilité politique du pays. Les Talibans avaient créé un vaste réseau de trafic d’opium en collaboration avec la mafia locale, les commandants militaires et les chefs politico-religieux. En 2021, les commandants et les dirigeants Talibans ont intensifié le processus de contrebande et de production d’opium, après l’avoir repris des mains des trafiquants locaux. Au début, les commandants militaires travaillaient en collaboration étroite avec des trafiquants non Talibans. Toutefois, avec l’occupation de l’Afghanistan, les Talibans ont limité leurs liens avec les trafiquants non Talibans pour s’approprier le monopole de l’opium. Le New York Times a rapporté que Molavi Yaqoub, le ministre de la Défense des Talibans, avait déposé une demande auprès des Américains lors de son voyage à Doha afin de libérer Bashir Noorzai, un contrebandier bien connu et un soutien financier des Talibans. Amir Khan Motaqi, ministre des Affaires étrangères des Talibans, a déclaré lors de la réunion de Tachkent en août 2022, que 1 800 combattants de l’IS-K (branche de l’ISIS) avaient été libérés des prisons de Bagram et de Pulcherkhi suite à la chute de Kaboul.

Le jeudi 11 août, le site d’information du groupe ISIS (Amaq) a publié une newsletter où ils revendiquaient l’assassinat de Maulvi Rahimullah Haqqani, l’un des principaux membres du réseau Haqqani. En outre, ISIS avait affirmé que plusieurs autres personnes avaient également été tuées dans cette attaque. Rahimullah Haqqani, membre du réseau Haqqani, était directeur d’une école religieuse à Peshawar au Pakistan. Après la chute du gouvernement afghan, il avait déménagé son école à Kaboul. De nombreux membres des Talibans sont des élèves de l’école Sheikh Rahimahullah Haqqani qui était basée à Peshawar pendant 20 ans. Cela montre que les Talibans n’ont pas réussi à contrôler les attaques de l’IS-K qui ont été menées à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée. Le contrôle de telles attaques nécessite un réseau et des outils d’information avancés, dont les Talibans ne disposent pas. Pendant les premières semaines du règne des Talibans, l’IS-K a mené une attaque meurtrière à l’aéroport de Kaboul, au cours de laquelle plus de 200 personnes, dont des forces américaines, ont été tuées et blessées. Lors d’une autre attaque de l’IS-K dans une mosquée de Kunduz, plus de 50 chiites ont été tués et blessés. Une semaine après, l’attaque la plus sanglante a eu lieu à Kandahar, faisant environ 40 morts et plus de 70 blessés. Après cela, l’IS-K a planifié et exécuté d’autres attaques sanglantes à Mazar-i-Sharif et à l’ouest de Kaboul, les 7 et 8 Muharram (NDLR : calendrier hégirien, 5 et 6 août 2022), qui ont causé la mort de plus de 90 personnes.

Les droits de l’homme toujours opprimés

Pour le premier anniversaire du retour au pouvoir des Talibans, l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch a publié un rapport intitulé “Une année catastrophique du gouvernement taliban”. Selon ce bilan, les politiques menées par les Talibans visant à restreindre les droits fondamentaux des citoyens afghans et les échanges tendus avec l’étranger ont mené à l’isolement du pays sur la scène internationale. Human Rights Watch précise que, depuis leur retour, le régime a imposé de sévères restrictions aux femmes et aux médias et a arbitrairement arrêté, torturé, et exécuté ses opposants.  En un an, 90% des Afghans ont souffert ou souffrent de l’insécurité alimentaire et des millions d’enfants sont victimes de la malnutrition. Suite aux nombreuses restrictions imposées aux femmes et aux filles leurs droits ont drastiquement régressé, étant interdites d’étudier, d’exercer beaucoup de métiers et de participer à la politique. Des milliers de femmes ont perdu leur travail et ont été ostracisées de la scène politique. Triste exemple, la Chambre des représentants afghane (Wolosi Jirga) se composait de 249 membres dont 69 femmes avant août 2021. Et parmi les 102 représentants au Sénat, près de la moitié étaient des femmes. Près de 5000 femmes travaillaient également dans les rangs des forces de défense et comme les autres travailleuses d’autres domaines, elles ont été renvoyées chez elles. Le sport n’est point épargné avec les équipes féminines en football, basket-ball et dans les arts martiaux, qui ont connu un essor important avant les Talibans mais qui aujourd’hui ont été supprimées. Sous l’ombre du régime, leurs activités ont été complètement suspendues et leur place dans la société sévèrement limitée.

La fuite des cerveaux, conséquence inévitable de la situation afghane

Une véritable paralysie de la société afghane, qui s’enfonce lentement mais sûrement dans une crise sociale et sanitaire sans précédent. Une nouvelle publication en août 2022 de l’organisation d’aide internationale World Vision établit que les minces avancées réalisées pour le développement de la population afghane sont mises en péril par un an de règne autoritaire des Talibans. L’organisation déclare que la situation des enfants en Afghanistan est plus dangereuse que jamais, certains la qualifiant même de pire crise humanitaire au monde. Avec un système de santé publique détérioré et les nombreuses difficultés rencontrées par les familles, des milliers d’enfants seraient en danger. Selon Johanniter International Assistance, le système de santé afghan est revenu 20 ans en arrière en raison de l’isolement économique. En outre, Holger Wagner, le président du programme d’aide internationale de Janitor, a annoncé que la communauté internationale qui finançait 70% des dépenses de santé en Afghanistan ont suspendu leurs services, en laissant les Afghans sans médicaments et matériel médical. Enfin, le coordinateur de l’aide humanitaire de l’ONU (OCHA) affirme qu’environ 25 millions de personnes en Afghanistan vivent actuellement sous le seuil de pauvreté. L’organisation a aussi signalé que 900 000 emplois seraient détruits cette année.

Le Comité pour la protection des journalistes à New York a publié un rapport appelant à la libération des journalistes emprisonnés par les Talibans, stipulant qu’un nombre important de journalistes avaient fui le pays suite aux violences et aux harcèlements qu’ils avaient subi. Les statistiques montrent que l’Afghanistan comptait 547 médias avant le 15 août de l’année dernière. Toutefois, plus de 219 ont suspendu leurs activités et 76.19% des journalistes ont perdu leur poste après le retour des Talibans. Le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Delor, déclare qu’en Afghanistan “le journalisme est réduit à un état misérable. Les médias et les journalistes sont soumis à des réglementations injustes qui limitent la liberté des médias et ouvrent la voie à la répression et au harcèlement”. Les journalistes femmes sont alors les plus touchées par les “règles de journalisme” imposées par les Talibans. Ils indiquent que les accusations “d’immortalité ou de comportements contraire à l’éthique” sont souvent utilisées comme prétexte pour harceler les femmes journalistes. 

Toutes ces données ont également eu une incidence sur les départs des travailleurs du pays. Ne pouvant plus se nourrir ou tout simplement avoir un poste, des milliers d’Afghans ont effectivement été contraints de quitter leur pays, y compris des scientifiques et des professeurs. Selon les experts de la migration, cette effroyable vague d’exode des cerveaux aura des effets extrêmement destructeurs sur l’avenir de l’Afghanistan. Abbas Kamund, l’ancien porte-parole de l’ambassade américaine à Kaboul, a déclaré qu’au cours des 21 dernières années dans le domaine du développement des capacités humaines en Afghanistan, “les investissements américains étaient d’une valeur très importante, il n’y a pas encore de chiffre exact mais nous estimons que dans les domaines militaire, économique, politique, de la construction de l’État et des infrastructures, les dépenses des États-Unis, ont atteint environ deux milliards de dollars.” Cependant, à la suite du retrait des forces internationales américaines et du retour des Talibans, des milliers de professionnels afghans ont été contraints de quitter le pays.

Les Talibans se sont alors tournés vers d’autres partenaires notamment le Pakistan, l’Iran, la Russie, l’Arabie Saoudite, la Turquie, Qatar et la Chine. Au début de leur accord, les Talibans espéraient utiliser l’influence de la Chine dans leurs relations internationales, mais la situation s’est révélée plus complexe.

La Chine, surprenante alliée de l’Afghanistan ?

Une attaque menée par les forces de l’IS-K dans un point de contrôle, près des mines de Karkar dans la province de Baghlan, a causé la mort de plusieurs gardes. Des rumeurs affirmeraient que ses gardes décédés soient des Ouïghours tués par les Talibans en raison de leur engagement envers la Chine, mais cela n’a pas été vérifié pour l’heure. Le jour suivant, les Talibans ont ordonné la fermeture de l’autoroute Baghlan-Kundz pour quelques heures et aucun mot de cet incident n’a été communiqué aux médias. La Chine verrait d’un mauvais œil les gardes musulmans ouïghours, susceptibles de provoquer une rébellion dans leur pays. Rien d’étonnant à ce qu’ils renforcent leurs liens avec les Talibans afin de les surveiller et de s’assurer des activités des Ouïghours. Mais les Talibans ont-ils vraiment pris les mesures que la Chine souhaite imposer aux Ouïghours opposants ? Une question pour l’heure sans réponse.

Cependant, The Voice of America  a déclaré que la Chine et les Talibans étaient “déçus” l’un de l’autre. Les analystes américains considèrent que la raison derrière la déception de la Chine à l’égard des Talibans était leur incapacité à contrôler les groupes extrémistes Ouïghours. D’autre part, les Talibans demandent toujours une coopération économique et une légitimité internationale à la Chine. Avec l’assassinat d’Ayman al-Zawahiri à Kaboul, les inquiétudes de la Chine se sont accrues. De nombreux rapports indiquent que le Mouvement islamique du Turkestan, dont les fondateurs sont des extrémistes ouïghours, est basé dans certaines régions de la province de Baghlan et coopère étroitement avec les Talibans.
Mais qu’en pense le peuple afghan ? Les résultats d’une nouvelle enquête sur la situation en Afghanistan sous le contrôle des Talibans démontrent que 92 % des personnes interrogées sont totalement insatisfaites par le régime taliban. Cette enquête a été menée par l’Institut afghan de recherche et d’études stratégiques dans 20 provinces du pays qui en possèdent 34. Environ 2000 personnes âgées de 18 à 40 ans ont été interrogées, dont 64 % des hommes et 36 % des femmes. Les Talibans demeurent dans le déni total s’ ils continuent à croire que leurs lois strictes leur permettront de gouverner une population entière. Côté international, la sénatrice américaine Lindsey Graham a déclaré mardi 16 août (Zamri 25) qu’il existait une possibilité d’une autre attaque depuis l’Afghanistan contre l’Amérique. Lindsey Graham a ajouté que l’Amérique n’a mis fin à aucune guerre mais qu’ils en ont au contraire commencé une autre face aux décisions hâtives du président Biden. La sénatrice a expliqué que les conditions en Afghanistan sont terribles et que les progrès qui ont été accomplis ces 20 dernières années ont tous été anéantis. Pour preuve, les camps d’entraînement qui se trouvaient dans le pays avant le 11 septembre sont pratiquement tous en cours de reconstruction.

Pis encore, le ministère américain de la Défense a déclaré que les Talibans possèdent des armes et des munitions américaines d’une valeur totale d’environ 7 milliards de dollars. La source indique que ces équipements comprennent également des voitures, des chars et des avions. Les responsables américains affirment que plus de 300 000 armes à feu et autres armes de poing ont été abandonnées par l’ancien gouvernement et reprises par le successeur actuel.

Après 40 ans de guerre, le peuple afghan n’a plus d’énergie pour se battre. Les Etats-Unis et le reste du monde ont le pouvoir et les moyens nécessaires pour convaincre les Talibans de garantir les droits fondamentaux des Afghans. Avec un peu de pression, les Talibans peuvent être convaincus que les droits fondamentaux du peuple afghan doivent être garantis, et que l’arrivée au pouvoir doit se faire par des moyens légitimes et démocratiques.

Article écrit par Noorwali Khpalwak et traduit par Rim Benomar, mis en forme par Maud Baheng Daizey.

Journée internationale de la liberté de la presse : mise à l’honneur de la résistance Ukrainienne par la Maison des journalistes

Par Emma Rieux-Laucat

« C’est une guerre géopolitique mais c’est aussi une guerre de l’information avec tout ce qui va avec : les fakes news, la manipulation, le complotisme. Présenter ce travail c’est montrer en « toute objectivité » ce qui se passe en Ukraine » a expliqué Darline Cothière, directrice de la MDJ, invitée par la chaîne de télévision TV5 monde pour présenter l’exposition grand format «Portrait(s) d’une Résistance. Ukraine 2004-2022. Justyna Mielnikiewicz » accueillie sur la façade de l’association du 3 mai au 3 septembre 2022.

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*S.E Vadym Omelchenko, ambassadeur d’Ukraine, pendant sa prise de parole
* Natalia Barbarska, chef de projet à l’Institut Polonais de Paris, et Laetitia Ganaye, coordinatrice chez MAPS, en train de présenter l’exposition
*Darline Cothière, directrice de la MDJ, lors de sa prise de parole

Le 3 mai dernier, journée mondiale de la liberté de la presse et dans le cadre des célébrations de ses vingt d’existence, la Maison des journalistes a mis à l’honneur le travail de Justyna Mielnikiewicz, journaliste polonaise qui documente la situation ukrainienne depuis le début des années 2000. Résidents-journalistes, partenaires et amis de la MDJ ont pu découvrir sur la façade de la Maison, 13 photos grands format prises en Ukraine par la photographe entre 2004 et 2022. Date à la symbolique forte, pour la liberté de la presse et les droits des journalistes dans le monde et aussi fête nationale pour la Pologne.

En collaboration avec l’Institut Polonais, l’Ambassade d’Ukraine en France et la Communauté des Bélarusses à Paris, ce projet, lancé à une date hautement symbolique pour la défense du droit à l’information et des droits des journalistes, a surtout été l’occasion de mettre en lumière l’actualité immédiate du conflit en Ukraine, notamment en offrant une tribune à son Ambassadeur en France, S.E Vadym Omelchenko. Devant une assemblée de représentants diplomatiques et politiques européens et internationaux, tels que l’Ambassadeur de Colombie en France, l’Ambassadeur d’Haïti en Belgique, le Ministre plénipotentiaire auprès de l’Ambassade d’Allemagne, la Représentante de la France auprès de l’Unesco ou encore le Maire du 15ème arrondissement,  l’ambassadeur ukrainien en France a délivré un poignant discours.  Prenant en exemple l’assassinat de la journaliste russe Anna Politovskaïa et le rapprochant des décès des 12 journalistes depuis le début du conflit, il a rappelé l’importance de documenter la guerre et a salué cette exposition expliquant, qu’ « être ukrainien c’est le choix d’être libre et cela est très bien exprimé dans le travail de Justyna Mielnikiewicz ».

Monsieur l’ambassadeur d’Ukraine S.E Vadym Omelchenko accompagné de son traducteur, pendant sa prise de parole le 3 mai 2022.

Sur le terrain en Ukraine, au moment du vernissage, la photographe a cependant rédigé un texte pour accompagner ses photographies. Elle y explique notamment son travail de documentation depuis plus de 10 ans sur les divergences politiques entre l’Ukraine et la Russie vis-à-vis de leur passé soviétique commun et des conflits idéologiques et territoriaux qui en ont découlés. Les photographies de Justyna Mielnikiewicz sont prises dans les régions avoisinantes du Dnipro, fleuve qui traverse le Bélarus et l’Ukraine, que la documentariste  a choisi comme ligne métaphorique de son travail. Ce choix n’est pas le fruit du hasard :  ce courant d’eau est devenu au fil des années la ligne de défense des soldats ukrainiens face à l’arrivée des troupes russes. Au travers de ses reportages, la photographe cherche à mettre en lumière l’omniprésence de la guerre et ses impacts immédiats sur le quotidien des Ukrainiens. Dans le texte accompagnant l’exposition, elle explique d’ailleurs que « les récits rassemblés ici sont le témoignage d’expériences individuelles sur fond de problèmes fondamentaux, moteurs de la transformation d’un pays et de sa société ».  Des portraits de femmes et d’hommes dans l’ombre de la guerre pour parvenir à dresser celui d’un peuple en résistance.

Au premier plan, Laetitia Ganaye membre de l’agence MAPS qui représente Justyna Mielnikiewicz en France, entrain de faire une présentation du travail de la photographe.

« Portrait(s) d’une Résistance. Ukraine 2004-2022. Justyna Mielnikiewicz » est exposée jusqu’au 3 septembre sur la façade de la Maison des journalistes. 

Le travail de la photographe est aussi  visible sur les grilles de l’Hôtel de ville à Paris du 10 mai et jusqu’au 20 juin 

Une table-ronde est organisée à l’Académie du Climat, le 08 juin 2022, avec la participation de Justyna Mielnikiewicz, Mohamed Badra photojournaliste syrien lauréat des Prix Bayeux Calvados-Normandie et Worldpress photographie, Julie Dungelhoeff grande reporter à France 24 et à RFI, Stefan Foltzer journaliste franco-polonais correspondant de la radio “Polskie Radio SA” et Manon Loizeau grande reporter franco-britanique prix Albert Londres et spécialiste de la Russie. Albéric de Gouville, président de la MDJ et Secrétaire général de l’info à France 24  est en charge de la modération de la discussion. 

©Ahmed Muaddamani

REPORTAGE, FRANCE 24

MORT À PARIS D’UN EXILÉ CUBAIN : JESÚS ZÚÑIGA

Par Jacobo Machover

Jesús Zúñiga à la Maison des journalistes. © Lisa Viola Rossi

Jesús Zúñiga était un combattant pour la liberté de la presse et pour la liberté tout court. Mais il était incompris car il avait osé s’attaquer à un régime communiste qui bénéficie encore de la sympathie de nombre de ses collègues journalistes et intellectuels à travers le monde, celui de la Cuba des frères Castro et de leurs épigones. 

Il y avait pourtant vécu l’enfer. Journaliste indépendant, c’est-à-dire en dehors de la presse officielle, entièrement inféodée au Parti communiste (unique) depuis le début des années 1990, il avait été harcelé par la police politique, la Seguridad del Estado, et détenu pendant plusieurs semaines dans ses locaux, que tous les Cubains craignent particulièrement. La raison ? Il racontait, pour les journaux et les radios de l’exil, principalement installés aux États-Unis et diffusant à l’intérieur de l’île, la réalité quotidienne, celle de la corruption (secret d’État !) et de la prostitution (comment ? cela ne pouvait exister dans un pays socialiste !). Il avait même été cité dans un discours par Fidel Castro en personne, pas de manière élogieuse, évidemment. Bien qu’il en fît un titre de gloire, montrant à qui voulait l’entendre l’exemplaire de Granma, le quotidien officiel, qui reproduisait l’interminable discours en question,cela pouvait lui valoir une longue peine de prison. Ce fut le cas, durant la primavera negra (le « printemps noir ») de 2003, pour 75 dissidents et journalistes indépendants, condamnés, en moyenne, à vingt ans (ils purgèrent pour la plupart sept ans, avant d’être envoyés loin de Cuba, en Espagne. Jesús Zúñiga échappa à cette rafle mais, dès lors, il savait qu’il était à la merci de n’importe quelle vague répressive qui pouvait avoir lieu par la suite et ce, jusqu’à nos jours.  

Sa collaboration avec moi, écrivain exilé, par la rédaction d’un chapitre d’un de mes livres, Cuba, totalitarisme tropical, ou par la participation à des revues, le condamnait à la répression à court ou à moyen terme. Il en fut averti lors d’une convocation -une de plus- au siège de la Seguridad. Dès lors, il fallait organiser son départ à l’étranger. Cela devait se faire avec  sa femme, Margarita, et sa fille, Amelia, mais pour des raisons tenant au désintérêt, à l’inconscience et l’irresponsabilité de diverses personnalités françaises de tous bords, cela n’a pu se faire. Jesús est donc arrivé en France en juin 2006, seul. Peu après, il a été accueilli à bras ouverts à la Maison des journalistes, qui est devenue, comme il ne cessait de le répéter, sa « maison ». Il convient d’en remercier ici Philippe, Manu, Darline, Viola, qui ont été ses protecteurs et ses plus proches amis, ainsi que nombre de ses collègues, auxquels il s’évertuait à rappeler avec conviction le sens de son combat. 

Cependant, personne n’a pu faire pièce à l’absence de sa famille. Il portait sur lui une éternelle tristesse, à laquelle personne ne pouvait pallier. Au départ, juste après l’éloignement du pouvoir de Fidel Castro, suite à sa maladie, à partir de juillet 2006, nous avons cru que son exil n’allait pas durer, bien que Raúl Castro lui ait succédé. Il s’est prolongé jusqu’à sa mort.

Pendant ces quinze ans, Jesús est devenu une personnalité de l’exil. Il intervenait régulièrement dans les médias français, se désespérant toujours du manque de réactions aux injustices commises dans notre pays. Il organisait des débats et des réunions autour de la situation à Cuba, qui reste désespérément la même depuis des décennies. Il participait aux manifestations hebdomadaires devant l’ambassade castriste à Paris pour réclamer la libération des prisonniers politiques, dont bon nombre étaient ses amis. Par là, il a contribué grandement à la liberté qui vient, comme l’annoncent les manifestations spontanées contre le régime du 11 juillet 2021, qu’il a suivies avec enthousiasme et espoir.

J’ai malheureusement l’habitude d’apprendre à intervalles réguliers la mort de mes frères d’exil, dispersés aux quatre coins du monde. Mais celle de Jesús m’a particulièrement touché : c’est celle d’un frère de cœur, qui avait fait de la France, malgré toutes ses souffrances, sa terre d’asile. Il nous reste à perpétuer une solidarité toujours vivante envers sa mémoire et sa détermination à voir un jour, de là où il est, sa terre natale, qui est aussi la mienne, enfin libre de la tyrannie, qu’il a combattue de toutes ses forces.