Bayeux-Calvados 2015 : carnet d’un festivalier

« Je n’aime pas quand le ciel est bleu »

[Propos recueillis par Léon KHAROMON]

C’est le cri de détresse d’un jeune pakistanais de 13 ans dont la grand-mère a été tuée par les frappes d’un drone. Grièvement blessé, il a été invité à témoigner devant le Congrès américain à Washington. Son témoignage a inspiré à Thomas Van Houtriver, une exposition de photos qui a fait sensation à Bayeux.
Le photographe, déjà Prix du public en 2007, considère cette expo comme un « miroir tourné vers le peuple américain » pour lui faire prendre conscience du danger que représentent ces « engins de mort » que sont les drones dans les zones opérationnelles qu’ils survolent. En Afghanistan, au Pakistan ou au Yémen où, au nom de la lutte contre le terrorisme l’armée américaine mène des frappes depuis 10 ans, sans vraiment affaiblir le mouvement djihadiste, les drones ont commis d’importants dégâts dits «collatéraux ».

Une des photos emblématiques de l’expo. On y voit Thomas Van Houtryve devant un cliché pris dans un parc à San Francisco où des hommes et des femmes font du yoga. Au Pakistan, ou au Yémen, dit-il, ce genre d’activité est suspect et peut vous exposer à des frappes de drones. (Crédit Photo : Léon Kharomon).

Une des photos emblématiques de l’expo. On y voit Thomas Van Houtryve devant un cliché pris dans un parc à San Francisco où des hommes et des femmes font du yoga. Au Pakistan, ou au Yémen, dit-il, ce genre d’activité est suspect et peut vous exposer à des frappes de drones. (Crédit Photo : Léon Kharomon).

Thomas Van Houtryve : Je m’appelle Thomas Van Houtryve, je suis photographe. J’ai présenté une exposition qui s’appelle « Quand le ciel est bleu » qui parle des drones militaires.
Léon Kharomon : Quelle corrélation faites-vous entre ciel bleu et drones ?
TVH : En fait, il y avait un jeune garçon pakistanais qui avait 13 ans et dont la grand-mère a été tuée par une frappe de drone. Et lui-même a été blessé. Il a été invité à témoigner à Washington devant le Congrès américain. J’écoutais son discours. Et une des choses qu’il m’avait dites m’a interpellé. Il a dit « je n’aime pas quand le ciel est bleu ». Je préfère quand le ciel est gris parce qu’il y a moins d’activités de drones. L’idée même qu’un enfant puisse rompre sa relation de plaisir avec le ciel bleu m’a vraiment frappé.
LK : Peut-on dire que dans certaines régions du monde, les drones ont changé la relation entre l’homme et la nature ?
TVH : Au Pakistan par exemple, il y a des zones survolées par des drones presque en permanence. On entend beaucoup de bruits. Et le jour où le ciel est bien clair, il y a beaucoup de visibilité, ils peuvent frapper des cibles quand ils veulent.
LK : Vos photographies ont pour la plupart été prises en dehors du Pakistan. Pourquoi faites-vous ce lien entre le Pakistan et d’autres pays qui peuvent se retrouver dans des situations similaires ?
TVH : j’ai voulu tourner le miroir. Les frappes étaient commandées par les USA, donc toutes les photos, je les ai prises aux USA. C’est un pays démocratique où les populations peuvent dire si elles veulent des leaders politiques qui déclenchent des guerres ou pas. Les USA, depuis presque dix ans maintenant font des frappes au Yémen, au Pakistan et dans d’autres pays. Mais aux USA, il n’y a pas beaucoup de débats sur ce sujet. Donc, quand j’ai lu une information sur les frappes, j’ai trouvé bizarre le fait qu’il ne s’agissait pas de frappes sur des champs de bataille, mais souvent dans des sites civils comme une école religieuse, un lieu de mariage, etc… J’ai voulu monter comment on peut être aussi vulnérables aux USA comme au Pakistan. Les drones, c’est une arme qui change notre relation avec le ciel.
LK : Sur une photo, on voit des gens faire du yoga-je ne sais pas si c’est à Central Park- (ndlr à New York), mais à première vue, j’ai cru que c’était des gens en train de prier.
TVH : C’est une photo que j’ai prise à San Francisco. La plupart des temps, quand les gens regardent, ils pensent effectivement qu’il s’agit des musulmans en train de prier. En fait, c’est du yoga. Mais, j’ai voulu souligner le fait que notre comportement depuis le ciel, quand il est éloigné de tout contexte, peut rendre suspects des trucs qui ne le sont pas du tout. Qu’est ce qui se passe avec un drone ? Un opérateur de drone, à partir d’un comportement vu du ciel (via le drone, Ndlr) décide si quelqu’un doit mourir ou pas.
LK : Ceci veut-il dire qu’aujourd’hui dans ces régions-là : Pakistan, Irak, et ailleurs où survolent les drones… on peut être tué juste en faisant sa prière… ?
TVH : Oui, il y a plein d’activités qui sont « entre guillemets » suspectes. Par exemple, s’il y a des hommes qui font du sport ensemble. Ils disent : Ah, ça peut être un entraînement terroriste. Et pourtant, cela peut être une chose complètement innocente. Autre chose, outre ce qu’ils regardent avec une caméra vidéo, ils peuvent suivre la localisation des téléphones portables aussi. Donc, si on se trouve à un mariage, alors qu’on est complètement innocent et qu’il s’y trouve un cousin éloigné de quelqu’un qui est suspect, le fait que les téléphones portables se retrouvent au même endroit, fait que tout le monde devient suspect. Et il y une frappe.
LK : Votre travail (exposition) peut-il être compris comme une interpellation du gouvernement américain ?
TVH : Oui ! Je voudrais éveiller une prise de conscience sur cette politique. Je pense que c’est une façon de faire la guerre sur laquelle on peut se poser beaucoup de questions.
LK : En Syrie, on constate qu’après plusieurs mois de frappes aériennes, les résultats escomptés n’arrivent pas toujours ; que les forces islamistes demeurent toujours aussi fortes…pensez-vous qu’il faille effectivement envoyer des soldats au sol ?
TVH : Ce n’est pas à moi de prendre cette décision, mais on voit clairement les limites des frappes. Les frappes aériennes s’arrêtent-elles net aux activités liées au terrorisme ? Aujourd’hui, avec dix ans de recul sur les frappes, on a l’impression qu’au niveau stratégique, cela n’a pas stabilisé les pays où l’on mène ces actions. Donc, il reste des problèmes. Les gens sont morts, parfois ce sont des terroristes, parfois l’activité des drones peut inciter le recrutement d’autant des terroristes que ceux qui sont tués. Donc, il y a un problème sur le long terme avec cette activité.
LK : Comment êtes-vous entré en contact avec l’organisation du prix Bayeux ?
TVH : J’ai gagné le prix du public Bayeux en 2007 avec un reportage sur la rébellion maoïste au Népal et depuis, je suis resté en contact. Je trouve que c’est formidable ce qu’ils font ici. J’ai donc gardé des liens.
LK : Un petit mot aux festivaliers…
TVH : Merci beaucoup. Je pense que c’est une exposition qui peut inciter les gens à se poser des questions sur l’avenir de la guerre et des conflits.
LK : Merci.

Cliquez sur le lien  ci-dessous pour écouter l’interview audio avec Thomas Van Houtryve (par Léon Kharomon) :

Interview avec Thomas Van Houtryve, Photographe

 

 

Exposition « Beauté Congo » Dizzy Mandjeku livre les secrets de la guitare congolaise

Propos recueillis par Léon Kharomon

Dans « Papaoutai », le tube planétaire de Stromae, la guitare solo jouée tout en finesse entre le synthé et l’accompagnement porte sa marque. Dizzy Mandjeku est l’un des virtuoses encore vivant de la musique congolaise. Il est fier d’impulser depuis quelques temps un mouvement où la guitare congolaise, après avoir conquis toute l’Afrique musicale, tente de se faire une place dans la chanson française. Que ce soit dans le Rap de Youssoufa, comme dans « Les disques de mon père », ou dans « Sapés comme jamais », le carton actuel de Maitre Gims, ou chez l’éclectique Samy Baloji, le rappeur installé en Belgique, la touche congolaise fait recette. Invité par la Fondation Cartier à l’exposition « Beauté Congo » à Paris, Pierre Evariste Dieudonne, alias Dizzy Mandjeku, sous sa double casquette d’auteur-compositeur et d’arrangeur, nous livre les secrets de ce style congolais reconnaissable parmi mille.

Le virtuose lors d’une session radio à la Fondation Cartier à Paris autour de l’expo « Beauté Congo » ( Photo Léon Kharomon).

Le virtuose lors d’une session radio à la Fondation Cartier à Paris autour de l’expo « Beauté Congo » ( Photo Léon Kharomon).

Léon Kharomon : Nous sommes venus visiter l’exposition Beauté Congo ici à la Fondation Cartier à Paris et avons eu la chance de tomber sur vous, un monument de la musique congolaise. Vous disiez tout à l’heure qu’un de vos mentors, c’était Franco Lumbo , mais aussi Nico Kassanda. Que pouvez-vous nous dire sur cette génération de grands guitaristes qu’a connus le Congo-Kinshasa.
Dizzy Mandjeku : Je me dis que j’ai eu beaucoup de chances d’écouter ces géants de la musique congolaise. Si, je dis Franco c’est un de mes mentors, mais j’étais plus branché Tino Baroza et Nico. ( Nico Kassanda, Ndlr). Entre temps, j’écoutais Franco aussi, j’écoutais Papa Noël (NEDULE, dit « Papa Noël » Ndlr) aussi. Donc, dans les années 64 quand j’ai commencé à apprendre,ce sont ces gens que j’écoutais. Et puis, j’avais la chance d’avoir un professeur belge qui jouait du jazz et du blues. Mon frère, Mauro Mandjeku, m’a appris deux, trois accords. Mais lui voulait faire un quatuor pour jouer du jazz. Alors, il m’a invité chez lui. Quand j’ai joué ce que je savais jouer, c’est-à-dire «Be sane Muccho », avec des accords, si tu me vois rire… ( rires ), Monsieur est devenu tout rouge ! Alors, lui a commencé à m’apprendre véritablement ce que c’est la guitare moderne. Donc, c’est à partir de ce monsieur là, et en écoutant la rumba, que je me suis formé. J’ai eu la chance aussi de côtoyer quelqu’un comme Guyvano Vangu Jean-Paul que je n’oublierai jamais et qui était mon chef d’orchestre dans le Festival Maquisard. Quelqu’un qui avait eu l’opportunité de remplacer Dr Nico. Moi, j’étais le guitariste mi-soliste, Mavatiku accompagnateur et Johny Bokossa, le grand frère de Chékain comme bassiste. Pour moi, c’était un atelier d’écouter Guyvano jouer. C’est quand j’étais encore aux études à Mbandaka. J’écoutais « Lyly, mwana Quartier » de Guyvano, j’avais la chair de poule. Et j’ai eu la chance d’avoir avec eux un même mentor. L’écouter, c’était un atelier vivant pour moi.
LK : Pour vous qui êtes connaisseur de la guitare, qu’est ce qui explique qu’aujourd’hui la guitare congolaise est répertoriée comme une guitare « typique », au même titre que la guitare espagnole par exemple ?
DM : C’est parce que nous avons un style particulier à nous. Et ici, je veux dire que tous les guitaristes congolais doivent remercier un monsieur, un aristocrate belge qui s’appelle Bill Alexandre. Ce monsieur est venu chez nous dans les années 40, 50. Il faisait partie de l’orchestre de la Sabena qui envoyait des musiciens de Jazz à Kinshasa ( ex Léopoldville).
LK : C’était l’époque des Wendo…
DM : Oui, mais, les Wendo, c’était l’époque d’une musique typique au pays. Mais, ce monsieur, c’est lui qui a fait que les guitaristes congolais aujourd’hui sont presque tous des virtuoses. Je peux vous citer les Dali kimoko, les Diblo Dibala, les Alain Makaba, les Felix Manuaku, Les Niawu, les Bongo Wende, un guitariste comme Popolipo, tous, ce sont des virtuoses, parce qu’on vient de cette école là. Ce monsieur a emmené une guitare qu’on appelait Lepson Gibson et il a joué pour la première fois dans la chanson, si vous vous rapellez « ah baninga ba ngai nasala ko boni… »,le son pur que vous entendez dans la guitare là, c’est lui. C’est lui qui a inspiré tout le monde. C’est lui qui a fait que les guitaristes congolais- à l’époque on pensait que c’était les Jimmy et autres qui jouaient de la guitare folklorique typique, mais lui est venu avec la guitare moderne. C’est lui qui a inspiré les Tino Baroza, les Niko, etc…Donc, on a commencé par là. C’est ce qui a fait qu’on a beaucoup de guitaristes virtuoses. C’est la chance qu’on a eu d’avoir ce monsieur. On est tous dépendant de ce monsieur là.
LK : Vous commencez votre carrière en quelle année et dans quel groupe ?
DM : J’ai commencé l’apprentissage avec mon frère ainé en 1964. J’étais encore aux humanités. Mon père était médecin, en ce moment là il était assistant médical. On l’a muté à Mbandaka. C’est à Coquilhatville que j’ai appris la guitare avec monsieur Vanbroust Eghen. Lui, il était touche-à-tout. Il était le contemporain du plus grand guitariste belge de tous les temps, Réné Thomas et de Django Renhardt. C’est lui qui m’a appris à jouer des chansons de Montgommery. Ça, c’est en 1964. Mais en 1966, j’étais déjà à l’université Lovanium (Louvain). Autant que les Ray Lema, les Paki Lutula. Et c’est à ce moment que j’ai formé un orchestre avec Ya Lokombe Camille. Et avec ceux qui deviendront plus tard les musiciens des Grands Maquisards comme Nkodia Franck qui est mort, Bopol Masiamina. J’ai créé mon orchestre qui s’appelait Nouvel horizon. C’était à Kinshasa. A côté de moi, il y avait Yosa Taluki, le guitariste qui était dans le «Diamant bleu » après le départ de Guivano pour l’African Fiesta. Il y avait aussi Mayansi, leur trompettiste et leur chef d’orchestre. Moi j’ai formé mon orchestre et le Vieux Moyina est même devenu mon contre-basiste à ce moment là. Donc, j’ai commencé comme ça. Un orchestre de quartier. Mais en 1968, j’ai fait partie de l’orchestre de Johnny Bokelo. Grand guitariste de variétés. Parce qu’en ce moment là, Philo Kola qui le faisait est parti dans l’African Fiesta. Cesquin Molenga est parti dans l’African Fiesta. J’ai commencé à répéter chez le Vieux Diunga Djeskain dans Super Negro. Il y avait un drummer là-bas, Jeff, qui est allé dire à Johnny Bokelo : « Il y a un garçon qui étudie à Lovanium (Louvain) et qui joue de la guitare comme Raymond Brent. Voilà encore un de mes mentors. On m’appelait petit Raymond Brent en ce moment là. C’est ainsi que j’ai commencé dans Konga 68. Si vous vous rappelez la chanson « Tambola na mokili diye, omona makambo » c’est Portos qui jouait la guitare rythmique, c’est moi qui bougeais son levier, parce qu’il ne savait pas faire au même moment le vibrato. ( Rires )
LK : Et après vous évoluez comment ?
DM : La même année, il y eut l’orchestre « Les Maquisards », « Le Festival des Maquisards… »
LK : Avec Ntesa Dalienst ?
DM : Non, d’abord l’orchestre de Rochereau. Retour de Montreal, l’orchestre s’est rebellé. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé là-bas. J’entre pas dans les cuisines intérieures. Les musiciens ont quitté. Michelino, Guyvano, Johnny Mokusa, Sam Mangwana ont quitté l’African Fiesta (de Rochereau, Ndlr). Et ils ont formé avec l’appui de Monsieur Ilosono, qui était le secrétaire particulier de Mobutu, l’orchestre « Festival de Maquisard ». Et un jour, nous nous sommes rencontrés à la cité de l’OUA, en 68, lors d’une réunion de chefs d’Etats africains. Il y avait tous les 4 grands orchestres de cette époque là : Ok. Jazz qui jouait avec Kobantou et le Konga Succès qui jouait avec le Festival de Maquisards. Mais comme ils cherchaient un guitariste de Variétés, alors que moi j’étais guitariste de jazz, ils ne m’ont pas accepté. Mais quand ils m’ont vu jouer avec Bokelo, tout le monde me dit d’attendre un peu…( rires )
LK : C’est dire qu’à l’époque, on était très pointilleux : on faisait une nette distinction entre guitariste de jazz et guitariste de variétés.
DM : Oh, oui !
LK : Mais aujourd’hui, on ne fait plus cette différence…
DM : Il y a eu Jimmy Yaba dans Zaïko par exemple qui faisait aussi…(guitariste de Jazz..) Mais aujourd’hui, les choses ont changé. (ça fait plus de trente ans que je vis en Europe). On m’a engagé dans le Festival de Maquisard, le lendemain, c’était un samedi. On quitte la cité de l’OUA,on me fixe rendez-vous à Bandal, chez la deuxième femme de Monsieur Ilossono, Maman Jeannine, et là je rencontre le grand patron, qui me donne tout ce que je veux : un scooter, du mobilier, etc..A ce moment là, j’étais toujours étudiant à Lovanium (Louvain). C’est comme ça que j’ai commencé dans le Festival des Maquisards.
LK : Quels sont les meilleurs souvenirs de votre carrière ?
DM : Justement, l’année d’après, en 1969, notre patron (M.Denis Illossono, Ndlr) a eu des problèmes politiques. C’est lui qui avait Vis-à-vis, Un-deux-trois, à l’époque Alex Bar…
LK : C’étaient ses propriétés, Vis-à-Vis, Un-deux-Trois » ?
DM : Je ne sais pas s’il louait ou si ça lui appartenait en propre ? Mais le fait est que nous étions bloqués lors d’une tournée à Mbuji Mayi. Et à partir de Mbuji –Mayi, c’était sauve-qui-peut, chacun devrait rentrer à Kinshasa comme il l’entendait. Moi, j’ai eu la chance de partir avec un avion militaire. Arrivés à Kin, on a commencé à faire des répétitions. On répétait déjà depuis Mbuji-Mayi. Mais, les ténors de l’orchestre, comme Michelino, qui était quelqu’un de très important dans l’orchestre, un des plus grands compositeurs, est parti dans l’African Fiesta. La section cuivre, ils sont partis dans l’African Fiesta, les Barami, sont partis dans l’OK Jazz. Toute l’ossature est partie. Ce qui fait que je suis resté avec Dalienst, Diana et Lokombe et on s’est dit : On continue ! C’est à partir de ce moment que je me suis vraiment éclaté à la guitare. 1969, avec mon jeune frère, Majeda. On avait aussi un ex aequo comme Attel Pierre, Emile Mbumba. L’African Fiesta, c’était vraiment l’émulation entre nous. Si vous écoutez toutes les chansons qu’on a faites, les Delia, Obotama mobali ndima pasi, les Maria Mboka, les Jaria…
LK : C’était sous ton doigté ?
DM : Majeda et moi. On se partageait moitié-moitié. Après ça, il y a les frères Soki qui sont venus me trouver. Ils m’on dit : nous voulons que tu nous arranges nos morceaux comme tu le fais dans le Grand Maquisard. C’est ainsi que j’ai arrangé les morceaux comme « les Getou Salay, comme les Musoso, etc…avec Shaba Kahamba.
LK : Donc, vous avez aussi une casquette d’arrangeur…
DM : Tout à fait. Jusqu’aujourd’hui. Ecoutez ce que j’ai fait avec les trois anges de Choc Stars : Pauvre Pasteur Debaba, Carlyto, le frère en Christ, et Defao . Ecoutez le Bouda de Oro, je me suis vraiment éclaté la dessus.
LK : En dix minutes, ce sera impossible de résumer votre très longue carrière. Mais une question que je ne pourrais manquer de vous poser : c’est en lisant un journal hier, Le Monde, où l’on parle de la musique congolaise. On a remarqué que la guitare congolaise, après avoir conquis pratiquement toute l’Afrique, est en train de s’implanter dans la musique moderne en Europe. A travers des artistes de rap, des artistes de variétés.
DM : Oui, tout à fait. Come avec Samy Baloji…
LK : Oui, en Belgique, on peut citer aussi Stromae..
DM : Oui, c’est moi qui suis co-auteur et co-arrangeur de « Papaoutai ».
LK : Un succès mondial… On a retrouvé la touche de la guitare congolaise. Mais, il y aussi Maïtre Gims, qui a fait un clin d’œil dans deux morceaux de son nouvel album ( « Mon cœur avait raison », Ndlr).
DM : Je suis précurseur dans ce mouvement, et je suis content que Maître Gims le fasse.
LK : Il y a aussi Youssoufa , le fils de Tabu Ley qui fait ça… dans ( Les disques de mon père). On parle même d’une « congolisation » du rap français.
DM : Absolument. Et je suis fier d’avoir impulsé ce mouvement. Vous avez vu les awards que Stromae a gagnés!
LK : En deux mots, sur le plan technique, qu’est ce qui fait la particularité de cette guitare dite «congolaise »?
DM : Ecoutez. La guitare congolaise demande beaucoup de dextérité. En fait, ce qu’on appelle « Seben », c’est-à-dire le moment que les Cubains appellent Mambo …-je viens de Cuba et de Colombie où je viens d’ajouter aussi de la musique congolaise. Et la semaine prochaine mon orchestre « Oyemba » joue, avec un orchestre cubain. Justement, je « congolise » aussi la musique cubaine. ( rires).
LK : Donc, le projet continue..
DM : Oui, ça continue. Je suis vraiment content que les Jeunes rentrent là-dedans Je disais, pour ne pas perdre le fil des idées. Cette guitare demande beaucoup de virtuosité. Et nous nous basons sur le folklore. Les anciens, c’est-à-dire, les Franco, les Nico l’ont impulsé. Quand vous écoutez un sebene mutwashi de Nico ,c’est magnifique. Quand vous écoutez un sebene bakongo chez Franco, c’est magnifique. Et puis, les jeunes, nous sommes venus. Et on a ajouté, on a ajouté…et c’est ce qui fait que cette guitare a une particularité, une identité. Les autres Africains nous ont copiés.

Cliquez sur le lien  ci-dessous pour écouter l’interview audio avec l’artiste : 

Dizy Mandkeku : Interview par Léon Kharomon

 

 

Douarnenez, rencontre entre sourds et interprètes

[Par Marie-Angélique INGABIRE]

La communauté sourde participe depuis plusieurs années au festival. Leur présence les aide non seulement à se rencontrer mais aussi à prendre conscience des problèmes qu’affrontent d’autres communautés minoritaires, comme le souligne Laëtitia Morvand, membre du collectif des sourds du Finistère.

Laetitia Morvan et Olivier Schetrit © Marie-Angélique Ingabire

Laetitia Morvan et Olivier Schetrit © Marie-Angélique Ingabire

Conférences, débats, films… toutes ces activités sont organisées de façon à permettre aux personnes sourdes de les suivre, avec des sous-titrages, ou grâce aux interprètes en LSF (Langue des Signes Française). D’où le rôle de Laure Boussard et ses 21 collègues présents au festival.

Des sourds ont souvent besoin d’un interprète dans la vie courante ; à l’hôpital, pour différents services administratifs, etc…Mais l’interprétation exige la confiance. Il n’y a donc aucune distance possible entre interprète et personne sourde. Les sourds ont besoin de comprendre le métier de l’interprète et sa déontologie. « L’année dernière il y a eu des bénévoles interprètes qui travaillaient ensemble et des sourds de l’autre côté, et on s’est rendu compte que chacun restait dans son coin. Des sourds se disaient que ce n’est pas la peine d’embeter ces interprètes professionnels. Il y avait un manque de lien,  en LSF … Tandis que dans d’autres évènements on rencontre des sourds qui jugent le comportement des interprètes incroyable,» explique Laëtitia Morvand.

Une rencontre interne est organisée ce jeudi entre ces deux camps afin de discuter à propos de ce défi qu’est la distance. Laure Boussard trouve ce moment très important dans la transformation du regard que chacun a envers l’autre. « Les sourds et les interprètes se plaignent. Comme au festival il y en a beaucoup, nous avons profité de ce lieu propice pour nous rencontrer entre nous comme le font d’autres communautés, et parler franchement afin d’améliorer la relation entre ces deux groupes qui se côtoient souvent. »

La France compte actuellement autour de 200000 personnes qui parlent la langue des signes. Leur langue date du XVIIe siècle mais a été  reconnue comme « langue à part entière » en 2005.

Les veilleuses de chagrin, fortes ou mélancoliques ?

[Par Marie-Angélique INGABIRE]

Cinq « veilleuses de chagrin », venant de Loctudy, du Conquet, de Saint-Malo et de Cancale acceptent de témoigner de leur quotidien pour la première fois. Inspirée par le poème de Paul Eluard, L’Amour la poésie, Frédérique Odye décide de faire un film dans lequel elles parlent non seulement de la disparition de leurs êtres chers dans la mer, mais aussi de l’indépendance qu’elles ont tiré de ce drame.

L'affiche du documentaire "Les Veilleuses de Chagrin" ©Marie-Angélique Ingabire

L’affiche du documentaire “Les Veilleuses de Chagrin” ©Marie-Angélique Ingabire

« Au fond, ces femmes ressentent l’amour qu’elles portaient pour leurs maris, mais elles disent aussi aimer leur solitude, elles n’aimeraient plus vivre au quotidien avec lui. Elles tiennent à leur indépendance. Quand il revenait, elles étaient très heureuses de le retrouver mais elles souhaitaient qu’il reparte aussitôt », explique la réalisatrice.

Elle-même fille de marin de Normandie, Frédérique Odye a vu sa mère mener une vie de veilleuse : par la vitre, elle attendait souvent le retour de son mari.  Ceci l’a aidée à gagner la confiance des cinq veilleuses du film, bien que ce dernier ait été tourné en Bretagne, où elle vit depuis 12 ans.

« Avoir vécu dans un milieu pudique a joué un rôle important. Au départ,  ce n’était pas facile d’avoir des femmes qui acceptent de témoigner, pire encore de s’exprimer devant la caméra. Mais quand je leur ai partagé ma propre expérience, elles ont dit oui. »

L’attente et l’espoir, piliers des femmes veilleuses

« Il partait pour une semaine, je crois [..], mais on avait des nouvelles par le Conquet radio qu’il y avait une vacation tous les matins vers dix heures, il fallait donc écouter la radio tous les jours pour savoir où ils étaient. Ils disaient RAS, rien à signaler, pour dire que tout allait bien, voilà ! », raconte une veilleuse.

Ces épouses témoignent du caractère fort des femmes de marins. Elles gèrent tout : la maison, les enfants, le budget, etc, sans se plaindre de cette vie. « J’étais contente de rester à la maison, moi… A l’époque il n’y avait pas beaucoup de femmes de marins qui travaillaient, le marin devait gagner pour deux, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ».

© Marie-Angélique Ingabire

© Marie-Angélique Ingabire

Et que faire quand il s’agit d’annoncer aux enfants que leur papa s’en va pour plusieurs jours, voire même des mois ? Ils savent quand le moment est venu, tout le monde est sous tension. Et cette séparation ne dit pas l’oubli : des photos, des lettres d’amour que ces veilleuses gardent les aident à sentir la présence de leur mari. La vie du marin était à bord, celle de la femme à terre, mais le couple finissait par se revoir et ils en profitaient.

S’inquiéter pour leurs maris, normal. Mais gérer le pire pour trois veilleuses,  dont les maris ne rentreront jamais, quelle horreur !

« A 10h20 exactement, je vois toujours la pendule, le pire est arrivé […] Je faisais un rêve. Je le voyais […] m’appelant, pensant qu’ils allaient le trouver là-bas, vivant ».

Ce film mixe images du paysage naturel étalant la beauté de la Bretagne et celles de la vie quotidienne des épouses et mères attendant le retour de leurs maris ou de leurs fils partis en mer.

La réalisatrice trouve encourageant le fait que son film ait été sélectionné par ce festival et soit ainsi projeté dans sa région de tournage. Rendez-vous à l’Auditorium ce mercredi à 21h.

Festival de Douarnenez : un représentant de la confédération indigène Tayrona parle

[Par Marie-Angélique INGABIRE]

Arhuaco, Kankuamo, Kogui et Wiwa : voici les quatre tribus autochtones qui vivent au cœur de la Sierra Nevada. Cette région se trouve au nord de la Colombie, c’est la plus haute montagne côtière du monde avec une altitude qui culmine à 5800 mètres. Le mode de vie de ce peuple se base sur une « cosmovision », qui suppose le respect de la biodiversité.

Ricardo Camilio Niño Izquierdo © Marie-Angélique Ingabire

Ricardo Camilio Niño Izquierdo © Marie-Angélique Ingabire

Avant la conquête espagnole, ces populations vivaient de l’agriculture de subsistance. Avec l’arrivée des colons, ces familles se sont vues expropriées au profit des entreprises internationales et des propriétaires privés. Ces derniers  concentrent leurs activités dans des régions basses et, de ce fait, les autochtones sont contraints de s’entasser en haut des montagnes.

Ricardo Camilio Niño Izquierdo, citoyen arhuaco, a été choisi pour représenter la confédération indigène Tayrona au Festival Douarnenez. Cette organisation autochtone à caractère national se bat pour la récupération des terres de ses ancêtres car pour eux, le développement doit se faire selon un autre schéma : le capitalisme ne devrait pas primer sur  l’écosystème.  Ils revendiquent les terres basses auxquelles ils ont de moins en moins accès. Leur objectif  est de faire redescendre des gens vivant dans des hautes altitudes afin de pouvoir récupérer à la fois leurs terres sacrés et conserver la biodiversité.  Le militant arhuaco souligne que la Sierra Nevada est le point zéro des neuf écosystèmes de la biodiversité, dont des systèmes uniques à cette région au monde.

Pour mener à bien leur combat, les indigènes de la Sierra Nevada utilisent deux types de méthodes. La première s’en remet à la spiritualité et  leur culture. « Nous recourons à la spiritualité comme le reste du monde a recours à l’argent. Nous  prenons l’enseignement des mamos, nos guides spirituels, qui ont reçu l’éducation sur la conservation de la biodiversité, comment gérer l’eau et d’autres éléments naturels qui sont indissociables de la vie», précise Ricardo Camilio.

La seconde méthode consiste à porter plainte et obliger des entreprises qui veulent s’implanter de procéder d’abord à des études devant permettre la sauvegarde de la biodiversité.

Certaines organisations non-gouvernementales, dont la mission est la protection de l’environnement aident au rachat des terres pour les rendre aux indigènes afin qu’ils les gèrent de manière écologiquement saine. Le gouvernement colombien développe le bas de la montagne ; la région a vu la croissance accélérée des activités économiques dans des grandes villes comme Santa Martha ainsi que la construction des grandes routes facilitant l’accessibilité. Tout cela a un impact que ces indigènes jugent délétère car le prix des terres a tellement flambé qu’ils ne font plus le poids face aux investisseurs internationaux.

Comme le souligne Ricardo Camilio, le festival constitue pour son peuple une opportunité de faire entendre sa voix, car la portée de la cosmovision est universelle.

Rebin Rahmani, la voix des Kurdes d’Iran

[Par Lisa Viola ROSSI]

« Je me sens comme déchiré entre deux mondes. Je ne peux ni me détacher de ma patrie ni totalement m’adapter à ce nouveau pays ». Il s’appelle Kareem « Rebin » Rahmani, il est kurde iranien et est exilé en France depuis deux ans et demi. L’exil, un lourd tribut qu’il a dû payer en raison de son activisme pour les droits de l’homme en Iran.

Malgré les difficultés auxquelles il a dû faire face en tant que réfugié, Rebin n’a jamais perdu l’espoir : il croit dans la possibilité de rentrer un jour en Iran. « La lutte pour la démocratie est un défi qui se joue à long terme – précise-t-il -. Il faut travailler à un niveau plus profond, à un processus de démocratisation partant du bas, à un changement de culture et de mentalité des gens, pour créer une société civique dans laquelle il est nécessaire d’enraciner le sentiment d’une urgence démocratique envers les droits des femmes et des minorités religieuses et ethniques en Iran.».

Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)

Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)

Dans ce but, Rebin s’est engagé avec le Réseau pour les droits de l’homme au Kurdistan, une organisation pour la défense des droits de l’homme fondée en janvier 2014 en France à l’initiative d’activistes des droits et d’avocats kurdes. « Le but est d’observer, de documenter et d’informer sur les violations des droits de l’homme dans le Kurdistan iranien. Le site du Réseau – explique Rebin – a été lancé en février 2014, mais en raison de difficultés matérielles, seule la version anglaise est pour l’instant disponible. Une version en kurde et en persan est en cours de préparation».

La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/

La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/

Le site de Kurdistan Human Rights Network est aujourd’hui parvenu à se faire connaître comme une source d’information fiable et sérieuse, et il compte des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux : « Nos reportages et nos informations ont été repris par de nombreuses organisations et médias – fait savoir Rebin -. Toutefois, comme tous nos collaborateurs sont bénévoles, et que nous ne percevons aucune aide matérielle et financière, nos activités avancent très lentement. Nous espérons pouvoir pallier ces difficultés dans un avenir proche – souhaite l’activiste -, pour avancer plus rapidement dans la mise en œuvre de nos projets, comme passer par les mécanismes internationaux qui peuvent améliorer véritablement la situation des droits de l’homme au Kurdistan.»

Le peuple kurde est disloqué entre quatre pays : Iran, Irak, Syrie et Turquie. « Pour leur liberté, – rappelle Rebin – les kurdes ont payé le prix fort aussi bien sur le plan matériel qu’humain. Ce qui me donne de la force pour continuer mes activités, c’est l’ensemble de ces personnes qui ont donné leur vie pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Parmi ces gens, – ajoute Rebin – j’accorde une place particulière aux prisonniers politiques avec qui j’ai été en contact téléphonique ces dernières années et dont malheureusement j’ai souvent été l’un des premiers à apprendre la nouvelle de leur exécution. »

Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)

Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)

Garder les contacts en Iran n’est pas du tout facile. Le gouvernement iranien arrive à ralentir la vitesse des connections internet en dérangeant les communications via Skype. Les appels, les comptes email et les profils personnels sur Facebook, Twitter et Youtube sont systématiquement surveillés. L’utilisation des antennes paraboliques est défendue : « La police du régime monte sur les toits pour les chercher – explique Rebin -. Par ailleurs, au Kurdistan, à partir de la révolution de 2009, le régime émet des ondes afin de perturber les transmissions via satellite : des ondes qui ont des effets très graves sur la santé des citoyens, comme m’a confirmé un médecin que j’ai interviewé : les avortements spontanés seraient en fait en train d’augmenter dans toute la région ».

Les conditions de vie des kurdes en Iran ne sont pourtant pas toujours connues dans les pays occidentaux, soutient Rebin : « Le silence des médias est dû au fait qu’ils craignent qu’une attention aux conditions des prisonniers politiques au Kurdistan puisse encourager les idées séparatistes ». La conséquence de cela est « un regard centralisé sur la question des droits de l’homme en Iran », considère Rebin : « Cela signifie que malgré les risques que prennent les activistes kurdes pour informer les médias étrangers et les ONG internationales, en rédigeant rapports et statistiques qui donnent la preuve des violations et des abus dans cette région, ces derniers n’y accordent pas l’intérêt qu’on est en droit d’attendre. Et voilà, les arrestations et les exécutions d’activistes politiques et sociaux ainsi que les tortures terribles subies par ces derniers continuent, dans l’indifférence de l’opinion publique mondiale ».

De son coté, Rebin se fait garant du travail dur de médiateur. « Les moments les plus pénibles et les plus marquants de ma vie ont probablement été ceux où j’ai dû annoncer aux familles des prisonniers politiques kurdes l’exécution de leur proche. J’entends encore parfois résonner à mon oreille les pleurs et les lamentations de douleur des mères et des sœurs des prisonniers. Comment est-ce possible que leur fils ou frère soit exécuté sans que les familles ne soient prévenues et ne se soient entretenues une dernière fois avec lui? Bien souvent, les dépouilles des prisonniers exécutés ne sont pas rendues aux familles qui, par conséquent, refusent de croire à l’exécution de leur proche. Elles ne peuvent pas faire leur deuil et continuent d’attendre leur retour. Les victimes et les prisonniers politiques comptent donc sur nous – explique Rebin – pour faire parvenir leurs voix au monde extérieur. Cet espoir qu’ils ont placé en nous, rend notre tâche plus difficile encore. Nous espérons être à la hauteur de la mission et que les institutions et médias internationaux nous aideront à faire parvenir ces voix au monde entier ».

Rebin cultive cet espoir depuis des années. C’est en 2006, à l’époque du président réformiste Khatami, que la vie de Rebin a définitivement changé. Il n’était qu’un étudiant, mais aussi le rédacteur en chef d’un journal des étudiants kurdes, “Rojhelat”, “Orient”.

Rebin Rahmani

Rebin Rahmani

C’est à cette époque que Rebin décide, avec un compagnon sociologue, de mener une étude sur les causes de la toxicomanie, le SIDA et la prostitution à Kermanshah. Pendant environ six mois, ils conduisent des interviews vidéo de toxicomanes. C’est là qu’ils prennent conscience de la recrudescence de ces problèmes, une tendance systématique qui serait délibérément planifiée par la République islamique elle-même. A côté de l’Université de Razi de Kermanshah, dans le quartier résidentiel de “Bagh Abrisham”, “Le jardin de soie”, Rebin et son collègue filment une quarantaine de toxicomanes qui chaque jour frappent à la porte d’une sorte de kiosque pour obtenir de la drogue. Le voisinage les informe qu’il a déjà fait appel aux autorités mais sans obtenir de réponse. « Certains nous ont par ailleurs signalé le rôle de certains fonctionnaires de Renseignement de la ville de Kermanshah dans le trafic de drogue dans la région, drogue destinée aussi à la Turquie », précise Rebin. Plus tard, pendant un interrogatoire auquel Rebin sera soumis, un fonctionnaire lui dira : « Quel imbécile vous êtes de vous battre pour ces gens! Nous les avons fait devenir toxicomanes, et ils ne se soucient plus de ce qui se passe autour d’eux ! ».

Le 19 novembre 2006 Rebin a été arrêté par la police sur la route entre Kermanshah et Sarpol-e Zahab. Les fonctionnaires trouvent dans son sac des livres politiques. Il découvre qu’il était recherché. C’est exactement en ce moment-là que son calvaire commence. Un calvaire de deux ans durant lequel il passe de cellule en cellule, sous torture physique et psychologique permanente. Son arrêt est confirmé sous la surveillance du service au Renseignement. En mars 2007, deux jugements seront prononcés contre lui : activités contre la sécurité nationale et propagande contre l’Etat. Ils se traduisent en une peine de prison de cinq ans, réduite en appel à deux ans. Pas de remise sur les tortures, ce qui le conduit à une tentative de suicide. Rebin sort de la prison Dizel-Abad de Kermanshah le 7 novembre 2008. Malgré les convocations continuelles par les services secrets – l’Intelligence-, il commence sa collaboration avec l’organisation Activistes pour les droits de l’homme en Iran, sous le pseudonyme d’Hiva Shalmashi. Après sa libération, sa vie n’est plus comme auparavant : « Je me suis rendu à l’Université – rappelle-il -, où j’ai été informé de ma radiation. Chaque personne que je rencontrais, était convoquée et interrogée par l’Intelligence qui lui recommandait de n’avoir aucun contact avec moi. C’était dur ». Après l’exil de son frère, lui aussi activiste, les pressions de la part des fonctionnaires des services secrets augmentérent. « Mon activisme est la chose la plus importante de ma vie – dit Rebin -. Les tortures que j’ai pâties en prison, m’obligent à répondre maintenant à un devoir: aider les autres prisonniers. En Iran je ne pouvais pas faire cela, parce que j’étais sous surveillance. Donc, en mars 2011, j’ai quitté mon Pays ».

Rebin a traversé à pied la frontière montagneuse du Kurdistan d’Iran et le Kurdistan irakien avec un groupe de “passeurs” (passeurs de marchandises et d’hommes) jusqu’au moment où les forces iraniennes ont commencé à tirer sur eux. « Je me suis retrouvé complètement seul. Il faisait nuit, il y avait de la neige, j’ignorais que j’étais dans une zone minée. Mais je suis arrivé en Irak ». Une fois à Erbil, Rebin s’est adressé au bureau de l’UNHCR : « Je n’avais pas l’intention de partir pour l’Europe et je suis resté sans titre de séjour dans le Kurdistan d’Irak un an et demi ; jusqu’au jour où j’ai subi des pressions du régime en place, opposé à mes activités : c’était pour préserver ma vie; mais également pour préserver les intérêts du pouvoir irakien qui collabore avec les autorités iraniennes ». En même temps les services secrets iraniens menaçaient la famille de Rebin, restée en Iran et lui aussi était menacé à nouveau. « Je me suis rendu à l’ambassade française et grâce à une lettre de soutien de Reporters sans frontières, j’ai reçu les papiers nécessaires et je suis parti immédiatement. Quatre mois après mon arrivée en France, j’ai découvert la Maison des journalistes où j’ai été enfin accueilli jusqu’au moment où j’ai reçu mon statut de réfugié ». Et maintenant en France, à cinq mille kilomètres de sa terre natale, Rebin cultive opiniâtrement sa foi dans le pouvoir de la connaissance, de la vérité, pour les droits de son peuple.

Pour en savoir plus sur le Kurdistan Human Rights Network : www.kurdistanhumanrights.org

RDC : Controverse autour de 425 cadavres découverts à Kinshasa

[Par Jean MATI]

425 corps ont été retrouvés naguère à Maluku dans la banlieue de Kinshasa. Au moment où les indiscrétions pointent un doigt accusateur en direction des industries de la mort installées par le régime en place, cette découverte macabre a suscité la réaction de l’opinion nationale mais aussi de la communauté internationale. Elle relance, par ailleurs, le débat sur la question sécuritaire en République démocratique du Congo, un pays dont les droits de l’homme sont bafoués. Les opposants emprisonnés, les contestataires muselés, les journalistes assassinés et voire pousser à l’exil…Telle est la présentation d’un tableau sombre qu’expose le Congo-Kinshasa.

kinshasa
Ce jour-là, une odeur nauséabonde bouchait les narines des citadins de Maluku, une commune située dans le faubourg de Kinshasa, la capitale de la RDC. « Presque tout le monde voulait savoir d’où venait une telle odeur, car ça donnait l’envie de vomir. Est-ce une odeur d’excréments ? Se demandaient les uns. Non, affirmaient les autres. C’était plus que ça ! », Confie un témoin.
A quelques pas de là, dans l’enceinte du cimetière local « fula-fula », les badauds découvrirent une fosse commune. Des corps humains mal enterrés ont refait surface. Ils traînaient à la hauteur de la terre. On pouvait observer les bras, les cheveux, les têtes et autres partie du corps. Une scène effrayante à la manière d’un film d’horreur. De quel monde sortent-ils ces corps ? Ce sont des fantômes ? A priori, à ces questions manquaient les réponses. Trop vite les mots ont pu remplacer le silence. « C’est le Gouvernement qui a fait ça » affirment les observateurs avisés. « Ce sont des Congolais qu’on tue chaque jour. Dans ce pays, l’Etat ne se soucie pas de la protection de la population. Les Congolais sont assassinés par des mains criminelles. Personne ne fait rien. Et rien ne fera rien. Ainsi va la vie au Congo-Kinshasa» soutiennent-ils.
Pour mieux accabler le Gouvernement congolais de son cynisme quant à la façon d’enterrer ses compatriotes, de multiples voix vont s’élever et dire que ces corps seraient ceux des manifestants tués lors des émeutes de janvier dernier à Kinshasa. « L’Etat aurait voulu les inhumer discrètement comme dans ses habitudes. Mais cette fois-ci, les morts ont refusé de mourir », fait savoir un habitant de Maluku.

Réaction du gouvernement
Dans la précipitation, le gouvernement de Kinshasa, craignant une mauvaise publicité à l’extérieur du pays, réagit. Mais c’est une riposte tardive. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. A l’ère du développement des réseaux sociaux, les informations se propagent vite. Les photos et les vidéos macabres circulent déjà sur Facebook, Whatsaap, Viber, Youtube…La presse internationale est déjà au courant ? Oui, ça c’est sûr !

Evariste Boshab (source : http://24hcongo.com/)

Evariste Boshab (source : http://24hcongo.com/)

Par l’entremise de son Vice-Premier ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, le pouvoir de Kinshasa va présenter les faits à sa manière. Les 425 corps découverts dans la fosse commune de Maluku seraient des cadavres qui pourrissaient dans les chambres froides de la morgue de l’Hôpital général de Kinshasa. « Ce sont des fœtus de morts – nés et des corps d’ inconnus décédés des morts naturelles. C’est une pratique courante en RDC où les familles ne possédant pas de moyens abandonnent leurs proches à la morgue», soutenait Evariste Boshab. Pour étayer sa version de thèse privilégiée, le pouvoir de Kinshasa offrira un spectacle désolant en mode « Syndrome Timisoara ». Le lendemain, les médias d’Etat sont à l’Hôpital général et filment les cadavres des indigènes qui se trouvaient à la morgue. Le gouvernement de Kinshasa brandit cela comme des pièces à conviction et promet de les enterrer dignement. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait avec les 425 cadavres de Maluku ? Pourquoi en RDC les autorités ont perdu tout le caractère du sens moral ?

Le pouvoir de Kinshasa ou l’ « ante-peuple » congolais
Cette représentation cynique du pouvoir de Kinshasa ne va pas apaiser la colère. Mais elle va plutôt jeter de l’huile sur le feu. L’opposition qualifiera cette découverte macabre de « charnier ». L’opposant historique Etienne Tshisekedi parlera même de l’ « escadron de la mort ». Le régime en place est démasqué. Il y a trop de contradictions dans les discours des représentants de la Majorité présidentielle. Lambert Mende, ministre de la Communication et des Médias change de registre et refuse de parler de la « fosse commune ». Il invente une expression : le « tombeau commun ». Les membres de sa famille politique rectifient et préfèrent dire la « tombe commune ». Quelle négation !

(source : http://www.un.org/)

(source : http://www.un.org/)

Dans ce cas de figure, il faut faire appel à l’extérieur. Les Occidentaux doivent mener l’expertise. Ici, il faut pas compter sur nos autorités et surtout pas sur la justice, estime une partie de l’opinion nationale. Comme il fallait s’y attendre, l’ONU intervient finalement et exige l’exhumation des corps afin de mener une enquête approfondie en vue d’établir les circonstances de leur mort. Le pouvoir de Kinshasa fait obstruction.
En attendant de connaître les résultats des experts, force est de déplorer la culture de banalisation qui a atteint son paroxysme en République démocratique du Congo. Les morts ne sont plus respectés. Ces Congolais à qui on a « chosifié » à Kinshasa, ne méritaient-ils pas d’être enterrés dignement ?