Pourquoi la France est 39ème mondiale pour la liberté de la presse ?

Selon l’indice mondial de la liberté de la presse édité par Reporters Sans Frontières – RSF -, la France est classée 39ème pays sur 180 en termes de liberté de la presse. Nous nous sommes donc demandés pourquoi ? Pour obtenir cette réponse, il a fallu se poser d’autres questions : A qui appartient les médias ?  Quelles ont été les violences à l’égard des journalistes en France en 2017 ? Comment s‘est passé la dernière élection présidentielle ?

La propriété des médias français est très concentrée

Les médias qui appartenaient autrefois à des particuliers ou à des familles sont maintenant de plus en plus la propriété de sociétés privées et puissantes.

Plus de la moitié des médias imprimés et numériques français sont contrôlés par des sociétés de services financiers et d’assurance. Cette statistique, 51%, est près de trois fois supérieure à celle du secteur de l’information et de la communication, 18%, selon d’un rapport publié par le projet Media Independence, composé de Julia Cagé et Olivier Godechot de Sciences Po, Reporters Sans Frontières et SPIIL .

Grâce à des structures d’actionnariat complexes, il est très difficile d’identifier qui détient les actions d’un média. Il est donc impossible de déterminer si des préjugés externes ou des intérêts particuliers sont en jeu. La presse française est concentrée entre les mains de quelques hommes d’affaires fortunés qui s’appuient sur un manque de transparence, y compris dans la détention des parts dans les plus importants médias français.

A ce titre, il faut rappeler que la ligne éditoriale d’un journal ne se résume pas à ce qui est rapporté et comment il est rapporté, mais aussi par le contenu qui n’est pas publié.

Un exemple Le Monde

Le Monde a été acheté par Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé en 2010, à travers une société appelée Le Monde Libre.

Pierre Bergé, via Berlys Média, détient La Société Éditrice du Monde de deux manières: le groupe média détient «26,67% du Monde Libre qui détient 63,8% de La Société Éditrice du Monde». Mais Berlys Média détient également 99,99% du capital de la Société Le Monde Indépendant qui détient à son tour 14,52% de La Société Éditrice du Monde “… Vous avez suivi ?

Cependant, Le Monde n’est pas le seul journal appartenant à des hommes d’affaires fortunés. Bernard Arnault, propriétaire et PDG de LVMH, est propriétaire de Aujourd’hui en France, Le Parisien, et Les Echos. Serge Dassault, propriétaire de Dassault System et de Dassault Aviation, est propriétaire du Figaro. Patrick Drahi, «magnat des télécommunications», est propriétaire de L’Express et de Libération.

L’opacité des médias

Ces organisations de médias privées sont statistiquement moins transparentes que leurs homologues publics. La complexité et le manque de transparence rendent quasiment impossible de reconstituer entièrement la structure de propriété d’un certain nombre de médias.

Il existe des lois qui préviennent les fortes concentrations de propriété et les biais potentiels. Selon une loi de 1986 sur la concentration de la propriété, “aucune acquisition de journaux ne sera approuvée en France dont l’entité combinée aura une part de circulation supérieure à 30%.”

Selon RSF, les groupes d’affaires fortunés peuvent avoir des intérêts qui vont à l’encontre d’un engagement en faveur d’un journalisme juste et précis. L’indépendance éditoriale et la survie économique sont menacées par les décisions managériales. Près de 100 journalistes ont quitté iTélé devenu CNews en quelques semaines à la suite d’une grève en novembre 2016. Les journalistes étaient mécontents des décisions prises par les responsables de la nouvelle chaîne et ont protesté.

Une augmentation récente de la violence

Au cours des dernières années, les forces de police françaises ont fait état de violences documentées contre des journalistes couvrant des manifestations et des manifestations, entraînant des fractures, une incapacité de travail et d’autres blessures.

  • Maxime Reynié, photojournaliste, a été frappé par des CRS pendant une manifestation à Toulouse en 2016.
  • Michel Soudais, rédacteur en chef adjoint de l’hebdo Politis a reçu un coup de matraque de la part d’un CRS.
  • Martin Lagardère, un autre photojournaliste a été <<brutalisé>> par un membre des compagnies de sécurisation et d’intervention (CSI) pendant une manifestation.
  • Thierry Vincent, s’est présenté comme journaliste, cela ne l’a pas empeché d’avoir perdu connaissance après qu’il ait été jeté à terre par un CRS en 2016.
  • Estelle Ruiz a été blessée par une grenade de désencerclement pendant qu’elle filmait une manifestation en 2017.
  • Ugo Amez, Louis Witter et Michael Bunel sont été des victimes de tirs de flashball.

Bien qu’ils se soient identifiés comme des membres de la presse, ces journalistes ont été ciblés et attaqués. La sécurité des journalistes n’est jamais garantie lorsqu’ils couvrent des événements dangereux, mais il n’y a aucune raison pour que la police attaque les personnes qui font leur travail.

RSF a soumis ces affaires à l’Ombudsman français pour enquêter les violences perpétrées par les forces de sécurité contre des journalistes qui ne faisaient que leur métier.

Influence des élections de 2017

La campagne présidentielle électorale de 2017 a été tendue et les médias ont fait face à la tension émis par des candidats. Les menaces et l’hostilité dont les médias ont fait l’objet pendant les élections n’ont fait que réduire la liberté de la presse.

Lors des réunions de François Fillon, des journalistes auraient été insultés, agressés physiquement et leur équipement a été endommagé. Lors d’un événement de campagne à Nice, les journalistes ont subit des crachats et des bousculades selon les rapports.

Jean-Luc Mélenchon a aussi attaqué verbalement les médias pendant sa campagne, insultant les journalistes et appelant à un “tribunal professionnel de la presse”.

Le Front national a interdit des journalistes de Mediapart et de TMC qui souhaitaient couvrir l’annonce de campagne officielle de Marine Le Pen en septembre 2016, affirmant qu’ils la traitent différemment.

Quand les médias ne sont pas autorisés à faire un reportage sur une campagne politique d’un grand politicien, il y a atteinte à la liberté de la presse. D’être menacé, humilié ou blessé est une atteinte grave aux droits des médias.

Voici pourquoi la France est 39ème de ce classement sur la liberté d’informer. La fermeture de la salle de presse de l’Élysée annoncée le 28 mars 2018 confirme une tendance qui dépasse les clivages politiques. Les responsables et les garants de la démocratie devraient pourtant se souvenir, que sans liberté d’investigation, sans liberté de critiquer, il n’y a point d’éloges flatteurs. Et même si la France est deuxième pour l’influence culturelle, cinquième pour l’éducation, elle n’est que 39ème pour la liberté de la presse.