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Smartphone et migrations, les enjeux d’une nouvelle “boussole”

Le smartphone, objet devenu banal dans les sociétés, concentre pourtant quantité d’enjeux pour les réfugiés. A l’occasion de la conférence “Migrobjets”*, ayant eu lieu les 22 et 23 mai 2018 à l’INALCO, chercheurs et spécialistes s’intéressent à cette technologie qui fait désormais partie intégrante du “migrant”. 

La boussole du XXIe siècle

Les migrations actuelles font l’objet d’une guerre de l’image. Du petit Aylan sur la plage aux réfugiés embarqués, la représentation tient une place prépondérante dans la migration. A ce titre, le smartphone devient l’outil de relais de ces images. Un outil de relais mais aussi de “création” quand les voyageurs, eux-mêmes, décident de filmer leur périple pour en diffuser les images plus tard.

Le smartphone introduit l’idée d’un réfugié connecté. “Figure de la dépossession” évoquée par Albin Wagener, ils ont pourtant tous un téléphone entre les mains. Depuis leur pays d’origine où ils se renseignent sur les passeurs et les moyens d’arriver à destination, jusqu’à la fin du voyage où le mobile est un lien avec le pays quitté, le smartphone est un accompagnateur. 

Principal hébergeur du “kit de survie’”

L’importance du smartphone dans la migration se révèle à plusieurs niveaux. Il est un lien d’attache qui permet de rassurer une famille laissée derrière soi, mais aussi une assurance de connexion avec la destination. Une fois là-bas, il peut s’avérer un outil de traduction et donc un élément essentiel de communication.

La solidarité passe également par ce micro-objet. Les réfugiés établissent le plus souvent un réseau d’entraide (le plus important est celui de la diaspora syrienne). Cette dimension du “migrant connecté” se retrouve sur l’interface des réseaux sociaux où des groupes sont créés à cet effet.

Concentrés en un lieu précis comme c’était le cas à Calais, les réfugiés s’arment des réseaux sociaux pour subvenir à des besoins élémentaires comme le montre la page Facebook “Jungle Life, Calais”.

Enfin, les applications smartphone sont un impératif: Whatsapp, Viber, GPS… Tant d’icônes qui, pour eux, s’apparente plus un moyen de survie qu’une commodité.

Témoignages

Ce sujet est alors l’occasion de discuter de la place du smartphone dans les expériences de chacun.

Pour Beraat (Turquie), le smartphone a toujours été une habitude dans son travail journalistique: “Avant d’arriver en France j’ai toujours beaucoup utilisé mon portable. Pour faire des photos notamment, c’est plus discret qu’une caméra, personne ne vous dit quoi que ce soit. Une fois ici, le smartphone m’a permis de faire mon documentaire. J’utilise des applications comme Imovie ou Vidéogram.” Le smartphone revêt alors le costume de l’indépendance :”Je n’avais rien pour m’installer, mais le téléphone, lui, il est toujours dans ta poche, ça aide pour tout. Et puis, pour suivre les informations, c’est essentiel”.

Hicham (Maroc) souligne l’importance d’avoir pu rester connecté : “La mobilité de l’objet est très importante. On est prévenu à la moindre urgence même lorsqu’on n’est pas stable”. Un objet qui reste, cependant, à double tranchant :“Ça facilite beaucoup les choses mais c’est aussi un moyen d’être espionné. Les choses sensibles il vaut mieux les dire par messagerie cryptée (…) Après, je ne suis pas comme d’autres réfugiés qui ont du prendre des barques etc, c’était sans doute beaucoup plus important pour eux et indispensable pour se localiser”. 

Dans des situations plus extrêmes, Ahmad* (Syrie) raconte :”Pendant la guerre ce n’était pas facile de se retrouver, de continuer mon métier de journaliste, alors le portable était essentiel“. Ahmad entreprend ensuite un long voyage à travers la Turquie, la Grèce, la Macédoine jusqu’à la France: “Nous étions un groupe et pas de quoi charger les portables la plupart du temps. Alors c’était un téléphone pour tout le monde. Il fallait continuer à savoir ce qui se passait ailleurs, savoir se repérer, chaque jour un nouveau pays avec une nouvelle langue et des nouvelles règles… Et puis j’ai pris des photos sur le trajet aussi.” Une fois en France, le smartphone retrouve une utilité moins dramatique :”L’outil de traduction pour communiquer! Et puis pour rester en contact avec mes amis ici ou ailleurs.”

Des technologies qui s’adaptent à la crise humanitaire

Au Haut Commissariat aux Réfugiés, le wifi est fourni au même titre que la nourriture et les soins. L’illustration d’une prise d’ampleur de la place du smartphone.

Ainsi, des sites et applications comme Net Hope ou I-Need se mettent en place. Preuve de l’importance du téléphone portable: le projet Refugee Phones qui décident de collecter téléphone et chargeurs pour les réfugiés.

 

*le prénom a été modifié

 

La conférence “Migrobjets” a pour but de traiter de la circulation des cultures matérielles des exilés dans les nouveaux médias et dans la construction de la figure du “migrant”.

Une Voix forte s’est élevée au Nord !

“I AM A REFUGEE”

Premier jour de la Convention Nationale sur l’Accueil et les Migrations a Grande-Synthe. Juste après les restitutions des ateliers qui sont fait par mes confrères de la Maison des Journalistes et moi-même, j’ai entendu une chanson. Sous les lumières de la salle de concert de Palais du Littoral Grande-Synthe, des centaines de personnes avait chanté en même temps avec le groupe HK et les Saltimbanks: Refugee, I am a Refugee…

Nous avons déjà dit tous ensemble : “Je suis Charlie”. Pas seulement les français, le monde entier a repris ce slogan. “Nous sommes tous des Arméniens” fut scandé en Turquie après l’assassinat de Hrant Dink en 2007.  Cette fois, dans le froid d’une nuit d’hiver particulièrement glaciale à Grande-Synthe, nous avons proclamé : “Je suis Refugee”.

Durant deux jours, élus, acteurs de la société civile, acteurs institutionnels, chercheurs, étudiants, journalistes, curieux,  personnes migrantes et réfugiés se sont réunis à Grande-Synthe.

Un atelier autour de l’hospitalité

J’avais la chance de participer à l’un des ateliers : “(re)penser les hospitalités: initiatives d’élues en tant que “grand témoin”.

Pendant cet atelier, 9 intervenants ont expliqué leurs expériences de l’accueil. Une des intervenants, Pauline Saget, a souligné que contrairement à la rhétorique de peur qui domine la société et qui est utilisée par les politiciens populistes de l’Europe,  “la migration est une chance”.

Une autre intervenante, Myriam Laidouni Denis, a rappelé un fait simple parfois oublié : “avant d’être des étrangers, les réfugiés sont avant tout des êtres humains”. Nous devons donc trouver la réponse à la question : “Comment peut-on être heureux ensemble ? Puisque nous tous sommes tous dans le même bateau.”

D’autres participants ont soulevé des problématiques récurrentes. Parmi eux, Philippe Bouyssou qui pendant son tour de parole, a appelé l’Europe et l’état français à “prendre sa responsabilité” devant la crise d’accueil des réfugiés. Violaine Carrere valorise dans son discours toutes les initiatives et les manifestations qui sont réalisées par des petites organisations et qu’il est absolument nécessaire de rendre visibles. “La médiatisation, c’est porter à la connaissance du grand public des événements qu’ils ne connaissent pas et qui pourtant existent”.

A la fin de cet atelier, j’ai eu la chance de travailler avec deux étudiants de l’École Supérieure de Journalisme de Lille, Margot Turgy et Bado Vincent, avec qui j’ai préparé un résumé des moments les plus importants de cette réunion. Vous pouvez découvrir notre travail par ce lien.

Au cœur du débat sur l’immigration : un accueil catastrophique ?

A Grande-Synthe, le deuxième jour a été consacré aux tables rondes. La thématique de cette deuxième table ronde “l’accueil des migrants et des réfugiés en France”.

Pour animer ce débat : Catherine Wihtol de Wenden – Politiste et directrice de recherche CNRS (CERI – Sciences Po) ; Aurélien Taché – Député LREM et l’auteur des 72 propositions pour modifier la politique d’intégration ; Benoit Hamon – Fondateur du mouvement Génération.s et ancien candidat à l’élection présidentiel 2017 pour le parti socialiste ; Pierre Laurent – Secrétaire national du Parti Communiste Français ; Patrick Doutreligne – Président de ADOMA, anciennement nommée la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs.

Dublin: “Une vision myope”

Madame Wihtol de Wendenmet met en lumière les recherches sur l’accueil en France. Or, les migrants sont “très mal accueillis” et ce n’est pas nouveau, la France accueille mal les migrants depuis longtemps. Cependant, “mal accueillir” les étrangers ne diminue pas les chiffres des demandeurs d’asile en France.

Monsieur Doutreligne, Président d’ADOMA, a beaucoup critiqué cette hospitalité en soulignant que “le premier accueil est catastrophique”. Qui plus est, ce premier accueil est aggravé par la réglementation de Dublin  qui ne fonctionne pas.

Comment peut-on renvoyer les réfugiés en Grèce ou en Italie, deux pays foudroyés par des crises économiques et politiques successives ? “C’est “une vision myope” aux conséquences dangereuses”.

Monsieur Doutreligne a également critiqué les nouvelles lois de migration proposées par le gouvernement français du Président Emmanuel Macron. Il considère ces lois controversées comme “répressives”. Il critique les propositions et constate que durant l’élection présidentielle, les positions du candidat d’En Marche étaient beaucoup plus ouvertes qu’aujourd’hui. En conséquence, la loi de migration a été beaucoup critiquée. En particulier, la diminution  de la durée lors d’une demande d’asile. Bonne initiative en soi, mais quels sont les moyens accordés à l’OFPRA pour accélérer les processus ? Cette information n’est pas communiquée.

A la fin de ces prises de paroles, le Président d’ADOMA a souligné l’importance de l’apprentissage du français comme facteur primordial d’intégration.

Améliorer la loi sur l’immigration

Monsieur Laurent du Parti Communiste constate que la mondialisation a renforcé une inégalité entre les gens. “Il faut améliorer la loi” et “il est faux de dire la France n’est pas près de faire ce qu’il faut faire”.

Ancien candidat de l’élection présidentielle en 2017, Benoit Hamon est aussi contre la loi. Benoit Hamon dénonce cette loi qui ne sert pas les besoins de la société. Elle suit une opinion qui est créé par la peur. Découvrez ici l’interview exclusive de Benoit Hamon sur la politique étrangère française et l’accueil des migrants.

Devant toutes les critiques par rapport a la loi, Aurélien Taché, auteur des propositions pour le gouvernement français en exercice, n’a pas répondu aux critiques. Il partage le constat sur l’immigration, particulièrement les problèmes d’accueil.  Cependant, Aurélien Taché n’a pas défendu ses propositions et nous sommes donc restés sur une critique actuelle au lieu de débattre de la pertinence des solutions proposées.

A la fin de toutes les tables rondes, Monsieur le Maire de Grande-Synthe, Damien Careme a pris la parole : “C’est juste un départ. On va combattre contre le racisme et les préjugés”.

Pendant la convention, un manifeste réalisé dans une dynamique d’être ensemble et réunissant les associations, les ONG et les élus a été publié. C’est à découvrir ici