Cameroun : Affaire Marafa, l’ex ministre en danger

[Par René DASSIE’]

L’état de santé de l’ancien ministre camerounais de l’Administration territorial, Marafa Hamidou Yaya (cliquez ici pour lire l’article Affaire Marafa Hamidou Yaya : les sorciers noirs sortent de l’ombre, par René Dassié), condamné à 25 ans de prison pour détournement de fonds et considéré par la communauté internationale comme un prisonnier politique suscite de grandes inquiétudes, obligeant pour la première fois les autorités de Yaoundé à envisager son évacuation sanitaire vers l’occident.

Photo tirée de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=6UL4f3HsGto

Photo tirée de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=6UL4f3HsGto

Selon le quotidien Le Messager paraissant à Douala, en réponse à une demande formulée par un proche de l’ancien proche collaborateur du président Paul Biya, le ministre camerounais de la Justice et Garde des sceaux, Laurent Marie Esso, aurait laissé entendre qu’il ne trouverait « aucun inconvénient » à sa sortie du territoire pour raison de santé, si ses médecins locaux ne « trouvent toujours rien ».
Victime il y a une semaine d’un malaise dans sa cellule de la prison de haute sécurité du secrétariat d’Etat à la Défense de Yaoundé où il détenu depuis plus de deux ans, M. Marafa a été transféré d’urgence au centre hospitalier universitaire de Yaoundé où il est toujours interné.
C’est la deuxième fois en moins d’un mois, qu’il est admis dans cet hôpital. Fin juin, il y avait déjà été interné pour une semaine. La presse locale avait alors rapporté une fatigue générale à laquelle s’ajoutaient des troubles stomatiques et visuels, ainsi qu’un paludisme cérébral. Cependant, face au peu de communication sur sa situation réelle, certains avaient cru déceler dans ses conditions d’hospitalisation, notamment son admission dans l’unité de dialyse de cet établissement, des indices d’affections beaucoup plus graves.
« Je suis inquiète pour deux raisons : la première raison c’est que s’il lui arrivait d’avoir la fièvre au point d’être hospitalisé, cela veut dire que c’est très grave. Or il y a quelques années, Monsieur Marafa (…) a dû être évacué parce qu’il faisait un palu cérébral. La deuxième raison c’est qu’on me dit qu’il aurait des problèmes de reins. Ce qui m’inquiète encore davantage», déclarait le 4 juillet sur RFI, Jeannette son épouse, exilée à Paris.
«J’ai connaissance du diagnostic d’un cardiologue réputé qui fait état de ce que M. Marafa a un problème cardiaque et devrait subir des examens et un traitement qui ne sont pas disponibles au Cameroun et certainement pas dans sa prison», laissait déjà entendre fin mars, le professeur de droit Diva Kofélé Kalé, l’un des avocats du prisonnier.
Or, on sait que les hôpitaux camerounais n’ont ni l’expertise ni les équipements adéquats pour traiter efficacement des problèmes rénaux. De nombreux patients, à l’instar de l’écrivain Charles Atéba Eyéné qui n’avait pas pu réunir à temps l’argent nécessaire à son évacuation, sont morts faute de dialyse.

Paul Biya ne peut pas ignorer la santé fragile de M. Marafa qui l’a côtoyé pendant près de deux décennies et donc les dures conditions de détention, dans une cellule aveugle et humide d’environ 3m² contribuent aujourd’hui à accroitre la détresse physique.
Epuisé par le manque de sommeil –plus de dix jours sans dormir pour rattraper in extremis le fiasco des élections couplées, municipales et législatives de 2002 orchestré par son prédécesseur au ministère camerounais de l’intérieur-, il avait développé un paludisme cérébral et n’avait dû la vie sauve qu’à une évacuation sanitaire en France.
«J’appelle toutes les bonnes volontés à m’aider parce que c’est un homme qu’on est en train de tuer. Il ne faut pas attendre qu’il soit mort pour que tout le monde puisse dire quelque chose. J’en appelle à monsieur Hollande. J’en appelle à monsieur Obama. J’en appelle à monsieur Paul Biya de m’aider à sortir Marafa de là. Il en a les possibilités. Il sait que cette affaire est politique. Marafa est innocent. Il le sait. Qu’il le sorte de là ! Qu’il le sorte de là !», a plaidé en sanglot, son épouse, sur RFI.

Le Président Barack Obama e la Première Dame Michelle Obama posent pour une photo au Metropolitan Museum de New York avec Paul Biya, le Président du Cameroun et sa femme, Chantal Biya, le 23 Septembre 2009 (Photo Officielle de la Maison Blanche par Lawrence Jackson)

Le Président Barack Obama et la Première Dame Michelle Obama avec Paul Biya, le Président du Cameroun et sa femme, Chantal Biya, le 23 Septembre 2009 (Photo Officielle de la Maison Blanche par Lawrence Jackson)

Depuis le déclenchement de l’opération d’assainissement des mœurs publiques au Cameroun, plusieurs personnalités sont décédées en détention. Le 8 mai, Henri Engoulou, 60 ans, ex-ministre délégué aux Finances en charge du Budget, poursuivi dans la même affaire que la franco-camerounaise Lydienne Yen-Eyoum s’est éteint dans le dénuement le plus total dans un hôpital de la capitale camerounaise, après quatre ans d’emprisonnement sans jugement, et n’avait plus de quoi payer ses frais d’avocats.
Un peu moins de deux mois avant lui, c’était l’ancienne secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires, Catherine Abena qui rendait l’âme dans un hôpital de Yaoundé, à la veille de ses soixante ans. Accusée de détournement de deniers publics, elle avait entamé une longue grève de la faim lors de sa détention préventive de plus d’un an. Innocentée et libérée en 2011, elle n’avait jamais pu correctement se rétablir.
La décision d’ordonner ou non l’évacuation de M. Marafa dépend entièrement de Paul Biya, qui doit se rendre au sommet Etats-Unis Afrique qui s’ouvre ce mardi à Washington.

Côte d’Ivoire : À quand la justice pour les massacres de Nahibly?

 [Par Carole Attioumou-Serikpa]

Après les massacres de Guitrozon en 2005 et de Duékoué Carrefour en 2011, le massacre du camp de réfugiés de Nahibly, en 2012, est celui qui a suscité la plus vive indignation des organisations internationales des Droits de l’Homme. Jusqu’à ce jour les enquêtes, quand elles ont été ouvertes, n’ont rien donné. Ce massacre, commis dans un camp de réfugiés situé pourtant à quelques pas seulement de la base de l’Organisation des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), a fait près de 300 morts et de nombreux disparus.

Le camp de Nahibly après le massacre [Photo tirée de civox.net]


Le camp de Nahibly après le massacre [Photo tirée de civox.net]

Ces tueries sont survenues après la décision du gouvernement ivoirien de fermer le camp. Le préfet militaire de Duékoué, le lieutenant Koné Daouda, dit Konda, pour aller dans la direction de ses dirigeants, avait en effet déclaré : «Nous n’allons pas rester les bras croisés pendant longtemps. Il faut que le site soit fermé pour éviter qu’il ne devienne le nid de malfaiteurs».

Les occupants de ce camp sont d’ethnie Guéré, donc taxés pro-Gbagbo. Le principal témoin, un rescapé, qui a conduit les chaînes de télé et les différentes organisations des Droits de l’Homme à la découverte de certains corps, Alex Saint-Joël Gnonsian, 25 ans, a, lui, été assassiné dans la nuit du 30 au 31 décembre 2013.

Voici son témoignage lors de la découverte des puits: «Nous avons été transportés jusqu’à l’usine de traitement des eaux de la SODECI (Société de Distribution d’Eau de la Côte d’Ivoire) par les gardes du corps du commandant des FRCI (Forces Républicaine de Côte d’Ivoire) de Konda. Il s’agit alors du caporal et chef de sécurité de Konda, du caporal Ben qui est maintenant au CCDO (Centre de Coordination des Décisions Opérations), du caporal « Tout petit ». Arrivés sur place, les militaires ont demandé aux Dozos de leur montrer un puits perdu. Un Dozo a montré le puits perdu. Nous avons été alignés sur les bords. Nous étions 7. Ils ont ouvert le feu et je me suis jeté dans le puits en faisant le mort. Quand ils sont partis, je suis sorti du puits pour me cacher dans la brousse. De là, je voyais les allées et venues des hommes de Konda; lui-même est venu à bord de sa voiture. Plusieurs corps ont été jetés dans les puits environnants. 10 puits ont été répertoriés. L’ONUCI garde l’endroit depuis octobre 2012. Je souhaite que justice se fasse, c’est pourquoi j’ai décidé de montrer ces puits où mes amis d’infortune de Nahibly sont enterrés».  La mort de ce dernier qui aurait dû être sous la protection des organisations des Droits de l’Homme, est restée tout aussi impunie que les autres.

À l’occasion du premier anniversaire du massacre, le rapport d’Amnesty International, daté du 29 juillet 2013, déclarait en substance ceci: «…Face à ce climat d’impunité profondément ancrée, Amnesty International a appelé, dans un document publié en février 2013, à l’établissement d’une commission internationale d’enquête sur les violations et atteintes aux droits humains commises à Nahibly. Les autorités ivoiriennes ont rejeté cette recommandation affirmant que la justice nationale avait la capacité et la volonté de faire la lumière sur ces événements et de fournir une réparation aux victimes. Cependant, force est de constater que, cinq mois plus tard, aucun signe tangible ne vient indiquer que cela est le cas». Elle invitait, toujours dans ce même document qui marquait le premier anniversaire de l’attaque contre le camp de Nahibly «…le président Alassane Ouattara à tenir ses promesses faites, à plusieurs reprises, de lutter contre l’impunité et d’assurer justice, vérité et réparation à toutes les victimes de la crise post-électorale».

Le rapport est clair. Le gouvernement ivoirien qui a rejeté la compétence d’une commission d’enquête internationale, manquerait jusque-là de volonté pour enquêter sur ces massacres. En attendant les enquêtes sur la rébellion de 2002, sur les différents massacres à l’ouest du pays, sur l’attaque d’Anonkoua-kouté, sur l’assassinat du français Phillipe Rémond lors la progression des FRCI sur Abidjan, les présumés coupables seraient royalement décorés par le pouvoir d’Abidjan. Et dans le même temps, depuis 2011, date de la chute de l’ancien pouvoir, des distinctions seraient opérées entre les victimes et un acharnement judiciaire serait exercé contre les adversaires du camp Ouattara.

QUI METTRA FIN AUX ATROCITÉS DANS LE KATANGA?

[Par KIKI, journaliste-photographe reporter du peuple, chroniqueur animateur socioculturel, pédagogue linguiste et défenseur des droits humains (*)]

Pour ceux qui ne connaissent pas le Katanga, il s’agit tout simplement d’une province très riche en ressources minières qui est située dans le sud de la République Démocratique du Congo. La ville de Lubumbashi est le chef-lieu de cette province, sa plus grande partie se trouve dans la République de la Zambie. Le Katanga partage ses frontières avec les provinces zambiennes de Luapula, du Copperbelt et du Nord-Ouest; elles ont d’ailleurs beaucoup en commun: mêmes tributs, mêmes langues locales, coutumes et cultures similaires. Par contre la langue officielle est différente : au Katanga, c’est le français belge, et en Zambie, c’est l’anglais. Enfin le Katanga partage aussi ses frontières avec l’Angola au sud.

monusco

La Monusco en Katanga (Photo tirée par http://fr.africatime.com/)

L’Histoire du Katanga est longue, mais en un mot, la partie qui nous intéresse n’a pas commencée aujourd’hui. C’est une histoire qui date de l’époque coloniale belge et qui a toujours entrainé des violations massives des droits de l’Homme et des droits humanitaires. Les colonisateurs belges avaient accordé son indépendance à la R.D.C. en 1960, avec comme premier président Kasa-Vubu, et comme Premier ministre Patrice Lumumba, mais le Katanga fit sécession et devint un pays à part entière en 1961, avec comme premier président Moise Tshombe, d’où la confusion totale. Enfin a lieu le coup d’Etat du général Mobutu, qui finira par faire exécuter illégalement et d’une façon très inhumaine le fameux Premier ministre socialiste de la R.D.C. Patrice Lumumba au Katanga. Enfin, il mettra fin à la sécession du Katanga et le rattachera à la R.D.C comme province de la R.D.C.

Depuis lors, le peuple du Katanga n’a jamais connu une paix permanente. Il y eu encore des violations des droits de l’Homme, des tensions et des guerres civiles dans les années 1990 et 1996, entre le peuple kasaïen “Bilulu” du fameux politicien Tshisekedi wa Mulumba et le peuple katangais “Batoto ya maman” avec le fameux politicien Baba Kyungu wa Kumwanza. Maintenant, une chose surprend : le président “Mzee” Kabila, l’homme qui a renversé le maréchal Mobutu, est originaire du Katanga. Alors, si celui qui est au pouvoir est le vrai fils de Kabila, pourquoi ne parvient-il pas à trouver une solution aux problèmes des Katangais?

Récemment, en 2013, il y a eu des tueries entre les sécessionnistes rebelles Maï-Maï katangais et les forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC). On a assisté à une violation répétée des droits de l’Homme : enrôlement par la force d’enfants soldats, viols de femmes, tortures de suspects civiles et de journalistes innocents accusés de collaborer avec les leaders sécessionnistes katangais exilés en Zambie, ainsi qu’avec des ex-gendarmes katangais réfugiés en Angola.

Malgré la présence de la MONUSCO (La Police de la Mission de l’ONU pour la Stabilisation en République démocratique du Congo ), le peuple innocent souffre, accablé par la faim parce que ses champs et ses maisons ont été brûlés, soit par les soldats du gouvernement (soi-disant, c’est vous qui soutenez les rebelles sécessionnistes katangais), soit par les rebelles sécessionnistes parce que vous refusez de nous soutenir pour libérer le Katanga.

Le peuple est victime de fréquentes violations des droits humains, commises aussi bien par les forces gouvernementales que par des groupes rebelles ou sécessionnistes armées ou non armées katangais.

katanga

La province du Katanga, qui est située dans le sud de la République Démocratique du Congo.

Pendant la déclaration de la sécession du Katanga à Lubumbashi figuraient notamment parmi les atteintes aux droits humains : les assassinats de civils (hommes, femmes et enfants) non armés et innocents, les accusations infondées, les arrestations et détentions injustifiables, les tortures, les viols des jeunes filles et femmes innocentes et vulnérables, la répression de la presse libre et indépendante, la torture des journalistes indépendants, les mauvais traitements dans des centres de détention non-officiels administrés par des services de sécurité indépendants et hors de tout contrôle de l’autorité judiciaire, et surtout la persécution des défenseurs des droits humains et la persécution de journalistes.

La liberté de la presse, celle qui dénonce et informe la communauté internationale pour que celle-ci puisse agir et délivrer des mandats d’arrêt internationaux (comme par exemple dans le cas de Jean-Pierre Bemba Gombo), n’existe pas. Certains soldats du gouvernement disent : « si tu me filmes ou si tu prends une photo de moi, je te tue, toi, et toute ta famille. Moi, je ne suis pas ton grand-père! ». Ainsi, la liberté de la presse est menacée et la presse elle-même est accusée de soutenir la sécession du Katanga.

Voilà. Ce qui est important, c’est de savoir pourquoi le peuple katangais veut la sécession du Katanga. Cela ne sert à rien de s’entre-tuer. Souvent, ce sont les femmes et les enfants innocents qui en souffrent le plus avec les violations des droits de l’Homme. Alors c’est à vous, vous la communauté internationale, l’Union Africaine, l’ONU, la SADC. Vous êtes informés. Quelles sont vos réactions? Le peuple katangais a besoin de votre intervention rapide…

 

(*) Ceux qui veulent faire des commentaires ou m’informer pour que je puisse informer aussi les autres, écrivez à KIKI.voixdupeuple @ gmail . com 

Cameroun : le combat de Jeannette Marafa

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

C’est bien connu: l’amour est la plus grande des forces, et le meilleur avocat d’un homme en difficulté c’est son épouse. Jeannette Marafa, l’épouse de l’’ancien ministre d’État camerounais chargé de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt-cinq ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et reconnu par la communauté internationale comme un prisonnier politique, se bat en première ligne pour desserrer l’étau politico-judiciaire qui s’est refermé sur lui et obtenir sa libération. Il y a trente ans, elle l’avait déjà sauvé du peloton d’exécution, peu après un coup d’Etat manqué contre Paul Biya.

Ce sont les aléas de la vie qui ont poussé au-devant de la scène cette mère de famille discrète, qui, en dépit d’une solide formation universitaire, avait choisi de vivre à l’ombre, pour assurer les arrières de son grand commis d’État d’époux, aujourd’hui enfermé dans une prison de haute sécurité à Yaoundé.
Séparée malgré elle de son mari, retirée à Paris auprès de ses trois enfants, tous jeunes adultes et scolarisés dont elle assure désormais seule l’autorité parentale, Jeannette Marafa est marquée par l’épreuve que traverse sa famille; mais elle a refusé de baisser les bras. Elle est restée digne. Aussi bien à l’aise en tailleurs européens qu’en robes africaines, elle n’a rien perdu de son élégance de femme Douala, son ethnie d’origine. C’est une « femme debout », comme diraient les Antillais.

Elle court les médias, mobilise les avocats, fait du lobbying politique, apporte son expertise au comité de libération des prisonniers politiques camerounais (CL2P). Car elle en est convaincue : l’homme qui partage sa vie depuis plus de trois décennies n’est pas coupable des faits pour lesquels il a été condamné à vingt-cinq ans de prison, il y a deux ans.

« Marafa est innocent »

« Le motif qui a été retenu contre lui, la complicité intellectuelle, n’existe pas en droit pénal camerounais et même français. Cela vient du fait que l’un des accusés était considéré comme un ami de mon mari. Le juge, en rendant sa décision, a d’ailleurs bien spécifié qu’on n’avait rien trouvé prouvant la culpabilité de mon mari. Cependant, comme il connaissait Monsieur Fotso [l’ancien administrateur directeur général de la Camair condamné dans la même affaire NDLR] depuis 1993, il a aussi été déclaré coupable », a-t-elle clamé récemment sur la radio Africa N°1 lors du « Grand débat », une émission consacrée au décryptage de l’actualité française et internationale, animée par le journaliste Francis Laloupo.

Elle explique que son époux n’a joué aucun rôle déterminant dans l’affaire dite de «l’Albatros», du nom de l’avion de Paul Biya, dont l’achat controversé a conduit nombre de dignitaires camerounais en prison : ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de commander cet avion. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de débloquer les quelques trente millions de dollars affectés au paiement de cet aéronef et qui auraient été détournés, mais l’ancien ministre camerounais des Finances, Michel Meva’a Meboutou, lequel n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de commander un autre avion que celui initialement prévu. Il n’a participé ni de près ni de loin à l’accord par lequel l’Etat du Cameroun et Boeing, le vendeur de l’avion, se sont entendus pour solder cette affaire. L’avocat de l’État du Cameroun dans ce dossier, l’ancien bâtonnier Akéré Muna, a d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse à Yaoundé que l’avion avait bien été livré et que les autorités camerounaises ont perçu des indemnités compensatrices du retard observé dans la transaction. « Mon mari n’a jamais été concerné par tout cela », conclut Jeannette Marafa.

A l’en croire, c’est parce que son époux n’avait rien à se reprocher qu’il a refusé de s’enfuir, alors même qu’on l’avait prévenu qu’il serait arrêté.

Jeannette Marafa s’en souvient comme si c’était hier. Début avril 2012. Son conjoint n’est plus ministre depuis un remaniement gouvernemental intervenu cinq mois plus tôt. Il manifeste son souhait d’aller en vacances en France. Au secrétariat général de la Présidence camerounaise, on lui fait savoir verbalement que le président Paul Biya a donné son accord. Mais il exige d’en être notifié par écrit. Une prudence qui l’aurait sauvé d’une situation beaucoup plus fâcheuse qu’une simple arrestation.

Alors qu’il attend toujours son autorisation de sortir du territoire, Une de ses connaissances lui téléphone de l’étranger pour le prévenir : son arrestation est imminente. Ses recoupements sur place lui permettent de confirmer cette information. Sur ces entrefaites, il reçoit, le 14 avril, deux convocations émanant de deux unités d’investigations différentes : il est invité à se rendre le 16 avril 2012, à la même heure, auprès du juge d’instruction et à la police judiciaire de Yaoundé. Il a encore deux jours devant lui. C’est largement suffisant pour s’enfuir ou demander l’asile politique dans l’une des représentations diplomatiques occidentales de la capitale camerounaise.

Mais, stoïque, il choisit de faire face. « Mon mari est un homme d’État qui se sait innocent. Il a servi Monsieur Biya et l’État du Cameroun avec toute son honnêteté, toute sa vigueur. Il a donné de son temps. Il a donné de son énergie. Il en a même oublié sa famille. Il a présenté plusieurs fois sa démission à Monsieur Biya, lequel ne l’a pas acceptée. Marafa n’est pas de ces personnes qui refusent d’affronter la réalité », assure Jeannette Marafa. Sans surprise, l’ancien ministre est placé en garde à vue au terme de son interrogatoire policier, puis placé sous mandat de dépôt. A la surprise générale, il est condamné à 25 ans de prison. La sentence est lue par un juge qui reconnaît lui-même l’absence de preuves contre lui.
Pour son épouse, c’est l’aboutissement d’une opération de diabolisation qui a duré bien longtemps. On sait en effet que deux ans plus tôt, le 9 février 2010, lors d’un entretien avec l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Mme Janet E. Garvey, Marafa Hamidou Yaya a confié à la cheffe de la mission diplomatique américaine que le Président Paul Biya se servait de la campagne anticorruption baptisée « Épervier » pour tenir en respect ses collaborateurs comme ses opposants. « Je peux me retrouver en prison », lui dit-il. Des confidences transcrites dans un compte-rendu de l’ambassadrice au gouvernement américain qui ont été dévoilées par Wikileaks.

« La déconstruction de l’image de Marafa ne s’est pas faite en un an. Elle s’est étalée sur plusieurs années. Vous pouvez imaginer l’effet sur nos enfants, d’apprendre dans les journaux, sur les réseaux sociaux que leur père est un voleur. Des choses qu’ils ne connaissent pas », se plaint Jeannette Marafa, qui poursuit : « La réalité dans la famille que nous avons eu le bonheur de construire, c’était l’honnêteté. Lui, il est musulman, moi je suis chrétienne pratiquante. Nous ne sommes pas des voleurs. Il y en a plein autour de Paul Biya. Il connaît Marafa, il connaît son honnêteté, il connaît sa franchise ».

Tentatives d’intimidation à Paris

L’exil parisien de Jeannette Marafa, qui avait quitté le Cameroun la veille de l’arrestation de son époux, n’est pas du tout tranquille. « J’ai eu peur pour tout le monde, pour moi, pour mes enfants. J’ai été menacée plusieurs fois. On a dévissé les roues de ma voiture une première fois et j’ai failli avoir un accident. La deuxième fois, on a cassé complètement ma voiture. J’en ai appelé aux autorités françaises qui m’ont proposé une protection policière ». D’autre part, elle explique que les avocats de son époux travailleraient dans des conditions difficiles. Alors que ceux du Cameroun subissent des pressions, leurs confrères parisiens ont essuyé des refus de visa d’entrée au Cameroun.

Toutes choses qui n’entament pas la détermination de l’épouse de l’ancien ministre.

Jeannette Marafa se dit optimiste et confiante vis-à-vis de la Justice camerounaise « menée par des magistrats compétents », qui ont déjà eu à corriger des erreurs, comme dans le cas du colonel Edouard Etondé Ekoto, l’ancien délégué du Gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, acquitté par la Cour suprême de Yaoundé fin avril, après avoir été condamné en instance à vingt ans de prison pour détournement de fonds. En attendant la convocation de son mari devant cette haute juridiction, elle ne ménage pas ses efforts. Elle a ainsi obtenu l’entrée dans le dossier de son conjoint de Me Jean-Pierre Mignard, un ténor du barreau de Paris, avocat et confident du président François Hollande. Il y a trente ans, en remuant ciel et terre, Jeannette Marafa avait évité à son époux le peloton d’exécution des putschistes désignés du 6 avril 1984 au Cameroun. Plus tard, le calme revenu, les enquêtes avaient prouvé que le jeune ingénieur en pétrochimie d’alors n’avait rien à voir avec ceux qui avaient tenté de renverser Paul Biya.

Affaire Marafa Hamidou Yaya : les sorciers noirs sortent de l’ombre

[Par René DASSIE]

Image tirée par Agence Ecofin

Marafa Hamidou Yaya. Image tirée par Agence Ecofin

Après les révélations de l’ex-prisonnier Michel Thierry Atangana sur la popularité aux États-Unis de Marafa Hamidou Yaya, l’ancien ministre camerounais de l’Administration condamné à 25 ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et considéré par la communauté internationale comme un prisonnier politique, on se doutait bien que les francs-tireurs du régime de Yaoundé sortiraient de l’ombre pour réagir. Et ils n’ont pas tardé : la romancière Calixthe Beyala et un lampiste exilé en Amérique se sont relayés dans les médias pour répandre, à force de calomnie et de diffamation, leur venin sur le célèbre pensionnaire du Secrétariat à la Défense de Yaoundé.

La récente sortie de Calixthe Beyala, romancière anciennement célèbrene surprend que ceux qui pensent à tort que son engagement désintéressé en faveur des droits de l’homme se poursuit encore. En réalité, l’auteure de La plantation, roman polémique dans lequel elle prend la défense des fermiers blancs victimes de la redistribution des terres orchestrée par le président Robert Mugabe, se serait inscrite depuis longtemps chez ces panafricanistes alimentaires qui écument les plateaux de télé chaque fois que la moindre critique est émise à l’endroit des Africains ou d’un dictateur du continent pour crier leur rage feinte, inhibant du même coup toute amorce d’autocritique chez les concernés. Le nouveau pouvoir ivoirien l’a accusée d’avoir marchandé son activisme bruyant en faveur du président déchu Laurent Gbagbo et une procédure judiciaire avec commission rogatoire a été initiée contre elle pour “recel de fonds volés ou détournés et blanchiment de capitaux”. On la sait à tu et à toi avec le Président Paul Biya. Chacun le sait: c’est socialement sécurisant d’avoir des amis riches et puissants.

Qu’elle vienne de la sorte déclarer sur la chaîne privée camerounaise Canal 2 que c’est M. Marafa qui organisait la fraude électorale au Cameroun participe aussi d’une stratégie de contre-attaque face à la popularité grandissante de l’ancien ministre qui, depuis sa prison, continue, par une correspondance régulière, à se préoccuper de l’avenir de son pays. Il s’agit manifestement d’une tromperie.

Pour rétablir les faits, il convient de rappeler le rôle joué par Marafa Hamidou Yaya dans le processus électoral camerounais. Après une longue carrière à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et un passage à la Présidence de la République comme conseiller spécial, puis secrétaire général, celui-ci ne devient ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation que fin août 2002. C’est-à-dire dix (10) ans après la première élection multipartite camerounaise, celle de 1992.

On sait d’ailleurs dans quelles conditions il débarque dans le processus électoral: il doit rattraper in extremis le fiasco des élections couplées, municipales et législatives, de 2002. Le ministre Ferdinand Koungou Edima s’est montré complètement défaillant, et des départements entiers n’ont pas reçu de bulletins de vote, tandis que d’autres se sont retrouvés avec des cartons qui ne leur étaient pas destinés. L’élection a été reportée le matin du vote. Les observateurs de la vie politique camerounaise, depuis le retour au multipartisme, savent qu’on frôle alors une crise et que, le contexte électrique aidant, la paix sociale est menacée. Il faut en urgence un pompier. M. Marafa, encore Secrétaire général de la Présidence de la République, se voit déléguer le rattrapage du scrutin : il a dix (10) jours pour y parvenir. S’il réussit son coup, ses proches savent qu’il y laisse des plumes. Épuisé par le manque de sommeil, il manque de peu d’y passer.

Dans sa lettre ouverte adressée à Paul Biya moins d’un mois après son arrestation mi-avril 2012, il fait savoir au Président que bien qu’il ait toujours été loyal à son égard, il n’a jamais abdiqué son indépendance d’esprit et sa liberté de parole. De sorte qu’après la présidentielle de 2004, il lui avait rappelé que, le septennat en cours étant son dernier mandat, il fallait se mobiliser pour le succès des «grandes ambitions (…) afin que votre sortie de la scène politique se fasse avec fanfare, que vous jouissiez d’un repos bien mérité, à l’intérieur de notre pays». De là à dire qu’il fut à la manœuvre pour prolonger le séjour du Président Biya à la tête du pays, c’est prendre des vessies pour des lanternes.

Le lampiste de Boston. S’il ne traitait pas de sujets graves engageant la vie et l’honneur d’un homme, on ne se serait pas attardé outre mesure sur le texte écrit avec la tonalité, le vocabulaire et l’argumentaire d’une conversation de bistrot par un Camerounais qui se présente par ailleurs comme un professeur de lettres vivant aux États-Unis.

Allant plus loin que la romancière parisienne, celui-ci accuse M. Marafa d’avoir rempli les prisons camerounaises et d’être le favori intéressé des occidentaux dans la course successorale à la tête du Cameroun.

Il convient à ce sujet de rappeler qu’au Cameroun, contrairement à d’autres pays, la police et la gendarmerie ne font pas partie du ministère de l’Administration du territoire, mais relèvent d’entités ministérielles autonomes rendant compte directement au chef de l’État (respectivement la Délégation Générale à la Sûreté Nationale et le secrétariat d’État à la Défense, anciennement Délégation Générale à la Gendarmerie Nationale), et que M. Marafa n’a été ni Délégué général à la Sûreté Nationale (police) ni Secrétaire d’État à la Défense (gendarmerie), encore moins juge aux ordres de l’exécutif ou ministre de la Justice. Comment aurait-il donc pu exercer des attributions qui ne relevaient pas de son domaine de compétence? À l’opposé, l’honnêteté commande de constater qu’il n’a pas ménagé ses efforts pour moderniser la gestion du Cameroun. La décentralisation du territoire par exemple porte l’encre indélébile de sa signature.

Si l’on l’apprécie M. Marafa, c’est que sa personnalité et sa probité morale en imposent.
Et la comparaison avec des personnages comme Jean Marie Pougala, « géostratège » autoproclamé, confus et douteux, qui écrit comme il parle avec le même langage approximatif et traite Nelson Mandela de traître, tient de la plaisanterie de mauvais goût.

Tous ceux qui ont pu le voir, même en prison, comme Dominique Sopo, économiste et ancien président de Sos Racisme, ont tout de suite perçu la dimension d’homme d’État de M. Marafa. Les Camerounais sont un peuple mature et savent distinguer le bon grain de l’ivraie. Si aujourd’hui, toutes ethnies et confessions religieuses confondues, ils adhèrent à sa vision d’un pays sûr et prospère, c’est sans doute parce qu’ils comprennent, en considérant son parcours et en lisant les tribunes qu’il leur offre depuis sa cellule comme des lampes pour les éclairer sur leur avenir, qu’il se place largement au-dessus du lot et sait faire abnégation de sa propre personne pour s’occuper des problèmes bien plus importants de ses deux dizaines de millions de concitoyens. C’est effectivement comme si la séquestration dans une zone de non-droit avait libéré une parole indispensable, trop longtemps contenue. L’histoire de la vie des nations montre que les réformateurs les plus efficaces sortent souvent du sérail. L’actuel président du Sénégal par exemple, Macky Sall, a été tour à tour ministre et Premier ministre d’Abdoulaye Wade avant de passer à l’opposition et de ravir la présidence de la République à son ancien mentor, à l’issue d’un scrutin électoral exemplaire.

Présenter M. Marafa comme le « bon valet » qui irait brader son pays aux occidentaux en échange de leur soutien traduit une méconnaissance totale de la géopolitique actuelle. Confrontés à une crise économique qui perdure et régulièrement critiqués pour leur passé colonialiste, les Etats occidentaux n’ont aucun intérêt à voir émerger en Afrique des tyrans incompétents qui sèmeraient le chaos, détruiraient des vies humaines et leur enverraient des vagues de réfugiés et exilés économiques qu’ils ne savent plus gérer. Cela coûte cher à l’État français par exemple, d’avoir à intervenir au Mali pour sauver les institutions menacées par une rébellion djihadiste ou d’aller en Centrafrique stopper une guerre d’épuration ethnico-religieuse déclenchée dans la confusion d’un coup d’État militaire. C’est-à-dire que des pays africains politiquement stables et économiquement viables arrangeraient les affaires des pays développés. Eu égard à leur longue expérience de la démocratie, les dirigeants de ces pays savent qu’en politique, l’homme providentiel n’existe pas. Seuls comptent le projet et la capacité à le défendre. M. Marafa n’a sur ce plan jamais demandé à personne de l’installer au pouvoir. Son souhait a toujours été qu’on aide son pays à s’installer dans la modernité et le développement.

Qu’on continue à l’attaquer aujourd’hui, après lui avoir collé une affaire – dans laquelle le procureur de la République a lui-même reconnu qu’il n’avait aucune responsabilité – n’est que la suite logique d’une opération de diabolisation qui a commencé bien longtemps avant son arrestation. Au Sénégal, Macky Sall fut accusé de blanchiment d’argent avant de bénéficier d’un non-lieu. Cela ne l’empêcha pas d’être ensuite élu président par un peuple qui avait su garder sa lucidité.

France-Rwanda : relations en dents de scie

[Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais]

Le 7 avril de chaque année, date-anniversaire du génocide rwandais, en 1994, le « Kwibuka » (se souvenir, en français) prend les dimensions d’une grande journée historique, où se mêlent sentiments de douleur et volonté de renforcer le processus de catharsis. Lors du 20e anniversaire cette année, le président Kagamé en a profité pour désigner les « complices » de cette tragédie. Parmi les coupables : la France, la Belgique et la communauté internationale.

Le 7 avril 2014, journée officielle de commémoration de Kwibuka20 (se souvenir), au stade Amahoro, où a eu lieu le discours du président Paul Kagame.  [Photo tirée par Pscholastiquemukasonga.net]

Le 7 avril 2014, journée officielle de commémoration de Kwibuka20 (se souvenir), au stade Amahoro, où a eu lieu le discours du président Paul Kagame.
[Photo tirée par Pscholastiquemukasonga.net]


Ce n’est pas la première fois – c’est devenu une rengaine – que la France est pointée du doigt par le Rwanda pour sa collaboration, supposée, avec les génocidaires hutus. Depuis, les relations entre Kigali et Paris se sont brouillées, connaissant des moments de répit et d’autres de tensions extrêmes, jusqu’à dicter, en 2006, la rupture des relations diplomatiques.
Qu’en est-il au juste ? Depuis vingt ans, selon les circonstances, on assiste toujours au même scénario : le Rwanda accuse, la France nie en bloc. De part et d’autre, on s’est même employé à démontrer la « vérité », à travers les commissions d’enquête parlementaire. Apparemment, rien n’y a fait. L’opacité sur des faits majeurs du dossier est restée intacte, tel que l’assassinat du président hutu Habyarimana, dans l’avion détruit par un missile, la veille du génocide, sous le ciel de Kigali. On considère cet acte, auquel on associe aussi la main de la France, comme l’élément déclencheur du génocide.

Paul Kagamé [Photo tirée par yfcrwanda.com]

Paul Kagamé [Photo tirée par yfcrwanda.com]

Dans le livre « La nuit rwandaise. L’implication française dans le dernier génocide du siècle », de Jean-Pierre Gouteux, paru en 2002, l’auteur enfonce le clou : «  Ainsi, les enfants des écoles apprendront que Mitterrand est le président sous le règne duquel la République française a soutenu un Etat génocidaire ».
Toutes ces affirmations (sans preuves) appellent au moins trois questions essentielles : les militaires français étaient-ils présents au Rwanda avant et pendant le génocide ? Comment ont-ils participé au génocide ? Les relations entre le Rwanda et la France finiront-elles par s’apaiser ?
Les militaires français étaient présents à Kigali, dans le cadre de vieux accords de coopération signés, en 1962, entre le premier président rwandais Kayibanda et le général de Gaulle. Ils étaient là à la demande du président Habyarimana pour former l’armée rwandaise, en lutte contre le FPR (Front Populaire Rwandais), aujourd’hui au pouvoir à Kigali. Arrivés au Rwanda alors que le génocide était déjà en cours, les militaires de l’opération « Turquoise » pouvaient-ils opérer au grand jour ? Sur tout cela, le doute plane. Quant aux relations, en dents de scie, entre la France et le Rwanda, les derniers développements du dossier laissent penser que l’on est encore loin de la lune de miel entre les deux protagonistes.
Au fait, quand le président Kagamé, qui a renoncé à apprendre le français, assena dans la langue de Molière, le 7 avril, cette formule : « les faits sont têtus », ce n’était pas pour amuser la galerie. C’était plutôt une façon de dire, avec force, que la France fut complice du génocide rwandais.

«Nous aurons toujours Paris»

[Par Jesús ZÚŇIGA, journaliste cubain]

Traduit de l’espagnol au français par Marta Alvarez Izquierdo
Article original en espagnol Zuniga_es

Marine Le Pen, leader du Front National, lors de la victoire aux européennes

La leader du Front National, Marine Le Pen, vue comme nouvelle Jeanne D’Arc, lors de la victoire aux européennes (frontnational27.com)

C’est confirmé. En France, les élections européennes ont été un véritable séisme politique. Il ne s’agit pas d’une vague bleue ou rose, mais plutôt d’un véritable tsunami bleu Marine qui, ce dimanche, est passé au dessus des principaux partis politiques traditionnels de la Vème République en France, et du Président François Hollande en particulier qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, a déçu presque tout le monde.

Avec 24,85% des voix selon les chiffres définitifs du Ministère de l’intérieur français, la victoire du Front National (le parti d’extrême droite) lors des élections européennes qui viennent d’avoir lieu fait du FN le premier parti politique de France ainsi que le grand vainqueur de ces élections à dimension européenne.

Même si la victoire du parti d’extrême droite de Marine Le Pen n’est pas une surprise puisque différents sondages d’opinion publique l’avaient anticipée depuis plusieurs semaines, son ampleur est surprenante et devient un avertissement, encore un pour François Hollande dont la gestion du pays n’est approuvée que par 11% des français. Il est aujourd’hui le Président le plus impopulaire de la Vème République, conséquence de ses médiocres démarches économiques (malgré ses promesses), mais aussi dû à un taux de chômage élevé pour les standards nationaux : 10,2%. Le déclin du mode de vie français et l’avancée de l’extrême droite, allant jusqu’à se placer en première force politique pour la première fois dans l’histoire, ce n’est pas une mince affaire.

La France est un des six pays fondateurs de l’Union Européenne. Il s’agit de la quatrième puissance économique du G-8 après les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, ou de la cinquième si l’on tient compte de la Chine. Avec 68 millions d’habitants, elle représente seulement 1% de la population de la planète, mais elle détient 3,1% du PIB mondial. Il s’agit du troisième pays récepteur d’investissements étrangers, le deuxième fournisseur de services, le deuxième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires, la quatrième puissance commerciale (quatrième exportateur et cinquième importateur), et elle occupe la cinquième place en ce qui concerne la production industrielle. C’est, de plus, la première destination touristique du monde. Et pourtant, la crise économique, politique et culturelle que subit le pays a poussé ses habitants à « s’asseoir sur le divan » : les français voient comment leur fameuse qualité de vie s’évanouit, une véritable histoire de succès social difficilement comparable. Dans une société dans laquelle on conçoit le débat public comme un des « beaux arts », la désaffection politique s’enracine.

En France, de la même façon que dans le reste de l’Europe, les populismes recueillent les fruits du mécontentement, du chômage grimpant, et des conséquences d’une effrayante crise économique qui a laissé derrière elle beaucoup de victimes et provoquée le divorce entre les hommes politiques et les citoyens.

Marine Le Pen, probablement la politicienne avec le plus d’habileté pour percevoir les ressentis de la rue, a pris le relais du FN en 2011, et a depuis constamment recyclé le discours populiste d’extrême droite du parti, en arrivant même à le rendre acceptable pour l’extrême gauche, en plagiant même certains fameux intellectuels anti-globalisations qui ne partagent pas les thèses du Front National. Résultat : Essor incontrôlable du FN et effondrement du Parti socialiste (13,98% des voix).

Non seulement elle est un des leaders politiques les plus appréciés par ses compatriotes, mais en plus, Marine Le Pen et le FN détiennent en ce moment 14 mairies et 71 départements en France. « Il y a six ans, on pensait qu’on était mort » déclarait-elle sur BFMTV le dimanche 25 mai. On estime que 38% de ses électeurs appartiennent à la classe ouvrière, et même si cela semble incroyable, ils sont en train de gagner des sympathisants parmi les français issus de l’immigration, surtout des jeunes, d’après les résultats que le parti a eu à Marseille et dans le nord. Et ceci est dangereux car la recette économique et sociale de Marine Le Pen pour « sauver » la France est de freiner l’immigration, mettre en place le protectionnisme et abandonner l’euro et l’Union Européenne.
En pensant à 2017, le véritable objectif de madame Le Pen, certains pensent déjà qu’une répétition de l’épisode de 2002 afin d’empêcher la victoire du FN ne serait pas insensée, même si sa performance lors des élections du dimanche 25 mai n’a provoquée aucune réaction collective en France.

Si la classe politique européenne et française ne réagit pas, même si la droite conservatrice et la gauche social-démocrate sont toujours majoritaires à Bruxelles, Marine le Pen démentira Bogart dans « Casablanca » : « Nous aurons toujours Paris ». Et si cela se produit, comme il dit à Bergman : « On le regrettera, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais bientôt, et pour toujours. ».

En fin de comptes, la France a toujours été un laboratoire de l’avenir. Pour le bien et pour le mal.