Cérémonie du “Bâillon d’or”, une offensive contre la loi du secret des affaires

Ce mardi 12 juin se tenait la toute première cérémonie du Bâillon d’or dans les locaux de la Bourse du Travail à Paris. Sous des airs de grandes cérémonies de remise de prix, la soirée – organisée par le SNJ CGT et le journal Fakir – vise à décerner le prix du “Bâillon d’or” au “champion de la censure”. Une nouvelle forme de manifestation visant à indiquer le danger que représente la loi de protection du secret des affaires ayant été définitivement adoptée ce jeudi 14 juin.

Deux jours avant le vote sur l’adoption de la loi sur le secret des affaires à l’Assemblée Nationale, s’est tenue la cérémonie du “Bâillon d’or”. Le texte particulièrement controversé garantissant aux entreprises la protection de leurs données économiques et la lutte contre “l’espionnage économique”, est vivement critiqué par beaucoup de journalistes, lanceurs d’alertes, une partie de la classe politique et autres collectifs d’ONG.

Une loi “secret des affaires” liberticide

C’est à cette occasion que François Ruffin, rédacteur en chef du journal Fakir et le Syndicat National des Journalistes, ont décerné le prix caustique du “Bâillon d’or”. Les nominés pour la prestigieuse récompenses sont les grands patrons de multinationales aimant user de la censure, étant des inconditionnels disciples de l’évasion fiscale et profanateurs du droit du travail. Parmi eux, Vincent Bolloré, Olivier Brandicourt de Sanofi, Lakshmi Mittal de Arcelor Mittal, Xavier Huillard de Vinci…

Plusieurs journalistes, lanceurs d’alertes, syndicalistes et avocats se sont succédés afin d’auréoler les dignitaires du fameux trophée. Tous racontent leurs histoires qui a particulièrement compliqué l’exercice de leur fonction.

Jean-Baptiste Rivoire, journaliste à Canal +, dénonce la censure et le chantage dont il a été victime par la direction de Bolloré. Assa Traoré lutte encore contre le tribunal de Pontoise après un acharnement judiciaire peu scrupuleux sur sa famille. Céline Boussier, lanceuse d’alerte, dévoile les sombres histoires de la maltraitance institutionnelle.

Le lauréat ? Impossible de n’en choisir qu’un. La soirée se termine par l’attribution du prix à tous les nominés.

Jeudi 14 juin, l’Assemblée nationale a définitivement voté après une ultime lecture. Pour 61 voix contre 21, le texte de protection du secret des affaires a été adopté. La gauche, significativement contre la loi depuis sa proposition il y a 18 mois, dénonce un texte “liberticide” et “une arme supplémentaire pour les multinationales”.

Désormais, il est possible pour les entreprises de tenir une information n’étant pas “connue ou aisément accessible”, secrète et de rendre illicite son obtention. Cette nouvelle mesure ébranle encore plus la liberté d’informer, l’un des piliers de la démocratie.

Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron publiée dans Médiacités, une centaine de rédactions, ONG, syndicats, journalistes, producteurs et avocats, ont interpellé le président. Bien que sans suite aucune, la lettre révèle pourtant bien les vérités auxquelles les journalistes seront désormais être confrontés.

De l’Allemagne à l’Italie : la relation entre médias et gouvernement

[DOSSIER] Les fermeture et délocalisation prochaines de la salle de presse du Palais de l’Elysée démontre une volonté de réduire les relations entre le cœur du gouvernement et les médias français. L’Elysée annonce là un schéma inédit dans une France où l’hostilité et le repoussement des médias se font de plus en plus communs. Un acte peu similaire aux pays voisins dont, pour la plupart, les gouvernements et les médias semblent encore travailler ensemble dans le traitement de l’information. Vision sur la situation en Europe.

“Les médias ont un rôle d’alerte précoce”, rencontre avec Christian Rim dans la lutte contre la traite

La CONATT (Coalition Nationale des Associations de lutte contre la Traite et le Trafic) travaille sur les questions migratoires, considérées comme transnationales. La traite des êtres humains et le trafic sont un de leurs chevaux de bataille. Une approche transversale dans laquelle les médias ont nécessairement un rôle à jouer. Christian Rim, le responsable de cette organisation, nous en parle.

Quelles sont les grands enjeux de la CONATT?

Il faut promouvoir la migration légale et appliquer les conventions internationales. La répression est de mise contre les récalcitrants (passeurs, trafiquants…). Il y a pour le moment un sentiment d’impunité.

Où en sont les gouvernements actuellement, notamment vis-à-vis de la “Liste Noire” des pays ne collaborant pas à cette lutte?

Il y a une sorte de silence complice de la part d’un certain nombre de gouvernements qui, plutôt que de rentrer dans une norme face à un des plus grands défis de notre siècle, préfère jouer aux états voyous. Ce comportement passif encourage la traite et le trafic qui, par conséquent, continue de croître.

La population doit pourtant être rassurée sur les capacités des gouvernements à pouvoir lui apporter un minimum de droits… En tant que société civile nous pouvons alerter les états et attirer l’attention des uns et des autres sur les risques pour chacun et pour l’image de l’Etat lui-même.

Quelle place ont les médias dans ce combat?

Les médias ont un rôle d’alerte précoce puisqu’il s’agit, par des voies multiformes (documentaire, débat, article), d’avoir un rôle avant-gardiste. Les journalistes sont incontournables et pas seulement auprès des décideurs institutionnels mais aussi auprès des principaux concernés. 

Par exemple, les opérateurs des radios communautaires: dans un certain nombre de pays du sud, ils font face à une population qui, parfois, ne parle pas la langue officielle (français, anglais, portugais…). Imaginez des personnes qui ne peuvent ainsi pas connaître leurs droits, leurs risques? Nous estimons que la communication doit être importée dans les langues vernaculaires. Il faut transformer la société avec des outils comme la communication.

Le lien entre la presse, internet la sensibilisation est donc primordial?

Les stratégies de communication ont tous les outils imaginables. Malheureusement les agents commerciaux de la traite en profite aussi quand ils veulent atteindre leur but. Pour les contrer, il faut que la société civile s’organise et que les acteurs de la communication (les journalistes mais aussi les utilisateurs des nouvelles technologies) se mettent au travail ensemble. Une approche solidaire face à une question qui devient de plus en plus complexe.

L’éducation est également l’un des enjeux. Les jeunes, mère de 3 enfants à 20 ans, vont devenir les cibles des agents de la traite. Former les jeunes sur la sexualité et la parenté responsable, c’est aussi le rôle des actions de sensibilisation. C’est ce qui fait de cette question une question transversale.

Quelles réactions médiatiques peut-on attendre à ce sujet?

Lors de la crise en Libye, la fièvre est montée très vite concernant l’esclavagisme commis là-bas. Mais cette fièvre est aussi très vite retombée alors que le trafic et la traite perdurent. Que font les journalistes pendant ce temps? Ils ont parlé de ce phénomène “le temps d’une rose”.  

Nous souhaitons des actions fortes et sur le long terme. Si la jeunesse des pays du sud n’est pas prise en charge dans le cadre de l’emploi, ça n’ira pas. L’Europe et l’Afrique sont très proches et ce n’est pas demain la veille que les mouvements migratoires vont s’arrêter. Mais si les médias continuent à participer à cette image du modèle occidental comme seul et unique modèle de réussite, les jeunes ne vont cesser de nourrir qu’une seule envie: celle de partir.

Des actions conjointement menées afin de protéger les migrants en situation irrégulière (pouvant mener à l’exploitation) font également parties du projet de la CONATT. Dans une ambition collaborative, il s’agit pour ce collectif (comme tant d’autres: Ensemble Contre la Traite, AFJ, Coordination Sud, Comité Contre l’Esclavage Moderne) de remettre la problématique de la traite et du trafic sur le devant des luttes internationales.

Traite humaine, une lutte de tous et pour tous

La Convention de Palerme, organisée et signée en décembre 2000, est le premier instrument de droit pénal destiné à lutter contre les phénomènes de criminalité transnationale. C’est naturellement que le sujet de la traite des êtres humains y trouve sa place. A l’appel de la CONATT, le Cameroun insiste sur cette bataille dans laquelle tout un chacun a son rôle à jouer.

Point lexique : quelles différences entre “trafic humain” et “traite des êtres humains”?

Le droit international définit le trafic des personnes comme étant “la fourniture à une personne d’une entrée illégale dans le but d’obtenir directement ou indirectement un bénéfice financier ou un autre avantage matériel”.

Ce même droit international marque ainsi la différence avec la traite comme étant “le recrutement, l’accueil ou la prise en charge de personnes dans un but d’exploitation (sexuelle, services forcés ou esclavage)”.

Trois nuances fondamentales sont à apporter :

-le consentement (la personne déportée dans un trafic accepte ce déplacement)

-l’exploitation (le trafic prend fin lors de l’arrivée de la personne, ce qui n’est pas le cas dans le contexte de la traite).

-la transnationalité (la traite est indépendante des frontières tandis que le trafic implique un franchissement de celles-ci).

Un fléau bien installé

Les livres d’Histoire étudient la “Traite Atlantique” comme première grande vague de trafic humain. Installée sur une idéologie éminemment raciste, la traite des populations africaines déplace de 12 à 20 millions d’individus entre le XVIe et le XIXe siècle. Sa variante est la traite des esclaves de Barbarie qui sévit principalement entre les XIVe et XVIIIe siècles.

Devenue transnationale et protéiforme, la traite des personnes se décline aujourd’hui sous toutes ses formes: traite des femmes, des enfants, des migrants, d’organes…

La règle des 3P

Les 4 et 5 avril 2018 s’est tenu au Cameroun un séminaire organisé par la CONATT. Sara Delvin, représentant l’ambassade des Etats-Unis, entame son allocution par la règle des 3P:

Prévention – Protection – Poursuite

Ces critères sont présentés comme étant la meilleure stratégie de lutte contre la traite humaine.

Où agir? La “Liste Noire” répertorie les pays les moins engagés dans la lutte contre la traite des personnes. Établie par le gouvernement américain, le dernier pays à rejoindre la liste est la Chine. Une annonce faite dans cette vidéo relayée par la chaîne New Tang Dynasty Television (cette chaîne a pour but d’apporter une information non censurée dans et hors de Chine). 

L’Afrique centrale observe une pratique accentuée de ces types de trafic. Ils y sont tous répertoriés et les gouvernements font face à un cadre légal international interprété avec “légèreté”. Les sensibilisations diverses rentrent dès lors en compte.

A une échelle citoyenne

La prévention doit se baser sur les liens indirects de chacun avec les produits que les populations achètent. On aurait donc pratiquement tous un lien avec la traite d’êtres humains. Les réflexions se basent alors sur d’éventuelles sanctions commerciales. Ces dernières ne vont cependant pas sans une prise conscience citoyenne (d’où cela provient-il, les produits de commerce équitables, quelles entreprises ont des accointances avec les réseaux locaux…)

Les associations, à leur niveau, procèdent par publications de témoignages, des conférences et des soirées débat afin de faire connaître ce phénomène. Des campagnes sont ainsi menées, visages d’enfants placardés en étendard.

source: https://www.secours-catholique.org/actualites/traite-des-etres-humains-comment-lutter

A un niveau médiatique

Les ambassades se concentrent principalement sur les migrations légales. L’absence de sensibilisation étatique passe alors par un autre organe commun aux démocraties : la presse. Comment éduquer les populations et les sensibiliser à cette problématique? La mission de la presse devient cruciale. Le rôle des journalistes dans la dénonciation des pratiques de traite impacterait bien plus les citoyens.

Enfin, les gouvernements s’évertuent à penser une sensibilisation non seulement par la presse mais de la presse. Un cas particulièrement important dans les pays africains où, sans nécessairement le savoir, les médias se font le relais des traites. Petites annonces, mannequinats, jobs divers… Les individus dans le besoin se retrouvent vite confrontés à un mécanisme de terreur qui les dépasse. 

Afin de prévenir les mésinterprétations dans la façon de représenter les migrations, de parler de trafic ou encore de traite, Human Rights Watch lance un document “guide” à l’égard des rédactions. “Afin d’assurer que les articles et les titres identifient correctement à la fois les migrants et ceux qui les transportent, même si des gouvernements ont parfois brouillé les catégories“.

Une problématique mondiale que Christian Rim et d’autres personnalités comptent bien faire changer par une implantation d’activités afin de sensibiliser la population.

«J’avais simplement besoin d’un pays libre»

« Déjà en Syrie, j’aimais la France. J’avais simplement besoin d’un pays libre »

Nassim a commencé son métier en écrivant pour le journal de son université. Journaliste Syrien, la quarantaine portant une barbe de trois jours, il se souvient de l’engouement et de l’enthousiasme qu’avait suscité la prise de pouvoir de Bachar el Assad au début des années 2000 : « Quand El Assad a pris le pouvoir, il a dit à tout le monde que désormais la Syrie était un pays libre, que la politique allait changer ».

Pourtant, c’est le début de nombreux problèmes pour Nassim. Sous l’ordre des autorités syrienne, la police politique l’arrête. Il passe alors, 74 jours en prison pour avoir exercé son travail de journaliste.  « En 2006, j’ai pensé qu’il fallait que je quitte la Syrie, je suis donc parti en Jordanie et en Egypte où j’ai travaillé pour ABC News, un média américain. A cette époque, je continuais à faire des aller-retours en Syrie ».

Jusqu’au jour où il n’est plus autorisé à quitter le territoire. « J’ai décidé d’aller voir les autorités pour comprendre pourquoi mon passeport était refusé et me suis retrouvé à nouveau enfermé dix-huit jours durant lesquels on m’a torturé ».

Malgré les années, les séquelles sont encore visibles sur ses bras et d’autres parties de son corps.

Lors de l’arrivée de l’Etat islamique, en 2014, il se rappelle avoir assisté à plusieurs décapitations : « Ils affirmaient être le nouveau gouvernement. Les corps restaient sur place 2 à 3 jours avant d’être déplacés ».  Nassim décide de témoigner de l’horreur à laquelle il assiste auprès de ABC News. Conséquence : Daesh le recherche.

En 2015, alors qu’il revient de Turquie, il est arrêté par des membres de l’Etat islamique : « Toutes les deux heures, de nouveaux prisonniers arrivaient. Dans la nuit, vers trois heures du matin, ils nous disaient qu’ils allaient nous tuer. Plusieurs fois, ils m’ont emmené dans une pièce, ont sorti un couteau et simulé une décapitation sur ma gorge. Parfois, d’autres prisonniers étaient réellement tués, on entendait leurs cris. Je comprends maintenant pourquoi certains otages ne semblent pas effrayés sur les vidéos d’exécutions, ils doivent penser que leurs bourreaux ne les tueront pas vraiment, comme ils l’ont fait avec moi. »

Finalement, Nassim est libéré et s’échappe en Turquie. De là, le journaliste part pour l’Europe et traverse la Grèce, la Macédoine, l’Autriche, l’Allemagne et la Suisse pour arriver en France. Avec 700 euros en poche, il loge dans différents hôtels avant d’entendre parler de la Maison des journalistes, qu’il rejoindra quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, Nassim souhaite vivre ici et reprendre son métier de journaliste pour se reconstruire.

 

Souvenir :

« Je suis chrétien, je n’ai plus ma place en Syrie. Dans mon pays, il y a dix ans, il y avait un million deux cent mille chrétiens. Maintenant en Syrie, je pense qu’il y a plus que deux cent mille. Un million de chrétiens a disparu. Le problème qui se pose aujourd’hui est surtout ce qu’on va faire après la guerre. La plupart ne veulent pas revenir car ils ont tout perdu. Nous, les chrétiens, on est plus les bienvenues en Syrie.

Quand j’étais petit, je jouais avec mes amis. J’étais de religion chrétienne, un ami était musulman, un autre Yézidis et un autre sunnite ou chiite. On ne demandait pas de quelle religion était chacun parce qu’on ne pensait pas à ça. Quand tout sera fini en Syrie, il en restera des séquelles dans notre mémoire. Pas que pour moi, pour tous les Syriens. Un autre problème qui se pose sont les enfants de l’Etat Islamique. Ils ont été endoctrinés dès leur plus jeune âge. Que vont devenir ces enfants à la fin de la guerre ? Ces enfants ont tué des gens en Syrie. Je les ai vu plusieurs fois jouer au foot avec la tête des personnes décapitées. Que va-t-on faire de ces enfants ?

Je ne sais pas ce que je verrai aujourd’hui si je retourne en Syrie. Je n’ai pas envie de revenir dans mon pays. J’ai envie de reconstruire ma vie en France. Trouver un travail, des amis, une famille. Chaque chose en son temps. »

Smartphone et migrations, les enjeux d’une nouvelle “boussole”

Le smartphone, objet devenu banal dans les sociétés, concentre pourtant quantité d’enjeux pour les réfugiés. A l’occasion de la conférence “Migrobjets”*, ayant eu lieu les 22 et 23 mai 2018 à l’INALCO, chercheurs et spécialistes s’intéressent à cette technologie qui fait désormais partie intégrante du “migrant”. 

La boussole du XXIe siècle

Les migrations actuelles font l’objet d’une guerre de l’image. Du petit Aylan sur la plage aux réfugiés embarqués, la représentation tient une place prépondérante dans la migration. A ce titre, le smartphone devient l’outil de relais de ces images. Un outil de relais mais aussi de “création” quand les voyageurs, eux-mêmes, décident de filmer leur périple pour en diffuser les images plus tard.

Le smartphone introduit l’idée d’un réfugié connecté. “Figure de la dépossession” évoquée par Albin Wagener, ils ont pourtant tous un téléphone entre les mains. Depuis leur pays d’origine où ils se renseignent sur les passeurs et les moyens d’arriver à destination, jusqu’à la fin du voyage où le mobile est un lien avec le pays quitté, le smartphone est un accompagnateur. 

Principal hébergeur du “kit de survie’”

L’importance du smartphone dans la migration se révèle à plusieurs niveaux. Il est un lien d’attache qui permet de rassurer une famille laissée derrière soi, mais aussi une assurance de connexion avec la destination. Une fois là-bas, il peut s’avérer un outil de traduction et donc un élément essentiel de communication.

La solidarité passe également par ce micro-objet. Les réfugiés établissent le plus souvent un réseau d’entraide (le plus important est celui de la diaspora syrienne). Cette dimension du “migrant connecté” se retrouve sur l’interface des réseaux sociaux où des groupes sont créés à cet effet.

Concentrés en un lieu précis comme c’était le cas à Calais, les réfugiés s’arment des réseaux sociaux pour subvenir à des besoins élémentaires comme le montre la page Facebook “Jungle Life, Calais”.

Enfin, les applications smartphone sont un impératif: Whatsapp, Viber, GPS… Tant d’icônes qui, pour eux, s’apparente plus un moyen de survie qu’une commodité.

Témoignages

Ce sujet est alors l’occasion de discuter de la place du smartphone dans les expériences de chacun.

Pour Beraat (Turquie), le smartphone a toujours été une habitude dans son travail journalistique: “Avant d’arriver en France j’ai toujours beaucoup utilisé mon portable. Pour faire des photos notamment, c’est plus discret qu’une caméra, personne ne vous dit quoi que ce soit. Une fois ici, le smartphone m’a permis de faire mon documentaire. J’utilise des applications comme Imovie ou Vidéogram.” Le smartphone revêt alors le costume de l’indépendance :”Je n’avais rien pour m’installer, mais le téléphone, lui, il est toujours dans ta poche, ça aide pour tout. Et puis, pour suivre les informations, c’est essentiel”.

Hicham (Maroc) souligne l’importance d’avoir pu rester connecté : “La mobilité de l’objet est très importante. On est prévenu à la moindre urgence même lorsqu’on n’est pas stable”. Un objet qui reste, cependant, à double tranchant :“Ça facilite beaucoup les choses mais c’est aussi un moyen d’être espionné. Les choses sensibles il vaut mieux les dire par messagerie cryptée (…) Après, je ne suis pas comme d’autres réfugiés qui ont du prendre des barques etc, c’était sans doute beaucoup plus important pour eux et indispensable pour se localiser”. 

Dans des situations plus extrêmes, Ahmad* (Syrie) raconte :”Pendant la guerre ce n’était pas facile de se retrouver, de continuer mon métier de journaliste, alors le portable était essentiel“. Ahmad entreprend ensuite un long voyage à travers la Turquie, la Grèce, la Macédoine jusqu’à la France: “Nous étions un groupe et pas de quoi charger les portables la plupart du temps. Alors c’était un téléphone pour tout le monde. Il fallait continuer à savoir ce qui se passait ailleurs, savoir se repérer, chaque jour un nouveau pays avec une nouvelle langue et des nouvelles règles… Et puis j’ai pris des photos sur le trajet aussi.” Une fois en France, le smartphone retrouve une utilité moins dramatique :”L’outil de traduction pour communiquer! Et puis pour rester en contact avec mes amis ici ou ailleurs.”

Des technologies qui s’adaptent à la crise humanitaire

Au Haut Commissariat aux Réfugiés, le wifi est fourni au même titre que la nourriture et les soins. L’illustration d’une prise d’ampleur de la place du smartphone.

Ainsi, des sites et applications comme Net Hope ou I-Need se mettent en place. Preuve de l’importance du téléphone portable: le projet Refugee Phones qui décident de collecter téléphone et chargeurs pour les réfugiés.

 

*le prénom a été modifié

 

La conférence “Migrobjets” a pour but de traiter de la circulation des cultures matérielles des exilés dans les nouveaux médias et dans la construction de la figure du “migrant”.

PM390047 : Rencontre avec Taina Tervonen

Taina Tervonen,  journaliste du média en ligne “Les Jours”, a réalisé un travail d’enquête à la recherche du propriétaire du téléphone portable retrouvé dans la mer : PM390047. Une base qui a  permis à la journaliste de  se pencher  sur la question de l’identification des victimes noyées. Nous sommes allés à sa rencontre dans le cadre de son intervention lors de la conférence “Migrobjet” à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales ayant eu lieu les 22 et 23 mai derniers.

L’enquête a commencé en 2015. Deux ans de recherche sur les traces des migrants disparus en Méditerranée, deux ans de rencontres en tout genre, deux ans d’histoires à raconter…

Spécialisée sur la question migratoire, Taina Tervonen va choisir le sujet principal de son enquête suite à l’écriture de plusieurs brèves sur les nombreux naufrages arrivés en 2015. “Suite à ça, je me suis posé une question simple : Pourquoi personne ne cherche à identifier les disparus de la Méditerranée ?”. Il doit bien y avoit quelque chose qui existe lorsqu’un corps est échoué sur une plage. Il doit bien y avoir des médecins légistes” Les recherches l’ont menée en Italie où le projet de récupération des corps de migrants noyés, suite au naufrage d’un bateau contenant 800 personnes, était en cours à la fin 2015. “En cherchant je suis tombée sur Crisitina Cattaleno, la médecin légiste qui pilote le projet.” et suite à de nombreuses heures au téléphone, Taina Tervonen s’est véritablement penchée sur la problématique du naufrage et tout ce qui tourne autour de l’identification des victimes. “Je me suis retrouvée une première fois à Rome pour rencontrer le commissaire en charge des personnes disparues. Je me suis rendue à Catane quand l’épave est arrivée en Sicile”.

L’histoire de ce naufrage est particulièrement inédite car l’Italie a décidé d’aller chercher l’épave et d’identifier les corps. “Ça ne s’était jamais fait de cette manière”. Une opération de récupération ayant coûté 9 millions d’euros à l’Italie. Le travail de recherche des familles qui suit s’avère particulièrement compliqué, comme Taina l’explique. “Il n’y a pas de liste de passagers comme dans un crash d’avion, on peut se baser que sur les témoignages des survivants qui ne connaissent pas forcément les victimes”, les questions législatives entravent également ce travail au niveau du traitement de l’ADN : “Qui a le droit de faire un traitement ADN ? Comment les informations sont traitées ? Qui peut en disposer ? C’est un travail extrêmement long et difficile”. Mais surtout,l’approche des familles des disparus est tout particulièrement complexe, “toutes les familles ne sont pas prêtes à accepter la disparition […] certains parents espèrent encore que leur enfant rentrera un jour” déclare t-elle.

Dans son travail, la journaliste expose l’intervention de la CICR (Comité International de la Croix Rouge) prenant le relais sur les recherches de corps des disparus en mer. Egalement la décision de délocalisation du tri migratoire en dehors de l’Europe. La question se pose alors : comment expliquer ce manque de dévouement de la part de l’Europe ? La réponse de Taina est simple : « Nous sommes dans un contexte politique où les questions migratoires ne sont pas porteuses ». Face à la montée de populisme dans plusieurs pays européens, le désengagement est enclenché. Du point de vue de l’enquêtrice, la réalité est tout autre de ce que les européens pensent de la migration “Ils ne partent pas pour vivre mieux, ils partent pour que ceux qui restent vivent mieux”.

Au fil de ses voyages sur les traces du détenteur du Nokia jaune, dans un premier temps, nombreuses ont été les rencontres. Son enquête l’a amenée à échanger avec les professionnels se chargeant de récupérer les corps. Elle me raconte comment ceux-ci sont désespérés face à l’horreur à laquelle ils sont confrontés. Pourtant habitué à la mort, le médecin légiste rencontré à Lesbos déplorait la situation. “Il était fatigué d’être témoin d’une telle horreur”, ”là il y a quelque chose de particulier, ce sont des morts inutiles”  déplore la journaliste. Aussi, un pompier sicilien rencontré à deux reprises, qui devait sortir les corps en putréfaction sans les montrer à la foule de médias présents, “par respect pour les défunts”. Taina me raconte à quel point les conditions étaient difficiles “Ils avaient des combinaisons complètes et travaillaient dans la cale, de quelques mètres carrés, du bateau pour faire face aux corps en putréfaction”. Comme le pompier lui témoignait “je me sens gardien de leurs mémoires car personne n’est là pour que je puisse raconter les derniers instants du défunt. Au Niger, Taina se rappelle également : “ Les moments les plus difficiles pour moi où j’ai rencontré des gens sur la route. Des gens qui allaient dans un sens pour tenter de passer la frontière, d’autres en revenait après avoir été emprisonnés en Lybie […] ce sont deux terribles réalités dans le même espace” déplore t-elle.

Néanmoins, malgré les récits tous aussi terrifiants les uns que les autres, elle assume son rôle de passeur d’information. “Les choses que je vois, qu’on me confie, je peux les transmettre, c’est important”. Comme un père nigérian en deuil de son enfant, lui a signifié : “vous essayez de mettre de la lumière sur ceux qui sont dans l’ombre”.