L’histoire tourmentée de l’opposition en Syrie

[Par Adi MAZEN]

Publié dans Orientxxi.info, le 18 février 2015

Quatre ans après le soulèvement populaire syrien, l’opposition s’est recomposée en profondeur du fait de dynamiques contradictoires. La situation s’est encore compliquée à partir du moment où la révolution s’est muée en « crise », en « question syrienne », avec des dimensions régionales et internationales. La Syrie est alors devenue la scène où se jouent des conflits ouverts à toutes les possibilités.

La Coalition nationale syrienne à Doha, le 11 novembre 2012, jour de sa création officielle. Syrian National Coalition/Wikimedia Commons.

La Coalition nationale syrienne à Doha, le 11 novembre 2012, jour de sa création officielle.
[Syrian National Coalition/Wikimedia Commons]

L’opposition syrienne au régime de Hafez Al-Assad s’est forgée dès les années 1970, avec des forces politiques panarabes ou socialistes qui ont joué un rôle dans la vie politique et l’institution militaire. Une partie de ces forces qui avaient soutenu le coup d’État perpétré par Hafez Al-Assad contre son propre parti — le parti Baas arabe socialiste (1)— se sont désengagées, dénonçant la formule qui avait fait jusque-là consensus dans l’appareil politique, celle du Front national progressiste. Dès 1976, date de l’implication syrienne directe dans la crise libanaise, l’opposition a alors cherché à monter une coalition opposée à la politique d’Assad.

Cette nouvelle coalition entendait conduire une stratégie de transition pacifique vers la démocratie, consignée dans le pacte fondateur du Rassemblement national démocratique en 1979 qui regroupait plusieurs partis : le parti de l’Union socialiste arabe démocratique, le Parti communiste syrien (2) — devenu en 2005 le parti du Peuple démocratique syrien —, le Parti révolutionnaire des travailleurs, le Mouvement des socialistes arabes et le parti Baas démocratique. Le Rassemblement national démocratique est resté le pôle le plus important dans l’opposition politique jusqu’à la fin de l’époque de Hafez Al-Assad, en dépit de la répression de centaines de ses militants.

Cette répression a touché de nombreux autres groupes, dont certains ont des référents idéologiques nationalistes panarabes ou socialistes, comme c’est le cas du parti Baas favorable au commandement du Baas irakien ou du Parti communiste. D’autres partageaient des référents islamistes, en particulier les Frères musulmans, qui se sont opposés à la Constitution permanente de 1973 avant de recourir à la violence sous la direction de son aile armée, l’Avant-garde combattante.

La montée de l’opposition a été provoquée par la répression croissante du régime qui multipliait les lois prohibitives et mettait en œuvre des politiques de discrimination, d’appauvrissement massif et de corruption. Il entendait ainsi accaparer le champ politique et en exclure la société toute entière, construisant un système qui n’a rien à envier à d’autres régimes totalitaires dans le monde. Les évènements survenus entre 1979 et 1982 en Syrie, en particulier à Hama où plusieurs milliers de personnes ont été massacrées préfigurent la répression à grande échelle menée par Bachar Al-Assad depuis mars 2011.

La Déclaration de Damas

En 2005, l’activité de l’opposition a culminé avec la formation d’une large coalition de forces de gauche, libérales, islamistes et nationalistes, dont des partis kurdes et syriaques (3). Ces forces ont souscrit à la déclaration de principe du changement démocratique en Syrie, plus connue sous le nom de « Déclaration de Damas ». Celle-ci a réuni sa première assemblée générale (Conseil national) à la fin de 2007 et suscité un large consensus politique sur l’avenir de la Syrie. Ce consensus s’est appuyé sur l’opposition qui remonte à l’époque de Hafez Al-Assad, mais également sur les forces nouvelles apparues lors de la création de divers forums, pendant la courte période d’ouverture — le « Printemps de Damas » — qui avait marqué les premiers mois du pouvoir de Bachar Al-Assad inauguré en juin 2000. De nouvelles forces avaient alors commencé à voir le jour, favorisées par l’activisme de l’élite culturelle. De nouveaux groupes avaient aussi émergé, professant des idées libérales (4) ou islamiques démocratiques, sans compter le soutien des Frères musulmans.

Un terme qui n’embrasse plus le réel révolutionnaire

Après la révolution, le terme d’« opposition » ne permet plus d’identifier ni de comprendre les forces et mouvements qui participent à la révolution. Les cartes de ces forces et mouvements ont été rebattues, du fait de l’imbrication de l’action politique avec des activités d’autres natures civiles, médiatiques et militaires. On convient aujourd’hui de désigner par « opposition politique » les entités qui adoptent tout ou une partie des revendications de la révolution. Cette appellation s’étend aux forces dont le leadership est établi à l’extérieur du pays et dont les mots d’ordre sont le renversement du régime et la mise en place d’un système politique pluraliste. C’est le cas de la Coalition nationale de l’opposition et des forces de la révolution, du Conseil national syrien, du Bloc national unifié ou encore du Forum de l’appel national (ex-Tribune démocratique).

L’opposition comprend également des forces dont le leadership est resté à l’intérieur du pays, sous la surveillance et le contrôle du régime, avec des programmes de réforme comme ceux du Comité de coordination nationale et de changement démocratique, ou encore ceux du Courant de la construction de l’État. Issues des comités de coordination et des conseils locaux, des entités révolutionnaires se sont constituées, qui mènent tout à la fois une action politique, des activités civiles et, parfois, des opérations militaires. Certaines brigades locales, qui avaient dans un premier temps combattu sous les couleurs de l’Armée syrienne libre (ASL), se sont finalement ralliées à d’autres bannières en raison du tarissement des ressources de l’ASL.

D’autres unités ont disparu ou ont fusionné. De nouvelles configurations sont apparues, pour tenter de tirer les leçons de l’expérience et des échecs de la Coalition nationale et du Conseil national syrien. Certaines ont proposé la création et l’institutionnalisation d’un Mouvement de salut national, destiné à unifier les forces de la révolution. D’autres ont prôné la fondation de nouveaux partis, comme le Parti laïque de la République ou le parti islamique Waad (« Promesse »).

La crise et les défis à l’oeuvre

La carte politique des partis politiques syriens a subi de grands bouleversements. Un tri s’est opéré au sein des forces politiques traditionnelles, avec pour marqueur la révolution, y compris au sein du Front progressiste qui réunit les partis alliés au régime. De nombreux militants de base, affiliés au parti Baas ou au Parti communiste, s’en sont détachés pour rejoindre la révolution. C’est également le cas dans la fonction publique et l’institution militaire. Par ailleurs, la plupart des partis politiques qui avaient soutenu la révolution ont subi les conséquences de la situation révolutionnaire sur le terrain. Au fil des mois, des polarisations internes se sont opérées, et ce pour deux raisons : du fait de l’incapacité des structures des partis politiques à s’adapter à la réalité du terrain d’une part, et de l’autre à cause du regard critique porté par les cadres et les bases de ces partis sur les positions, les modes d’action et les alliances de leurs dirigeants.

Les Frères musulmans ont saisi l’occasion pour se réorganiser de l’intérieur de la Syrie et rétablir la communication avec les masses populaires durant les longues années de la répression. Le mouvement a mis à profit son réseau de contacts internationaux et régionaux pour renforcer son influence au sein des institutions du Conseil national et de la Coalition, après avoir accepté, en théorie, le principe du changement démocratique et celui d’un État « civil ».

Enfin, les pertes considérables au sein de la population civile ont contribué à la montée des courants salafistes. Face à l’inertie de la communauté internationale et à son incapacité à proposer des solutions sérieuses à la crise syrienne, ils ont cherché et trouvé des soutiens auprès des pays du Golfe.

Militarisation et Djihad

La base du soulèvement en Syrie en mars 2011 contre le régime était constituée d’une part par les catégories les plus marginalisées de la population, et d’autre part par la jeunesse moderniste. Ce mouvement est resté pacifique pendant plus de six mois avant de se militariser sous la pression des événements. Au fur et à mesure que se multipliaient les massacres à caractère confessionnel perpétrés par le régime (Houla, Karm el-Zeitoun, etc.) et que celui-ci remettait en liberté des centaines de djihadistes enrôlés par le passé pour combattre en Irak tandis que l’ex-premier ministre irakien Nouri Al-Maliki faisait de même de son côté en libérant des centaines de prisonniers membres d’Al-Qaida, les islamistes trouvaient en Syrie un terrain propice à leur radicalisation. Ils rejoignaient des organisations djihadistes telles que le Front Al-Nosra ou l’organisation de l’État islamique (OEI). Tout cela se déroulait au vu et au su du monde extérieur, quand ce n’est pas avec l’encouragement de certains services de renseignements internationaux.

Mesures arbitraires, arrestations massives et systématiques de citoyens syriens pour des périodes plus ou moins prolongées sur l’ensemble du territoire national ; tortures et exécutions sommaires ont contribué à la perte de repères civils et démocratiques parmi les jeunes dont le rôle avait été essentiel dans le déclenchement de la révolte. De même, la multiplication des massacres à l’encontre de civils, les bombardements des quartiers d’habitation et des infrastructures ont entraîné des changements profonds dans la démographie et modifié les bases sociales des groupes d’insurgés.

En résumé, les recompositions de l’opposition se sont opérées dans un contexte marqué par l’internationalisation progressive de la question syrienne, par l’inertie de la communauté internationale et son incapacité à protéger la population civile et par les interférences régionales qui ont limité son autonomie de décision. L’analyse proposée fait état d’un éclatement des forces, d’un dysfonctionnement des institutions et d’une persistance des problèmes endémiques qui résument l’expérience des années précédentes. Elle met en lumière les problèmes de liens entre l’extérieur et l’intérieur et l’incapacité à répondre aux attentes minimales des groupes d’activistes, faisant perdre à la révolution beaucoup de sa crédibilité. Enfin, elle révèle une crise générationnelle liée à l’indigence politique qui a marqué la société syrienne pendant des décennies.
(1 NDT). Le parti Baas nationaliste arabe est fondé en Syrie en 1947 et devient progressivement le parti Baas arabe nationaliste socialiste avec pour ambition de s’étendre à toute la région du Levant. En 1963, il prend le pouvoir en Syrie. Des dissensions profondes le clivent en deux composantes : la branche syrienne et la branche irakienne qui, fondée en 1952, prendra le pouvoir en Irak en 1968. On parlera alors de « parti Baas arabe nationaliste socialiste syrien »/ ou« irakien ».
(2 NDT). Le Parti communiste (PCS), fondé en 1930, est l’un des plus anciens partis politiques de Syrie. Dès 1970, des divergences apparaissent quant au soutien à apporter à Hafez Al-Assad dans son coup d’État. Lorsque son secrétaire général Khaled Bagdach engage le PCS dans le Front national progressiste que domine la parti Baas en 1972, les membres du bureau politique font sécession sous la conduite de Riyad Turk. Son groupe est interdit, ses cadres sont arrêtés ou placés sous surveillance étroite. Il devient en 2005 le parti du Peuple démocratique.
(3 NDT). Les Syriaques sont l’une des communautés ethniques les plus anciennement installées dans la région, avec les Assyriens et les Chaldéens, et dérivée de la civilisation araméenne. Ce sont des communautés qui se sont christianisées dès le premier siècle. Elles parlent le syriaque, une des langues araméennes, et leur présence initiale s’étend en Syrie, Irak, Turquie et Iran. En 2005, le Parti syriaque syrien est fondé pour défendre les intérêts de la minorité syriaque en Syrie.
(4 NDT). Dans le contexte, il faut comprendre « libéral » au sens anglo-saxon d’ouverture idéologique et de sécularité.

Le Frankenstein de la Syrie et d’al-Baghdadi

[Par Nabil SHOFAN]
Publié sur Alaraby.co.uk, le 1er Octobre 2014
Traduction de l’arabe au français par Florence DAMIENS.

Un imahe de la bataille pour le control de l'aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Un imahe de la bataille pour le control de l’aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Dans l’une de ses vidéos, l’Organisation de l’Etat islamique passe en revue des événements concernant son contrôle de l’aéroport militaire de Tabqa, qui se situe dans la région de Raqqa. Aucun membre de l’Organisation ne parle dans cet extrait ; on entend une lecture du Coran, puis on voit la planification d’une bataille, suivie d’une opération martyre, d’un assaut, d’une capture de militaires, puis de leur assassinat, tantôt fusillés, tantôt égorgés.
Mon attention s’est portée sur l’apparition, à la fin de la vidéo, d’un combattant de l’Organisation qui, rempli de tristesse et de souffrance, s’élève contre l’accusation selon laquelle elle comploterait avec le régime de Bashar el-Assad. Il dit à l’assistance : « Je jure que nous témoignerons pour vous devant Dieu. N’est-ce pas nous qui combattons le régime nusayrite et tuons ses militaires ? Pourquoi nous accuse-t-on de ne pas les combattre ? »
Il est clair que ce qui dérange le plus les dirigeants de Daesh, ce sont les propos qui circulent dans les rues syriennes. Je dis les rues syriennes car cette accusation a jailli du cœur de la rue, de ses activistes et de sa population. Un témoignage attesté s’est répandu, comme le surnom de « Daesh », avec facilité dans les médias, puis dans le reste de l’opinion publique arabe et mondiale.
Les droits des syriens sont clairs. Ces derniers se sont révoltés contre un régime qui a détruit leur nation, se substituant ainsi à leurs ennemis, et a eu recours à des moyens d’assassinat variés, en utilisant l’artillerie, l’aviation et les missiles, en les égorgeant, en les étranglant, en les enterrant vivants et en les noyant. Aucune impureté ne peut souiller la clarté de ces droits. En cela, ces révoltés sont égaux devant l’injustice. Il n’y a pas de mal à nous arrêter un moment sur les positions choquantes nées de la révolution syrienne, à l’instar de celles des penseurs, des artistes et des Etats dont les cabinets ministériels publient des documents sur la démocratie tous les jours. Si nous nous arrêtions dessus, nous remarquerions que la création d’une organisation extrémiste comme Daesh est absolument nécessaire et reste une anecdote pour tous ces penseurs, artistes et Etats, et même pour ceux qui se revendiquent amis de ce peuple afin d’excuser ce qui ne peut être excusé, les crimes et le silence qui les entoure.

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas) [Source : syrie.blog.lemonde.fr]

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas)
[Source : syrie.blog.lemonde.fr]

La révolution des Syriens a été un événement spontané, populaire et soudain. Il a ébranlé jusqu’au Conseil de sécurité, l’a embarrassé, comme il a embarrassé les Nations Unies. En effet, réussir cette révolution exigerait de faire évoluer les concepts, de modifier les accords, les alliances et les postulats internationaux. C’est pourquoi son échec a été un choix unique, sans lequel des changements terrifiants, aux conséquences non calculées, auraient eu lieu. C’est sur cela que la Russie et l’Amérique se sont arrangées depuis quatre ans, malgré la dernière année durant laquelle des événements encore plus hideux ont commencé à se produire. Ainsi, le Frankenstein de l’Occident, « Daesh », est sorti de sa programmation psychique et neurologique, infecté par les appareils des renseignements généraux étrangers.
Il semble que l’Organisation de l’Etat islamique a commencé à vivre aujourd’hui, semblable à la tyrannie chiite, si l’on prend ici un point de vue sunnite. De plus, le fait que l’Organisation ait tantôt déclaré la guerre aux révolutionnaires syriens et eu recours aux châtiments de la Loi, en les flagellant et en les crucifiant, tantôt leur ait distribué des fonds, a poussé les Syriens à publier le faire-part de décès de l’Organisation d’al-Baghdadi.
La plus grande erreur stratégique qu’a commise l’Organisation de l’Etat islamique est d’avoir combattu le peuple syrien. L’Organisation a oublié que ce peuple est celui qui a mis fin à la discorde présente au prologue de la résistance et de l’opposition. La structure de ce dernier a obnubilé le régime pendant trente ans de planification, de constitution d’armées composées de milices, d’agences médiatiques, d’études dans l’art de la rhétorique, dans les sciences philosophiques, dans les méthodes de lavage de cerveau et de soumission des esprits. Tout cela s’est déjà effondré en une seule année et avec une facilité rare. Ensuite la réputation du Hezbollah et de son chef a décliné auprès de la nation arabe puis au niveau confessionnel, et ce à cause de son action et de la réaction des Syriens qui a suivi.
Les Etats qui parient sur l’échec de ce peuple et l’élite qui par-là même soutient le meurtre se doivent de très bien connaître la valeur d’une épreuve et d’une civilisation qui a plus de 6 000 ans.

Iran : Grève de la faim de 27 prisonniers politiques kurdes à Orumieh

[Par Rebin RAHMANI]

Traduit de l’anglais au français par Quentin DAVIDOUX

Le jeudi 20 novembre 2014, vingt-sept prisonniers politiques kurdes ont entamé une grève de la faim pour protester contre le transfert dans leur section de criminels et de malfaiteurs notoires et le départ pour d’autres sections de certains des leurs.

La prison d'Orumieh (source :hra-news.org)

La prison d’Orumieh (source :hra-news.org)

La section douze de la prison d’Orumieh, d’une capacité de cinquante personnes, est connue comme le quartier des prisonniers politiques. Mais les autorités pénitentiaires s’efforcent depuis deux ans de mettre fin à cette habitude en déplaçant certains de ses prisonniers politiques dans d’autres sections abritant des meurtriers et des criminels des milieux de la drogue, tout en amenant dans la section douze des criminels et malfaiteurs habitués à la violence en prison.
De plus, durant cette période, la plupart des prisonniers politiques nouvellement incarcérés n’ont pas été placés dans la section douze. En ce moment, environ trente-cinq prisonniers politiques sont enfermés dans les quartiers de dangereux prisonniers. Selon les dernières statistiques, quatre-vingt prisonniers (trente prisonniers politiques kurdes pour cinquante criminels) sont retenus dans la section douze. A cause de cette surpopulation carcérale, les prisonniers politiques kurdes souffrent de gros problèmes concernant les aménagement de la prison, notament au niveau des installations sanitaires, de la santé, du renouvellement de l’air etc.
En plus de tout cela, certains gardes spéciaux de la prison viennent dans la sections douze et, tout en insultant les prisonniers politiques, fouillent leurs affaires personnelles et confisquent leurs livres, magazines, et notes.
les prisonniers politiques de cette section n’ont d’ailleurs pas le droit d’utiliser la bibliothèque, ni la salle de gym de la prison, et n’ont pas non plus le droit de recevoir de livres ou de magazines, même approuvés par le ministère de la culture iranien. Une difficulté supplémentaire à gérer pour les prisonniers politiques est la présence d’un bureau du ministère des renseignements au sein même de la prison. Les agents du ministère y convoquent fréquemment les détenus et les menacent de mises en accusation supplémentaires, de transfert dans les locaux du ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale, ou d’arrestation de proches du détenu.
Pour protester contre les sévères conditions de détention à la prison centrale d’Orumieh, trente prisonniers politiques de la section douze ont entamé une grève de la faim le 20 novembre, et vingt-six la poursuivent à ce jour. Depuis le début de la grève, les autorités pénitentiaires, au lieu de préter attention à leurs exigences légitimes, ont menacé, convoqué et transféré ces prisonniers. Le 23 novembre, le bureau des renseignements de la prison a convoqué Osman Mostafa Pour (un prisonnier politique kurde condamné à trente-quatre ans de prison, et qui en a déjà passé vingt derrière les barreaux) et l’a conseillé de cesser sa grève de la faim s’il ne voulait pas faire face à une nouvelle sentence et des charges supplémentaires.

Mansour Arwand

Mansour Arwand

Le matin du 29 novembre, les gardes de la prison, équipés de matraques électriques se sont placés devant les portes et les fenêtres de la section douze. Le chef de la prison a averti les prisonniers que, si ceux-ci poursuivaient leur grève de la faim, les gardes attaqueraient la section et battraient les prisonniers. Le même jour, avant les visites des familles, ces prisonniers avaient eu à subir les insultes des officiers et un déshabillage complet pour “rechercher des lettres”. Le prisonnier politique kurde condamné à la peine capitale Mansour Arwand qui avait participé à un rassemblement à la prison, a été transféré sans notification préalable à la prison de Mahabad. La nuit du 29 novembre, les autorités pénitentiaires ont ensuite tenté de faire transférer Mohammad Abdullahi dans la section des meurtriers, mais ils se sont heurtés à la résistance des prisonniers politiques.

Le mardi 9 décembre, le prisonnier politique kurde Ali Afshari, gréviste, a été convoqué au bureau des gardes pour parler par téléphone avec le bureau des renseignements de la prison. On lui a annoncé que les prisonniers politiques devaient cesser leur grève de la faim le plus tôt possible. Autrement, les conséquences seraient terribles. L’agent du service des renseignements a ajouté qu’Ali Afshari précipitait son exécution en poursuivant sa grève de la faim.
Le 9 décembre, Jaafer Afshari, un autre prisonnier politique kurde, a été convoqué au bureau des gardes de la prison et transféré au quartier des travailleurs. Ce jour-là, Arafat Asgeri et Jafar Mirzayi, deux grévistes prisonniers politiques, ont été libérés après une période de six mois en prison.
Le 10 décembre, Ali Afshari a perdu conscience dans les toilettes de sa section à cause de son état de grande faiblesse, d’une basse tension, de troubles respiratoires et des conséquence de la balle reçu lors de son arrestation, toujours présente dans son corps.
Selon les derniers rapports, Reza Rasouli, Yusef Kaka Mami, Sherko Hasanpour, Sirwan Njawi, Abdulla Omumi et Mohammad Abdollahi sont dans un état critique.

Massud Shemsnjad

Massud Shemsnjad

Toujours le 10 décembre, Massud Shemsnjad, un avocat kurde, à entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention dans le quartier des travailleurs de la prison d’Orumieh, et pour obtenir une remise en liberté provisoire des autorités pénitentiaires.
Il a été condamné à quatre mois de prison pour avoir eu des contacts avec des médias étrangers et pour son affiliation à des groupes d’opposition. Il a été l’avocat de plusieurs prisonniers politiques kurdes condamnés à mort.
En ce moment, vingt-sept Kurdes poursuivent leur grève de la faim dans la prison de Orumieh. Les noms des grévistes sont:

1-Masoud Shams Nejad , condamné à quatre mois de prison, 2- Sherko Hasan Pour, condamné à cinq ans de prison. 3- Abdullah Bislnun, condamné à un an et demie de prison. 4- Yusef Kaka Mami, condamné à neuf ans de prison, 5- Osman Mostafa Pour, condamné à trente-quatre ans de prison, 6- Mostafa Ali Ahmad, condamné à onze ans de prison, 7- Abdullah Omuyi, en situation irrésolue, 8- Wali Afshari, condamné à cinq ans de prison, 9- Kayhan Darwishi, condamné à trois ans de prison,10- Mostfa Dawoudi, condamné à dix ans de prison, 11- Shursh Afshari, condamné à cinq ans de prison, 12- Khezr Rasul Mrwat, condamné à cinq ans de prison, 13- Mohammad Abdullah Bakht, condamné à un an de prison, 14- Amir Moladust, condamné à quatre ans de prison, 15- Ahmad Tamuy, condamné à quinze ans de prison , 16- Jafar Afsharicondamné à cinq ans de prison, 17- Reza Rasouli, condamné à trois ans et neuf mois de prison. Et aussi dix prisonniers kurdes condamnés à la peine capitale: 1- Sayed Sami Hosseini,2- Sayed Jamal Mohamadi,3- Behruz Alkhani, 4- Ali Ahmad Soleiman, 5- Saman Nasim, 6-Sirwan Njawi, 7- Ebrahim Eis Pour, 8- Ali Afshari , 9- Rezgar Afshari, 10 – Mohamad Abdullahi.

Irak : Des journalistes sur le chemin de la mort

[Par Karwan Tayib BAZYAN]

03 septembre 2014, les frontières  entre Daesh et les forces irakiennes à Slemanbag, nord de Bagdad, Irak. Hawre Khalid, Photojournaliste. Photo par Nwenar Fatih

03 septembre 2014, les frontières entre Daesh et les forces irakiennes à Slemanbag, nord de Bagdad, Irak. Hawre Khalid, Photojournaliste. Photo par Nwenar Fatih

Les correspondants de guerre en Irak racontent leur vécu et ses menaces au long de la guerre contre le groupe djihadiste de L’Etat Islamique.
Comment décrivent-ils Daesh ?

Ayant vécu aux Pays-Bas pendant 3 ans, Hawre Khalid, 27 ans, photojournaliste et documentariste kurde irakien avait décidé de travailler dans ce pays. «En fait, je veux bien rester tranquille, mais j’aime travailler dans mon pays malgré les difficultés et le risque,» a-t- dit.
Selon les journalistes concernés : « Daesh (acronyme de L’Etat Islamique en arabe) est un groupe d’ultra barbarie. Pourtant il tue tout le monde : l’enfant, le journaliste, l’homme et la femme. De plus, ce groupe n’accepte pas les autres. Il revendique la suppression de toute les civilisations et de tous ceux qui refusent de s’aligner sur lui. « Daesh est un groupe suicidaire. Il a une culture très différente. Il est une force mortelle ».
Pour les journalistes, la situation est difficile car ils sont spécialement ciblés par ce groupe. « L’Etat Islamique a une mentalité religieuse très agressive et extrémiste. Il n’accepte ni négociation ni dialogue,» estime Aram Jamal, 31 ans, correspondant de la chaîne de télévision de KNN.

12 juin 2014, Talward, Kirkouk. Hawar Star, cameraman de NRT. Il tourne les combattants kurdes pendant la guerre contre Daesh en Irak. Photo par Hawre Khalid

12 juin 2014, Talward, Kirkouk. Hawar Star, cameraman de NRT. Il tourne les combattants kurdes pendant la guerre contre Daesh en Irak. Photo par Hawre Khalid

Daesh et les médias
Une question qui se pose : est-ce que les correspondants travaillent dans les zones sous contrôle de Daesh ?
Selon Hawar Star, 24 ans, qui est cameraman pour la chaîne de télévision de NRT: «Il n’y a pas de journalistes qui travaillent dans les régions contrôlées par Daesh. Les journalistes étrangers travaillent quelquefois sur les événements loin des champs de bataille. Il y a des journalistes qui ont utilisé des moyens techniques comme le zoom pour arriver à travailler à distance». Dans le même temps, l’organisation islamiste maîtrise sa communication en direct : « Daesh utilise les réseaux sociaux pour annoncer ces activités,» soulignent les journalistes.
« Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai vu qu’une seule fois la chaîne de télévision « Vice News » diffuser un reportage sur la région qui est sous le contrôle de Daesh. Ce groupe est très dangereux notamment pour les journalistes kurdes. Pour cette les journalistes ne peuvent pas du tout travailler au contact de ce groupe qui les tuerait » explique Hawar Star et Hardy Muhammad, 27 ans, correspondant de la chaîne de télévision de GK.

15 novembre 2014, Hawija, Kirkouk. Hardy Muhammad, correspondant de GK, il interviewe avec les combattants kurdes dans un champs de bataille pendant la guerre contre Daesh en Irak

15 novembre 2014, Hawija, Kirkouk. Hardy Muhammad, correspondant de GK, il interviewe avec les combattants kurdes dans un champs de bataille pendant la guerre contre Daesh en Irak

« Daesh refuse tous les critères du travail médiatique. Il n’accepte aucune pratique du journalisme au point que l’on a vu des journalistes étrangers décapités par Daesh » a rappelé Aram Jamal.
Mais que doivent faire les correspondants de guerre avant de commencer à couvrir les événements ? « Il faut que les journalistes effectuent un stage de journalisme de guerre,» a affirmé Hawre Khalid. Le journaliste doit évaluer la situation avant de se lancer sur le terrain. « Dans tous les cas, quand on travaille dans les zones de guerre, on rencontre toujours la mort ». Concernant les journalistes étrangers il affirme qu’ils « ne courent pas les mêmes dangers que nous. Pour notre part, nous avons bien compris la nature de notre région».
Hardy Muhammad critique, au passage, les étrangers qui viennent en Irak en tant que journalistes alors qu’ils ne le sont pas. « ce sont parfois des espions. »

12 juin 2014, Kirkouk. Hawkar Mustafa, Correspondant de Kirkuk  TV et  Kamaran Najim, photojournaliste, deax heurs avent de blesser de Najim, pendant la guerre contre Daesh en Irak

12 juin 2014, Kirkouk. Hawkar Mustafa, Correspondant de Kirkuk TV et Kamaran Najim, photojournaliste, deax heurs avent de blesser de Najim, pendant la guerre contre Daesh en Irak

Les risques du métier
« Depuis que la guerre a commencé entre les forces Irakiennes et l’Etat Islamique, je continue à travailler comme un photojournaliste dans les fronts, bien sûr que j’ai rencontré la mort plusieurs fois. Malheureusement, j’ai perdu un ami qui était photojournaliste comme moi, Kamaran Najim. Ce n’est pas fini, les risques sont encore là » a dit Hawre Khalid.
« J’ai rencontré la mort plusieurs fois, Nous sommes journalistes, C’est notre destin» confirme Aram Jamal.
Pour Hawkar Mustafa, Correspondant de la chaîne de télévision de Kirkuk TV, la situation est toujours dangereuse: « j’ai risqué ma vie plusieurs fois, de plus j’ai rencontré la mort quatre fois. » a-t-il indiqué Hawkar Mustafa. Autre risque : l’exil, dit, de son côté, Hawar Star « je risque toujours d’être mis à la porte, telle la réalité de mon pays.»
Selon les correspondants cités ici : « Si quelqu’un décide de devenir correspondant de guerre, il faut qu’il se prépare bien avant de le devenir. Le journaliste doit effectivement disposer d’ informations sur la guerre et sur ce que se passe sur le terrain. Le journaliste de guerre doit, une fois qu’il décidé de partir, porter dans son sac de quoi assurer les premier secours. »

30 septembre 2014, Dans un champs de bataille à Daquq. Aram Jamal, correspondant de KNN, avec les combattants kurdes pendant la guerre contre Daesh en Irak

30 septembre 2014, Dans un champs de bataille à Daquq. Aram Jamal, correspondant de KNN, avec les combattants kurdes pendant la guerre contre Daesh en Irak

Le Peshmarga protège les journalistes
Les correspondants de guerre déclarent que « le Peshmarga (le combattant kurde) protège bien les journalistes. Il les soutient beaucoup. C’est la raison pour laquelle on peut dire que le Peshmarga se sacrifie pour la protection de la vie des journalistes dans les champs de bataille. Il nous guide ou conseille bien.»

……………

Kamaran Najim (source : Twitter)

Kamaran Najim (source : Twitter)

Le cas de Kamaran Najim
Tous les correspondants parlent de Kamaran Najim. Le plus connu des photojournalistes Kurde d’Irak, Kamaran Najim a été blessé en mission professionnelle dans une bataille entre les combattants kurdes (Peshmarga) et le groupe djihadiste de Daesh, le 12 juin 2014. Après avoir été blessé, il a été enlevé par Daesh puis il a disparu jusqu’à aujourd’hui. Kamaran était responsable d’une agence de photographie de Metrography. Il a publié ses photos dans les plus connus des journaux internationaux comme : Times of London, Monocle Magazine, Financial Times Magazine, Vanity Fair, Washington Post, Getty Images, Al Sharq Al Awsat Newspaper…

 

 

Les enfants de Syrie et la Journée Mondiale de l’Enfance

[Par Mohammad AL HAMADI]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens

Alors que le monde fête la Journée Mondiale de l’Enfance le 20ème jour de ce mois, la tragédie ininterrompue des enfants syriens se poursuit, avec sa terrible escalade. Depuis que l’enfant Hamza al-Khatib a été assassiné par les mains des forces d’el-Assad et de ses shabiha au lancement de la révolution syrienne il y a presque quatre ans, aucun compte n’a été demandé aux meurtriers. Cela a donné un feu vert implicite, de la part des puissances internationales, aux cerveaux criminels du régime et, à leur tête, à el-Assad, pour qu’ils persévèrent sur la voie du meurtre, qui a commencé par les balles pour finir par les barils d’explosifs, en passant par les armes chimiques.

[Photo de Muzaffar Salman - Reuters]

[Photo de Muzaffar Salman – Reuters]

Les Nations Unies et la tragédie des enfants syriens

Les organisations internationales rattachées aux Nations Unies qui ont été établies pour défendre les droits de l’enfant et pour le protéger sont restées de simples spectatrices face aux massacres d’enfants perpétrés par el-Assad et à leur exode depuis presque quatre ans. On ne peut douter du fait que, depuis le début de la crise syrienne et durant son développement, les observatoires de ces organisations sont restés de simples outils entre les mains des puissances internationales et ont travaillé, durant la crise et à travers toutes ses tragédies, en conformité avec les intérêts de ces Etats, qui dominent les décisions internationales. Ainsi, ces observatoires ont traité la crise comme un simple et banal conflit, bien que l’on ne puisse trouver, dans aucun conflit, des faits semblables à ce qui est arrivé aux enfants syriens depuis mars 2011, si ce n’est durant la seconde guerre mondiale, comme l’ont dit de nombreux psychanalystes occidentaux et comme le reflète la réalité sur le terrain.
Cette affaire invite à établir des indices interrogeant le rôle de ces organisations dans la protection des enfants durant une telle crise et vis-à-vis d’un tel régime, qui tue les descendants de son peuple, et en particulier les enfants, malgré cette Journée qui a été mise en place à la suggestion de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1954 afin de lutter contre la violence faite aux enfants et contre leur négligence et afin de travailler pour accroître leur bien-être dans le monde.

On ferme les yeux sur la tragédie des enfants syriens malgré son degré d’atrocité.
Les Nations Unies ont indiqué sur leur site internet à cette occasion : « A la date où a lieu la commémoration annuelle de la Convention, beaucoup de faits nous permettent de célébrer ce moment, comme la baisse du taux de mortalité infantile et la hausse du taux de scolarisation. » Peut-être que les enfants syriens ne constituent qu’une part infime des enfants du monde. Cependant, la situation exige des organisations internationales qu’elles placent ces enfants en tête de leurs priorités. Les chiffres indiquent que des millions d’entre eux continuent de fuir, d’émigrer et d’être privés d’éducation, tout comme des dizaines de milliers continuent d’être blessés ou tués.

Les chiffres…
Les Nations Unies ont passé la Journée sans évoquer le terrorisme d’el-Assad et de sa milice confessionnelle à l’encontre des enfants. Ainsi, elles ont fermé les yeux sur le meurtre de plus de 18 000 enfants attesté comme étant le fait d’el-Assad, sur l’emprisonnement d’environ 9 500 enfants, tandis que plus de 280 000 ont été blessés. La majorité de ces derniers sont restés invalides permanents, avec des maux allant de l’amputation de l’un de leurs membres jusqu’à la paralysie complète, en passant par les traumatismes psychologiques qui ont touché des milliers d’entre eux.
Le Réseau Syrien des Droits de l’Homme a indiqué dans un rapport qu’il a publié il y a quelques jours que, parmi les réfugiés syriens présents dans les pays voisins et dans les autres pays, et dont le nombre approche les 6 millions de réfugiés, on compte environ 50% d’enfants. Parmi ces presque 3 millions d’enfants réfugiés, 10% seulement ont reçu une éducation, ce qui présage de l’arrivée d’une prochaine génération syrienne non instruite. Cela fournit des indicateurs catastrophiques concernant le futur de la Syrie.

L’UNICEF est incapable de répondre aux besoins des enfants syriens

Quant à l’UNICEF, qui est l’organisation chargée directement de répondre aux événements dangereux et aux crises affectant les enfants dans monde, il a tardé et s’est retrouvé incapable de répondre aux besoins des enfants syriens dans les pays d’accueil. Si l’on regarde le programme de l’UNICEF pour l’hiver de cette année en Jordanie, tel que publié par l’organisation sur son site, il n’a couvert que 72 000 enfants de moins de 16 ans, soit 25% de l’ensemble des enfants réfugiés en Jordanie, qui constituent les catégories les plus fragiles et les plus marginalisées.
L’organisation a également indiqué qu’elle avait distribué des bons d’achat pour environ 54 000 enfants en Jordanie, ce qui reste un chiffre modeste lorsqu’on le compare au nombre d’enfants syriens réfugiés dans ce pays.
Tous ces nombres et ces indicateurs présagent d’un futur sombre qui attend les Syriens, et ceci parce que la jeunesse en Syrie a été affaiblie. En effet, la majorité des victimes se concentre dans la catégorie des 18-35 ans, qui correspond à la catégorie sociale vitale dans toute société. Si la société compte sur les enfants d’aujourd’hui pour qu’ils deviennent la jeunesse du futur, ces derniers restent en majorité analphabètes ou blessés. Tout ceci est non seulement dû au terrorisme d’el-Assad, mais aussi à l’indifférence de la communauté internationale qui soutient indirectement ce terrorisme organisé contre la société syrienne.

 

 

Axel Salvatori : Cher Hassan, voici ma lettre

[Par Mohammad SHA’BAN]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens.

Cliquez ici pour lire l’article en arabe paru sur Al Hayat, le 31 octobre 2014.

msErrant sur son vélo dans les rues de Paris, la capitale, le réalisateur français Axel Salvatori-Sinz essaie d’évoquer son vécu avec son ami martyr lorsqu’il l’a rencontré au camp de Yarmouk à Damas, avant la révolution.
Après avoir été projeté de nombreuses fois au cours de festivals et de célébrations cinématographiques divers, le film de Salvatori, intitulé Cher Hassan, a pris ses quartiers hier (le 30 octobre 2014, NDLR) au Festival du Film d’Abu Dhabi. Ce jour-là, après avoir appris la nouvelle du martyre d’Hassan, Axel était perdu, envahi de tristesse, ne sachant pas exprimer ce qu’il ressentait suite à la perte de son ami, jusqu’à ce qu’un journaliste le provoque en disant – d’après ce qu’a déclaré le réalisateur – : « Peut-être que, s’il avait fallu que tu fasses quelque chose, tu aurais dû le faire quand ton ami était en prison ». Il a pris sa caméra, est monté sur son vélo et, sans autre but, a sillonné les rues de Paris. Une pluie fine l’a secouru afin de dissimuler ses larmes ce soir-là.
Dans son court métrage documentaire (qui dure environ 4 minutes – 2014), réalisé avec un matériel technique de base, le réalisateur n’a pas eu recours à des procédés classiques, comme la concentration et la concision imposés par l’industrie des courts métrages. Il a choisi un mode d’expression direct, par le biais de commentaires synchrones qui apparaissent sur les scènes projetées.

Entre « ici » et « là-bas »…
Le film s’ouvre sur « ici » : la caméra est embarquée sur un vélo dans l’une des rues de Paris durant une nuit pluvieuse. Puis il se transpose « là-bas », au camp de Yarmouk (au sud de Damas, la capitale syrienne) : le mur d’une chambre fourmille de photos. La caméra se pose sur l’une d’entre elles ; une photo de la personne autour de laquelle le film s’axe : l’ami du réalisateur, Hassan Hassan, qui est mort sous la torture dans l’une des branches sécuritaires du régime syrien.
Les photos défilent et s’alternent, à un rythme relativement rapide. Hassan apparaît parfois, en compagnie de certains amis, ou encore avec sa femme Wa‘ad. Cependant, une scène symbolique qui sonde les profondeurs de ce fort paradoxe spatiotemporel va exiger du spectateur qu’il reconsidère la hiérarchisation entre « ici » et « là-bas ». Alors que la caméra-vélo continue de tourner en toute liberté, donnant l’impression que les rues de la capitale sont infinies, une courte scène s’y oppose, filmée dans l’une des rues du camp, en ce temps-là surpeuplé. Il semble que le tournage ait été réalisé en cachette, conséquence de l’interdiction imposée par le régime de Damas.
Tout au long du film, les scènes s’accompagnent, au premier plan, de la lettre du réalisateur à son ami : « Cher Hassan, c’est à mon tour de t’écrire… ». Pour certains, ceci peut sembler, à première vue, être une transgression du droit du spectateur à stimuler sa propre imagination. Cependant, un autre y trouvera peut-être un stratagème intelligent pour que s’imbrique ce qui relève du public (le spectateur) et ce qui relève du privé (le contenu de la lettre, monologue de l’auteur). Le jeune réalisateur a réussi à introduire un certain symbolisme en datant la lettre du 15 mars 2014, date qui correspond à la commémoration du déclenchement du mouvement révolutionnaire dans la Syrie de 2011. Dans une autre scène, alors que l’écriture s’interrompt au moment où la caméra s’arrête à un feu rouge, le réalisateur semble avoir précipité le film dans le piège de la sophistication.
En utilisant des phrases courtes et saccadées, qui disparaissent en fonction du mouvement égaré du vélo, le réalisateur rappelle son ami absent et rappelle également au spectateur les débuts de la relation qui les a liés ainsi que sa dernière visite en Syrie, en 2011, qui a pris fin à contre cœur : « Quelques mois seulement avant que le régime ne commence à faire pleuvoir des bombes sur le camp où tu habitais… ». Axel ne cache pas son sentiment d’impuissance vis-à-vis de la situation : « Trois années se sont écoulées sans que rien ne change en Syrie. Là-bas, chaque jour il y a de plus en plus de victimes, qu’est-ce que je peux faire ? ». Il conclut sa lettre en se demandant : « Qui sait réellement quelque chose sur le régime syrien ?! »

D’ici a commencé l’histoire…
Axel est arrivé en Syrie en 2006 et est resté au camp de Yarmouk. Là-bas, il a rencontré un groupe de chebabs, de jeunes, dont faisait partie le martyr dramatique Hassan Hassan. La relation sera couronnée plus tard par le film Les Chebabs de Yarmouk (2012, 90 minutes environ).
ms1Ce film, dont le travail a débuté à l’été 2009 et a duré environ deux ans, a été projeté lors de plus de 100 événements, dont au Forum des images à Paris il y a quelques jours. A ces occasions, il a récolté 9 prix et a été nominé plus de 50 fois.
Hassan, Wa‘ad, Tasnim, ‘Alaa, Samir et d’autres, à la fin de leur vingtaine (la troisième génération depuis la catastrophe, l’exode palestinien). Une chambre les accueille sur l’un des toits des bidonvilles de Yarmouk. Leurs rêves les ont dispersés par le voyage et en les délivrant de leur lamentable réalité quotidienne. Le moment de la projection a permis de les réunir sur un seul écran.
Cependant, il vient à l’esprit de l’un d’entre eux, qui n’est ni le réalisateur, ni l’un des chebabs, que les derniers mois du tournage pourraient constituer une preuve des premières manifestations exigeant la chute du régime en Syrie. En outre, les premières projections du film ont coïncidé avec le début des bombardements et la destruction de la région du camp. La situation de ce camp est la même que celle de la majorité des régions syriennes, aboutissant, du fait de sa population, à des destins catastrophiques avec des morts, des arrestations et l’asile, auxquels a succédé un siège asphyxiant qui a emporté la vie de dizaines de personnes, mortes de faim. Ces événements font revenir dans les esprits les images de la catastrophe de 1948, à la différence que les événements actuels sont agencés par la main de celui qui est supposé être un frère (c’est un long sujet).
Tout cela a donné au film un élan et un intérêt exceptionnels et lui a conféré un appui important qui témoigne contre une période charnière pour la vie de dizaines de milliers de personnes et au sujet d’un lieu dont la trahison et le feu ont baptisé la fin.
Dans les dernières étapes, le réalisateur français s’est retrouvé dans l’impossibilité d’aller à Damas pour finir le film, où toute présence étrangère requérait des procédures spécifiques exigées par le régime. En fin de compte, Axel laissera sa caméra aux chebabs et sera présent à travers les lettres qu’il leur avait demandé d’écrire (et qui résument leur relation dans le camp et les résultats auxquels ils sont parvenus). Alors, il lira chacune de ces lettres, en arabe classique, dans des scènes qui se rapprochent plus du monodrame théâtral que du cadre cinématographique.
A la suite des Chebabs de Yarmouk, à cause du désarroi, du désespoir, des adieux forcés, des espoirs et des rêves aussi, les personnages du film marchent en direction de leur propre histoire, vers un autre asile, par les airs, la terre ou la mer. Cependant, le martyr Hassan Hassan n’aura pas droit à ce luxe, lui qui, dans le camp, semblait être tenace, comme cela est exprimé plus d’une fois dans le film. Il était ce «cher Hassan».

 

 

Sous le choc de l’exil syrien

[Par Maha HASSAN]
Publié par Alaraby.co.uk, le 21 octobre 2014
Traduit de l’arabe au français par Aline Goujon

[Getty Images]

[Getty Images]

« Il nous faudrait quatre cents ans pour devenir comme eux », dit un homme d’une soixantaine d’années à sa femme, tous deux assis sur un rebord de pierre surplombant la mer Méditerranée, alors que je passe non loin d’eux. Cet homme, qui fait dissimuler la tête et le visage de son épouse sous de nombreuses couches, ne ferait pas l’économie d’une gifle ou d’un coup si jamais sa femme, ou l’une de ses filles ou de ses belles-filles, sortait habillée comme les filles assises près d’eux. Il y a une jeune fille assise avec une guitare qui joue, face à la mer, pour son copain assis à côté d’elle. Peut-être la femme voilée a-t-elle déjà vu une telle scène dans les séries étrangères doublées, mais elle n’a jamais vécu un tel moment dans la vraie vie. À quelques mètres de là arrive un groupe de jeunes garçons et filles. L’une des filles porte un haut qui laisse voir son nombril et la moitié de son ventre. Le groupe fait du vacarme et s’amuse bruyamment. Je n’arrive pas à me mettre à la place de l’homme arrivant d’Alep et voyant toute cette beauté féminine qu’il n’a jamais vue auparavant, si ce n’est dans des séries étrangères. Parmi ces hommes et ces femmes qui ont été forcés de quitter leur pays et de se mélanger aux autres, certains n’ont encore jamais vu la ville, ou ne sont jamais allés au théâtre ni au cinéma. Ils ont passé leur vie à travailler, se sont sacrifiés pour le bien de leur famille. Les femmes, qui n’enlèvent le voile qu’en présence de leur mari et de leurs enfants, se contentaient d’une existence simple et agréable, regardant l’autre monde à l’écran, et peut-être médisant des mœurs d’une jeune fille de la famille qui sortait sans hijab. Toutes ces personnes se sont retrouvées face à des situations réelles auxquelles elles n’étaient pas préparées, et la culture des autres les a tant surprises qu’elles se sont dit tout haut : « Il nous faudrait quatre cents ans pour devenir comme eux ».

Cher sexagénaire, j’aimerais tant m’arrêter devant vous et vous demander : « Que vous manque-t-il donc, mon frère, pour leur ressembler ? ». Évidemment, il s’emporterait : « C’est une honte, nous sommes musulmans ! ».
Il ne viendrait pas à l’esprit de cet homme que la plupart des gens qu’il a vus près du bord de mer sont musulmans. On en vient alors rapidement à s’intéresser à ce nouveau type de choc, le choc culturel de l’exil : l’individu concerné sait que ce qu’il voit est beau et plaisant, mais que cela lui est interdit, qu’il ne peut agir de même, car il se considère comme différent des personnes qui se comportent ainsi et qu’il ne peut leur ressembler. Ce choc n’a rien à voir avec tout ce qui a été dit sur le choc des civilisations ou des cultures, puisque dans ce dernier s’affrontent deux parties, tandis que dans le cas du choc de l’exil, il existe une partie puissante, le peuple maître du lieu, et une autre partie, faible et dominée, la population qui arrive dans ce lieu par la force des choses.

Il existe deux types très différents d’exilés. D’une part, celui qui choisit l’exil et s’y prépare : il va de sa propre volonté vers l’autre, et est prêt à l’accepter et vivre avec lui, tout en pouvant lui apporter des éléments nouveaux sur le plan culturel. C’est ce qu’ont fait de nombreux immigrés qui ont enrichi de leur culture d’origine la culture du pays où ils se sont installés. D’autre part il y a celui qui, du jour au lendemain, est contraint de s’exiler pour échapper à la mort. Celui-ci est choqué par des cultures et des pratiques dont il n’avait jamais eu idée, au milieu desquelles il se retrouve propulsé un beau jour. Il rêve de retourner à sa vie simple dans son pays, sa vie dépourvue de toute cette beauté qu’il peine à supporter.