Yasser et Rabih Mroué affrontent les francs-tireurs au théâtre

Par Rana ZEID

Traduit de l’arabe au français par Aline Goujon. 

Pendant la guerre civile libanaise, un franc-tireur appartenant au mouvement Amal a tiré sur Yasser Mroué dans l’intention de l’assassiner, mais ce dernier a échappé à la mort. Le franc-tireur est resté un citoyen libanais et il n’a jamais dû répondre de ses actes.

Riding on a Cloud © Joe Namy

Riding on a Cloud
© Joe Namy

Au Théâtre de la Cité internationale, l’acteur libanais Yasser Mroué se livre sur scène à un monologue intime complexe, dans la pièce Riding on a cloud (« Sur un nuage ») écrite par son frère, le metteur en scène Rabih Mroué. Il s’agit d’un monodrame qui évoque la douleur, la douleur lente, celle de l’individu frappé par une balle de franc-tireur dans la guerre civile libanaise. Le public qui assiste au récit oral et visuel du comédien comprend soudain que celui-ci relate sa propre histoire, et que les hallucinations de la poésie, de la guerre et de la douleur ne sont autres que les hallucinations qui l’ont envahi au moment où la balle perfide l’a atteint.

Yasser Mroué, né à Beyrouth le 2 juillet 1969, a écrit au sujet des évènements évoqués dans la pièce : « Tout a commencé le 17 février 1987, lorsqu’un tueur barbare m’a tiré dessus, un tireur d’élite professionnel. Mon corps s’est mis à saigner, sans douleur, sans souffrance ; j’ai aperçu la mort et frôlé sa surface. Peut-être oublierai-je le jour où j’ai été blessé. Aujourd’hui, je pardonne cet homme, malgré mes difficultés à parler et malgré le coup atroce par lequel ont été perforés mon corps et mon esprit. Aujourd’hui je le pardonne, car je suis certain qu’il ignorait le sens de cette guerre ainsi que les raisons de son déclenchement. » Dans la pièce est relatée cette histoire qui a réellement eu lieu, le 17 février 1987 : pendant la guerre, le jeune Yasser, alors âgé de 17 ans, entend à la radio la nouvelle de l’assassinat de son grand-père, Hussein Mroué. Il se met à courir dans la rue, et est alors touché par un tir de sniper. Les personnes qui viennent à son secours le croient mort. Il est tout de même transporté à l’hôpital et sauvé, mais vivra tout le reste de sa vie avec une perte partielle de ses capacités à parler, lire et écrire. Car il semble que ce qui a endommagé son crâne est la pensée triste de la mort de son grand-père, militant, penseur et écrivain communiste, et pas seulement la balle qu’il a reçue dans la tête.

Riding on a Cloud © Joe Namy

Riding on a Cloud
© Joe Namy

Dans la pièce Riding on a cloud, on recherche la lumière qui pousse les hommes à sortir des guerres. Ce jour-là, Yasser a aussi perdu plusieurs années d’espérance de vie. Il a failli mourir, puis est revenu à la vie, avec un défi supplémentaire, la détérioration physique de son crâne : « Je courais dans les rues de la capitale (Beyrouth) cherchant un endroit sûr pour m’abriter, fuyant une bataille instinctive meurtrière. »

Sur la scène se trouvent une chaise, occupée par Yasser, et une table sur laquelle sont posés un dictaphone et quelques disques. Derrière Yasser, un écran de cinéma, sur lequel sont diffusés des photos, des documents et des vidéos qui semblent avoir été réalisés par Yasser lui-même. Au premier abord, on ne perçoit pas depuis l’audience les troubles de l’élocution dont souffre Yasser, d’autant qu’il rediffuse ses propos sur le dictaphone immédiatement après les avoir prononcés.

Yasser lit brièvement des extraits de ses livres, et notamment de son ouvrage de poésie intitulé Riding on a cloud, qui a donné son titre à la pièce de théâtre.

Yasser se souvient des bulletins de notes de lorsqu’il était étudiant, juste avant l’accident, à la fin de son enfance. Les professeurs notaient dans son dossier des remarques ordinaires (« studieux », « participe en classe »), mais tous ses efforts pour étudier ont naturellement pris fin au moment de son accident. Son univers cognitif est alors devenu inhérent à ce qu’il enregistrait en vidéo. De cette façon, il a pu mémoriser des visages qu’il avait oubliés ou des photos qu’il n’arrivait pas à associer aux personnes qui figuraient dessus, car, pour quelque raison, le traumatisme l’empêchait de reconnaitre les personnes sur les photos.

Riding on a cloud est une performance purement humaine, loin du monde du théâtre, mis à part les effets dramatiques. La manière dont est présentée l’histoire de Yasser au théâtre fait penser à une séance de confidences intimes, durant laquelle un homme souffrant, d’un côté de son corps, d’une infirmité de longue date, marche sur la scène tel un ange blessé et raconte ce qu’il a vécu à l’époque de la guerre.

Toutes les réflexions auxquelles amène la pièce Riding on a cloud se rapportent à l’image de soi que l’on renvoie aux autres, une image que l’on souhaite ne pas réduire à l’aspect physique mais dont on essaie qu’elle reflète également notre âme et notre conscience. L’atteinte à la liberté est un thème qui ressort clairement de la performance de Yasser Mroué. Sa façon de jouer est presque documentaire, du fait de son désir de s’affranchir de la douloureuse et triste réalité, du fait du désir partagé par toute la famille de se détacher du terrible drame, du souvenir de l’attaque de Yasser et de l’assassinat du grand-père. Il est donc tout naturel qu’à la fin du spectacle, Rabih Mroué rejoigne son frère Yasser sur les planches, et avec lui joue de la guitare et chante une chanson pour mettre définitivement un terme à la souffrance.

Riding on a Cloud © Joe Namy

Riding on a Cloud
© Joe Namy

Le metteur en scène tente de discerner la poésie de la douleur au travers de son existence silencieuse, oubliée et ordinaire. En raison de la guerre civile libanaise, et même de l’ensemble des guerres qui ont frappé le Liban, le pays est caractérisé par une souffrance multiple et latente, qui ne tarde pas à être ravivée sitôt que quelqu’un essaie de l’effleurer.

La blessure de Yasser est tout à fait comparable à celle laissée à Beyrouth par la guerre, blessure matérielle tangible, dont la violence est encore attestée par certains immeubles. Blessure dans le corps humain, blessure dans le corps tendre de la ville, qui, au final, donne à Beyrouth son allure lasse mais charmante, quel que soit l’état dans lequel elle se trouve aujourd’hui.

La pièce Riding on a cloud est construite sur une séquence audiovisuelle ayant pour thème la recherche du sens de la souffrance liée à la mémoire, et le lien qu’entretient l’esprit humain avec le passé comme s’il s’agissait d’une situation présente. Mais le style de la mise en scène est marqué par la mélancolie et la peine, car des mouvements pesants du comédien sont déduits tous les cris douloureux passés. Il s’agit là, pour ainsi dire, de l’ouverture et de la mise à nu d’une large cicatrice que porte le corps du Liban.

Ahmad Basha, un poète qui ne veut pas s’allonger sur les rails

Un premier travail poétique du poète syrien Ahmad Basha, forcé de fuir à Paris à cause de la guerre, a été publié à Beyrouth. L’auteur témoigne d’une mort à l’ombre pesante, présente dans les caractéristiques de son pays.

Par Ammar AL-MA’MOUN (publié sur Alarab, le 18 septembre 2014, n°9683, p. 15).

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens.

Damas – Le travail du poète résume parfois l’horreur des événements ; frappé par ce qui arrive, ce dernier s’arrête parce qu’il ne peut trouver les mots pour décrire ce qu’il voudrait décrire. La mort, la vie, la perte et l’exil sont des événements que le jeune poète Ahmad Basha tente de préserver dans sa mémoire. Pour cela, il emprunte divers styles poétiques visant à imposer une dimension poétique au quotidien et au banal, insérée au cœur d’un exercice textuel qui évoque la diversité syrienne.
Dans son premier recueil poétique « Je ne me suis jamais allongé sur les rails», le poète syrien Ahmad Basha présente une image du poète misérable capable de fouiller aux quatre coins de la ville et d’y recueillir les sensations liées à sa perte ainsi que les changements qui s’y produisent.
Le recueil poétique a été publié en 2014 par l’association syrienne « La Maison du Citoyen pour la Publication et la Distribution » et distribuée par Dar Atlas à Beyrouth.

Ahmad Basha

Ahmad Basha

Caractéristiques de Syrie
Tout acte de lecture est un renouvellement de la compréhension du monde à travers la vision du poète. L’aventure avec Ahmad Basha commence dès le titre, là où il commence par l’exil, annonçant le refus. Mais quel refus ? Le refus de la mort prochaine, qui s’incarne dans le train, comme si l’auteur annonçait son esquive de la mort et son chemin vers elle, symbolisé par les rails.
L’abandon réside dans l’acte de s’allonger ; c’est un acte volontaire que l’homme accomplit. Le seul fait d’annoncer ce refus exprime la réalité de la mort qui attend le poète en embuscade. Ce dernier n’a pas voulu se placer sur son passage. Ce qui est caché dans le titre est ce qui en dévoile la vérité : la mort l’attend, arrivant pour le rencontrer sans qu’il le sache puisqu’elle va l’assassiner ou l’abattre en tirant de loin. Aucune relation d’affrontement n’émerge. Au contraire, la relation reste une ruse élaborée par la mort qui attend le poète.
Dans la première partie du Diwan, qui a pour titre « Une introduction à laquelle on ne peut échapper », nous voyons le poète Ahmad Basha sélectionner un certain nombre de détails qui dessinent les caractéristiques de la Syrie. Il témoigne de la pesante ombre de la mort, présente et planant sur le pays. La ville semble plus proche d’un cachot isolé, d’où le poète s’interroge sur son droit à la liberté. Il reprend les détails de la femme rêveuse, des garages et de la vie quotidienne qui, dans leur banalité, manquent au poète. Ce dernier dit : « Soudain, le chant du bruit manque à mon oreille, les chansons kitchs et les injures des soldats, gardiens des cinq dernières lires se trouvant dans leurs poches ».
Puis Basha évoque Halfaya et le massacre qui y a eu lieu, les détails de l’exil au Liban, comme s’il prélevait des périodes fondatrices de sa vie et les recréait en utilisant une image différente de celle prélevée.
Là s’imbriquent les tons et les contextes porteurs de sens, comme si nous étions face à une période fondatrice qui porte encore une part de vie et de ses changements.

La présence et l’absence
Dans la seconde partie du recueil, qui porte le titre « Obscurcissement », nous nous arrêtons devant un agencement symbolique porté au cœur des poèmes. Leurs thèmes sont nombreux – l’ombre, la lumière, les détails du cheminement vers la clairvoyance – et filent leur symbolique dans la trame des poèmes.
Le poète utilise de nombreux styles poétiques, tant au niveau des tournures qu’à celui des poèmes entiers. Nous percevons une dimension poétique dans des détails au caractère primaire, où l’image est plus proche de l’intimité, sans chichi linguistique. Nous remarquons quelques transgressions dans la construction des poèmes lorsque ces derniers s’éloignent de la règle poétique classique de « l’unité fondatrice ». Nous observons un surplus de tournures et de leur aspect poétique au détriment de la cohérence structurelle du texte. Cependant, les détails qu’évoque Basha se fondent sur l’observation de la ville et de la définition de sa relation avec cette dernière. Une telle relation est basée sur la tension, comme si l’auteur était toujours incapable d’harmoniser sa propre présence avec celle, angoissante, des détails. La propagation des armes et la perte en particulier poussent Basha à évoquer les splendeurs lorsqu’il est absent des poèmes ou la cruauté lorsqu’il y est présent. Dès lors, il dit : « l’histoire a été bienveillante envers ses héros. Nos corps ne pouvaient rien faire, si ce n’est maudire les fins heureuses. Ainsi, Ô mère, nous nous mîmes à implorer l’instant ».
La femme est présente dans les poèmes d’Ahmad Basha mais ne cesse de changer de forme, comme si nous étions face à un réseau de thèmes que le lecteur se doit de suivre. La femme prend tour à tour la forme d’une amante, d’une mère et d’une nation. Et les lèvres se mêlent aux pierres tombales.
La présence de la femme prend le dessus sur la langue. Cette dernière tente d’évoquer cette femme mais se retrouve dépassée, incapable de lui donner forme dans l’ombre de l’exil. Un exil que le poète vit au sein d’une nation qui se déchire et dont les détails disparaissent les uns après les autres ; un exil qui accroît la distance entre ce poète d’un côté, le lieu et sa mémoire de l’autre.
Dans la troisième partie du Diwan, portant le titre « Balles perdues », la mort est présente à travers son ombre pesante. Nous voyons le jeune poète évoquer les détails du lieu et ses reliefs, tentant de les restaurer une fois que la mort a pris place en leur sein. Le poète peut réduire la présence de la mort en ayant recours aux détails les plus précis et les plus banaux.
Ahmad Basha dit : « Le pays qui égare ses victimes ne connaît pas la forme de leur corps. Leur faim ne s’est pas tue, ne serait-ce qu’un jour. Ce même pays est plus petit que ce qu’un enfant dessine sur le siège usé en face de lui, avant qu’il ne s’endorme ou ne meure. »

Adieu de la mémoire
A la fin, le poète Ahmad Basha revient sur une confidence qu’il s’est faite à lui-même. Alors, les phrases poétiques se condensent pour que ce qu’il a perdu petit à petit soit présent, comme s’il disséquait l’impact de l’absence et de la mort sur lui-même, sur son corps et sur le regard qu’il porte sur ce qui l’entoure ; comme s’il faisait ses adieux à sa mémoire et tentait de graver ses détails dans la langue qui reste parfois trop étriquée pour décrire ce qui arrive.
Le Misérable perd ses lieux. Il perd les détails qu’il s’était habitué à dompter et face auxquels il s’était résigné durant les phases éveillées. Ceci se reflète dans la structure de la langue, qui devient plus dense et plus pertinente dans l’expression.
Comme si la mémoire était éparpillée de telle sorte qu’un poème seul ne pourrait la porter. Cette mémoire est plus proche des pulsations. Chacune d’elles renouvelle le dessin d’une scène tirée de la vie du poète misérable ; le poète, qui observe la chute de ses propres yeux et qui s’arrête, essayant d’embellir le lieu, non pas dans le but d’obtenir quelque chose mais pour préserver ses souvenirs et sa langue.

 

 

Kobané est sous la menace d’un genocide

[Par Rebin RAHMANI]

Photos de Maryam Ashrafi.

Manifestation du Collectif des étudiants et des activistes kurdes en face de l’ambassade des Etats Unis à Paris.

Photos de Maryam Ashrafi

Le 10 octobre, la Collectif des étudiants et des activistes kurde a manifesté pour protester contre la politique des pays occidentaux vis à vis des agissements de l’état islamique, et ainsi soutenir la résistance kurde à Kobané(*) devant l’ambassade des Etats Unis à Paris.

Les activistes se sont regroupés et ont marché vers l’ambassade en portant un cercueil symbolisant la mort de l’ <Humanité> et scandant « Kobané is under the danger of génocide », “Kobané est sous la menace de jenocide”.

Les étudiant(e)s et activistes voulaient offrir le cercueil à l’ambassade des Etats Unis comme cadeau, mais après quelques minutes, ils en ont été empêchés par la police.

Ils ont demandé à laisser un message à l’ambassade des Etats-Unis mais la police a refusé leur demande et les a refoulés vers un parc proche de l’ambassade.

(*) Kobané est une ville de Rojava (Kurdistan de la Syrie). Cela fait presqu’un mois que la ville est assiégée par les djihadistes.

Photos de Maryam Ashrafi

Photos de Maryam Ashrafi Photos de Maryam Ashrafi Photos de Maryam Ashrafi Photos de Maryam Ashrafi






 

Kurdes-Etat Islamique : Protestations dans les rues de Paris

[Par Rebin RAHMANI]

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Des milliers de manifestants ont marché à travers Paris le samedi 4 octobre demandant à la communauté internationale de soutenir la résistance Kurde contre les djihadistes de l’état islamique qui sont en train d’encercler la ville Kurde de Kobané dans la région kurde de Syrie, Rojava.

Les djihadistes de l’EI ont commencé leur attaque dans cette région du nord-est de la Syrie le 15 septembre et depuis ils ont ciblé la ville, laissant craindre encore un génocide contre les kurdes.
Les attaquants emploient actuellement des armes d’une puissance jusque-là inconnue sur ce terrain, comprenant des chars, des fusées à longue distance et de l’artillerie lourde.

1.400.000 réfugiés kurdes ont fui la ville et – dans un mouvement de désespoir – ont traversé la frontière pour essayer de se mettre à l’abri dans des communes kurdes en Turquie.
Les forces kurdes de l’armée YPG et le YPJ (protection des femmes) sont restées à Kobané afin de combattre les djihadistes et protéger leur ville.

Protestations dans les rues de Paris

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Face à ces événements, les manifestants ont sillonné la capitale française de l’Assemblée Nationale jusqu’au Trocadéro. C’est la quatrième fois qu’une telle manifestation a lieu à Paris en faveur des résistants syriens kurdes.
La manifestation a également marqué la fin d’une grève de la faim de cinq jours menée par la communauté kurde devant le parlement français pour demander le soutien de la communauté internationale en faveur de la résistance kurde contre les attaques des djihadistes de l’E.I. à Kobané.

Chemin faisant de nombreuses personnes se sont jointes aux manifestants, chantant des slogans en faveur de la résistance. Au Trocadéro les représentants du PYD, leader des communautés kurdes en France, et le représentant du parti communiste français ont demandé un soutien international immédiat envers la résistance kurde contre les djihadistes.

De nombreux manifestants ont rappelé que les Kurdes de Syrie ont lutté contre l’EI et d’autres organisations comme Al-Qaïda lié au Front Al-Nusra pendant les deux dernières années alors que le monde entier ne considérait pas ces groupes comme un danger pour la paix dans le monde.

Un soutien sélectif

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Au cours des deux derniers mois, la communauté internationale a condamné les attaques des djihadistes de l’ES contre la communauté kurde yézide en Irak et a fourni un aide militaire et humanitaire au gouvernement régional du Kurdistan (KRG) du Kurdistan irakien pour se battre contre les djihadistes de l’ES. Toutefois, une telle aide n’est pas fournie aux Kurdes en Syrie, même si les Kurdes Syriens ont été à l’avant-garde de la lutte contre les djihadistes est pour les deux dernières années.

Alors que certains manifestants s’interrogeaient sur les raisons du soutien de la communauté internationale aux Kurdes Irakiens, mais pas les Kurdes de Syrie, de nombreux autres expliquaient que la raison principale de cette situation réside dans les intérêts des pays occidentaux avec l’ARK du Kurdistan irakien et que la défense de ces intérêts a conduit les alliés à défendre le Kurdistan irakien des djihadistes de l’ES.

Beaucoup de pancartes tenues par les manifestants proclamaient qu’il faut condamner les djihadistes de l’ES et l’attitude de la communauté internationale.

Dans les deux dernières semaines, des officiers Kurdes Syriens ont plaidé à plusieurs reprises pour le soutien de la communauté internationale en vue de sauver Kobané et prévenir les massacres qui ont lieu contre des civils kurdes de Syrie aux mains des djihadistes IS.
Leur appel urgent pour une aide et un soutien international, à l’adresse du département d’Etat américain et de la communauté internationale, cependant, est jusqu’ici tombé dans l’oreille d’un sourd.

Moi, je suis avec la mariée : un cinéma hors-la-loi

[Par Ahmad BASHA]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens
Article en version originale publié sur alModon, le jeudi 04/09/2014

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Un image du film « Moi, je suis avec la mariée »

Avant et après les événements de la Mostra de Venise, les media italiens et internationaux n’ont cessé de parler du documentaire palestino-italien « Moi, je suis avec la mariée » de Khalid Suleiman Al Nassiry, Antonio Augugliaro et Gabriele Del Grande. L’agence de presse italienne ANSA est allée encore plus loin en décrivant le film comme étant « l’une des dix raisons qui font que nous nous rendons au festival ». De fait, les tickets d’entrée (mille sièges) pour la première projection, prévue à Venise jeudi soir dans le cadre de la manifestation « Perspectives Nouvelles », furent déjà distribués quatre jours auparavant. Le film fut présenté à la presse dans une projection exclusive, organisée la veille de la projection officielle.
Les réalisateurs de « Moi, je suis avec la mariée » – un palestinien et deux italiens – voulaient que leur premier documentaire soit une aventure pouvant potentiellement engager leur responsabilité légale ; une supercherie qu’ils ont eux-mêmes tissée et tournée à des fins purement humanitaires, dans le but de permettre à cinq réfugiés (des palestiniens et des syriens) de se rendre en Suède. Pour cela, les trois cinéastes ont demandé l’aide de leurs amis mettre en place leur stratagème. De nombreux jeunes se sont portés volontaires afin que la mission soit un succès. Tout fut organisé pour que le convoi ait l’air du cortège d’un mariage italien, qui se rendrait de Milan à Stockholm en passant par la France, le Luxembourg, l’Allemagne et le Danemark. Et c’est exactement ce qui s’est produit.

Un seul rêve rassemble les personnages principaux du film : arriver en Suède, espérant une vie meilleure pour eux et leurs familles, qui pourraient quitter la Syrie si leurs membres pionniers arrivaient à entrer au pays nordique. Les cinq immigrants se rencontrent sur l’île italienne de Lampedusa alors que la chance leur a déjà souri de nombreuses fois : la première fois, lorsqu’ils ont échappé à la mort dans leur pays ; la seconde lorsqu’ils sont sortis vivants des bateaux des passeurs et des malédictions de la Méditerranée ; la troisième fois, lorsqu’ils ont rencontré les trois réalisateurs qui allaient les aider dans la traversée vers leur rêve.
Dans leur documentaire, qui dure une heure et demie, les trois cinéastes présentent une œuvre cinématographique particulière. Ils condensent avec application la durée de leur voyage – qui se déroula du 14 au 18 octobre 2013 – afin que ce dernier devienne un instant de connivence, comme un jeu, dès le départ, entre les cinéastes et leurs personnages d’un côté, le film et ses spectateurs de l’autre. Pour servir l’objectif du cortège, les réalisateurs ont eu recours à un jeu cinématographique qui impose une élégance visuelle que l’on retrouve dans les images et les plans travaillés du film. De même, la musique du film – qui est essentiellement basée sur des instruments à percussion – et les intertitres précisant les noms des lieux traversés durant les différentes étapes du voyage contribuent à présenter un espace cinématographique irréel, factice mais aux détails soignés. Suivant la même logique, l’Europe dont ils ont entendu parler, l’Europe dont 17 des membres ont annoncé qu’ils accueilleraient des réfugiés, n’est pas celle qui existe réellement.
A travers ce travail, les trois cinéastes ont enfreint les lois en vigueur, les exposant à des poursuites judiciaires pouvant aboutir à des peines allant jusqu’à 15 ans de prison. L’équipe du film a eu recours aux éléments techniques habituels mais avec l’objectif délibéré de montrer que le cinéma a la capacité de truquer la réalité. Le cinéma devient ici un outil pour traverser le réel et rejoindre le rêve. Comme le décrivait Walt Disney : « Si vous pouvez le rêver, vous pouvez le faire ».
Après le début du voyage, le temps réel s’enfuit, s’ouvrant sur de nombreux lieux et espaces sillonnés par les personnages du film. Depuis l’histoire d’Ahmad, qui s’est réveillé au milieu de cadavres durant son voyage où près de 250 corps ont été perdus en Méditerranée, jusqu’au récit que fait Tasmeen de ses souvenirs avec ses amis activistes et combattants dans l’armée libre au camp de Yarmouk. Tasneem – qui est arrivée d’Espagne pour jouer le rôle de la mariée dans la supercherie à laquelle elle a volontairement contribué – est elle aussi venue d’un autre lieu : celui du film Les Chebabs de Yarmouk, quand elle était encore à Damas et qu’elle passait son temps avec Hassan Hassan et ses amis sur les toits du camp de Yarmouk pendant le tournage de ce film.
Les variations de lieux durant le voyage du film accompagnent aussi les transitions entre les souvenirs de chaque personnage. Du camp de Yarmouk jusqu’à la patrouille côtière à Maltes ; du mariage auquel a assisté Gabriele à Alep en 2012 jusqu’à sa proposition concernant l’idée de Moi, je suis avec la mariée ; et du film Les Chebabs de Yarmouk jusqu’aux lieux cités dans les chansons qui les aident à patienter à mesure qu’ils se rapprochent du « rêve » nordique.
Les lieux s’entremêlent et bifurquent, les nouvelles du pays et de ses habitants se perdent. Ainsi, le père s’épuise afin d’obtenir le droit au regroupement familial pour sa famille, même s’il ne sait pas si le nombre de ses proches est resté le même que celui qu’il a en tête. Tous arrivent et le film s’achève. Restent les barils du système. Les gens continuent de fuir la Syrie « en payant des milliers de dollars pour mourir dans la mer », comme le dit l’un des personnages du film.
Le documentaire Moi, je suis avec la mariée suit un scénario prévisible. Il ne contient ni péripétie ni surprise. Tout ce qui arrive est attendu. La structure du film n’est pas classique : le drame vient de la difficulté qu’ont les personnages de rester en accord avec eux-mêmes alors qu’ils doivent jouer un rôle, du fait de leur confusion face à un univers inconnu et de la manière dont ils se confrontent aux éléments du monde « nouveau » à partir d’une langue, d’une musique, d’une manière de penser, etc. En revanche, plusieurs scènes tranchent avec le style général du film, comme la scène de lecture de poésie et celle du chant de Tasneem face à la mer, par exemple. L’unité du film – qui est construit dans la forme comme dans le fond sur l’idée de jeu – souffre de la présence de ces scènes.
Les cinq arrivants semblent participer à une mascarade ayant lieu dans un endroit étrange, qui n’a aucun lien avec les personnages, sauf à travers la supercherie mise en place. Les paradoxes se révèlent dans le caractère poétique des personnages, à travers leur spontanéité dans un cadre pourtant construit, leur rapport avec la réalité et leur attente concernant leur rêve. Le rêve se trouve peut-être ici dans la capacité qu’a le cinéma de changer la réalité.
A propos de la participation du film à la Mostra de Venise, Al Nassiry a précisé au journal alModon : « Notre rêve a franchi une nouvelle étape dans sa réalisation, dans un sens métaphorique, bien évidemment. Imaginez avec moi la situation: un immigrant fuit une guerre contre laquelle l’Occident n’a pas fait ce qu’il devait faire pour y mettre un terme. Il traverse la mer, souffre de la soif, de la faim et du fait que les Européens arrivent tardivement pour le sauver. Il arrive pieds nus et reste longtemps dans les camps de détention européens. Puis il s’en échappe mais les lois européennes lui interdisent de se rendre dans l’endroit sûr qu’il souhaite. Il se retrouve donc confronté aux passeurs qui sont des trafiquants d’êtres humains qui travaillent, en fait, grâce aux lois européennes ». Et à Al Nassiry de conclure : « Les immigrants qui sont arrivés pieds nus en Europe marcheront sur le tapis rouge du plus ancien festival cinématographique au monde ».
Peut-être que l’entrée des réfugiés à Venise, après leur traversée accompagnés de trois cinéastes qui ont commis un délit d’après la loi italienne, est une belle preuve que le cinéma est toujours capable d’action et de transgression. Car toi, « si tu peux le rêver, alors tu peux le faire ».

L’Etat Islamique- l’Irak et les Kurdes : Quel avenir attend le pays?

[Par Karwan Tayib BAZYAN]

Des jihadistes de l'EIIL tiennent un point de contrôle à l'entrée de Mossoul, le 16 juin 2014 | Karim Sahib

Des jihadistes de l’EIIL tiennent un point de contrôle à l’entrée de Mossoul, le 16 juin 2014 | Karim Sahib

L’Etat Islamique –connu également sous le nom de « Daech »- est un groupe djihadiste extrémiste sunnite qui a été fondé, en Irak en 2006. Le fondement de son pouvoir reste l’application fidèle de la « Charia ». Pour ce mouvement, les musulmans qui n’adhèrent pas l’idéologie du groupe sont en dehors de l’Islam. Il considère que les kurdes sont les alliés d’Israël et des pays occidentaux. Dernièrement, l’Etat islamique a exploité le conflit entre les chiites, sunnites et les kurdes en Irak pour contrôler Mossoul, la deuxième grande ville du pays et plusieurs autres villes de la région sunnite. Quel rapport a donc cet affrontement avec les précédents conflits entre les sunnites, les chiites et les Kurdes? Quel avenir se dessine-t-il pour l’Irak de demain?

Le Kurdistan irakien et l’Irak

Le Kurdistan irakien est une entité politique, fédérale et autonome du Nord de l’Irak, reconnue par la constitution irakienne de 2005 et par la communauté internationale. Lors de la dernière élection législative, trois partis politiques laïcs obtiennent la majorité : le Parti démocratique du Kurdistan (38 sièges), L’Union patriotique du Kurdistan (18 sièges) et le Mouvement de Gorran (24 sièges). En revanche, les partis islamistes qui se considèrent comme «islamistes modérés», gagnent 17 des 111 sièges au parlement Kurdistan. Notons que les partis politiques kurdes se revendiquent nationalistes par rapport au Kurdistan.
Les autres partis politiques irakiens sont islamistes notamment les partis politiques chiites ; ils sont de confession islamiste chiite traditionnelle. Le clergé (un ayatollah) a un véritable pouvoir décisionnel en leur sein. Mais, chez les arabes sunnites nous trouvons des partis politiques islamistes et des partis laïcs confessionnels. De toute façon, nous pouvons dire que tous les partis irakiens sont confessionnels. Il n’existe pas du tout de parti purement nationaliste dans le pays.

Carte tirée du site fr.wikipedia.org

Carte tirée du site fr.wikipedia.org

Les Kurdes Irakiens n’ont pas de véritables liens d’appartenance à l’Irak, parce que les autorités irakiennes, depuis le début des années 1920 jusqu’à aujourd’hui, n’ont pas donné la totalité des droits aux Kurdes c’est pour cela que ces derniers sont toujours en conflit avec elles. En 1991, après un grand exode des kurdes vers les frontières de l’Iran et de la Turquie, parce qu’ils ont rencontré la persécution et le massacre de 1991 à 2003, le Kurdistan irakien, protégé par la couverture aérienne garantie par la communauté internationale a bénéficié d’une quasi-indépendance. De plus, dans les années 1980 plus de 182 mille Kurdes ont été victimes d’un génocide (connu sous le nom d’Anfal), mais également en 1988 sous le régime de Saddam Hussein, qui a provoqué la mort de 5 mille civiles kurds de la ville de Halabja au Kurdistan irakien avec des armes chimiques. Et il faut , en outre, rappeler qu’en 1988, le régime irakien a détruit 90% des villages des kurdes. Malheureusement, à l’époque, tous les pays arabes et musulmans sont restés silencieux.
Par ailleurs, de 1991 (après l’exode) à 2003, les Etats-Unis, l’Angleterre et la France ont pris la décision de protéger les Kurdes. A partir de 1991, la région de Kurdistan irakien était en dehors du contrôle du gouvernement irakien, depuis que les kurdes avaient constitué un gouvernement local et un parlement régional. Après le renversement du régime de Saddam Hussein, ils ont partagé le processus politique en Irak.
Gardons à l’esprit que cette région est très riche en pétrole et en gaz naturel. Aujourd’hui, plusieurs entreprises pétrolières étrangères travaillent au Kurdistan irakien. La région était en sécurité jusqu’ au 9 juin 2014. A partir de cette date, l’Etat Islamique l’a menacée sans cesse. Mais de toute façon, la situation n’est pas très tragique, parce que les pays occidentaux ont très vite annoncé leur soutien aux Kurdes en Irak contre le « Daech ».

Les Kurdes, sunnites et les chiites
Le conflit entre les arabes sunnites et chiites ne date pas d’aujourd’hui. Les sunnites contrôlaient le pouvoir en Irak depuis la Première Guerre Mondiale jusqu’en 2003, c’est-à-dire après la proclamation de l’indépendance en 1932. Lors de cette indépendance, la Grande-Bretagne a fait, selon nous, une grande erreur politique : elle a couronné une personne d’origine étrangère qui venait d’Arabie Saoudite au lieu d’une personnalité irakienne. Ensuite, elle n’a pas garanti les droits des Kurdes en Irak, non plus. De ce fait, les Kurdes se sont retrouvés annexés à l’Irak.
Après la chute du régime de Saddam Hussein, le conflit confessionnel a commencé entre les arabes sunnites et chiites. Mais, les Kurdes ont coupé tout lien avec le régime Saddam Hussein jusqu’en 2003. Ensuite, ils sont revenus à Bagdad pour créer un nouveau système politique. Le conflit des Kurdes avec les sunnites et les chiites a émergé pour plusieurs causes, y compris concernant les frontières que possède la région du Kurdistan avec les autres car cette région demande à inclure quelques villes dont Kirkuk, qui correspond à la zone la plus importante du Kurdistan.
Pour les Kurdes, l’ethnie est plus importante que la religion. L’opposition entre les sunnites et les chiites est d’orde religieux et confessionnel, mais les conflits entre les arabes en général et les Kurdes sont ethniques. Notons que le régime de Saddam Hussein qui était totalitaire, marginalisait à la fois les chiites et les Kurdes. Cependant, après le renversement de Saddam, les chiites ont contrôlé le pouvoir.
Actuellement, l’Etat Islamique contrôle les régions habitées par les sunnites, parce qu’il a été directement au indirectement soutenu par ces derniers. Aujourd’hui, Les sunnites en Irak soutiennent l’Etat Islamique contre les chiites et les Kurdes, pour renforcer leur position dans le pays.
D’ailleurs, Les autorités arabes en général n’acceptent pas les autres minorités dans les pays arabes. Pour confirmer cela, il suffit de prendre des exemples : les autorités irakiennes ont réprimé les Kurdes en Irak et en Syrie après la Première Guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, les coptes sont marginalisés en Egypte, les berbères en Afrique du nord et d’autres minorités au Soudan ont été réprimées.

Les sunnites et les chiites : une histoire sanguinaire

Carte tirée du site huffingtonpost.fr

Carte tirée du site huffingtonpost.fr

Le conflit entre les sunnites et les chiites est très ancien en Irak. Ce pays a toujours été un champ de bataille entre ces deux populations. Elles n’arrivent toujours pas à un consensus en vue d’ une coexistence pacifique. D’ailleurs, ce conflit continue depuis l’émergence de l’Islam jusqu’à aujourd’hui. De plus, l’Irak a connu d’autres conflits entre les Califats et l’empire Séfévides –les chiites iraniens- depuis bien longtemps. On peut dire que le même conflit continue sans entraîner aucun changement.
Aujourd’hui, les pays sunnites, le Qatar, l’Arabie Saoudite, La Turquie, etc. soutiennent les arabes sunnites et l’Iran soutient les arabes chiites en Irak.

Quel avenir cela dessine-t-il?
Les expériences antérieures à l’occupation d’Irak par les Etats-Unis et ses alliés en 2003 montrent que les ethnies en Irak ne souhaitent pas vivre dans un pays forcément contrôlé par Bagdad ou centralisé par le gouvernement de Bagdad. Dans ce contexte, on pourrait émettre plusieurs hypothèses ou suppositions pour l’avenir de l’Irak. Peut-être serait-il mieux de fédérer toutes les ethnies dans ce pays, selon trois grandes régions :”Trois régions semi-autonomes attribuées aux chiites, sunnites et Kurdes, tout en plaidant en faveur de l’unité” (selon les propos de Joe Biden, vice-président des Etats-Unis). Ce modèle est fortement soutenu par les Kurdes. Les arabes shiites disposent, en revanche, d’un système fédéral. Ils espèrent créer leur modèle dans une région à part entière en Irak. Les événements sur le terrain rendent les Irakiens connaisseurs de la réalité et du modèle proposé par Joe Biden et qui est le meilleur pour toutes les ethnies, car il permettrait d’éviter la guerre civile et de stabiliser le pays.

 

 

La jambe morte du Narcisse syrien

[Par Rana ZEID]

J’ai un beau visage. Je ne suis pas Narcisse ; mais, je suis quelqu’un qui est tombé amoureux du visage de son cadavre retourné à la vie, du reflet de soi-même mort, à la surface d’un sang blanc. Je suis un narcisse syrien, un combattant (Ahmed.I). Je ne peux pas aller sur ma tombe, dans la ville de Al-Bab, dans la banlieue d’Alep. L’EIIL domine la région. Mais, je reviens de ma mort, pour tuer mon tueur.

Ahmed.I

Je ne savais pas encore que j’étais mort. Mon père est venu vers moi, trois heures après l’amputation de ma jambe. Il a dit : «Nous avons pris ta jambe pour l’enterrer, elle était encore fraiche, dégoulinante de sang, comme vivante».
Je lui ai dit: «Est-ce qu’elle est toujours vivante? Est-ce vrai qu’elle n’est pas morte ?».
Mon père et mes oncles ont embrassé ma jambe amputée et l’ont enterrée dans le cimetière près de l’hôpital. Sur la tombe, ils ont écrit : »Tombeau du martyr (Ahmed.I) 09/10/2012».
L’EIIL as tué mon oncle, un combattant de l’Armée Libre ! Mais, après sa mort, sa phrase s’est enfuie vers moi: «Quand on l’a enterrée, ta jambe était comme un poisson au moment où il quitte l’eau».
Dans le reflet, à la surface du sang blanc, je suis un cadavre. Et l’écho répète: «ta jambe est vivante. C’est toi qui es mort».
L’armée du régime syrien tentait de nous envahir, d’entrer dans notre secteur par Said Ali. Et nous, entre Said Ali et la Porte de la Victoire, nous étions cinq combattants d’un bataillon qui avait pour nom « Brigade de l’Unification». Nous couvrions la retraite d’autres bataillons de l’Armée Syrienne Libre, à Al Azaza.
Une Kalachnikov à l’épaule (type 56, chinoise), j’étais prêt pour ma scène de mort : «en silence, je fume une cigarette et feuillette un livre idiot sur Saddam Hussein ; je suis assis sur une chaise, attendant la balle». La ville d’Alep me doit un peu de sang, car depuis longtemps, je voulais saigner, même un peu, sur son territoire. J’aime ses pavés anciens.
Nous poussons la terre avec nos pieds, nous la faisons dérouler dans la direction opposée à celle vers laquelle nous courons. L’armée du régime fait le contraire, pour nous priver de notre terre. C’est à cause de cela que nous sommes en conflit avec elle, pour empêcher sa terre étroite de repousser notre vaste terre. Nous avons récolté une terre hérissée d’épines, pour y planter une fleur, seulement une fleur. C’est notre guerre. Aucune fleur jusque-là n’a résisté. L’armée du régime a tué toute idée.
Comme un corbeau brise une noix, le tueur déchiquette un corps, et le laisse moisir, derrière lui. Je suis un homme qui aime son corps, je lui mets une couronne d’or, j’orne mes jambes de bois de narcisses jaunes. Et mon sang est de narcisses blancs. Chaque fois que je tue l’un de ces monstres, son corps redevient humain dès qu’il touche le sol.
Al AZAZA. Je suis blessé à la jambe droite, six doigts au-dessus du pied. Le chef de la bande du vieil Alep, Khitab Almaraei, de son nom de guerre, a été envoyé à la pointe du combat. Je suis dans une situation difficile. D’autres combattants sont abandonnés à eux-mêmes. Je garde l’endroit, et j’écoute ce bruit de forage qui se rapproche. Je ne sais pas si c’est l’ennemi qui fore ou si ce sont les nôtres qui violent les bâtiments, pour progresser à travers les trous ainsi dégagés. Quelqu’un brise ma solitude, un combattant d’un autre bataillon. Il vint parler avec moi: «Mon frère, cet endroit est risqué. Il est visé. Abandonne-le», j’ai répondu: «Eh bien, battez en retraite», il répond alors avec le ton de son milieu : «Vous êtes du peuple de la campagne, vous avez de l’orgueil ». Mais , moi, je suis d’Alep. Alors j’ai crié: «Vous devriez mourir ici, plutôt que de quitter votre poste». Il a répondu tout en courant : «Meurs toi-même, ici ».
J’ai trouvé un livre couvert avec une photo de Saddam Hussein, je l’ai pris et j’ai commencé à le lire; alors le crépitement des balles s’est atténué, et le forage a cessé. J’attendais ma mort. Le sniper de l’armée syrienne nous a rejoint, a découvert l’endroit ; mon ami a été touché par quatre balles, dans la tête et le ventre, mais il a survécu comme une fleur de cactus. Le médecin syrien a dit: « Votre opération est pour demain ». Ce lendemain-là, ils ont découvert des bouts d’artères dans mes jambes. Ils m’ont envoyé dans un hôpital d’Al- Bab.
Mes jambes sont mortes. La gangrène s’est infiltrée jusqu’au-dessus du genou. Un égyptien de Médecins Sans Frontières a dit : »La balle explosive était également empoisonnée».
Je suis le combattant de la mort, je visite ma tombe tous les soirs.

Après l’opération, le régime syrien a volé mon cadavre, mon visage, mes jambes, mes cheveux, et jusqu’au khôl noir de mes yeux ; il m’a volé à moi-même. Est-ce parce que j’ai tardé à déserter, mon Dieu? Maman criait: «Comment vas-tu porter les pantalons et les chaussures, que tu avais tant désirés ?».
La guerre est nue ; un voyage dans tout ce qui est noir.
Tout le monde le savait, que le vieux sage de Marea (Hajji Marea) ne voulait pas soigner ceux qui étaient uniquement de Marea. Mais le chef des opérations militaires de la «Brigade de l’Unification», le martyr Abed Qader Saleh, Samir Kavrir, m’a dit: « va en Turquie et enracine-toi chez Mahmoud ».
Les images de la mort de Narcisse flottent dans ma tête, image après image. Tout est lent, les bruits sont lents, seules les images viennent rapidement. Le jeune homme lui-même, les respirations, les mêmes, se répètent. Un jeune que je ne connaissais pas me portait sur son dos, et il a couru sur une distance de deux cents mètres. Je n’ai pas vu son visage. Comme j’aurais aimé le rencontrer !
Sa voix est mon sang versé, mon sang qui a peur, et mon sang blanc: «Nous allons au paradis. Je suis aussi infecté que toi, mon frère». Vertiges, ses paroles sont lentes et le paradis est fait d’images rapides qui vont et qui viennent. Il m’a posé sur le chariot de légumes et puis est tombé sur le sol. Le chariot s’est mis à bouger, trois hommes le poussaient. J’ai dit: « le vendeur d’Alep a dû mettre une chaîne, pour bloquer la roue, pour éviter que le chariot ne soit volé par les tyrans». Je suis un grain de raisin craquelé de douceur. Je suis dans le paradis du chariot en mouvement, chantant pour mon frère, tombé à la terre: « on ira tous les deux au paradis ». Les amis du bataillon m’ont dit qu’ils avaient vidé un chargeur entier pour briser la chaîne du chariot.
Nous attachons le bol de lait à Alep, avec une longue chaîne, après l’avoir troué, car les chats sont perfides et lèchent le lait et dévorent après lui la soucoupe.
Cher Saint-Georges, quand vous tuez le monstre sous votre jument, n’oubliez pas que vous le tuez, pour défendre notre âme assassinée.
Nous restions dans le “zoo”, à Douma, pour chasser les oiseaux migrateurs, venant de l’inévitable parti en Syrie (le parti Baath). Les manifestants de la liberté à l’extérieur des murs du jardin, ont réveillé les canards ! J’ai dit à l’officier: «Ne m’attribuez pas une arme à feu !» Il m’a frappé jusqu’à ce qu’il tombe de fatigue.
Je suis une recrue de la Garde Républicaine (Ahmed.I), mon numéro, 7340. Mais je ne me souviens pas des autres numéros. J’annonce que je déserte de l’armée du régime et du livre de Gibran « les ailes cassées » ; je l’annonce aux camarades qui ne l’ont pas fait, et je leur donne mon carnet de notes, qui était ma façon à moi de résister à la puissante organisation militaire qui a essayé de faire de moi un monstre, un tueur, uniquement pour rendre éternelle l’image du chef, accrochée au-dessus du lit militaire, un lit dont la couverture verte et mystique et moisie recouvre notre squelette. Je suis (Ahmed.I), un cadavre pur et sincère, insensible à vos efforts pour me stimuler ou me terrifier. Je ne dirigerai pas mon arme vers la poitrine de mon frère rebelle. (décembre 2011).
Mon oncle a dit à mon père : «Le sucre manque. Je vous en enverrai un sac. Essaye de le cacher». Je n’ai pas compris à l’époque le sens du mot sac. Mon oncle, cet après-midi, pensa sur le trou dans le temps, les récipients, la tasse de thé chaud, et le calmant (Alcetacodaúan).
Je me suis fondu dans la ville de Marea, la ville de Riyad Saleh Hussein, et suis resté là deux mois, à l’écart des opérations militaires, des bataillons, au début de la création de l’Armée Syrienne Libre. Nous étions dix-huit rebelles. Parmi nous le bon chef Al-Saleh, rien à voir avec nous, sauf les armes, rustiques et légères. Ibrahim est mort, c’est un martyr, et, moi, j’ai été attristé. Je suis comme lui, mort et martyr. C’est pourquoi je reviens, afin de tuer mon tueur.
Au sommet de la montagne, j’étais orphelin, couvert de neige : «Oh, mon Dieu faîtes que j’obtienne une permission, une seule. Si je demande au chef, il m’écrabouillera le visage. Le battement de la désertion s’entend. L’officier nain a faim. Il dévore le cou du rebelle. Les exercices militaires ont fait de moi un cadavre.
Les cheveux poussent tous seuls, sur le cadavre des recrues. J’ère et mes cheveux sont semblable à une herbe hybride plantée sur mon corps. Sous la couverture verte et mystique et moisie, je recherche dans le livre « les ailes cassées » la terre de Droit. Je suis une recrue syrienne, (1991- 2012), un cadavre qui a mémorisé le chant des oiseaux et les répète, puis se rappelle de la manière dont le vent caressait ses longs cheveux.
J’ai reçu un document du chef de la brigade 104, après qu’il ait défendu les rebelles au cours d’une assemblée militaire. Il dit: « A transporter vers la Direction générale de la Police (22), dans la prison de la Garde républicaine (nom de code: Moulin Rouge), à cause de son incitation à la division et l’abaissement du prestige de l’Etat ».
Je suis un cadavre féroce. Seuls les mots dans « les ailes cassées » apaisent ma douleur, l’engourdissement, lors de l’exercice matinal.
Ils m’ont mis avec les détenus, dans une pièce étroite, à la prison de Mezze. Vase en verre, brisé, urinoir, collectif. Ils ont écrit sur le mur: « C’est quoi ta pointure? Ajoute 50 ». « Quelle dimension, exacte, pour le trou de ta tombe? » Un soldat n’a pas le droit à une tombe. J’ai été torturé pendant six jours, comme un arabe accusé. Mon corps est boursouflé à cause de la chaîne en silicium et du bâton électrique. Mon âme est épuisée. Je suis devenu un oiseau blanc de sang.
Le tyran Bashar al-Assad m’a tué avec un couteau, a tué les manifestants par balle et mon frère Ayman avec un missile, avant que la Terre ait fait un tour.