Femmes exilées : privée de patrie et non d’autonomie

« Afin d’être réellement porteur de changement, le programme de développement pour l’après-2015 doit établir des priorités en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes. Le monde ne pourra jamais atteindre pleinement ses objectifs si la moitié des habitants de la planète ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel. »

M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies

Témoignage d’une femme exilée

Aujourd’hui hébergée à la Maison des Journalistes, ma vie s’améliore de jour en jour depuis que j’ai quitté mon pays ; c’est le premier lieu qui m’a redonné le sentiment d’être “chez moi”. Hébergée gratuitement, je peux m’offrir l’essentiel du matériel nécessaire au confort dont une femme a besoin. Dès que je tourne la clé et franchis la porte de ma chambre, je dis “Ouf! Merci Seigneur, je suis arrivée chez moi”. Pourquoi ?

(Source : lamontagne.fr)

(Source : lamontagne.fr)

Agée de 33 ans et mère de 2 filles, je suis exilée en France depuis le 28/01/2014. Comme tout demandeur d’asile sans famille, dès mon arrivée en France je fus logée par le service du 115, numéro que j’appelais chaque jour pour bénéficier d’un lit le soir et sortir le matin. Sortir et errer dans les rues sous un climat d’hiver fut pour moi une nouvelle expérience. J’ai vécu cette situation jusqu’au 31/03/2014, quand la même structure m’a placée en colocation de chambre dans un foyer social. Comme femme, dans de telles conditions de vie, on en oublie même un minimum d’intimité dont on a toujours besoin. Oui, l’exil est une nouvelle école, un champ de bataille où l’on est obligé de “tenir le coup” faute de choix, et en tant que mère, toujours avec l’image de ses enfants qui vous tourne dans la tête.

Voir d’autres exilés qui ont eu la chance de venir avec les leurs, ou de croiser des gamins dans la rue, vous donne les larmes aux yeux ; mais où pleurer? La nuit, dans une salle commune sans aucun visage familier, au milieu de femmes de cultures et de langues différentes, on retient ses larmes. Dans la journée, il est obligatoire de quitter le centre, mais pour aller où ? Nulle part… dans la rue, faire un tour dans un centre commercial pour rester au chaud, errer sans destination…au risque de se faire passer pour une malade mentale si l’on pleure dans la rue. En colocation, le problème reste le même : que dira ma colocataire si elle me voit pleurer ?

(Source : lexpress.fr)

(Source : lexpress.fr)

Autre défi: la majorité des hommes que je croise ont tendance à imaginer qu’une femme exilée est toujours “femme seule” et donc sans défense ni autonomie. Ils ne se donnent même pas la peine de savoir si je suis prête à m’engager dans une relation! Pire encore, ils me disent souvent: « Si tu n’as pas encore tes papiers, c’est que tu n’es ni intelligente ni prévoyante. Il suffit de faire un enfant avec un homme qui le reconnaîtra administrativement, et tu vivras des papiers du bébé….Ou, marie-toi ! “. Quelle honte? Que les hommes cessent de prendre les femmes pour des machines incubatrices ou pour des gens sans espoir de vie. On quitte son pays ,obligée, parce qu’on est menacée et non pour juste obtenir des papiers . On fuit sa patrie à la recherche d’une protection internationale comme le font des hommes dont la sécurité est mise en question. Si certaines femmes suivent ce maudit conseil, c’est leur problème mais que les hommes cessent d’en faire une règle générale.

En tant que mère, l’exil loin de mes enfants me fait penser que j’aurais peut-être dû me soumettre à la volonté de ceux qui m’ont persécutée, et qu’aujourd’hui je serais encore avec mes filles! Mais à l’occasion de cette journée de la femme, je dis “il n’en est pas question”. Si toutes les femmes se soumettent, à quoi ressemblera le monde de demain? Certains veulent profiter des femmes. Mais les erreurs commises peuvent avoir des conséquences irrémédiables dans l’avenir.

“Si tu satisfais à mes besoins, tu seras libre et tu rejoindras ta famille, tes enfants… Après tout tu n’as pas le choix; si tu acceptes mes avances, tu sors de ta cellule de détention ; si tu refuses, je le fais par force et tu y restes”. C’est ce que m’a dit un jour un jour l’un de mes persécuteurs.

Cela arrive-t-il aux hommes détenus? Je ne crois pas ! Cher lecteur/lectrice, que choisirais-tu ?
Après tout cela, j’arrive dans un pays d’exil où avec ces longs moments d’attente de papiers qui influent aussi sur le temps de rapprochement familial, certains hommes, sans aucune idée de ce que j’ai traversé, me parlent de faire un « enfant-titre de séjour ».

Gustav Klimt

Gustav Klimt

En cette journée de la femme, dont le thème 2015 « Autonomisation des femmes – Autonomisation de l’humanité : Imaginez ! », que le monde pense à des milliers de femmes exilées vivant des expériences parfois pires que celles qu’elles ont vécues dans leurs pays. Nous sommes des femmes, que le monde a longtemps considérées comme des êtres faibles et donc prêtes à se soumettre à toute ébauche d’avantages, aussi humiliante qu’elle puisse être.

Pourtant, ce n’est ni un fait ni une vérité. Nombreuses sommes nous qui avons la capacité de nous adapter aux situations nouvelles ; la persévérance, la détermination et l’amour maternel font que malgré la situation difficile que nous traversons, nous tenons le coup pour nos enfants qu’un jour nous finirons par revoir.

Chaque matin chez l’exilé…

[Par Sintius MALAIKAT]

Chaque matin à travers la fenêtre de ma chambre, sur un cimetière se pose mon regard. Souvent je vois des gens poser des gerbes de fleurs ou nettoyer les tombes des membres de leurs familles ou amis qui y sont enterrés. “Aurai- je un jour l’occasion de le faire pour les miens enterrés au Rwanda?” Exilée, je suis privée du droit de retourner dans ma patrie.
Que le monde est injuste!

Chaque matin j’attends vainement un appel ou un courrier porteur d’une bonne nouvelle. Pourquoi tout ce temps d’attente avant d’avoir le statut de réfugiée? Pourtant, je suis dans un pays de droit! Oui, nombreux sont les dossiers de demande, mais est-il juste d’attendre aussi longtemps? Heureusement dans les couloirs, je croise mes collègues de la Maison des journalistes, qui comme moi ont connu ces moments difficiles, et qui me remontent le moral en me disant “Patience est mère de sûreté”.

MaisonDesJournalistes065

Malheureusement qui sait qu’un maudit matin je serai peut-être obligée de partir, disparaître dans un centre sans collègue pour m’encourager? Un entourage sans affinité est une voie sans issue, une pièce sans sortie, un hôpital sans médecins.
Chaque matin à travers ma fenêtre, j’aperçois des enfants sur leur chemin de l’école. Forcée de vivre tout ce temps d’éloignement, sans lueur au bout du tunnel, je me demande quand mes filles pourront me rejoindre et en fin vivre en sécurité.
Chaque matin est le début d’une journée dure pour tout demandeur d’asile dont la procédure n’avance pas. Sur mon passé amer s’ajoute cet accablement.
Chaque matin…

 

 

 

 

CUBA : La dictature du marketing

[Par Jesús ZUÑIGA]

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Traduit de l’espagnol par Rébecca Tural

Dans le palais d’un ancien dictateur déchu, des élèves portant de grands foulards rouges les identifiant comme étant des « pionniers » du Parti Communiste écoutent un guide qui leur parle des bienfaits de la Révolution.
Pendant leur visite du bâtiment, les petits observent, étonnés, un vieux pistolet, la chemise ensanglantée d’un combattant, le moteur d’un avion-espion américain qu’on a abattu. Puis, ils arrivent près du yacht Granma sur lequel Fidel Castro et ses guérilleros ont débarqué ; les bottes de combat qu’a utilisées son frère cadet sont là aussi. Ce sont celles du Général Raúl, qui l’a remplacé au pouvoir en 2006 et qui affirme qu’il ne fera rien qui « contredise l’héritage de Fidel ».

(source :  Oswaldo Rivas/Reuters)

(source : Oswaldo Rivas/Reuters)

Le palais de Fulgencio Batista – l’ancien dictateur de Cuba –, renversé par Fidel Castro, est aujourd’hui un musée à la gloire de la Révolution, et, à ces enfants qui ont entre 6 et 9 ans, on leur dit qu’ils sont les héritiers d’un gouvernement communiste que vient d’avoir 56 ans.
« Nous, les Castro, nous vivons longtemps », a dit Raúl, répondant à contretemps à un commentaire déjà ancien de l’ex-président chilien, Sebastián Piñera. Ceux qui se sont rebellés contre la dictature militaire de Batista ont établi à Cuba une autre dictature militaire huit fois plus longue. La différence principale entre Batista et les frères Castro est le marketing. Comment peut-on encore considérer Cuba comme une démocratie après 56 ans au pouvoir des mêmes dirigeants ? Cuba est sans aucun doute la meilleure école pour dictateurs.

La révolution qui menace les Castro

Dans ce contexte, à Cuba, un très petit nombre des 11,3 millions d’habitants a accès à Internet ; les Cubains n’ont d’ailleurs ni beaucoup de temps ni beaucoup d’intérêt à se connecter, puisque leur préoccupation principale est de savoir comment survivre, jour après jour, obligés de se débrouiller du fait d’une économie à cause de laquelle il est difficile d’obtenir du papier toilette ou de la viande de bœuf.
Après avoir essayé pendant plus de huit ans de modérer certains des contours de son régime orthopédique, Raúl Castro reste décidé à éliminer tout ce qui menacerait sa permanence au pouvoir et qui pourrait le rayer de la carte comme cela est arrivé à l’ancienne puissance protectrice, l’ex-Union Soviétique, que presque personne n’a regrettée. Et pourtant, même sous de telles conditions de vie dans la Cuba d’aujourd’hui, une nouvelle proposition électrisante commence à faire rêver beaucoup de gens sur l’île comme à l’extérieur, entrevoyant peut-être un changement à Cuba.

Depuis le 17 décembre 2014, la presse internationale publie beaucoup de « unes » concernant Cuba. Dans une déclaration conjointe, retransmise simultanément depuis Washington et La Havane, Barack Obama et Raúl Castro, respectivement, annonçaient le lancement de discussions dans le but de rétablir les relations diplomatiques après plus de 50 ans de « guerre froide » entre les Etats-Unis et Cuba.
Cette simple annonce officielle a signifié, comme dans une course de chevaux, le coup d’envoi d’une concurrence entre les firmes technologiques les plus puissantes du monde, Google, Netflix, Apple, pour ne citer qu’elles, pour s’installer à Cuba-patrie du rhum, du cigare, du sucre et du Buena Vista Social Club, une île qui en plein XXI ème siècle vit encore dans l’ère des grottes, alors que, des îles Fidji à Malte en passant par l’Islande et Madagascar les citoyens profitent de la télévision par satellite, de la téléphonie mobile et d’Internet.

En 1996, le régime communiste de La Havane a promulgué le décret-loi 209, qui établit que l’utilisation d’Internet ne peut être autorisée si elle « viole les principes moraux de la société cubaine ou les lois du pays ». Le ministre des télécommunications, Ramiro Valdés, a même déclaré que « Internet est un outil d’extermination globale qu’il faut contrôler quel qu’en soit le prix ».
Mais au milieu des extrémistes du dogme dictatorial et totalitaire imposé par la force, de nouveaux visages ont surgi à Cuba : rappers, gays, travestis et transsexuels, adolescents portant des tatouages et des piercings au nombril, utilisateurs d’antennes satellites pirates… Sans compter l’augmentation de la consommation de drogue et celle de la prostitution. Tout cela, en plus d’une société civile indépendante qui existe toujours : dissidents, journalistes indépendants, blogueurs, « Dames en blanc » (« Damas de blanco »)…

Fidel Castro

Fidel Castro

Fidel et Raúl et leurs expériences meurent à petit feu. Le capitalisme commence à s’installer peu à peu sur l’île : les Cubains peuvent enfin en sortir s’ils obtiennent un visa… Et la dictature a beau essayer de bloquer Internet et les réseaux sociaux, l’ingéniosité des cubains finira par s’imposer face aux interdictions absurdes.

Cuba continue d’être un des pays les plus fermés au monde. Les frères Castro maintiennent leur contrôle à l’aide de la peur et d’un système répressif bien huilé, mais qui à présent montre ses limites.
Il n’est plus impensable que le Congrès des Etats-Unis lève l’embargo à l’égard de Cuba, mais il ne devrait pas le faire tant que l’île n’améliorera pas son passif criminel en matière de droits de l’homme, ne démocratisera pas son système politique et ne fera pas de place à ses dissidents et à la presse indépendante interne.
A Cuba, la liberté est un problème biologique, et la démocratie peut seulement survenir à la suite d’un problème de santé. Je n’ose pas faire de pronostic à propos de la fin du castrisme, mais je suis de ceux qui pensent qu’il ne faut pas attendre la mort de Fidel et de Raúl Castro pour que Cuba change.
En fin de compte, les dictateurs ne doivent pas mourir au pouvoir, mais en prison.

 

 

Burundi : bruits de vote et de bottes ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

En mai et juin, les Burundais seront appelés aux urnes. Pour autant, la présidentielle reste encore sujet à controverse.

Le président en exercice, Pierre Nkurunziza, voudrait rempiler pour un troisième mandat, en violation de la Constitution. Les partis politiques et la société civile s’y opposent. Quelle en sera l’issue ? Le spectre d’une nouvelle guerre civile hante les esprits.

Une image des élections en Burundi en 2010 (source :  insightonconflict.org)

Une image des élections en Burundi en 2010 (source :
insightonconflict.org)

Pierre Nkurunziza (source : bakolokongo.com)

Pierre Nkurunziza (source : bakolokongo.com)

La genèse de l’histoire récente du Burundi est douloureuse. Coups d’Etat à répétition, assassinats de masse, rébellions endémiques et, au bout du compte, une guerre civile, longue de treize ans (1993-2000). Un moment, accablée par des preuves de crimes de sang, la communauté internationale était tentée de qualifier la situation de ce pays de « génocidaire. » On parle de quelque 300 000 morts.

 

Burundi (source : unesco.org)

(source : unesco.org)

Minuscule pays d’Afrique centrale (23 fois plus petit que la France), le Burundi accède à son indépendance, en 1961, mais il ne tarde pas à basculer dans la violence ethnique et la lutte pour le pouvoir. En 2000, c’est la fin de la guerre civile, après un dialogue politique ardu, à Arusha en Tanzanie, sous la houlette de l’Onu et de l’Afrique du Sud. Basé sur une simple logique des quotas pour le partage de pouvoir entre les Hutu, ethnie majoritaire (80 %) et les Tutsi, ethnie minoritaire (20 %), le compromis semble avoir été équitable.

C’est dans ce cadre-là que le président en exercice, Pierre Nkurunziza (Hutu), a été élu en 2004, et réélu en 2010. « Un mandat de cinq ans, renouvelable une fois », selon la Constitution, en son article 96. Depuis, la concorde et le retour à la paix sont, bon an mal an, en passe de s’inscrire dans la durée.

Les élections, au Burundi, ont toujours été marquées par un climat politique pour le moins délétère : arrestations arbitraires et assassinats ciblés, notamment. Sans, toutefois, réveiller les démons des bisbilles ethniques, ce ferment essentiel des guerres en Afrique. Aujourd’hui, en sera-t-il encore le cas, alors que le président de la République, contre vents et marées, s’apprête à violer la Constitution, dans le but de rempiler pour un troisième mandat ?

La réponse n’est pas aisée. On observe que les leçons de la guerre civile ont appelé les Burundais à transcender, de plus en plus, les clivages ethniques. En témoigne le fait que les partis politiques, qui revêtaient auparavant un caractère ethnique, ratissent large, aujourd’hui, sur la base d’un programme estimé crédible par les adhérents. Déjà, c’est un grand pas sur le chemin de la réconciliation des cœurs.

Agathon Rwasa (source : damienroulette.wordpress.com)

Agathon Rwasa (source : damienroulette.wordpress.com)

Cependant, dans un pays où les ambitions politiques sont féroces, cette considération, à elle seule, ne peut prétendre à la vertu d’une panacée. Tout comme, globalement, les accords d’Arusha n’ont pas valeur de parole d’Evangile pour tous les Burundais. C’est le cas d’Agathon Rwasa, ancien grand seigneur de guerre, qui n’avait pas signé lesdits accords. En embuscade depuis plusieurs années, il pourrait profiter de cette « aubaine » pour entraîner le Burundi, encore une fois, dans le chaos. En charge pour le président de la République de la jouer “démocrate”.

L’histoire tourmentée de l’opposition en Syrie

[Par Adi MAZEN]

Publié dans Orientxxi.info, le 18 février 2015

Quatre ans après le soulèvement populaire syrien, l’opposition s’est recomposée en profondeur du fait de dynamiques contradictoires. La situation s’est encore compliquée à partir du moment où la révolution s’est muée en « crise », en « question syrienne », avec des dimensions régionales et internationales. La Syrie est alors devenue la scène où se jouent des conflits ouverts à toutes les possibilités.

La Coalition nationale syrienne à Doha, le 11 novembre 2012, jour de sa création officielle. Syrian National Coalition/Wikimedia Commons.

La Coalition nationale syrienne à Doha, le 11 novembre 2012, jour de sa création officielle.
[Syrian National Coalition/Wikimedia Commons]

L’opposition syrienne au régime de Hafez Al-Assad s’est forgée dès les années 1970, avec des forces politiques panarabes ou socialistes qui ont joué un rôle dans la vie politique et l’institution militaire. Une partie de ces forces qui avaient soutenu le coup d’État perpétré par Hafez Al-Assad contre son propre parti — le parti Baas arabe socialiste (1)— se sont désengagées, dénonçant la formule qui avait fait jusque-là consensus dans l’appareil politique, celle du Front national progressiste. Dès 1976, date de l’implication syrienne directe dans la crise libanaise, l’opposition a alors cherché à monter une coalition opposée à la politique d’Assad.

Cette nouvelle coalition entendait conduire une stratégie de transition pacifique vers la démocratie, consignée dans le pacte fondateur du Rassemblement national démocratique en 1979 qui regroupait plusieurs partis : le parti de l’Union socialiste arabe démocratique, le Parti communiste syrien (2) — devenu en 2005 le parti du Peuple démocratique syrien —, le Parti révolutionnaire des travailleurs, le Mouvement des socialistes arabes et le parti Baas démocratique. Le Rassemblement national démocratique est resté le pôle le plus important dans l’opposition politique jusqu’à la fin de l’époque de Hafez Al-Assad, en dépit de la répression de centaines de ses militants.

Cette répression a touché de nombreux autres groupes, dont certains ont des référents idéologiques nationalistes panarabes ou socialistes, comme c’est le cas du parti Baas favorable au commandement du Baas irakien ou du Parti communiste. D’autres partageaient des référents islamistes, en particulier les Frères musulmans, qui se sont opposés à la Constitution permanente de 1973 avant de recourir à la violence sous la direction de son aile armée, l’Avant-garde combattante.

La montée de l’opposition a été provoquée par la répression croissante du régime qui multipliait les lois prohibitives et mettait en œuvre des politiques de discrimination, d’appauvrissement massif et de corruption. Il entendait ainsi accaparer le champ politique et en exclure la société toute entière, construisant un système qui n’a rien à envier à d’autres régimes totalitaires dans le monde. Les évènements survenus entre 1979 et 1982 en Syrie, en particulier à Hama où plusieurs milliers de personnes ont été massacrées préfigurent la répression à grande échelle menée par Bachar Al-Assad depuis mars 2011.

La Déclaration de Damas

En 2005, l’activité de l’opposition a culminé avec la formation d’une large coalition de forces de gauche, libérales, islamistes et nationalistes, dont des partis kurdes et syriaques (3). Ces forces ont souscrit à la déclaration de principe du changement démocratique en Syrie, plus connue sous le nom de « Déclaration de Damas ». Celle-ci a réuni sa première assemblée générale (Conseil national) à la fin de 2007 et suscité un large consensus politique sur l’avenir de la Syrie. Ce consensus s’est appuyé sur l’opposition qui remonte à l’époque de Hafez Al-Assad, mais également sur les forces nouvelles apparues lors de la création de divers forums, pendant la courte période d’ouverture — le « Printemps de Damas » — qui avait marqué les premiers mois du pouvoir de Bachar Al-Assad inauguré en juin 2000. De nouvelles forces avaient alors commencé à voir le jour, favorisées par l’activisme de l’élite culturelle. De nouveaux groupes avaient aussi émergé, professant des idées libérales (4) ou islamiques démocratiques, sans compter le soutien des Frères musulmans.

Un terme qui n’embrasse plus le réel révolutionnaire

Après la révolution, le terme d’« opposition » ne permet plus d’identifier ni de comprendre les forces et mouvements qui participent à la révolution. Les cartes de ces forces et mouvements ont été rebattues, du fait de l’imbrication de l’action politique avec des activités d’autres natures civiles, médiatiques et militaires. On convient aujourd’hui de désigner par « opposition politique » les entités qui adoptent tout ou une partie des revendications de la révolution. Cette appellation s’étend aux forces dont le leadership est établi à l’extérieur du pays et dont les mots d’ordre sont le renversement du régime et la mise en place d’un système politique pluraliste. C’est le cas de la Coalition nationale de l’opposition et des forces de la révolution, du Conseil national syrien, du Bloc national unifié ou encore du Forum de l’appel national (ex-Tribune démocratique).

L’opposition comprend également des forces dont le leadership est resté à l’intérieur du pays, sous la surveillance et le contrôle du régime, avec des programmes de réforme comme ceux du Comité de coordination nationale et de changement démocratique, ou encore ceux du Courant de la construction de l’État. Issues des comités de coordination et des conseils locaux, des entités révolutionnaires se sont constituées, qui mènent tout à la fois une action politique, des activités civiles et, parfois, des opérations militaires. Certaines brigades locales, qui avaient dans un premier temps combattu sous les couleurs de l’Armée syrienne libre (ASL), se sont finalement ralliées à d’autres bannières en raison du tarissement des ressources de l’ASL.

D’autres unités ont disparu ou ont fusionné. De nouvelles configurations sont apparues, pour tenter de tirer les leçons de l’expérience et des échecs de la Coalition nationale et du Conseil national syrien. Certaines ont proposé la création et l’institutionnalisation d’un Mouvement de salut national, destiné à unifier les forces de la révolution. D’autres ont prôné la fondation de nouveaux partis, comme le Parti laïque de la République ou le parti islamique Waad (« Promesse »).

La crise et les défis à l’oeuvre

La carte politique des partis politiques syriens a subi de grands bouleversements. Un tri s’est opéré au sein des forces politiques traditionnelles, avec pour marqueur la révolution, y compris au sein du Front progressiste qui réunit les partis alliés au régime. De nombreux militants de base, affiliés au parti Baas ou au Parti communiste, s’en sont détachés pour rejoindre la révolution. C’est également le cas dans la fonction publique et l’institution militaire. Par ailleurs, la plupart des partis politiques qui avaient soutenu la révolution ont subi les conséquences de la situation révolutionnaire sur le terrain. Au fil des mois, des polarisations internes se sont opérées, et ce pour deux raisons : du fait de l’incapacité des structures des partis politiques à s’adapter à la réalité du terrain d’une part, et de l’autre à cause du regard critique porté par les cadres et les bases de ces partis sur les positions, les modes d’action et les alliances de leurs dirigeants.

Les Frères musulmans ont saisi l’occasion pour se réorganiser de l’intérieur de la Syrie et rétablir la communication avec les masses populaires durant les longues années de la répression. Le mouvement a mis à profit son réseau de contacts internationaux et régionaux pour renforcer son influence au sein des institutions du Conseil national et de la Coalition, après avoir accepté, en théorie, le principe du changement démocratique et celui d’un État « civil ».

Enfin, les pertes considérables au sein de la population civile ont contribué à la montée des courants salafistes. Face à l’inertie de la communauté internationale et à son incapacité à proposer des solutions sérieuses à la crise syrienne, ils ont cherché et trouvé des soutiens auprès des pays du Golfe.

Militarisation et Djihad

La base du soulèvement en Syrie en mars 2011 contre le régime était constituée d’une part par les catégories les plus marginalisées de la population, et d’autre part par la jeunesse moderniste. Ce mouvement est resté pacifique pendant plus de six mois avant de se militariser sous la pression des événements. Au fur et à mesure que se multipliaient les massacres à caractère confessionnel perpétrés par le régime (Houla, Karm el-Zeitoun, etc.) et que celui-ci remettait en liberté des centaines de djihadistes enrôlés par le passé pour combattre en Irak tandis que l’ex-premier ministre irakien Nouri Al-Maliki faisait de même de son côté en libérant des centaines de prisonniers membres d’Al-Qaida, les islamistes trouvaient en Syrie un terrain propice à leur radicalisation. Ils rejoignaient des organisations djihadistes telles que le Front Al-Nosra ou l’organisation de l’État islamique (OEI). Tout cela se déroulait au vu et au su du monde extérieur, quand ce n’est pas avec l’encouragement de certains services de renseignements internationaux.

Mesures arbitraires, arrestations massives et systématiques de citoyens syriens pour des périodes plus ou moins prolongées sur l’ensemble du territoire national ; tortures et exécutions sommaires ont contribué à la perte de repères civils et démocratiques parmi les jeunes dont le rôle avait été essentiel dans le déclenchement de la révolte. De même, la multiplication des massacres à l’encontre de civils, les bombardements des quartiers d’habitation et des infrastructures ont entraîné des changements profonds dans la démographie et modifié les bases sociales des groupes d’insurgés.

En résumé, les recompositions de l’opposition se sont opérées dans un contexte marqué par l’internationalisation progressive de la question syrienne, par l’inertie de la communauté internationale et son incapacité à protéger la population civile et par les interférences régionales qui ont limité son autonomie de décision. L’analyse proposée fait état d’un éclatement des forces, d’un dysfonctionnement des institutions et d’une persistance des problèmes endémiques qui résument l’expérience des années précédentes. Elle met en lumière les problèmes de liens entre l’extérieur et l’intérieur et l’incapacité à répondre aux attentes minimales des groupes d’activistes, faisant perdre à la révolution beaucoup de sa crédibilité. Enfin, elle révèle une crise générationnelle liée à l’indigence politique qui a marqué la société syrienne pendant des décennies.
(1 NDT). Le parti Baas nationaliste arabe est fondé en Syrie en 1947 et devient progressivement le parti Baas arabe nationaliste socialiste avec pour ambition de s’étendre à toute la région du Levant. En 1963, il prend le pouvoir en Syrie. Des dissensions profondes le clivent en deux composantes : la branche syrienne et la branche irakienne qui, fondée en 1952, prendra le pouvoir en Irak en 1968. On parlera alors de « parti Baas arabe nationaliste socialiste syrien »/ ou« irakien ».
(2 NDT). Le Parti communiste (PCS), fondé en 1930, est l’un des plus anciens partis politiques de Syrie. Dès 1970, des divergences apparaissent quant au soutien à apporter à Hafez Al-Assad dans son coup d’État. Lorsque son secrétaire général Khaled Bagdach engage le PCS dans le Front national progressiste que domine la parti Baas en 1972, les membres du bureau politique font sécession sous la conduite de Riyad Turk. Son groupe est interdit, ses cadres sont arrêtés ou placés sous surveillance étroite. Il devient en 2005 le parti du Peuple démocratique.
(3 NDT). Les Syriaques sont l’une des communautés ethniques les plus anciennement installées dans la région, avec les Assyriens et les Chaldéens, et dérivée de la civilisation araméenne. Ce sont des communautés qui se sont christianisées dès le premier siècle. Elles parlent le syriaque, une des langues araméennes, et leur présence initiale s’étend en Syrie, Irak, Turquie et Iran. En 2005, le Parti syriaque syrien est fondé pour défendre les intérêts de la minorité syriaque en Syrie.
(4 NDT). Dans le contexte, il faut comprendre « libéral » au sens anglo-saxon d’ouverture idéologique et de sécularité.

Cameroun : Comment Paul Biya torpille la lutte contre Boko Haram

[Par René DASSIÉ]

Entre ses silences répétés, ses erreurs de langage et son indifférence vis-à-vis des rencontres stratégiques pour lutter contre Boko Haram, l’attitude de Paul Biya dans la gestion du dossier de la secte islamiste laisse perplexe. Il se pose désormais la question de sa capacité à continuer à diriger un Etat désormais en guerre.

Cameroun : Fotokol enterre ses morts (source : 237online.com)

Cameroun : Fotokol enterre ses morts (source : 237online.com)

Une semaine après le massacre de Fotokol, le plus sanglant depuis le début des incursions des hommes de Boko Haram sur le territoire camerounais, les concitoyens de Paul Biya n’attendent plus de leur président qu’il engage un élan de solidarité nationale envers les victimes. Mardi soir, dans son discours à la nation, à l’occasion de la fête nationale de la jeunesse, il n’a même pas effleuré le sujet. M. Biya s’est contenté de mettre les jeunes en garde contre la tentation de s’engager auprès de ceux qui dans « certains pays » créent « la guerre civile », provoquent « les déplacements de population » et « l’anarchie ». Il leur a enfin donné en exemple, « nos jeunes soldats qui veillent à notre sécurité le long de nos frontières ». Pas un mot sur le bain de sang d’il y a sept jours. Pas un mot sur la vingtaine de personnes enlevées par les hommes de Boko Haram lors d’une nouvelle incursion dimanche, c’est-à-dire deux jours avant son discours.
Le drame de Fotokol, c’était dans la nuit de mercredi à jeudi dernier. Dans cette petite ville du nord-ouest Cameroun frontalière du Nigéria, les islamistes qui sont arrivés par petits groupes portant des tenues militaires ont ratissé les quartiers, maison après maison, tuant jusqu’à 400 personnes selon certaines sources citées par des médias crédibles, à l’instar de RFI.
Un dirigeant normal aurait tout de suite condamné fermement ce carnage. Il aurait adressé ses condoléances aux familles des victimes. Il aurait ordonné que les drapeaux soient mis en berne et décrété un jour de deuil national. Il aurait réuni son gouvernement pour élaborer la riposte.

François Hollande et Idriss Déby en exemple

François Hollande (source : lesechos.fr)

François Hollande (source : lesechos.fr)

C’est ce qu’a fait François Hollande en France. Le Président s’est rendu immédiatement au siège de Charlie Hebdo mercredi 7 janvier peu après l’attentat terroriste qui a décimé la rédaction de l’hebdomadaire satirique, alors que les assassins couraient toujours et que rien ne pouvait, dans l’absolu, garantir sa propre sécurité. En chef de guerre d’un pays attaqué, le président français s’était, dans la foulée, adressé à ses concitoyens pour condamner l’attentat et les rassurer, avant d’organiser des réunions ministérielles de crise pour coordonner la riposte à l’attentat le plus sanglant connu par l’Hexagone depuis des décennies. Il avait décrété pour le lendemain un jour de deuil national, et organisé la marche républicaine qui, quatre jours plus tard, devait mobiliser près de quatre millions de personnes dans les rues françaises et à laquelle ont participé une cinquantaine de chefs d’Etats et de gouvernements.

Idriss Déby (source : senego.com)

Idriss Déby (source : senego.com)

C’est ce que fait le tchadien Idriss Déby, chaque fois qu’on s’en prend à la sécurité de son pays. Engagé de manière préventive dans la guerre contre Boko Haram, M. Déby s’est exprimé devant son parlement, et a accompagné ses soldats envoyés au Cameroun, jusqu’à la frontière de son pays. C’est ce que font tous les présidents qui n’ont pas oublié qu’ils sont présidents.
Paul Biya était en devoir de s’exprimer pour consoler les victimes et rassurer la nation. Il était en devoir d’expliquer ce qui s’était réellement passé ce jour-là à Fotokol. D’autant plus que de nombreuses questions au sujet de ce massacre sont restées sans réponses. Au moment des faits, où était l’armée camerounaise qui était censée protéger la ville? Les soldats avaient-ils fui devant les islamistes, comme l’a prétendu un journal en ligne tchadien ? Les rumeurs qui parlent de nombreuses défections dans les rangs sont-elles avérées ? Voilà autant d’interrogations auxquelles les Camerounais sont en droit d’avoir des réponses.
Curieusement, ces questions ne semblent pas préoccuper outre mesure Paul Biya, qui semble vivre le conflit avec détachement, comme si les choses se passaient loin, dans un autre pays et qu’il n’en recevrait que de lointains échos. Alors que les islamistes portent de plus en plus la guerre à l’intérieur même du Cameroun.

Visite aux victimes du conflit

Les Camerounais ne rêvent même plus de voir leur président se rendre dans le nord du pays où la Croix Rouge ne cesse d’alerter sur la catastrophe humanitaire que pourrait engendrer le conflit. Il y a six mois, cette ONG indiquait déjà qu’environ 48 000 Nigérians s’y étaient réfugiés, s’ajoutant à 30 000 réfugiés internes.

La Croix Rouge camerounaise (source : ifrc.org)

La Croix Rouge camerounaise (source : ifrc.org)

Le sentiment d’abandon est si présent chez les populations du nord Cameroun, qu’on a les a vu sortir par centaines pour acclamer en libérateurs les soldats tchadiens, lorsque ceux-ci sont entrés au Cameroun, mi-janvier. Les journaux indépendants camerounais relèvent également que Paul Biya n’a jamais rendu hommage aux soldats tués dans la lutte contre les islamistes de Boko Haram, et ne manquent pas de faire le parallèle avec l’attitude des présidents d’autres pays en guerre.
L’absence d’un chef de guerre actif, qui communique, est par ailleurs dévastatrice sur l’opinion camerounaise. Par son silence, Paul Biya a laissé prospérer toutes sortes de rumeurs et d’amalgames, au sujet des belligérants et de leurs motivations réelles.
En septembre dernier, fidèles à la stratégie de division que le président a lui utilisé tout au long de ses 32 ans de pouvoir, certains de ses fidèles, dont un ministre, agitaient la thèse du complot nordiste dans un manifeste public. Ils laissaient croire que derrière Boko Haram se cachaient en réalité des dignitaires de la région où, jusqu’ici, sévit exclusivement la secte, suggérant que ceux-ci auraient fomenté une rébellion. Le manifeste connu sous le nom de « l’appel de la Lékié », du nom d’un petit département proche de Yaoundé, avait obligé certaines personnalités insidieusement mises en cause, à se justifier publiquement.
On aurait attendu d’un président faisant son travail, qu’il s’élève au-dessus de cette mêlée, pour appeler à l’unité nationale face à un ennemi commun, et rejette cette stratégie du bouc-émissaire. Paul Biya est resté silencieux.
Il est tout aussi muet, depuis que des médias douteux accusent l’occident, notamment la France à laquelle il a pourtant demandé une aide contre les islamistes, de financer et d’armer les islamistes de Boko Haram, pour déstabiliser le Cameroun. Cela sans la moindre preuve.
Silencieux, absent. Alors que dans ses rares discours où il évoque le conflit, le président camerounais appelle à « une réponse globale », il montre, dans les faits, un dédain curieux à toutes les initiatives de ses pairs africains, soucieux d’apporter une réponse mutuelle aux assauts des islamistes.
En mai dernier, peu après le sommet élyséen où le président camerounais avait déclaré la guerre contre Boko Haram, Idriss Déby était allé le voir à Yaoundé pour mettre au point avec lui les mesures adoptées à Paris, pour combattre les islamistes. Paul Biya avait trainé des pieds. Plusieurs mois après, en janvier, lorsqu’il doit revenir vers le président tchadien, les hommes de Boko Haram frappant de plus en plus fort, c’est son ministre de la Défense, Edgar Alain Mebe Ngo’o, qu’il envoie à N’Djamena discuter avec M. Déby.

24e sommet de l’Union africaine (source : rfi.fr)

24e sommet de l’Union africaine (source : rfi.fr)

L’absence de Paul Biya à Addis-Abeba, lors du 24e sommet de l’Union africaine a également été remarquée. Réunis dans la capitale éthiopienne le dernier week-end de janvier, les présidents africains ont décidé de constituer une force de frappe de 7500 hommes contre Boko Haram. Cela en l’absence du président camerounais, qui est avec son homologue nigérian Goodluck Jonathan, également absent, principaux concernés par le sujet.

Incohérence

Les Camerounais ont commencé à se faire petit à petit à l’idée que leur président n’est plus cohérent, lorsqu’il s’exprime en dehors des discours préparés d’avance.
Début août, alors qu’il se rend au sommet Etats-Unis-Afrique de Washington, le président se risque à répondre, chose rare, aux questions des journalistes locaux, avant de prendre son avion. Il commet alors une bourde irréparable, en mettant dans le même panier les martyrs de la lutte pour l’émancipation du pays du joug colonial, la guerre contre le Nigeria pour la presqu’île de Bakassi, et les islamistes de Boko Haram. « Je dis que le Cameroun a eu à traverser d’autres épreuves, on a eu à lutter à Bakassi, on a éradiqué les maquis, les mouvements révolutionnaires, on est venu à bout des villes mortes. Ce n’est pas le Boko Haram qui va dépasser le Cameroun », laisse-t-il entendre, à la surprise générale.

Boko Haram et Paul Biya

Boko Haram et Paul Biya

Bien entendu, cet écart avec la réalité plombe la lutte contre Boko Haram. Paul Biya s’étonne de l’inertie au sein de son gouvernement qu’il ne cesse de fustiger, oubliant que ses ministres attendent depuis bientôt deux ans, un remaniement qu’il avait lui-même annoncé, pour rendre l’équipe plus efficace. Dans ce contexte, les ministres prennent peu d’initiatives. La coordination entre différents départements est défaillante, et les renseignements civils et militaires fonctionnent mal. L’année dernière, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary reconnaissait lui-même à demi-mots cette faiblesse, en suggérant aux populations des zones attaquées par les islamistes de Boko Haram, de renseigner le gouvernement sur leurs mouvements.
Sur la scène internationale, Paul Biya est isolé, ignoré, boudé. Définitivement, le vieux président parait hors-jeu. Il est sans doute temps que les Camerounais songent résolument à se doter d’un vrai dirigeant.

 

 

Apartheid est-il synonyme de racisme ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le débat est encore loin d’être clos à propos du mot « apartheid » employé récemment par le Premier ministre Manuel Valls, pour qualifier la situation qui prévaut dans les banlieues. Dans une interview du 7-8 février, accordée à « Ouest-France », portant le titre : « La mixité sociale ? Une solution illusoire », le professeur de sociologie Didier Lapeyronnie en donne sa vision.

Didier Lapeyronnie © PHOTO DESPUJOLS ERIC

Didier Lapeyronnie © PHOTO DESPUJOLS ERIC

Si l’enseignant désapprouve l’usage du terme au sens strict, il ne nie pas qu’il y a en France « des formes de ségrégation sociale et raciale. » Il en conclut, en affirmant qu’ « il y a une cécité française sur les réalités sociales. »

Dans sa plaidoirie, il démontre : « Quand les gens sont discriminés pour des raisons de pauvreté, ils finissent par organiser une sorte de contre-monde. » En cela, le professeur me donne à penser aux mouvements altermondialistes qui s’opposent avec véhémence aux Forums de Davos, en Suisse. D’un côté, les nantis qui s’organisent pour défendre leurs acquis afin de s’enrichir davantage ; de l’autre, les déshérités, écrasés, qui affûtent leurs réflexes de survie.

En France, ce combat est réel. Il ne s’y traduit pas seulement en termes matérialistes, mais aussi par la différence de couleur de peau que l’on désigne par le mot « racisme ». Un « gros mot » que tout le monde évite subtilement de prononcer… puisque il est grossier, par essence. A la place, on préfère utiliser un « euphémisme » élégant. Pourtant, Camus pensait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Un chat, c’est un chat.

Le professeur Lapeyronnie n’a pas dérogé à la règle. Pour contourner la difficulté, il a plutôt employé l’expression « ségrégation raciale » qui, sur le plan sémantique, fait glisser le sens en l’atténuant. Mais la formule qu’il propose, en guise de solution, est sans équivoque. N’épousant pas la thèse de la « mixité sociale », l’enseignant affirme : « Si on ne peut pas vivre ensemble dans le même quartier, on peut le faire dans une même société .» N’est-ce pas là de l’ « apartheid ? »

raaQu’est-ce que l’ « apartheid », sinon le fait de séparer les races dans leur espace résidentiel ? Le modèle est sud-africain : Blancs d’un côté, Noirs, Indiens et métis de l’autre. En France, Blancs d’un côté, Noirs, Arabes, et Blancs pauvres (assimilés), de l’autre…selon la proposition du professeur sociologue. C’est bonnet blanc et blanc bonnet.

La solution n’est pas dans la « séparation », mais plutôt dans l’ « élimination » des préjugés. C’est le poison. La solution est dans l’unité tant mentale que dans celle qui rapproche les gens dans la vie pratique de tous les jours, où les inégalités sont atténuées. Or, « Il est plus facile de désagréger un atome qu’un préjugé », disait Einstein. Mais, tout est possible, à travers l’éducation et la volonté de fraterniser … si un jour, la France des « Lumières » le veut.