Le Frankenstein de la Syrie et d’al-Baghdadi

[Par Nabil SHOFAN]
Publié sur Alaraby.co.uk, le 1er Octobre 2014
Traduction de l’arabe au français par Florence DAMIENS.

Un imahe de la bataille pour le control de l'aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Un imahe de la bataille pour le control de l’aéroport militaire de Tabqa (source : lemonde.fr)

Dans l’une de ses vidéos, l’Organisation de l’Etat islamique passe en revue des événements concernant son contrôle de l’aéroport militaire de Tabqa, qui se situe dans la région de Raqqa. Aucun membre de l’Organisation ne parle dans cet extrait ; on entend une lecture du Coran, puis on voit la planification d’une bataille, suivie d’une opération martyre, d’un assaut, d’une capture de militaires, puis de leur assassinat, tantôt fusillés, tantôt égorgés.
Mon attention s’est portée sur l’apparition, à la fin de la vidéo, d’un combattant de l’Organisation qui, rempli de tristesse et de souffrance, s’élève contre l’accusation selon laquelle elle comploterait avec le régime de Bashar el-Assad. Il dit à l’assistance : « Je jure que nous témoignerons pour vous devant Dieu. N’est-ce pas nous qui combattons le régime nusayrite et tuons ses militaires ? Pourquoi nous accuse-t-on de ne pas les combattre ? »
Il est clair que ce qui dérange le plus les dirigeants de Daesh, ce sont les propos qui circulent dans les rues syriennes. Je dis les rues syriennes car cette accusation a jailli du cœur de la rue, de ses activistes et de sa population. Un témoignage attesté s’est répandu, comme le surnom de « Daesh », avec facilité dans les médias, puis dans le reste de l’opinion publique arabe et mondiale.
Les droits des syriens sont clairs. Ces derniers se sont révoltés contre un régime qui a détruit leur nation, se substituant ainsi à leurs ennemis, et a eu recours à des moyens d’assassinat variés, en utilisant l’artillerie, l’aviation et les missiles, en les égorgeant, en les étranglant, en les enterrant vivants et en les noyant. Aucune impureté ne peut souiller la clarté de ces droits. En cela, ces révoltés sont égaux devant l’injustice. Il n’y a pas de mal à nous arrêter un moment sur les positions choquantes nées de la révolution syrienne, à l’instar de celles des penseurs, des artistes et des Etats dont les cabinets ministériels publient des documents sur la démocratie tous les jours. Si nous nous arrêtions dessus, nous remarquerions que la création d’une organisation extrémiste comme Daesh est absolument nécessaire et reste une anecdote pour tous ces penseurs, artistes et Etats, et même pour ceux qui se revendiquent amis de ce peuple afin d’excuser ce qui ne peut être excusé, les crimes et le silence qui les entoure.

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas) [Source : syrie.blog.lemonde.fr]

Manifestation du 15 mars 2013 (Babila, banlieue de Damas)
[Source : syrie.blog.lemonde.fr]

La révolution des Syriens a été un événement spontané, populaire et soudain. Il a ébranlé jusqu’au Conseil de sécurité, l’a embarrassé, comme il a embarrassé les Nations Unies. En effet, réussir cette révolution exigerait de faire évoluer les concepts, de modifier les accords, les alliances et les postulats internationaux. C’est pourquoi son échec a été un choix unique, sans lequel des changements terrifiants, aux conséquences non calculées, auraient eu lieu. C’est sur cela que la Russie et l’Amérique se sont arrangées depuis quatre ans, malgré la dernière année durant laquelle des événements encore plus hideux ont commencé à se produire. Ainsi, le Frankenstein de l’Occident, « Daesh », est sorti de sa programmation psychique et neurologique, infecté par les appareils des renseignements généraux étrangers.
Il semble que l’Organisation de l’Etat islamique a commencé à vivre aujourd’hui, semblable à la tyrannie chiite, si l’on prend ici un point de vue sunnite. De plus, le fait que l’Organisation ait tantôt déclaré la guerre aux révolutionnaires syriens et eu recours aux châtiments de la Loi, en les flagellant et en les crucifiant, tantôt leur ait distribué des fonds, a poussé les Syriens à publier le faire-part de décès de l’Organisation d’al-Baghdadi.
La plus grande erreur stratégique qu’a commise l’Organisation de l’Etat islamique est d’avoir combattu le peuple syrien. L’Organisation a oublié que ce peuple est celui qui a mis fin à la discorde présente au prologue de la résistance et de l’opposition. La structure de ce dernier a obnubilé le régime pendant trente ans de planification, de constitution d’armées composées de milices, d’agences médiatiques, d’études dans l’art de la rhétorique, dans les sciences philosophiques, dans les méthodes de lavage de cerveau et de soumission des esprits. Tout cela s’est déjà effondré en une seule année et avec une facilité rare. Ensuite la réputation du Hezbollah et de son chef a décliné auprès de la nation arabe puis au niveau confessionnel, et ce à cause de son action et de la réaction des Syriens qui a suivi.
Les Etats qui parient sur l’échec de ce peuple et l’élite qui par-là même soutient le meurtre se doivent de très bien connaître la valeur d’une épreuve et d’une civilisation qui a plus de 6 000 ans.

« Charlie Hebdo » : des leçons pour tous ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le 7 janvier, le terrorisme islamiste a frappé « Charlie Hebdo » et tué plusieurs personnes. Jamais journal n’avait encaissé pareil coup, décimant presque tous les membres de sa rédaction. En cause, le sacré, pour les tueurs, et la foi dans les principes démocratiques, pour les victimes. Ne se retrouve-t-on pas, ici, devant un véritable dilemme ?

JesuisCharlie photo Muzaffar Salman (4)La France est démocratique. La mobilisation, en un tournemain, de quelque quatre millions de manifestants, en est une preuve indéniable. C’était autant exemplaire que le fait odieux lui-même, à l’origine d’une telle effervescence. De toute manière, les choses ne se seraient pas passées autrement dans ce pays, héritier présomptif de l’esprit des Lumières, quand la liberté d’expression, une des valeurs républicaines fondamentales, était violemment heurtée.

Ainsi, ces valeurs étaient-elles inscrites dans le cœur des victimes de « Charlie Hebdo », car elles étaient le produit de la France de Voltaire et de Montesquieu. En toute circonstance, en France, cette « dimensions » doit être prise en compte.

L’autre « dimension » relève du sacré. Un domaine dont la complexité va jusqu’à l’infini. D’où cette locution latine « credo quia absurdum », qui veut dire « je crois, parce que c’est absurde ». Pour l’islam, la reproduction de l’image du prophète Mahomet est un blasphème. On n’y touche pas. C’est comme cela, tandis que dans l’Eglise catholique, « Dieu-Le Père » est représenté à travers un vieillard richement barbu. Sans dommage. Tout est donc question de foi de chacun.

Or, quelques journaux occidentaux, dont « Charlie Hebdo », forts du principe de la liberté d’expression, garanti par des textes fondamentaux, avaient reproduit l’image du prophète en caricature. Touchant hardiment au sacré pour près de deux milliards de musulmans. C’est une autre « dimension » non négligeable. Même si celle-ci se retrouve gangrenée, par l’islamisme, qui « tue au nom de Dieu » et pense au rétablissement de califats anachroniques.

Ces deux « dimensions », malgré tout, ne se devaient-elles pas un respect mutuel ? En visite aux Philippines, le pape François n’a pas dit autre chose.

Enfin, la phase des « réactions en chaîne », en guise de conséquences, à laquelle on assiste, est faite de sang, de revanche et d’incompréhension. Et si cette dernière persiste, elle débouchera sur un cercle vicieux, avec la probabilité de cheminer vers une forme de vendetta, autrement dit ce « choc des civilisations » dont on parle.

La situation appelle donc à résoudre ce dilemme, tout cornélien, en observant la modération. Dans tous les cas, c’est la règle d’or. Car, on sait que dans les démocraties occidentales, la notion de liberté n’est pas sans limite (il y va souvent de l’autocensure), tout comme on ne peut pas exclure la notion de retenue face au sacré, car si Dieu lui-même n’était modéré, il ne serait pas Dieu. L’Afrique doit en tirer aussi des leçons : garder la « mesure », en toute chose. Détruire et tuer flirtent avec l’extrémisme. Comme c’est le cas, aujourd’hui, au Niger.

Rukaya a été capturée avec ses deux enfants, dont un nourrisson de neuf mois. RFI/ Nicolas Champeaux

Rukaya a été capturée avec ses deux enfants, dont un nourrisson de neuf mois.
RFI/ Nicolas Champeaux

Les Français et la communauté musulmane : doutes et réalité

[Par Raafat ALOMAR ALGHANIM]

Traduit de l’arabe au français par Emmanuelle Ricard.

Le conflit entre l’Orient et l’Occident est antérieur au christianisme et à l’islam. Il s’agit d’une longue histoire.

Avant l’islam, Rome, se sentant menacée par le royaume de Palmyre gouverné par la reine Zénobie et dont les frontières atteignaient les rives du Bosphore, a rassemblé ses troupes pour le détruire. De même, avant le christianisme, Hannibal a tenté de franchir les Alpes avec des éléphants pour détruire Rome, dans une opération qui reflète un entêtement et une grande force de désespoir.
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A l’issue de l’une des rencontres auxquelles j’ai participé sur France 24, j’ai discuté avec le présentateur sur le pas de la porte et l’un des invités a dit : « en France, on peut douter de l’existence de Dieu mais on ne peut pas dénoncer l’holocauste ». Le présentateur a riposté : « nous avons fait une émission consacrée à l’holocauste dans laquelle nous avons invité des personnes qui le mettaient en doute ».

Avant, comme après cet épisode, j’avais discuté avec un grand nombre de membres de la communauté arabe et musulmane de France, de ceux qui considèrent que tout ce qui circule dans les médias français est prémédité, et pour cette raison j’avais volontairement critiqué le gouvernement français dans les émissions qui ont suivi en disant : « les français nous ont menti » lors d’une intervention sur la révolution syrienne. J’avais alors fait porter aux services de renseignement français la responsabilité du départ et du séjour des combattants en Syrie, et je leur avais demandé de les faire revenir car certains d’entre eux, une fois confrontés à la réalité, veulent revenir, et j’avais demandé que la route du retour ne leur soit pas fermée.

Des regrets exprimés

François Hollande (BERTRAND GUAY / AFP)

François Hollande (BERTRAND GUAY / AFP)

Dans ce contexte, j’avais également condamné la déclaration du Président de la République français François Hollande sur les combattants, dans laquelle il disait : « nous les combattons et nous les combattrons ». Ce que j’ai alors oublié de mentionner sur la chaîne de télévision est qu’une partie de ceux qui adoptent l’idéologie de combat le regrettent lorsqu’ils y sont confrontés. Cette idée a été exprimée par l’intellectuel français Régis Debray : « nous nous sommes impliqués comme des révolutionnaires à cause de notre amour de la littérature fantastique. Nous avons découvert que la réalité était différente ». Les textes invitant au jihad et les Dits du Prophète sur les anges et autres miracles ne sont pas loin de la littérature fantastique.

Les responsabilités des Etats-Unis

Lorsque le collègue Tawfiq Majid qui m’a invité à participer à l’émission «l’événement» pour aborder le thème : « l’Arabie saoudite réveille-t-elle les cellules dormantes ? », le débat a été particulièrement intéressant.

Ben Laden

Ben Laden

J’ai affirmé que les Etats-Unis étaient responsables de la montée du djihadisme car ils avaient développé et renforcé les djihadistes durant la période du conflit contre les Soviétiques en Afghanistan, en collusion avec la famille royale saoudienne. J’ai également affirmé que l’oppression et les expulsions auxquelles sont confrontés les Palestiniens, l’oppression à laquelle sont soumis les ressortissants du monde arabe de la part de gouvernements alliés aux Etats-Unis ont conduit la rue arabe (mais pas tous les Arabes, bien évidemment) à considérer Ben Laden comme un héros et à justifier les actions des djihadistes. J’ai alors cité un propos de Noam Chomsky « les Arabes ont soutenu Ben Laden, non pour ses idées mais à cause de l’injustice des Etat-Unis envers eux », en ajoutant qu’un grand nombre de ceux qui ont soutenu Ben Laden sont bien plus proches de la désobéissance à Dieu que de la religion et de ses enseignements.

J’ai développé ces idées sans être contredit, et lors de mes discussions avec des membres de la communauté musulmane, j’insultais, je discutais, je justifiais l’existence des djihadistes ; et les réponses que j’obtenais n’étaient jamais loin du proverbe « c’est un éléphant, même s’il est rose ».

Mon précédent développement, qui s’appuie sur le point de vue politique et qui a suscité l’intérêt, ne reflète naturellement pas l’intégralité du spectre. En effet, les liens entre le monde musulman et le monde occidental moderne intègrent un grand nombre d’éléments imbriqués et interdépendants, ce qui rend la problématique complexe. Le conflit entre l’Orient et l’Occident est antérieur à l’islam et au christianisme. Avant l’islam, Rome, se sentant menacée par le royaume de Palmyre gouverné par la reine Zénobie dont les frontières atteignaient les rives du Bosphore, a rassemblé ses troupes contre lui. De même, avant le christianisme, Hannibal a tenté de traverser les Alpes avec des éléphants pour détruire Rome, dans une opération qui reflète un entêtement et une grande force de désespoir.

Raafat AlGhanim lors d'une émission sur France24

Raafat Al Ghanim lors d’une émission sur France24

Un autre point, non moins important, est que l’on ne peut omettre ce que j’ai omis volontairement lors de rencontres sur le plateau de France 24, lorsque je m’efforçais de démentir les convictions ancrées dans l’esprit arabe disqualifiant des représentations fondées sur la généralisation aux autres de son propre réel et dont le résultat est que chacun pratique une forme d’oppression et que la vérité est dissimulée. J’avais en effet abordé le volet politique, qui préoccupe les musulmans au détriment du volet idéologique de la civilisation islamique. En effet, celle-ci se trouve encore au stade de l’adolescence politique et intellectuelle contrairement au christianisme et au judaïsme lesquels ont muri et franchi cette étape, ce que montre aujourd’hui le fait que Charlie Hebdo, qui a critiqué toutes les religions, a été attaqué par les seuls musulmans.

L’idéologie islamique en est au stade de l’adolescence

Concernant le volet idéologique que j’avais volontairement omis, il faut préciser que l’idéologie islamique se trouve au stade de son adolescence intellectuelle. Premièrement en raison du faible nombre d’intellectuels et de philosophes dans la civilisation musulmane, dont découle l’absence de critique de la pensée islamique dominante et son maintien sous le joug des préconisateurs de l’islam politique, contrairement au christianisme et au judaïsme qui ont produit un grand nombre d’intellectuels et de philosophes qui ont éclairé le chemin de leurs peuples, comme Spinoza et Voltaire.

Voltaire

Voltaire

Le lecteur ici pourra suggérer de nombreux penseurs arabes, à juste raison, mais, outre leur faible nombre comparativement à l’Occident, ils n’ont pas eu de réel impact dans leur milieu social qui n’a eu de cesse de les refuser depuis la défaite d’Averroès au Maghreb. Lorsque le Calife al-Mutawakkil est arrivé au pouvoir au Proche-Orient, il a combattu les Mu’tazilites qui représentent l’héritage rationnel de la civilisation islamique. En raison du refus des sociétés arabes de leurs intellectuels, on constate qu’un grand nombre d’entre eux a choisi de s’allier avec les dictatures contre le principe de la démocratie dont ils estiment qu’elle ne convient pas à ces peuples.

La deuxième raison est l’absence d’éducation responsable et impliquée dans le développement des sociétés. En effet, l’éducation se limite dans le monde arabe et musulman à glorifier le dictateur. La vie entière est centrée sur ce dictateur qui, lui, se préoccupe de ses plaisirs et de ses affaires personnelles, de son armée, de ses forces de sécurité, et de tous ceux qui s’occupent de sa sécurité et de la sécurité de ce dont il jouit.

Depuis la défaite d’Averroès, l’islam vit une situation de déclin intellectuel, ce qu’a appelé Mohammad Arkoun « le passage de l’âge classique à l’âge scolastique », c’est-à-dire de l’étape de l’effort personnel et de la joute intellectuelle à celle de la répétition mécanique, loin de son époque et ancrée dans le passé.

Après l’attaque terroriste que la revue Charlie Hebdo vient de subir, les interrogations concernant l’idéologie islamique ressurgissent. Dans la cacophonie des voix qui s’élèvent sur ce sujet, une voix arabe s’est distinguée, clamant que les services de renseignement français et le Mossad avaient orchestré cette opération avec pour objectif de ternir l’image de l’islam. Cette voix évite ainsi toute critique de l’islam politique tel qu’il domine actuellement… et peut-être même n’est-elle pas convaincue de ce qu’elle répète. Dans ce contexte, je me souviens avoir discuté avec une personne qui accusait le Mossad et les services de renseignement français d’avoir orchestré l’attaque contre le siège de la revue. Je lui ai alors fait écouter, sur Youtube, ce que prône le wahhabite Mohammad al-Arifi dans lequel il expose la nécessité de tuer tous ceux qui se moquent du prophète Mohammad. Al-Arifi a parlé durant 12 minutes, en citant uniquement des textes musulmans propres à faire naître la ferveur dans le cœur des auditeurs. Après avoir tout écouté, celui qui accusait le Mossad a finalement dit qu’il a été convaincu par le discours d’Al-Arifi.

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Le Burkina, l’Afrique et l’an 2015

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Comme d’habitude, en 2014, l’Afrique a croulé sous le poids de ses maux : dictature, corruption, coteries, absence criante d’idéal d’excellence, etc. Mais, en novembre, le Burkina Faso s’en est offusqué et a manifesté sa colère. Pour une fois, la pression de la rue a fait tomber un dictateur, Blaise Compaoré, au pouvoir pendant 28 ans. Est-ce un signe positif pour 2015 ?

Burkina Faso (source : la-croix.com)

Burkina Faso (source : la-croix.com)

Mobutu-KedhafiUn retour rapide sur quelques événements, à travers le continent, nous place devant un terrible paradoxe. Citons-en deux, à titre d’exemple : l’après-Mobutu, en République démocratique du Congo, et l’après-Kadhafi, en Libye. La chute de ces deux despotes, renversés par les armes, ont conduit au déluge, plutôt qu’aux effets escomptés : la démocratie. Depuis, les guerres n’ont cessé au Congo, tandis que la Libye se délite, chaque jour, à l’œil nu.

Or, les institutions instaurées par Compaoré n’étaient en rien différentes de celles qui étaient établies hier ou qui sont encore en place aujourd’hui, presque partout : une sorte de despotisme éclairé, à l’« africaine », avec l’existence d’une opposition et d’un parlement bidons, à la coupe du pouvoir. Le mal est qu’au fil des années, cette idéologie avait fini par se cristalliser et devenir un « principe normal » de la vie politique, toléré, et même accepté – au bas mot – par les peuples. Au point que Congolais et Libyens ne manquent pas, aujourd’hui, de regretter les régimes autoritaires.

constitutionLe Burkina Faso échappera-t-il à ce schéma ? Réponse à la normande, tant que l’autocratie sera encore vue, en Afrique, comme un « phénomène de société ». C’est la racine du mal, dont le spectre se profile à l’horizon 2015. En cette année, des élections vont se dérouler dans plusieurs pays. Les chefs d’Etat d’une dizaine d’entre eux se  proposent de modifier les Constitutions pour leur permettre de rempiler. Il s’agit de la République démocratique du Congo, du Burundi, du Rwanda, du Bénin, pour ne citer que ceux-là.

A en décrypter leur attitude, il est clair que ces chefs d’Etat, malgré le cas à tonalité pédagogique du Burkina Faso, sont décidés d’aller jusqu’au bout de leurs ambitions. Au Rwanda, par exemple, les milieux officiels croient dur comme fer que la « démocratie à la rwandaise » n’a de leçons à recevoir de personne. Comment, dans cette hypothèse, envisager l’avenir politique du continent avec optimisme,  sans y voir de beaux désordres, en perspective ?

Pourtant, c’est la politique qui commande l’économie et le reste. Le pays de Mandela, un des géants économiques de l’Afrique, nous en donne un exemple patent. Depuis le glissement de la politique dans le népotisme et la corruption, l’économie sud-africaine est à la traîne. Le taux de croissance pour 2014, selon les prévisions, doit graviter autour de – 0,6 %. Un bilan très négatif.

D’où l’éclipse sur 2015. Même si, avec l’espoir que le taux global de croissance du continent dépasse, en 2014, les 7 % réalisés en 2013. Car, des résultats statistiques à la jouissance du pactole, il y a toujours loin de la coupe aux lèvres.

La MDJ : « Nous sommes tous Charlie »

 

Les journalistes de la MDJ expriment leur solidarité à Charlie Hebdo.

La lâcheté et la barbarie, les termes sont assez faibles pour exprimer ma révolte et mon indignation face à cet acte inhumain. Je suis Charlie. Je suis Charb, Cabu, Wolinski, Tignous…Vous ne réussirez pas à tuer nos œuvres.
Sékou Chérif DIALLO, journaliste guinéen
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La grande douleur ! Vive protestation, mes compatriotes !
Wanding REN, reporter chinois
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L’association des journalistes syriens condamne fermement l’attaque terroriste sur le magazine Charlie Hebdo. L’association des journalistes syriens a suivi avec consternation l’acte terroriste et lâche contre le magazine humoristique Charlie Hebdo à Paris et qui a coûté la vie à 12 journalistes et policiers. L’association des journalistes syriens condamne cet acte barbare qui que ce soit l’auteur. L’association des journalistes syriens exprime sa consternation et son refus de ce crime odieux qui va à l’encontre de tous les principes humains et, les plus simples enseignements de la tolérance des religions. L’association des journalistes syriens présente ses chaleureuses condoléances aux familles et amis des victimes des journalistes et policiers qui ne faisaient que leur devoir, et rappelle que à cette douloureuse occasion de la nécessité de de respecter la liberté de presse ; et de ne pas en aucun cas s’attaquer aux journalistes.
L’association des journalistes syriens
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Je m’incline avec une vive émotion devant la mémoire de toutes les victimes, policier et membres de l’équipe de Charlie-Hebdo, et présente mes condoléances aux familles éplorées en leur disant qu’elles ont perdu des patriotes, morts pour la démocratie et la liberté d’expression. Cela dit, je forme le vœu que le peuple français reste uni face à cette épreuve sachant que les tueurs n’ont pour projet que de provoquer la désunion au sein d’une société qui a su,- même s’il reste encore des choses à parfaire en ce domaine,- assurer la cohabitation entre communautés de différentes religions, origines et langues. Je suis convaincu que les institutions françaises sont assez fortes et sauront trouver les moyens de consolider le système laïque et républicain qui fait tant l’originalité de la France. C’est des solutions mêmes qui auront été conçues et les réponses qui auront été apportées au déferlement cyclique de la violence que dépendra le destin du reste du monde.
Larbi Graïne, journaliste algérien
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Nous, journalistes syriens exilés en France, avons appris avec extrême tristesse et sidération l’horrible crime commis à l’encontre de nos confrères de «Charlie Hebdo» par les ennemis de l’être humain, de sa liberté et de sa dignité.
Nous condamnons cet acte lâche et présentons toutes nos condoléances aux familles des victimes, leurs proches et leurs collègues. Nous faisons la promesse de faire triompher toutes les valeurs portées et défendues par les martyrs de la liberté d’opinion et de la liberté humaine partout dans le monde.
Nous, journalistes et écrivains syriens, percevons tout le sens de ce crime et les messages que les assassins cherchent à transmettre.
Nous le savons d’autant plus que, dans notre pays, la Syrie, nos amis et collègues croupissent dans les geôles ou les fosses des fascismes d’Assad et de Daech, les deux alliés contre la liberté, la dignité et tout ce qui est humain.
Les signataires :
Najati TAYARA
Nahed BADAWIA
Rashed ISSA
Rateb SHABO
Iyad ABDALLAH
Moaaoya hamoud
Omar ALKHATIB
Mazen ADI
Ali HAMRA
Khalil ALHAJ SALEH
Nart ABDALKAREEM
Raafat ALGHANEM
Ahmad SALAL
Fadwa SOULEIMANE
Rana ZEID
Muzaffar SALMAN
Mohamad AL AWAYD
lina CHAWAF
duha ASHOUR
Ahmad BASHA
Assem HAMSHO
Hazem AL SAIED
Mohammed SHA’BAN
Omar ALASAAD

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Je suis tant triste, je suis tant brisé… Quelle barbarie…..
Je pense aux mes collègues les victimes, à leurs familles et leurs proches et notamment aux blessés.
Mohamed Houssein, journaliste mauritanien
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Nos plus sincères condoléances au peuple français et toutes nos condoléances et notre solidarité envers le journal Charlie Hebdo
Ce qui est arrivé est un acte de criminel et terroriste terrible et inacceptable.
Nart ABDALKAREEM, journaliste syrien
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Je condamne l’attaque terroriste sur les journalistes de Charlie Hebdo. Toutes mes condoléances.
Je suis Charlie.
Oleksandr POMOYNYTSKYY, journaliste ukrainien
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Il ne faut pas arrêter la lutte contre des extrémistes, parce qu’ils ne sont pas justes! Ils n’ont pas de culture humaniste. Ce sont des sauvages ! Je suis Charlie avec tout mon coeur!
Vive la liberté !
Osman AHAMADI, journaliste afghan
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Je manifeste contre cette attaque terroriste sur la rédaction Charlie Hebdo.
Je suis solidaire de ce journal.
Mohammad ALHAMADI, journaliste syrien
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Au nom de la Liberté de la presse, je suis Charlie Hebdo!
Benson SERIKPA, journaliste ivoirien
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Qui mieux que nous (journaliste exilé en France) pour parler de la liberté d’expression. Charb avait raison : Nous préférons mourir debout que vivre à genoux.
#je suis Charlie
Un journaliste guinéen
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J’étais un journaliste réfugie iranien en France, mais a partir le mercredi 07 janvier 2015, je suis CHARLIE. c’est tous.
Majid SEDGHI, journaliste iranien
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J’ai appris cette tragédie qui a profondément touché le monde entier particulièrement la famille de la presse, nous sommes touchés , je me pose la question au nom de quel Islam ces confrères ont tués, leur âme s’inscrira pas en lettre de sang comme ils ont tués mais en lettre d’or dans sa mémoire collective de l’ensemble de la presse mondiale.
Mes condoléances les plus attristées aux familles des victimes.
Alpha Ousmane BAH, journaliste guinéen
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Nous condamnons tous l’attaque terroriste contre le journal français Charlie Hebdo , condoléances aux familles des victimes et au peuple français
Tarek SHEKH MOUSA, journaliste syrien
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A dessein, la haine a frappé, mais, jamais, n’effacera le dessin de la liberté.
Charlie est mort, vive l’hebdo !
Léon KHAROMON, journaliste congolais
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Toutes mes condoléances.
Sumith DIAS, journalistes sri lankais
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Arsenal redoutable. L’attentat perpétré contre les journalistes de « Charlie Hebdo » est abominable. Quand on emprisonne un journaliste, on emprisonne la liberté d’expression. Quand on tue un journaliste, ô crime suprême, on tue l’homme mais on ne supprime pas sa pensée, qui demeure à jamais un arsenal redoutable pour d’autres combattants de la liberté.
Jean­-Jules Lema Landu, journaliste congolais
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Journalistes de Charlie,
Vous êtes le pont entre les ténèbres et la lumière…
Après la mort, il y a eu un fort éclaircissement venu renforcer l’avenir et la liberté.
Nabil SHOFAN, journaliste syrien
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C’est vraiment un acte barbare, inhumain, indigne, sans religion qu’aucun qualificatif ne peut-être employé pour qualifier cet acte d’un autre age.

CHARLIE :

c : consterné
h : horrifié
a : affligé
r : révolté
l : lubrifié
e : écœuré
Alareny BAH, journaliste guinéen
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Au lendemain de l’attentat terroriste contre le journal de Charlie Hebdo à Paris, je crois qu’il n’y a pas de foyer pour les journalistes, ni dans les pays occidentaux ni orientaux car les terroristes et les extrémistes sont partout dans le monde. Alors “Nous devons nous montrer solidaires de Charlie Hebdo sans oublier tous les Charlie Hebdo du monde. En outre, je pense que aujourd’hui les terroristes exploitent la démocratie et la libérée dans les pays occidentaux pour attaquer les valeurs de civilisation de ces pays. À mon avis si quelqu’un décide de vivre dans un pays occidental (par exemple la France), il faut qu’il respecte ses valeurs.
Karwan TAYIB, journaliste kurde d’Irak
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Ce soir la France est en deuil et …nous aussi. Nous parce que nous vivons désormais sur cette terre hospitalière de France. Nous parce que nous sommes avant tout journaliste. À chaque fois que la liberté d’expression sera réprimée de diverses manières, nous marquerons notre désaccord. Présentant nos condoléances au peuple français et au monde des médias meurtris par ce lâche attentat, nous ne pouvons nous empêcher de penser à ces crises à travers le monde. On oppose toujours les ethnies et les religions et on fait agir lâchement les esprits faibles, manipulés et désorientés. Lorsque la violence des armes devient un moyen de revendication, le monde perd son humanité.
Ce soir je pleure mes confrères de Charlie Hebdo et comme l’artiste, je crie haut et fort: “NE MELEZ PAS ALLAH A VOS ACTES CRIMINELS”
Armand IRÉ, journaliste ivoirien
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Je suis vraiment ému en regrettant d’arriver à ce cauchemar. À mon avis cette attaque vise toutes les personnes qui habitent en France et également la liberté de la presse. En dernier lieu, je souhaite juste écrire ce message simple et clair pour déclarer que je suis fière de Charlie Hebdo, en tant que journaliste.
Reza JAFARIAN, photojournaliste iranien
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La presse c’est comme un miroir. Elle vous informe de tout votre état, bon ou mauvais. Avec vive émotion, que j’ai suivi l’acte ignoble de ses islamistes contre Charlie Hebdo. Ils ont confirmé leur état que le miroir Charlie Hebdo avait reflété. On ne tue pas la vérité, la presse.
Simon MM, journaliste congolais
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Charb, Wolinski, Cabu et Tignous étaient parmi ceux qui ont péri dans cet acte ignoble mais vous serez Charlie! Charlie! Liberté! comme le scandaient ce soir place de la République des milliers de personnes en votre mémoire.
Out le terrorisme! Que vive la liberté de la presse de par le monde!
Abdoulaye Djibril SOW, journaliste guinéen
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C’est l’encre qui devrait couler et non le sang. Si vraiment ces meurtriers ont cru rendre justice, la violence n’en est en aucun cas un moyen. Le meurtre fait taire les bouches et non les coeurs, les idées ni les actions. Vous êtes morts mais vous laissez derrière vous des branches dont les fleurs produiront les fruits de vos actions. REST IN PEACE CHARLIE HEBDO attack victims
Une journaliste
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Ceux qui ont tué cherchent à pulvériser la liberté. Ils ont d’ores et déjà échoué. Chacun, à notre place, nous allons tenter de perpétuer les principes qui animaient nos collègues disparus. Devenons des veilleurs sinon des combattants, dans la mesure de nos modestes moyens. Nous sommes tous des Charlie. Définitivement.
Denis PERRIN, journaliste français
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Hommage aux journalistes de Charlie Hebdo, martyrs de la liberté de la presse!
Carole SERIKPA, journaliste ivoirienne
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A l’équipe de Charlie Hebdo, je souhaite adresser mes plus sincères condoléances. Mes pensées vont aux victimes, à leurs familles, à leurs amis et à leurs collègues qui ont perdu des êtres irremplaçables.
Aujourd’hui, j’ai envie de rire encore plus fort, d’être bousculée davantage, de m’interroger encore et encore, notamment en lisant Charlie Hebdo qui a eu l’art de ne jamais me laisser indifférente…
Alors, au-delà des peurs, des pleurs, de la tristesse, du deuil, si vous le pouvez encore, faites-moi rire, bousculez-moi, aidez-moi à réfléchir en restant encore et toujours politiquement incorrects, parfois si trash et subtiles à la fois…
Florence DAMIENS, traductrice français-arabe
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Journaliste tchadien, exilé, en France, j’estime que l’attentat terroriste qui a visé ce mercredi 07 janvier 2015, le journal, “Charlie Hebdo”, faisant des lourdes pertes en vies humaines et de nombreux blessés, est un acte abominable d’une extrême cruauté. Il est inqualifiable et inadmissible. La liberté d’expression est un droit universel qui ne peut être transgressé. Attaquer et tuer injustement des journalistes dans l’exercice de leur fonction, est un délit lourdement répréhensible, une menace pour l’humanité dans sa composante globale. J’exprime ma solidarité internationale à la rédaction de Charlie Hebdo et j’invite les uns et les autres à la mise en place des réactions urgentes, massives et généralisées pour éradiquer ce phénomène qu’est le terrorisme. Aucune société moderne ne peut s’identifier ni adhérer, à l’agissement de ces criminels qui entravent la marche de l’humanité éprise de paix, de justice sociale et de dignité pour tous. En cette douloureuse journée de deuil, mes pensées particulières vont aux victimes, à leurs familles, amis et journalistes éprouvés par cette barbarie moyenâgeuse.
Makaila NGUEBLA, blogueur tchadien
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L’opposition Yéménite condamne sévèrement les derniers actes terroristes vécus dernierement en France et au Yémen. Ces actes terroristes lâches et perfides qui ont impliqué le journal Charlie hebdo de la capitale française, qui ont tué de nombreux innocents. Au Yémen, nous avons également subis mercredi dernier des attentats terroristes à la voiture piégée, faisant 40 morts et des dizaines de blessés.
Le terrorisme ne connaît aucune frontière et s’attaque à tous. Il ne défend aucune religion et ne peut en parler en son nom.
En tant que président de l’opposition Yéménite française je tenais à exprimer mon soutien à la France et à exprimer mes plus sincères condoléances aux familles des victimes françaises, tout comme aux familles des victimes Yéménites.
Mohamed AL SHAMI, journaliste yéménite
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COMMUNIQUÉ DE PRESSE

Attentat Charlie Hebdo :
la Maison des journalistes se mobilise et lance un appel à la vigilance
en faveur de la liberté de la presse

La Maison des journalistes (MDJ) pleure les victimes du terrible attentat meurtrier perpétré à l’encontre du journal Charlie Hebdo ce mercredi 7 janvier. Elle témoigne de sa solidarité aux familles des journalistes, des policiers et au journal éprouvés par cet acte abominable.

Protéger les journalistes, protéger la presse, c’est protéger la démocratie et nos libertés. La Maison des journalistes entend plus que jamais soutenir les journalistes de par le monde qui ont trouvé refuge en France et qui, pour la plupart, ont été persécutés par ceux dont font partie ces barbares.

Aujourd’hui la Maison des journalistes lance un appel à la vigilance, à la mobilisation pour lutter contre tous les intégrismes et toutes les intolérances.

Fait à Paris, le 8 janvier 2015

Christian AUBOYNEAU
Président

Darline COTHIÈRE
Directrice

La Maison des journalistes

INTERVIEW. Côte d’Ivoire : « Ouattara est un président bâtisseur »

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklin Nyamsi, 42 ans, est professeur agrégé de philosophie, et chercheur à l’Université de Lille 3. D’origine camerounaise, il fait partie des rares intellectuels à avoir conservé leur indépendance vis-vis du pouvoir de Yaoundé. Il critique en effet régulièrement l’immobilisme qui le caractérise.
Polémiste parfois passionné, c’est l’Afrique de l’Ouest – notamment le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire – qui constitue son principal centre d’intérêt. Un choix de cœur, sans doute. Au début des années 90, il dut partir en exil, lors de la répression brutale qui sanctionna une longue grève des étudiants de l’université de Yaoundé. C’est la Côte d’Ivoire qui l’accueillit et lui permit de poursuivre ses études dans de meilleures conditions, avant de répondre à l’appel de l’université française. Depuis, il suit de près les soubresauts politiques du pays de Félix Houphouët-Boigny. Dans cette interview, il répond aux questions que de nombreux observateurs se posent au sujet des choix économiques du président Alassane Ouattara, et esquisse l’avenir de ce pays, qui sort d’une longue période de troubles politiques.

[Interview réalisée par René DASSIE]

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

1- Professeur, vous êtes Français d’origine camerounaise. Mais vous êtes plus présent sur la scène ivoirienne qu’ailleurs. Qu’est ce qui explique ce lien particulier avec ce pays ?
Votre question ne me surprend point. Elle confirme ce bon mot de Heidegger qui dit que « la célébrité n’est que la somme des malentendus qui se forment autour d’un nom ». Pour en venir au fond, je me définis avant tout comme un être humain, et à ce titre, un citoyen du monde, car mon idéal est d’enraciner l’action dans une vision qui articule l’ici et l’ailleurs, dans un Tout harmonieux. Être Camerounais ou être Français ne sont de ce point de vue, que des déterminations accidentelles de mon être, puisque je m’efforce essentiellement d’être tout simplement un homme dans son siècle. Cela dit, vous rendez-vous compte que j’ai écrit deux livres sur le Cameroun et un seul sur la Côte d’Ivoire ? Vous rendez-vous compte que pour beaucoup d’Ivoiriens, je suis essentiellement Camerounais comme pour beaucoup de Camerounais, je suis éventuellement franco-ivoirien ? J’ai horreur d’être défini, daté et classifié comme une boîte de sardines sortant de sa fabrique. J’existe, et exister c’est être en devenir tout en demeurant soi-même. La Côte d’Ivoire, comme pays, a une plus grande ouverture sur le monde que mon Cameroun natal. Je me dois de penser que si l’on me connaît surtout pour mon engagement ivoirien, c’est parce qu’une voix qui parle de Côte d’Ivoire touche plus vite l’Afrique entière qu’une voix qui parle de Yaoundé ou de Douala. L’enclavement mental et médiatique, mais aussi une certaine politique enténébrée caractérisent un peu trop les pays de la forêt équatoriale d’Afrique Centrale. Communiquer, c’est sortir de la forêt, c’est savoir habiter la savane où autant en emporte le vent. Une véritable déforestation politique du Cameroun s’impose. Elle seule pourra du reste empêcher la déforestation sauvage de la flore naturelle du Cameroun. Enfin, j’ai envie de vous dire, journaliste camerounais de votre état, que je ne vous parlerai pas de la Côte d’Ivoire si vous ne me posez pas des questions sur la Côte d’Ivoire. Le tropisme ivoirien que vous m’attribuez est sans doute celui de la presse camerounaise elle-même, lasse de parler du régime monotone de Paul Biya et avide de parler d’un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a changé par quatre fois de Chef de l’Etat en moins de vingt ans.

2- Le troisième pont d’Abidjan a été inauguré en grandes pompes il y a quelques jours. Cela faisait au moins quatorze ans que le lancement de sa construction traînait. Peut-on enfin dire que le pays se relève après une longue crise ?
Vous l’avez dit vous-même. La renaissance ivoirienne n’est pas une fiction idéologique. Elle se concrétise dans l’action d’un président résolument bâtisseur, doué d’une vision et d’une volonté de grandeur pour son pays qu’il a manifestée en moins de trois ans de pouvoir. Rien à voir avec les slogans creux qu’on nous a servis ailleurs pendant plus de trente ans. J’aime beaucoup ce mot du Président Ouattara qui, citant Newton lors de son discours d’inauguration le 16 décembre 2014, a souligné que les hommes devraient cesser de construire entre eux des murs, pour mettre en lieu et place des ponts. La politique au sens le plus noble est un art du pontificat. Elle tisse des liens féconds au cœur de la pluralité humaine. La symbolique de ce 3ème pont sur la lagune Ebrié est remarquable : il relie deux grands quartiers de la capitale, l’un bourgeois et l’autre, populaire. Il unit deux grands hommes d’Etat, qui ont reconstitué une union ivoirienne plus parfaite après avoir été les pires ennemis de la république : les présidents Bédié et Ouattara, dont la leçon de fraternité servira sans doute de schème à l’espérance ivoirienne. Enfin, ce pont est un succès architectural et une belle promesse de fluidité commerciale pour la capitale économique ivoirienne, qui méritera encore plus son doux surnom de « perle des lagunes ».

© Reuters par DR  Tourisme - Vue aérienne d`Abidjan Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

© Reuters par DR
Tourisme – Vue aérienne d`Abidjan
Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

3- Ce pont a coûté très cher. 270 millions d’euros. C’est deux fois le prix qu’auraient proposé les Chinois, selon certaines sources.
Ce pont rapportera à long terme davantage que son prix. Votre allégation est donc infondée sur ce point. Je n’aime ni la Françafrique, ni la Chinafrique, ni la Russafrique, ni l’Américafrique. L’impérialisme m’insupporte, d’où qu’il vienne. Les décideurs ivoiriens, légitimement et légalement élus par leur peuple, ont cependant le droit de choisir le rapport qualité/prix qui leur convient entre plusieurs offres internationales. Je ne pense pas que le seul coût du pont puisse servir de critère suffisant à la décision des autorités ivoiriennes.
• Pourquoi le président Ouattara a-t-il préféré l’offre de Bouygues ? Un cadeau pour dire merci à la France ?
Je conteste votre méthode. Vous posez une question en préemptant la réponse. Par hypothèse, il faut aussi se demander si la France n’a pas fait l’offre la plus fiable en rapport qualité/prix. Je ne suis pas certain que la Chine ait atteint tous les standards de qualité des entreprises françaises dans tous les domaines. Je laisse donc ouverte l’hypothèse d’une préférence objective des Ivoiriens pour les entreprises françaises, y compris en raison de la longue histoire qui lie ces deux pays. Car il y a quelque chose que les Camerounais ne veulent pas confondre. En Côte d’Ivoire, le sentiment anti-français a parfois été instrumentalisé par le régime Gbagbo, mais il n’y a pas véritablement de camp politique anti-français en Côte d’Ivoire. Rendez-vous compte que c’est la France jospinienne qui a été la première à aider Laurent Gbagbo à s’installer au pouvoir en octobre 2000 ! Lui-même l’a dit, dans une vidéo disponible sur le web : « en 2000, la France nous a aidé sur tous les plans ». Et d’ailleurs, sous Gbagbo, la France a toujours eu la plupart des gros marchés internationaux ivoiriens. Alassane Ouattara, de ce point de vue, est dans la parfaite continuité de la tradition de coopération privilégiée entre Français et Ivoiriens depuis Félix Houphouët-Boigny.
• Ce pont doit permettre de désengorger Abidjan. Cependant, la traversée sera payante. Interdit aux pauvres donc ?
Le pont n’est pas interdit aux pauvres puisqu’il est fait pour des véhicules que les pauvres ne possèdent pas mais qu’ils pourront emprunter, sous forme par exemple de transports publics. Je crois donc que votre objection est sans fondement, car les pauvres passeront sur le pont via les transports publics qui sont accessibles à leur portefeuille modeste. Je crois savoir aussi que le péage de ce pont ne sera pas indéfini. Le pont finira par fonctionner comme toutes les routes urbaines.

4- Sur le même plan, selon Jeune Afrique, l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP) que dirige M. Coulibaly Non Karna a émis le 18 septembre un rapport très critique sur le mode de passation des contrats par le gouvernement. Jusqu’à 500 milliards de F CFA de marchés publics ont été passés de gré à gré, entre 2011 et 2013, c’est-à-dire en contournant la procédure usuelle des appels d’offres. N’y a pas là un risque évident de favoritisme ?
Oui, c’est un grave risque de favoritisme. Il y a urgence que l’éthique de la bonne gouvernance redresse les réflexes de prédation délétères. Et le gouvernement Ouattara, qui a commandité ce rapport, manifeste ainsi sa réelle volonté de combattre la corruption d’Etat, véritable fléau mondial et africain que les Camerounais connaissent d’ailleurs davantage que les Ivoiriens. N’est-ce pas ?
• L’urgence qu’il y a à relancer l’économie suffit-elle à expliquer ce procédé de gré à gré ?
Il s’agit là de nos pesanteurs sociologiques africaines, à surmonter de toute urgence. On peut constater, dans tous nos pays d’Afrique francophone par exemple, que la tentation de gestion patrimonialiste de l’Etat est très développée. Le rapport Coulibaly doit permettre au gouvernement Ouattara de mettre un coup de pied dans cette fourmilière de parasites qui jouissent au détriment des plus besogneux.

5- La croissance de la Côte d’Ivoire en 2013 qui est d’environ 8,8 est vigoureuse malgré un léger repli par rapport à l’année précédente. On doit cela notamment à la politique de relance par les grands travaux entrepris par le gouvernement. Cependant, le PIB par habitant reste faible par rapport à son niveau de 2000. On entend ainsi des Ivoiriens dire : « on ne mange pas béton ». Quelles sont les mesures que le président prévoit pour :
• Améliorer le pouvoir d’achat des Ivoiriens ?
• Pérenniser cette croissance ?
• Inciter le secteur financier en surliquidité, à financer les PME ?
• Créer des emplois au profit des jeunes Ivoiriens ?
• Améliorer la compétitivité du pays qui souffre, selon le rapport Paying Taxes 2014, de procédures douanières peu fluides et d’une fiscalité très complexe (62 dossiers d’impôts face à 36 en moyenne en Afrique)?

Williamsville, un des quartiers pauvres d'Abidjan (source : 20minutes.fr)

Williamsville, un des quartiers pauvres d’Abidjan (source : 20minutes.fr)

Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement ivoirien. J’observe cependant que le Président Ouattara a relevé le SMIG ivoirien à 60000 CFA. J’observe qu’il envisage une croissance à deux chiffres pour son pays, avec de solides raisons d’y croire. J’observe qu’en septembre dernier, il a publiquement critiqué la surliquidité des banques ivoiriennes qui ne prêtent pas autant aux entrepreneurs locaux qu’elles le font avec les grandes firmes internationales. Je vois le Président Ouattara soucieux d’employer des centaines de milliers de jeunes dans l’industrie, dans l’agriculture et de donner à chacun une chance de s’en sortir par la politique de micro-crédits qui va sans doute être plus vigoureuse dans son second mandat. Toutes les mesures que j’entrevois ainsi me semblent être des axes de la politique du gouvernement ivoirien. La fluidification du code des investissements, l’amélioration constante des indices de référence de la Côte d’Ivoire dans les classements Moody’s et Doing Business témoignent d’une forte volonté de progrès constant impulsée par le manager d’exception qu’est le président Ouattara. Comme vous le savez sans doute, la croissance – en attendant l’élaboration d’indices plus diversifiés – est encore la clé de tout, à condition qu’elle ne produise pas cette incongruité qui veut dans bien des pays africains, que les chiffres macroéconomiques élogieux ne se reflètent pas toujours positivement dans le panier de la ménagère. Le second mandat du Président Ouattara sera sans doute un mandat social. Je le vois prendre à bras le corps, après avoir reconstruit les fondamentaux.

6- Parlons maintenant un peu de politique. Laurent Gbagbo, Blé Goudé jugés à La Haye et sans doute bientôt Simone, l’épouse de M. Gbagbo. Comment mettre fin aux rancœurs dans ces conditions?
La justice politique est longue et patiente. Laurent Gbagbo, Blé Goudé et Simone Gbagbo sont les vrais responsables de l’escalade sanglante de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Je ne suis pas surpris qu’ils aient été sévèrement épinglés par la justice internationale et nationale. S’ils n’avaient pas voulu usurper le vote populaire, ils vivraient librement chez eux en Côte d’Ivoire. Quand vous parlez de rancœur, je vous réponds que vous oubliez un peu trop les victimes du régime discriminatoire de l’ivoirité. 3000 morts, tout de même, par la faute originelle de ces téméraires ! Ne les oublions pas si vite ! La justice est réparation des torts faits aux victimes, pas glorification des coupables. Laissons-la faire son travail.

7- Les enquêtes internationales ont reconnu des torts partagés, peut-être pas au même niveau, dans la crise sanglante qui a suivi la présidentielle de 2010. Seuls des membres du camp Gbagbo se retrouvent devant la justice à Abidjan et à La Haye. Justice des vainqueurs ?

La Haye -  Tribunal international

La Haye – Tribunal international

Vous faites une lecture morale et politique erronée du conflit ivoirien. A-t-on condamné et emprisonné les résistants français qui ont défait les nazis parce que des civils innocents étaient morts lors de leurs combats contre l’Allemagne nazie ? A-t-on condamné l’ANC combattant contre le régime de l’Apartheid parce que des civils étaient parfois tombés lors des attaques de l’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC ? Faut-il condamner les upécistes camerounais qui ont pris les armes entre les années 50-70 pour délivrer le Cameroun du colonialisme français et de ses héritiers, parce que lors de leurs confrontations avec le colon des civils trouvèrent la mort ? Il n’y a, hélas, pas encore de guerre propre au monde ! Telle est la dureté de l’Histoire, par quelque bout qu’on la prenne. Il vous faut apprendre que la résistance contre l’idéologie criminelle de l’ivoirité, bien qu’elle ait été violente, n’a pas la même portée morale que les agressions violentes du régime illégitime de Gbagbo contre les populations ivoiriennes. C’était une question de vie ou de mort pour les citoyens exclus et ostracisés par les Escadrons de la mort de Laurent Gbagbo et ses milices xénophobes. La légitime défense trace la ligne de démarcation nécessaire entre les victimes et les coupables. Depuis le charnier de Yopougon jusqu’aux tirs d’obus sur les femmes d’Abobo, le régime Gbagbo n’a pas laissé le choix aux vaillants ivoiriens. Ils devaient vaincre Gbagbo ou périr sous Gbagbo. Les Forces Nouvelles de Guillaume Soro, puis les FRCI sous les ordres du Président Ouattara ont sauvé le peuple de Côte d’Ivoire d’une dislocation certaine dans une tragédie génocidaire.

8- Sur le même plan, la Commission dialogue, vérité et réconciliation a plutôt déçu les attentes. Peu d’impact à travers le pays, en dépit des commissions locales installées un peu partout dans les communes. Certains pensent que cette commission souffre d’un péché originel : elle est présidée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, alors qu’elle aurait dû se placer au-dessus des chapelles politiques. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?
Je ne crois pas en la capacité de l’homme le plus saint au monde d’être dépourvu de vision politique. Le Christ, Gandhi, Luther King, etc., avaient tous une vision politique de l’humanité. Sortons donc de cet angélisme désuet qui consiste à croire qu’il y a des hommes « au-dessus des chapelles ». Etre « au-dessus des chapelles », c’est appartenir à une chapelle tout de même : la chapelle de ceux qui se croient ou qu’on croit être au-dessus des chapelles. Non. Assumons nos valeurs. Une commission de telle nature a toujours des résultats dans le temps long. Je n’ai pas eu le sentiment que la CDVR ivoirienne était partiale, bien que son président, Charles Konan Banny, ait davantage parfois pensé à son propre avenir politique qu’au succès de sa mission capitale. Soyons mesurés. On ne panse pas les plaies morales d’une société en un tour de passe-passe verbal. Il faut laisser aux mémoires le temps de l’émotion, puis celui de l’apaisement. Le travail de la justice vient aussi clarifier les responsabilités et ramener les choses aux proportions de la raison. Le régime Ouattara a tout de même mobilisé 16 milliards de FCFA pour les travaux de cette Commission dont les conclusions devraient inspirer une meilleure justice transitionnelle ivoirienne dans les prochaines semaines.

9- Si la réconciliation n’est pas effectivement réalisée, ne risque-t-on pas de renouer avec les troubles lors des prochaines élections ?
La qualité des élections et le respect des résultats justes sont les conditions de la paix postélectorale. La force doit, bien sûr toujours, demeurer au droit. Je ne saurais préjuger des comportements de tous les acteurs politiques. Je souhaite simplement que Gbagbo ne fasse pas tâche d’huile parmi les leaders politiques ivoiriens, car son attitude terrible en 2010-2011 a failli tuer la Côte d’Ivoire.

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

10- Enfin, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, est très actif au plan international, surtout africain. Certains le présentent comme le dauphin du président Ouattara. Vous qui êtes proche de lui, partagez-vous ce regard?
Selon la constitution ivoirienne, le président de l’assemblée nationale est le dauphin du président de la république. Voilà qui est clair et sans commentaire. Pas la peine ici donc, d’enfoncer les portes ouvertes. Pour ce qui est de l’avenir, Guillaume Soro lui-même répond toujours : « la patience est de Dieu ; la précipitation, du Diable ». J’aime beaucoup cette sagesse du Chef du parlement ivoirien. Et la proactivité du parlement ivoirien devrait servir de modèle positif dans toute l’Afrique francophone, au lieu de susciter une jalousie stérile, comme c’est parfois malheureusement le cas. Guillaume Soro est essentiellement un homme de mission et non l’esclave de quelque grande ambition de pure forfanterie.

Afrique : La Tunisie se détache du lot

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Parmi les trois pays impliqués dans le « Printemps arabe », seule la Tunisie a tiré son épingle du jeu. En témoigne l’élection, lundi 22 décembre, de Béji Caïd Essebsi, du parti laïc « Nidaa Tounès ». Avec 55,68 % des voix. Et cela, après quatre ans d’une transition relativement apaisée.

Béji Caïd Essebsi (Source : AFP / humanite.fr )

Béji Caïd Essebsi (Source : humanite.fr )

C’est le premier président démocratiquement élu, depuis 1956, date de l’indépendance du pays. Sans contestations de la part de l’opposition. Un des cas rares à rapporter dans les annales de la politique africaine. Pourtant, la voie empruntée par la Tunisie pour parvenir à ce bon résultat n’était pas pavée de roses. Mais elle a tenu bon, les yeux fixés sur l’objectif à atteindre : la réalisation de la démocratie.

Dès le départ, la Tunisie s’est détachée du lot, par une sorte de pragmatisme politique, qui a su maintenir intacte la cohésion nationale. Les deux grandes tendances religieuse et laïque, déclinées en partis politiques, ne se sont pas regardées en chiens de faïence. En dépit de quelques accrochages parfois entachés de sang. Ceci a permis de mettre en œuvre tout le processus de démocratisation, du projet de la Constitution, à l’élection présidentielle, en passant par les législatives. Un véritable parcours du combattant ! Quitte à consolider ce précieux acquis, dans la paix, en vue d’engager le pays sur la voie du développement.

Une « nouvelle Tunisie »

Si, en Tunisie, des voix discordantes se sont élevées pour décrier l’âge très avancé (88 ans) du nouveau président ainsi que son passé, en tant qu’acteur au sein d’anciens régimes autocratiques de Bourguiba et de Ben Ali, celui-ci ne semble s’en tenir qu’ à sa promesse de campagne : offrir aux Tunisiens une « nouvelle Tunisie ».

Où seraient donc passés les deux autres pays, compagnons du « Printemps arabe », à savoir l’Egypte et la Libye ? La première, presque à la hussarde, a retrouvé ses anciennes amours : la dictature militaire : après avoir éliminé, avec une rare férocité, « Les Frères musulmans » et après s’être fait élire président, « à l’africaine ». Une véritable chienlit. De son côté, à la peine, la Libye est en train d’agoniser. Sous le feu allumé par des factions armées pour le contrôle du pétrole… sans compter d’autres objectifs cachés.

Dans les autres pays

Pour sa part, l’Algérie continue d’être gouvernée par un homme malade et sénile, par la volonté d’une caste, chevillée au pouvoir. Erigée en principe d’Etat entre Arabes et Négro-Africains, la discrimination divise les Mauritaniens. La paix sociale y est relative. Sans parler d’élections souvent contestables.
Quant à l’Afrique subsaharienne, elle n’a cessé de défrayer la chronique. En mal. Avec, en tête d’affiche, les guerres ethniques, la famine, les maladies… en permanence… Et, pour l’heure, l’amendement constitutionnel pour le maintien des dictateurs au pouvoir. Osera-t-elle, cette Afrique, lever les yeux, vers le Nord, pour contempler la levée du soleil démocratique qui éclaire déjà le visage de la Tunisie ? Pas sûr, étant donné l’ego de la plupart de ses dirigeants.

Le cas de la Tunisie, à plus d’un titre, devrait interpeller l’Afrique. Pour une sévère autocritique.