Rentrée 2023  : JARIS, un centre de formation qui prône l’inclusion 

En cette période de reprise scolaire, JARIS accueille pour sa rentrée 2023 treize nouvelles personnes en situation de handicap physique, psychique ou avec des troubles du développement. Focus sur un centre de formation unique en France, avec son fondateur, Eric Canda.

Un bénéficiaire de la formation JARIS, lors d’un atelier de montage vidéo ©JARIS

Il n’y a pas que les jeunes écoliers qui pourront entendre la traditionnelle cloche de l’école, synonyme de rentrée scolaire. Au sein du centre de formation JARIS Act’Pro, qui effectue sa 18ème rentrée depuis 2005, ce sont treize personnes, des hommes et des femmes, en situation de handicap physique, psychique, ou avec des troubles du développement et d’autres autonomes âgés de 18 à 35 ans qui sont accueillis ici.

Le centre, situé au Plessis-Trévise dans le Val-de-Marne, mise depuis presque deux décennies sur l’inclusion. Son fondateur, Éric Canda, diplômé de l’École Nationale Louis Lumière, réalisateur de courts-métrages et lui-même en situation de handicap suite à une inflammation des articulations, a décidé d’ouvrir et de développer JARIS (« Journalistes Apprentis Reporters Interviewers Solidaires ») dans un but précis : garantir l’égalité des chances. 

Une salle de classe à l’intérieur du centre JARIS ©JARIS

« On sait que les personnes en situation de handicap peuvent rencontrer beaucoup  de difficultés dans l’apprentissage, puis dans la vie professionnelle par la suite, avec des entreprises qui ne s’adaptent pas toujours à elles. J’ai voulu créer JARIS avec toute une équipe qui soit la plus pédagogue possible pour que les personnes que nous accompagnons puisse vraiment avoir du concret dans et après leur formation », explique le cinéaste.

Les formations, qui concernent les domaines des médias, du journalisme, de l’audiovisuel, du cinéma, de l’image animée et du jeu vidéo se déroulent au total sur 490 heures réparties en 70 jours sur 4 mois, avec un stage de professionnalisation rémunéré de trois à six mois. Ce stage se déroule en immersion totale dans une entreprise adaptée selon le profil et le parcours du bénéficiaire. 

Un centre de formation qui s’adapte à tout type de handicap

18% :  ce chiffre a récemment été mis en lumière dans un communiqué publié par l’Unapei, premier réseau français de défense des personnes avec trouble du neuro-développement, polyhandicap et handicap : il s’agit du pourcentage d’enfants ou adolescents en situation de handicap qui « n’ont aucune heure de scolarisation par semaine ». Eric Canda, lui, ne peut pas supporter que des personnes puissent être pénalisées à cause de leur handicap.

« Notre priorité, c’est vraiment le bien-être général de tous nos bénéficiaires », insiste le fondateur de JARIS. Ainsi, le centre de formation est entièrement adapté à toute forme de handicap, avec par exemple une accessibilité prévue pour les personnes en fauteuil roulant, mais aussi une signalétique adaptée pour les personnes malvoyantes. 

Pour Éric Canda, toutes les spécialités proposées par JARIS ont des objectifs communs : « On a mis en place tout un panel de spécialisations qui permettent dans un premier temps d’acquérir les fondamentaux d’un métier, d’avoir un point de vue critique, mais aussi d’avoir une expérience concrète en entreprise avec le stage en immersion. Il permet de se professionnaliser dans les métiers de l’audiovisuel ». 

Un bénéficiaire de JARIS dans un studio de tournage. ©JARIS 

Une formation gratuite pour les bénéficiaires 

Pour dispenser ses ateliers, JARIS Act’Pro fait appel à des experts dans leur domaine. « Nous proposons à nos bénéficiaires des enseignements dispensés par des professionnels reconnus qui sont toujours en activité, comme la chroniqueuse Laëtitia Bernard, qui est non-voyante ou encore Yves Dewulf,  qui a été photographe et journaliste à France-Soir et qui est actuellement journaliste reporter d’images (JRI) à France 3. Il a plus de 10 000 reportages à son actif », développe-t-il. 

Chaque intervenant a une même mission : partager sa passion, tout en s’adaptant à chaque handicap. « En cette nouvelle rentrée, nous accueillons notamment deux personnes tétraplégiques. Nos locaux sont bien évidemment adaptés pour les recevoir et pour qu’ils puissent circuler en fauteuil. Pendant plusieurs rentrées, nous avons aussi eu plusieurs bénéficiaires qui sont autistes Asperger. La règle est simple : prendre le temps avec chaque élève et être le plus pédagogue possible », détaille Éric Canda.

C’est bien pour cela que le fondateur de JARIS préfère accueillir des effectifs réduits de douze personnes, (treize cette année, “au vu de la grande qualité des candidatures”),  afin que chacun puisse avoir un apprentissage à son rythme et personnalisé.

« Cette année, nous avons reçu 72 candidatures. Nous organisons différents entretiens, que cela soit en distanciel et en présentiel, afin que notre équipe soit sûre de la cohérence et du projet souhaité du candidat », distille Éric Canda. 

Dans les couloirs du centre de formation JARIS. ©JARIS 

JARIS accompagne ses bénéficiaires jusqu’à ce que ces derniers puissent trouver un emploi, ce qui peut parfois prendre deux, voire trois années. « Le coût de l’accompagnement s’élève à 12.500 euros par personne, mais il est intégralement pris en charge par nos partenaires médias, M6, France Télévisions, TF1, Radio France, Arte France ou encore France Média Monde, ainsi que Pôle Emploi et les différents conseils régionaux », précise Eric Canda. Les douze bénéficiaires n’ont ainsi rien à débourser. 

Des ateliers divers et variés 

Le centre de formation JARIS propose un large panel d’ateliers. Éric Canda a pris la décision de miser sur des cours pratiques et ludiques, comme des ateliers d’expression orale, de diction, de gestion du stress et de ses émotions, de comportement face à un interlocuteur, d’affirmation de soi, ou encore des mises en situation d’un entretien d’embauche. « Le but de ces ateliers, c’est vraiment que nos bénéficiaires se sentent le moins bloqués possible par leur handicap et gagnent de plus en plus confiance en eux », affirme le créateur de JARIS. 

Des bénéficiaires de JARIS, lors d’un atelier de journalisme dispensé par le centre de formation. ©JARIS 

Le centre mise aussi beaucoup sur la dramaturgie, cet art de composer une pièce de théâtre… dont les treize bénéficiaires sont les principaux protagonistes. « C’est effectivement comme au théâtre, les douze personnes se mettent en scène en déterminant des obstacles qu’ils doivent eux-mêmes franchir », détaille Éric Canda. « Le premier aspect qui vient, c’est naturellement leur handicap. Ils doivent trouver les ressources pour le surmonter. Bien-sûr, on les accompagne, on ne les laisse pas livrer à eux-mêmes ! », sourit-il.

Accompagnés, notamment par Hélène Blondel, professeur de théâtre et de cinéma et comédienne depuis maintenant dix ans. « L’activité théâtrale permet de se surpasser et de repousser sans cesse ses limites, c’est un très bon exercice pratique, qui peut permettre à chacun de se découvrir des facettes parfois insoupçonnées », souligne Éric Canda.

Chaque semaine et à la fin de tout atelier, les participants de la formation JARIS sont évalués sur l’évolution des compétences acquises.  L’occasion de maintenir un suivi des connaissances assimilées par les bénéficiaires. 

Eric Canda se dit « très fier de la pérennité de cette structure, unique en France ». Il nourrit toutefois un petit regret : ne pas avoir réussi encore à trouver des partenariats pour développer d’autres structures semblables.

En 18 années d’existence, JARIS revendique plus de 80% de parcours d’insertion positifs. Le centre de formation a accompagné au total 240 personnes, « dont 196 sont actuellement en emploi ou ont repris des études », précise le site de JARIS. 
Si vous désirez postuler pour la prochaine session, vous pouvez vous rendre sur le site www.jaris.fr et cliquer sur l’onglet “inscription”. 
Des bénéficiaires de JARIS en pleine séquence de tournage. ©JARIS

Crédits photos : ©JARIS

Un article de Chad Akoum – Service Civique à la MDJ –

Les résidences de journalistes, fer de lance de l’EMI ?

Avec l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, la France prend conscience que les élèves saisissent mal ce que représente la liberté d’expression et de la presse. En réponse, le ministère de la Culture a lancé en 2016 les « résidences de journalistes », projets d’éducation aux médias et à l’information que l’on retrouve aujourd’hui dans toute la France. Véronique Holgado, responsable du service culture de la Communauté de Communes du Pays de Mormal,  nous détaille les missions des résidences. 

Réchauffement climatique, coronavirus, 5G, guerre en Ukraine… Les thématiques où foisonnent les fake news sont très nombreuses. Tant que des grands journaux ont créé de nombreux « fact-checkeurs » dans leur rédaction, et que des médias entièrement consacrés aux fausses informations sont nés. 

D’un autre côté, plus d’un Français sur deux ressentent de la « méfiance » envers les médias et l’information en général. Une situation dramatique qui peut être résolue grâce à l’EMI, l’Education aux Médias et à l’Information. Des programmes, séminaires et guides pratiques fleurissent dans toute la France, notamment les résidences de journalistes. 

Quatre mois consacrés aux conférences et formations

[Les résidences de journalistes sont portées par les DRAC, les Directions Régionales des Activités Culturelles. La résidence de journalistes est née d’un accord tripartite, incluant les DRAC, les collectivités territoriales et le ministère de la Culture. Au Pays de Mormal, « le territoire est engagé dans un CLEA », un Contrat Local d’Éducation Artistique, depuis 2016. Ainsi, deux résidences artistiques se tiennent tous les ans durant quatre mois chacune.]

Pendant ces quatre mois, les journalistes professionnels sélectionnés (un seul par résidence) ont pour objectif de toucher le public le plus large possible et de l’interroger sur des questions liées à la liberté d’expression et au journalisme. Pour Véronique Holgado, la résidence est née sur son territoire à la suite d’une journée de présentation du projet par la DRAC. « Nous vivons aujourd’hui dans un monde rempli d’informations, où les jeunes et moins jeunes sont confrontés à cette “avalanche” qu’ils ne savent pas toujours comment interpréter, ni quoi croire”, explique Madame Holgado. « Il nous semblait intéressant de tenter cette aventure avec une résidence EMI. » 

Plus de 1000 citoyens informés en deux mois 

Avec la journaliste Valérie Rohart, sélectionnée pour porter et animer le projet, la résidence rencontre un franc succès. Grand reporter RFI de 1989 à 2013, Valérie Rohart est une journaliste aguerrie et spécialisée dans les relations internationales. Elle obtient deux prix pour son reportage « Paroles de femmes afghanes » en 2003. 

Elle est la première journaliste à accepter une des missions à Dunkerque en 2016, puis au Pays de Mormal, où elle continue son programme d’EMI. En 2023, une nouvelle résidence testée durant deux mois avec la DRAC a vu le jour, et s’est tenue du 3 avril au 6 juin dans les différentes communautés du Pays de Mormal, dans le département Nord, frontalier de la Belgique.

Valérie Rohart y a animé huit conférences, créé et monté des reportages audio dans trois écoles et deux bibliothèques, conduit de nombreuses séances de formations EMI dans quatre écoles (collèges et lycées) ainsi que dans une association.

Plus de 1100 personnes ont pu bénéficier du dispositif en 2023 dans la région Hauts-de-France. Des interventions ont également été faites dans les maisons de retraite. Toutes les activités ont pour thème l’EMI, en passant par le décryptage d’un journal télévisé, la bonne pratique des réseaux sociaux, l’initiation au dessin de presse, le reportage, la définition du métier de journaliste…

« Ce fut une très belle réussite avec Valérie (beaucoup de demandes, de besoins, d’envies d’interventions) », commente Véronique Holgado. « A la suite de ce succès, nous avons donc décidé de nous engager dans ce type de résidence, en plus des résidences artistiques, pendant trois ans minimum, et sur le même schéma que le CLEA. » 

Une résidence bien organisée

« Nous préparons un appel à candidatures conjointement avec la DRAC et recevons les candidatures », nous explique Véronique Holgado. Un comité de pilotage composé de « techniciens, d’élus, de la DRAC, de l’Éducation nationale et d’autres partenaires, se charge d’analyser les candidatures et de sélectionner le ou la journaliste (après un entretien). » 

Photo de Nijwam Swargiary.

Composé d’un binôme dont Véronique Holgado fait partie, le service culture a pour vocation d’accompagner le ou la journaliste dans son projet. Madame Holgado est donc la responsable du service culture, et est accompagnée d’une médiatrice. Celle-ci « est plus sur le terrain et elle suit plus précisément les résidences, même s’il nous arrive à toutes les deux de les accompagner. » 

Une fois la candidature de Valérie Rohart validée, le service culture a contacté différents partenaires : « collèges, lycées, bibliothèques, municipalités, EHPAD… » détaille Véronique Holgado. 

« Nous avons convenu de rendez-vous et les avons mis en contact. Nous sommes très souvent présentes, l’une ou l’autre au 1er rendez-vous mais ensuite, le ou la journaliste est autonome et gère elle-même son planning (nous avons un Google agenda commun). Nous nous retrouvons sur des temps forts, des moments où elle a besoin de notre présence », notamment pour les bilans. « Nous essayons d’être présentes et disponibles au maximum », précise-t-elle. 

Une édition 2023 qui a rencontré un fort succès, et qui assure un bel avenir à la résidence. « Il y a beaucoup de demandes notamment par les CM (écoles primaires) avec qui nous sommes en lien grâce à la conseillère pédagogique de l’Éducation nationale du premier degré. » 

Même son de cloche du côté des plus âgés : « Les résidents en EHPAD ont beaucoup apprécié les interventions de Valérie et nous avons aussi remarqué que nous touchions un nouveau public, qui ne vient pas forcément sur nos spectacles. Il y a de la demande en ce qui concerne ce type d’interventions. » 

Pour 2024, la résidence basée sur l’essai 2023 sera pérennisée au vu de son succès. Le ou la journaliste « utilisera également le média vidéo et créera des petits films et des bandes-son. » Jusqu’alors, seuls les médias écrits et radio étaient exploités. 

De nouvelles collaborations viendront aussi nourrir les prochaines éditions : « nous sommes en lien avec Laurence Gaiffe de l’ESJ de Lille (NDLR : journaliste et responsable pédagogique), avec qui nous montons un partenariat EMI, en collaboration avec le Centre Social de Landrecies » toujours dans le département Nord, détaille Véronique Holgado. 

« Le partenariat se constitue d’une journée de sensibilisation à l’EMI pour les encadrants, les personnels du Centre Social, nous-même et d’autres partenaires. » Il comporte également « cinq à huit séances de stage vidéo EMI avec des reporters du Centre social de Landrecies (aux côtés un journaliste qui leur fera faire des interviews et de l’éducation à l’image). » 

Un programme exhaustif qui finira par recouvrir tous les champs du journalisme. Grâce à un tel dispositif, les résidents du Pays de Mormal peuvent bénéficier d’une véritable éducation aux médias, de façon plus égalitaire et sans égard pour l’âge. Pas de doute, les résidences de journalistes pourraient devenir le meilleur outil pour l’EMI en France. 

Crédit photo : Ministère de l’Education, Académie de Nice.

Maud Baheng Daizey

Wagner : comment la mutinerie a-t-elle été traitée par les médias russes ?

Du 24 au 25 juin, le chef de la milice paramilitaire Evgueni Prigojine a lancé une offensive en Russie à la surprise générale, prêt à s’emparer de Moscou. Mais moins de 24 heures plus tard, Prigojine a finalement accepté de faire demi-tour après un accord avec Poutine. Cette tentative de coup d’Etat a fait couler beaucoup d’encre, tant à l’étranger qu’en Russie : comment les médias d’Etat et la presse indépendante russes ont-ils analysé le sujet ?

Mais quel était le véritable objectif de Prigojine avec cette attaque, dont seuls les dégâts matériels sont connus ? Pour comprendre l’imbroglio, il faut remonter à l’origine-même de la création de Wagner, en 2014.

Bien qu’elle opère pour servir « les intérêts de la Russie » en Ukraine et dans plusieurs pays d’Afrique, la milice Wagner n’a sur le papier aucune légitimité. En Russie, les sociétés militaires privées sont illégales.

Depuis janvier 2023, les Etats-Unis considèrent même Wagner comme « organisation terroriste. » Malgré cela, Prigojine continue d’opérer au nom du Kremlin à l’étranger.

Mais depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2021, les relations entre la milice et l’Etat s’effritent. Evgueni Prigojine réclame plus de reconnaissance et d’indépendance, accusant les autorités de tuer ses hommes, s’attirant l’ire du président russe.

« Une atmosphère d’incertitude » en Russie

Des tensions entre les deux hommes cristallisées durant le week-end du 24 au 25 juin, où les troupes Wagner se sont emparés de la ville de Rostov et ont menacé de prendre Moscou. Le directeur de l’école de journalisme Mohyla à l’université nationale de Kiev, et cofondateur du site « StopFake.org », Yevhen Fedchenko a accepté de répondre à nos questions. Fier d’une vingtaine d’années d’expérience dans le journalisme, l’Ukrainien se concentre aujourd’hui sur le signalement des fakes news, notamment russes et ukrainiennes. 

Selon lui, la couverture médiatique russe a été « très incertaine » du début jusqu’à la fin de l’insurrection. Il évoque le « bruit de l’information » pour parler de la couverture de la rébellion de Wagner et de l’invasion russe en Ukraine : pléthore d’informations inondant les réseaux sociaux russes (Telegram) ainsi que les médias, sans que des conclusions concrètes ne soient tirées. 

Yevhen Fedchenko n’hésite pas à parler de « fausse rébellion » de la part de Prigojine, qui tentait de sauver Wagner « car il se savait en faible posture. » S’il avait vraiment voulu prendre le pouvoir, « Prigojine aurait réussi. Je pense qu’il a voulu s’introduire sur la scène internationale, faire de lui-même un nouveau partenaire pour les pays étrangers qui n’apprécieraient pas Vladimir Poutine. » 

Car avant qu’il n’envahisse l’Ukraine, Poutine était vu comme un président « prévisible » et consistant. Aujourd’hui, l’image n’est plus la même et les médias « ne semblent plus aussi assurés de prendre sa défense », affirme Yevhen Fedchenko.

Toujours selon le journaliste ukrainien, les médias russes auraient « amplifié » ce message, où les Russes et la communauté internationale doivent choisir « entre Poutine et Prigojine dans un futur incertain. » Car « si les mercenaires sont capables de s’emparer de certaines villes et du pouvoir, cela signifie que Poutine n’a pas le contrôle total du pays. » 

Toutefois, il y a bien un fil rouge dans la couverture médiatique russe, à savoir la « surprise et l’incertitude » : si auparavant les médias mettaient en avant l’autorité totale de Poutine, ils ont opéré un changement d’attitude avec l’incident Wagner. Tout d’abord, « les journalistes Russes reçoivent toujours des directives quant à leur couverture médiatique. Mais lors de la rébellion de Wagner, le Kremlin n’a pas eu le temps de le faire, les laissant dans le flou. »

Presse d’état : Poutine donne le « la »

« Qui devaient-ils soutenir ? Poutine ou Prigojine ? » Ils ont alors choisi une forme de « neutralité », en ne donnant que des informations générales relayées sur Telegram. Les mots « insurrection, rébellion, mutinerie » n’ont pas été utilisés, mais plutôt des « euphémismes » comme le note le fondateur de « StopFake », notamment en évoquant des « problèmes » et « tensions » entre Poutine et Prigojine. 

La méfiance régnait du 24 au 25 juin : toute l’opération « aurait pu s’agir d’un faux coup afin de débusquer des traitres », tant dans les rangs de Wagner que dans les médias du pays. Et si Wagner était parvenu à prendre réellement le pouvoir, leur défiance aurait pu signer la fin de leur journal.

Certains médias, notamment Komsomolskaïa Pravda, n’ont pour autant pas hésité à parler d’insurrection dès le dimanche 25 juin, le lendemain de la première prise de parole de Vladimir Poutine. Le président russe avait alors promis que les « traîtres à la Nation » seraient punis et évoqué un « coup de poignard dans le dos » de la part de Wagner. 

Aujourd’hui, les journaux n’hésitent plus à parler de « mutinerie » et « rébellion ratée », à l’instar de Rossiyskaya Gazeta (journal d’Etat), après l’allocution de Vladimir Poutine aujourd’hui et une fois le ton donné. Mais le sujet demeure néanmoins très peu documenté pour certains quotidiens, notamment Izvestia : seulement une poignée d’articles sur la rébellion ont été écrits, et le nom de Wagner y est très peu évoqué, avec un discours plus clément. 

Le quotidien évoque par exemple la « bravoure et le courage » des soldats Wagner en Ukraine et en Afrique, rappelant que la rébellion « n’est pas allée jusqu’au bain de sang fratricide » et que la guerre civile a été évitée. Pas de critique ni d’interrogations pour ces quotidiens, simplement soulagés de la résolution du conflit.

Alors, Evgueni Prigojine murmure-t-il toujours à l’oreille de Vladimir Poutine ? Rien n’est moins sûr. Le chef de la milice paramilitaire est arrivé hier après-midi en Biélorussie avec quelques-uns de ses hommes, et a assuré que les opérations de Wagner en Ukraine et en Afrique ne seraient pas interrompues. Reste à savoir si la clémence de Poutine durera éternellement.

Maud Baheng Daizey

France : faire de l’éducation aux médias « une vraie politique publique »

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance. En Europe comme en France, acteurs de la presse, du monde associatif et éducatif se mobilisent pour redonner le goût de l’information au public.

En France, l’éducation aux médias (EMI), bien qu’assez récente, se cristallise dans l’espace éducatif. Des associations et des programmes sont mis en place, alors que les campagnes de désinformation massive en ligne prolifèrent en Europe. Comment les citoyens français se protègent-ils de telles menaces ?

Des actions françaises entièrement dédiées à l’EMI

Lors de la création d’Entre les lignes en 2010, Olivier Guillemain voit clair dans sa mission. « Nous avions l’idée avec ma cofondatrice [Sandra Laffont, NDLR] de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les médias car nous étions passionnés par notre métier et nous voulions transmettre ce goût de l’information. »

A ce moment, un climat de méfiance envers les médias s’installe durablement en France, malgré une bonne situation de la liberté de la presse.

Un paradoxe « toujours valable aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de médias et nous n’avons jamais eu autant de mal à nous informer. »

Pour l’association, il est primordial que les jeunes possèdent « les outils pour faire le tri et développer un esprit critique. Nous voulions aussi sensibiliser sur le pluralisme des médias en France, nos ateliers permettent de découvrir de nouveaux médias. Nous avons choisi de nous focaliser sur les jeunes pour leur donner les bons réflexes dès le début de leur vie citoyenne », explique avec engouement Olivier Guillemain.

Des collégiens devenus journalistes

Si « Entre les lignes » bataille seule les premières années pour mener sa mission à bien, l’année 2015 signe un tournant pour l’association.

« En 2010, l’EMI n’était pas du tout un thème porteur, nous étions très peu d’acteurs. Nous ne bénéficions pas de financement public, mais nous avons assisté à un vrai point de bascule avec les attentats de 2015 et Charlie Hebdo. »

Après les attentats, des campagnes de désinformation se sont mises à pulluler sur les réseaux, poussant les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’éducation aux médias.

« Nous avons alors reçu des financements publics ainsi que le soutien de l’Éducation nationale, du ministère de la Culture et de la DILCRAH. Vint ensuite le financement par les fondations privées. »

« Aujourd’hui nous comptons 240 bénévoles dans nos équipes, pour 430 interventions en 2022 dans 44 départements. Nous souhaitons que l’EMI devienne une vraie politique publique, car le public adulte en a besoin aussi. Nous avons prêché dans le désert pendant longtemps les premières années, aujourd’hui nous remarquons une volonté solide de la part de tous les acteurs de l’EMI », constate Olivier Guillemain, plein d’entrain et d’espoir pour la jeunesse française.

Renvoyé Spécial

Loin d’être étrangère dans le domaine, la Maison des journalistes est un acteur important de l’éducation aux médias. Elle entretient depuis 2006 un partenariat avec le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le ministère de l’Éducation nationale.

Ce partenariat productif permet aux journalistes de la MDJ de rencontrer des lycéens pour discuter de leur parcours et de leur métier, en France métropolitaine comme en Outre-mer.

Plus de 10 000 élèves ont ainsi pu entendre le récit de ces journalistes et échanger avec eux. La MDJ et le CLEMI comptabilisent plus de 100 interventions conjointes avec des journalistes syriens, tchadiens, afghans, soudanais, irakiens, marocains ou encore yéménites.

Tous viennent exprimer devant les élèves la difficulté d’exercer leur métier dans leur pays d’origine. D’une richesse exceptionnelle, ces rencontres offrent aux élèves un contact direct avec l’actualité, un témoignage qui permet d’incarner des concepts souvent abstraits, une prise de conscience de l’importance de la liberté d’expression et de la pluralité dans les médias.

Inviter à la discussion pour permettre la critique

« Nous proposons cinq ateliers différents de deux heures chacun », relate le directeur de l’association. L’atelier rencontrant le plus de succès demeure « démêler le vrai du faux sur Internet », mais il assure non sans humour « se battre pour faire vivre les autres thèmes aussi. »

« Les jeunes apprécient cette approche où nous partons des usages du public en s’interrogeant sur leur quotidien. Le journaliste partage son expérience et vice-versa. Des collégiens ayant participé à des ateliers il y a quelques années sont même devenus journalistes aujourd’hui ! » Signe que l’éducation aux médias est un enseignement contemporain incontournable.

Si les premières années étaient consacrées aux élèves de collège et lycées, l’action de l’association s’est élargie aux élèves de primaire. « C’est au collège et au lycée que les usages numériques sont les plus développés », explique l’ancien journaliste.

« Aujourd’hui cet usage se fait de plus en plus tôt, les enfants de 10 ans sont sur les réseaux malgré l’interdiction pour les moins de 13 ans. Il faut les protéger aussi. Nous ne parlons pas de fake news avec eux mais de rumeurs, nous créons du contenu sur-mesure pour les plus jeunes. »

« Nous partons des usages des gens en face de nous : nous nous adaptons en fonction du primaire, collège, lycée… Selon leurs pratiques et usages. Nous ne les jugeons ni ne les culpabilisons sur leurs pratiques, car il y a des bonnes sources d’infos sur les réseaux sociaux – il faut simplement pouvoir les identifier. »

Et de rappeler que les parents ont un rôle à jouer. « Nous les encourageons à discuter avec leurs enfants, en leur expliquant comment bien s’informer. Certaines interventions peuvent déclencher des discussions avec les enseignants et les parents, qui ne savent pas vraiment ce que font leurs enfants en ligne. Les parents constituent un public qu’on n’oublie pas, nous organisons des ateliers avec les adultes en médiathèque ou des centres sociaux pour les sensibiliser. »

L’association est fière des « retours très encourageants » des enseignants et de certains parents, et cherche à étendre son dispositif au niveau national. Elle a mis en place un laboratoire d’EMI en 2020, englobant 12 écoles primaires dans huit départements métropolitains et en Guadeloupe.

Une initiative des plus bienvenues en France, où le gouvernement ne se penche que depuis quelques années sur la question. Qu’il s’agisse d’une collaboration internationale ou de mesures gouvernementales, l’Etat français semble être en décalage avec ses concitoyens sur l’éducation aux médias : aucun programme institutionnel n’a encore été mis en place, malgré l’urgence de la situation.

Maud Baheng Daizey

Assises du journalisme, ou comment préserver l’indépendance de la presse

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance.

En Europe comme en France, acteurs de la presse et politiciens se réunissent et tentent de redonner « le goût de l’information » au public.

Dernière rencontre en date, les Assises du journalisme à Tours du 27 mars au 1er avril, où journalistes et représentants de la Commission européenne ont pu faire part de leur avancée dans le domaine.

Six jours de réflexion et de partage entre les journalistes, associations d’éducation aux médias et citoyens, cette 16ème édition s’est consacrée à la préservation de l’indépendance des médias et la protection des journalistes.  

Media Freedom Act, texte européen « novateur »

Aux Assises de Tours, la porte-parole de la Commission européenne en France Adina Revol, s’est attardée sur ce nouveau règlement. Elle a vanté un « texte novateur » dans la lutte contre la désinformation et la protection des médias.

À l’heure de la concentration des médias et des menaces envers les journalistes sont de plus en plus nombreuses, comment l’Europe compte-t-elle préserver l’indépendance de sa presse ?

Le 16 septembre 2022, la Commission européenne esquisse une réponse et adopte le « Media Freedom Act (MFA) » pour protéger le pluralisme sur le continent.  Sans détour, la porte-parole a assuré que le MFA « faisait partie du plan d’action pour la démocratie européenne » initié en 2020.

Des dispositions ont donc été mises en place afin de lutter contre les ingérences politiques et de garantir un « financement stable » des médias publics.

La transparence des rédactions est également mise à l’honneur, grâce à une série de mesures « visant à protéger l’indépendance des rédacteurs et à divulguer les conflits d’intérêts. »

Les Etats-membres ont désormais l’obligation de prévoir des fonds pour les médias publics, s’exposant autrement à des sanctions.

La porte-parole en a profité pour informer le public des récentes propositions faites par la Commission européenne pour lutter contre les logiciels-espions, qui une fois consolidées et acceptées, feront partie intégrante du règlement.

Des avancées européennes positivement accueillies, mais encore fragiles selon Cécile Dubois, co-présidente du Syndicat de la Presse Indépendante d’Informations en Ligne.

Elle a tenu à saluer un règlement européen particulièrement attendu, protégeant d’autant plus la presse « des régimes libéraux ».

Elle a également félicité la Commission d’avoir inscrit dans son règlement les droits fondamentaux des éditeurs et journalistes, une première dans le droit européen mais qui devront s’accompagner de mesures plus impactantes.

Rien dans le texte ne protège les journalistes et lanceurs d’alerte des menaces civiles et privées, qui conduisent parfois à leur mort pour tuer leurs investigations.

De nombreux ateliers, débats publics, diffusions de documentaires et expositions ont ponctué ces journées d’information. Participante active des Assises, la Maison des Journalistes a eu le plaisir de se joindre le 30 mars à une rencontre avec les élèves du club journal du lycée Jean Monnet de Joué, à Tours.

L’occasion pour évoquer l’essence et les travaux fournis par l’œil de la MDJ, autrefois l’œil de l’exilé, et plateforme dédiée aux journalistes du monde entier.

Albéric de Gouville, président de la MDJ, Alhussein Sano, journaliste guinéen réfugié et Samad Ait Aicha, journaliste marocain, étaient présents pour répondre aux questions des étudiants.

Ils ont tous deux parlé de leur vie et de leur travail au Maroc et en Guinée Conakry, n’omettant pas les poursuites judiciaires et les menaces qu’ils ont subi. Touchés, les élèves ont longuement applaudi les deux journalistes après une série de questions.
Alhussein Sano et Albéric de Gouville.

Des assassinats de plus en plus nombreux

En 2022, 86 journalistes ont été tués, soit un tous les quatre jours et la moitié en-dehors de leur vie professionnelle. Pourtant, tous ont perdu la vie pour avoir couvert un sujet sensible.

Un reflet bien triste de l’état de l’indépendance de la presse dans le monde, menacée de toutes parts. Mais alors, comment protéger les professionnels des médias et leur travail ?

Les Assises ont donné la parole à Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories, et sa journaliste Cécile Andrzejewski pour détailler les missions de Forbidden, un consortium constitué de journalistes du monde entier.

L’objectif ? Terminer les enquêtes des journalistes massacrés, afin que leur travail ne disparaisse pas en même temps qu’eux. Ils ont dévoilé de grands scandales tels que l’affaire Pegasus en 2021 et Story Killers en 2022. L’affaire avait exposé des entreprises d’influence perturbant les périodes électorales de multiples pays.

Le projet a été initié en 2017, suite à la mort de la journaliste maltaise Daphné Caruana, assassinée la même année. Journaliste d’investigation, Daphné Caruana enquêtait sur une affaire de corruption avant que l’on ne piège sa voiture avec une bombe.

« Je voulais rendre les tueries de journalistes contre-productives »

Sa mort avait suscité l’émotion et l’indignation internationale, poussant les journalistes à se rassembler et collaborer avec des ONG et associations. En six ans, de nombreuses enquêtes ont permis de dévoiler des secrets étatiques et internationaux.

Selon Laurent Richard, « les journalistes sont toujours tués à cause de sujets sociétaux majeurs : corruption, environnement ou encore abus de pouvoir », sujets trop importants pour s’éteindre avec leur auteur.

Grâce à sa « safebox network », un coffre-fort numérique, les journalistes d’investigation peuvent désormais télécharger et stocker leurs données d’enquête n’importe où dans le monde. Une fois déposées dans le coffre, elles ne deviennent accessibles qu’aux journalistes du consortium.

De cette façon, les menaces et pressions que subissent les journalistes finissent par être inutiles. À travers Forbidden Stories, Laurent Richard tenait à « rendre les tueries de journalistes contre-productive en enquêtant après le disparu. »

Il a toutefois assuré que Forbidden « n’est pas une assurance-vie, nous n’offrons pas de protection physique » aux journalistes lanceurs d’alerte.

Mais comment s’assurer que la « safebox network » ne sera pas compromise ou victime d’une cyberattaque ? Pour la MDJ, Laurent Richard a détaillé que le système « était sécurisé par SecureDrop (plateforme développée par les équipes d’Edward Snowden), et n’est accessible qu’en passant par Tor. »

Ils sont également conseillés par des experts en cybersécurité. « Avec l’affaire Pegasus, nous sommes entraînés » à ce genre de problématique. « Nos journalistes sont déjà menacés, alors nous travaillons avec les solutions les plus sûres aujourd’hui. »

Une façon efficace et durable de préserver la liberté et l’indépendance de la presse à travers le monde.

Problématique de plus en plus alarmante à laquelle la Commission européenne tente aujourd’hui de répondre avec le règlement « Media Freedom Act », contenant des dispositions prometteuses. D’autres mesures (telle l’éducation aux médias) demeurent néanmoins incontournables pour relever ce défi.

Maud Baheng Daizey

Finlande : quelles leçons tirer de sa lutte contre la désinformation ?

Depuis 2014, le pays nordique est l’une des cibles privilégiées des campagnes de désinformation massives russes, dans le cadre de l’invasion de la Crimée. Des campagnes de désinformation qui s’accompagnent d’actions concrètes sur le terrain, complexifiant d’autant plus la lutte. Mais comment la Finlande combat-elle ces nouvelles menaces ?

Si les bombes pleuvent sur Kiev, leurs retombées atteignent jusqu’à Helsinki. Depuis 1970 et du fait de sa délicate position géographique, la Finlande se démène pour contrer l’influence russe. Très vite, le pays a réalisé qu’il fallait armer sa population des bons outils pour déjouer les opérations de désinformation, notamment à l’école.

Pionnière dans le domaine, The Finnish Newspaper Association accompagne les professeurs depuis plus de 50 ans dans l’éducation aux médias (EMI). « Nous organisons plusieurs campagnes nationales chaque année (notamment la Semaine de l’information, une collaboration entre les écoles et les journaux, au début de l’année, et une campagne pour la Journée internationale de l’alphabétisation au début du semestre d’automne) et menons des recherches sur l’utilisation quotidienne des médias par les jeunes. »

Ils sont également pourvoyeurs de matériel pour les professeurs, comprenant des manuels d’analyse de l’actualité climatique, des jeux de société ludiques, des conseils de formation ou encore des cartes thématiques. Leurs programmes et financements ont rencontré un tel succès qu’ils ont étendu leurs compétences aux tranches les plus âgées de la société.

Des programmes adaptés aux enfants comme aux plus grands

Susanna Ahonen, chargée de projets dans l’association, nous détaille que « la guerre en Ukraine nous a beaucoup impacté. En janvier 2022, mon équipe et moi-même travaillions sur une intelligence artificielle, et avons créé une série de podcasts sur la manière dont les IA impactent le travail des journalistes. Nous étions censés approfondir le sujet mais nous avons dû laisser tomber notre projet le 24 février 2022, jour de l’invasion de l’Ukraine. Nous nous sommes focalisés sur les campagnes de désinformation, et avons promu le journalisme pour en faire la matière principale de l’EMI. »

« Nous n’avons pas vraiment de programmes pour les Finnois adultes, notre objectif principal visant les enfants et les adolescents », a-t-elle ajouté au micro de la MDJ. « Nous offrons cependant des guides et du matériel d’EMI aux étrangers vivant en Finlande, et nous collaborons avec les professeurs de finnois pour apprendre la langue aux expatriés. Dans les écoles, nous travaillons avec les enseignants d’histoire et de finnois pour l’EMI. »

Photo d’illustration de Kenny Eliason

Pour contrer les attaques, le « pays du Soleil de minuit » se concentre sur les collèges et lycées, où les élèves apprennent à vérifier des informations durant des ateliers. Les parents peuvent parfois y être conviés. Les jeunes Finlandais découvrent durant ces heures dédiées à quel point il peut être aisé de manipuler une photo ou une info, afin qu’ils puissent prendre du recul et analyser d’eux-mêmes le contenu en ligne.

L’éducation aux médias sans restriction d’âge

Les professeurs finlandais sont également encouragés à discuter pendant les heures de cours avec leurs élèves si ces derniers ont des questions au sujet de telle information ou rumeur. Ils n’hésitent pas à échanger avec des élèves de maternelle pour mieux les préparer à faire la différence entre info et intox. Une éducation complète incluant aussi une formation sur les statistiques et leur manipulation. Très vite, les écoliers apprennent à se fier aux chiffres plutôt qu’aux beaux discours.

Toutes les couches civiles de la société sont impliquées : parents, professeurs, ONG européennes, n’ont de cesse de proposer des activités. Mieux, la “formation continue” se poursuit au-delà de l’école : « l’éducation aux médias fait partie des activités des bibliothèques, de plusieurs ONG, des organisations de médias et du secteur privé. Beaucoup d’activités liées à l’éducation au cinéma, aux jeux et à l’art sont également réalisées » dans le cadre de cette formation, explique l’ONG The Finnish Society sur son site.

Hybrid CoE, fer de lance de la lutte contre les menaces hybrides

Créé en 2017, le Centre européen d’excellence pour la lutte contre les cyber-attaques est un des points centraux du combat européen. Hybrid CoE a par ailleurs son siège dans la capitale finnoise Helsinki, où le projet a vu le jour il y a plusieurs années. Depuis 2017, l’institution s’est développée au point d’accueillir désormais 33 pays de l’OTAN et de l’Union européenne, dont la France.

Tous s’y retrouvent pour mettre en place et échanger des méthodes d’apprentissage et des techniques contre les attaques hybrides, telles les cyber-attaques et campagnes de désinformation. Ces méthodes peuvent être utilisées autant par les citoyens que par les agents des Etats-membres. Leur ennemi ? Les attaques hybrides : elles peuvent être à la fois militaires et civiles (joindre une attaque physique avec une campagne massive de désinformation par exemple). En 2023, l’un des objectifs du Centre cible les faiblesses des pays occidentaux face à cette menace.

Markus Kokko, chef du service Communication d’Hybrid CoE, explique que si les pays participant à l’initiative sont tous affiliés à l’UE ou à l’OTAN, Hybrid CoE n’a « aucune connexion officielle avec ces deux organisations. Nos activités couvrent de nombreux domaines, comme par exemple la protection du processus démocratique de nos pays participants. Notre rôle n’est pas celui d’un acteur opérationnel, nous fournissons seulement des conseils et analyses sur les meilleures pratiques à adopter contre les menaces hybrides. »

Se prémunir d’une déstabilisation extérieure lors d’élections, ou encore savoir faire face à une campagne de désinformation massive, font partie des exercices d’entraînement d’Hybrid CoE. Grâce à ses conseils, nouveaux concepts et outils mis à la disposition des gouvernances, l’institution permet à ces dernières « de renforcer leur législation ainsi que leur administration pour être plus résilientes », précise Markus Kokko pour l’œil de la MDJ.

En somme, « notre mission est de conseiller et renforcer les capacités de défense des pays membres et ce dans plusieurs domaines. La Chine et la Russie tentent de faire du mal aux démocraties tout en échappant aux définitions rigides, et leur développement est en permanente évolution. Elles ne sont pas classifiables, leur phénomène est continu. » Hybrid CoE ne se cantonne pas à la théorie et aux conseils mais organise des exercices d’entraînement, en présence de l’Union européenne et l’OTAN. 

Il rappelle que « les opérations des menaces hybrides exercées par les Russes en Ukraine ne sont pas récentes, car cela fait plus de dix ans que le Kremlin tente de gagner en influence en Ukraine. La guerre à grande échelle en Ukraine que nous vivons aujourd’hui est la première où de nouveaux éléments de guerre, tels que les cyber-opérations et les opérations d’information, jouent un rôle de premier plan et visible. »

Une réponse française encore balbutiante

En six ans, quelles leçons la France a-t-elle tiré du savoir de l’Hybrid CoE ? Très peu pour le moment. Selon un rapport de l’Hybrid datant de juillet 2021, la France a bel et bien mis en place l’agence nationale Viginum, sous les recommandations de l’institut. Ayant pour objectif la vigilance et la protection contre les ingérences numériques étrangères, Viginum détient quelques actions à son actif. L’agence est composée d’une quarantaine d’agents « spécialistes en investigation et analyse numériques, en marketing digital, en sciences de la donnée, en sciences politiques et géopolitique » avec pour missions de « protéger le débat public numérique et sécuriser les rendez-vous électoraux ». Lors de l’élection présidentielle de 2022, Viginum assure avoir stoppé 5 ingérences numériques étrangères, comprenant des campagnes de désinformation portant atteinte à la crédibilité des scrutins. Depuis, silence radio sur ses actions. Sollicité par notre journal, Viginum ne nous a jamais répondu.

Maud Baheng Daizey

En Russie, parler de la vie quotidienne pour obtenir plus de justice

Yurii est un jeune journaliste de 26 ans, qui a grandi en Sibérie et s’est consacré au journalisme d’investigation en Russie depuis quelques années. Il a commencé dans un journal de la ville Yekaterinburg (Sibérie occidentale) en 2016, s’intéressant en premier lieu aux affaires de prisonniers politiques de Russie, issus de différents domaines : journalistes, critiques du pouvoir ou simples citoyens, Yurii avait à cœur à médiatiser leurs situations.

Malgré son jeune âge et l’absence de diplôme de journalisme, il a très rapidement appris les ficelles du métier et s’est concentré sur ses enquêtes politiques. Yurii a toujours voulu parler et dévoiler les persécutions politiques que les Russes subissent. Selon lui, « il faut bien quelqu’un pour en parler » et ce, malgré une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Aujourd’hui hébergé à la Maison des journalistes, il se confie sur la censure russe et son parcours.

Enquêter pour la justice

Après Yekaterinburg, Moscou : le jeune homme est devenu journaliste pour le Grani.ru en fin 2016, un site d’informations généralistes en ligne depuis 2000. Fruit d’une collaboration franco-russe, le site auparavant basé à Moscou a été interdit sur le sol russe en 2012 mais continue de fonctionner et de produire des articles indépendants depuis l’étranger. 

Yurii écrivait alors quotidiennement pour Grani.ru sur des scandales ou affaires politiques russes, biélorusses et ukrainiennes. S’il n’est pas très bavard, il explique qu’il n’avait point peur des répercussions fédérales malgré le danger. « Je voulais parler de notre vie de tous les jours et si possible, la changer et obtenir plus de justice dans notre pays. » 

La censure ne lui faisait pas peur car il s’était armé contre elle. « Le système de censure en Russie est assez complexe, mais je le contournais facilement en ligne… » admet Yurii avec un petit sourire. « Mais en règle générale, les sites d’informations peuvent être rapidement bloqués par une simple décision d’un juge ou d’un procureur s’ils parlent des manifestations. Quant aux réseaux sociaux, ils sont totalement contrôlés par le gouvernement. »

Des exercices militaires russes pour préparer la guerre en Ukraine

Photo de Tetiana Shyshkina d’une manifestation contre la guerre en Ukraine.

Des techniques subsistent pour contrer le Kremlin. « Avec un bon VPN, vous pouvez plus aisément passer les mailles du filet. Il y avait toujours des personnes concernées par la guerre en Ukraine ou nos propres problèmes de société en Russie pour venir me parler. Je me souviens par exemple de la femme d’un prisonnier politique qui m’avait fourni un nombre conséquent d’informations sur les conditions de détention dans la prison de son mari, afin que cela soit rendu public. » Aujourd’hui hélas, Yurii n’a plus « aucun contact » avec ses collègues, pour des raisons qu’il ne tient pas à détailler.

La vie de Yurii bascule la même année, alors qu’il n’était âgé que de 20 ans. La guerre de Crimée avait débuté en 2014 et continuait de faire rage deux ans plus tard, un sujet particulièrement sensible pour le jeune journaliste. L’une de ses connaissances le contacte alors depuis la région de Pskov, lui écrivant qu’il avait observé des hommes de l’armée russe se soumettre à des exercices militaires. 

Situé aux frontières de la Lettonie, l’Estonie et la Biélorussie, Pskov est un oblast russe à l’extrême-est du pays. Son contact s’interroge sur la cause des exercices dans la région, pensant que les soldats se rendraient par la suite en Ukraine.

Yurii a alors flairé la bonne information et ne perd pas une seconde pour enquêter. Après la publication de son enquête, un membre du Kremlin l’a contacté pour le menacer. Il a ensuite divulgué les informations personnelles de Yurii sur Internet, l’accusant d’avoir colporté et diffusé des fausses informations sur l’armée russe. S’ensuivit une campagne de harcèlement contre sa personne, comprenant agressions physiques, menaces de mort et d’emprisonnement. Yurii était victime de doxxing, des cyberattaques ayant pour but d’exposer vos données les plus vulnérables, l’empêchant de se réfugier chez lui après la fuite de son adresse.

Un procès expéditif et des menaces de mort

Le jeune homme comprend alors que sa vie est en danger et décide de fuir la Russie la même année, pour se réfugier en Ukraine. Passer la frontière n’a pas présenté de difficultés majeures, ne faisant pas encore l’objet d’un mandat d’arrêt.

Le jeune journaliste précise à plusieurs reprises qu’il demeure un citoyen engagé qui a à cœur de dévoiler la vérité. Il a passé deux ans dans la capitale ukrainienne en poursuivant ses investigations et en demandant l’asile à Kiev. Mais en 2018, après avoir participé à une manifestation contre la guerre, une enquête a été ouverte par le Kremlin. 

Un procès s’est tenu par contumace dans la capitale russe, toujours pour divulgation de fausses informations. Sa demande d’asile a été rejetée par Kiev à la même période, sans qu’il n’obtienne la moindre justification. Il lui était désormais impossible de retourner en Russie après avoir été reconnu coupable à son procès, un mandat d’arrêt étant dorénavant actif à son encontre. 

La Géorgie ne lui a pas accordé l’asile non plus et Yurii s’est alors tourné vers la France. « La France est un pays démocratique où la liberté de la presse est très forte, je me suis dit que votre pays pourrait m’aider. Je ne savais plus vers qui me tourner », explique-t-il d’un ton impassible.

Yurii compte bien continuer son travail de journaliste en France, mais n’est pas fermé à l’idée d’apprendre un nouveau métier. La Maison des journalistes représente pour lui une halte salvatrice, le temps de reprendre pied et de se protéger de la répression russe. 

Maud Baheng Daizey