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Au Bangladesh, des élections législatives sous haute tension 

Dimanche 12 novembre, un ouvrier de la ville de Gazipur est mort de ses blessures après avoir participé à une grande manifestation, violemment réprimée par la police. Il est le quatrième à mourir dans des affrontements en deux semaines, alors que tout un pays s’embrase. Des milliers de manifestants et membres de l’opposition ont été arrêtés en marge des manifestations historiques qui secouent le pays depuis plusieurs mois. Comment cette recrudescence de violences va-t-elle influer sur la tenue des élections législatives, prévues pour janvier 2024 ?

Le 19 novembre, la Cour suprême bangladaise a officiellement interdit au parti islamiste Jamaat-e-Islami de se présenter aux législatives. Il s’agit pourtant de l’un des principaux parti d’opposition. En réponse, de nouvelles grèves générales ont été annoncées dans tout le pays.

Des milliers d’arrestations de civils et politiciens durant de violents affrontements 

Nous avions évoqué dans un précédent article la régression des libertés civiles au Bangladesh, avec le journaliste Jamil Ahmed. Il était revenu sur le mouvement protestataire du Parti National du Bangladesh, ou BNP, contre le gouvernement actuel de la Ligue Awami. 

Aujourd’hui, la classe dirigeante du Bangladesh (composée du président Mohammad Shahabuddin et de la Première ministre Sheikh Hasina, tous deux membres de la Ligue Awami) jouit d’un pouvoir reclus et dictatorial qui ressemble beaucoup à celui de la Corée du Nord. Comme elle, la famille dirigeante de notre pays veut obliger chaque citoyen à faire preuve d’une loyauté totale envers le pouvoir”, avait-il expliqué dans sa tribune. Créée en 1949 et au pouvoir depuis 2009, la Ligue Awami n’a cessé de brimer les libertés civiles et fondamentales de la population, qui a vu sa coupe déborder. 

Fondée en 1949, la Ligue Awami est un parti politique bangladais qui joué un rôle prépondérant dans l’indépendance du Bangladesh en 1971. Au pouvoir jusqu’en 1975, elle a été évincée du pouvoir par un coup d’Etat militaire. Mais à la fin des années 1980, la Ligue s’allie avec d’autres partis (notamment le BNP, le Bangladesh National Party) de l’opposition du pouvoir en place jusqu’à la démission du président, le général Ershad en 1990. Depuis, la Ligue n’a cessé d’être en concurrence dans les urnes avec le BNP, jusqu’à s’imposer aux élections en 2008, 2014 et 2018. Aujourd’hui, la Ligue a le plus de sièges au Parlement et domine la vie politique du pays.

Entamées l’année dernière du fait de l’instabilité économique, les manifestations antigouvernementales n’ont cessé de s’étendre depuis, de même que la réponse policière. Effondrement de la monnaie nationale, salaires extrêmement bas des 4 millions d’ouvriers et ouvrières textiles du pays, inflation et accusations de corruption dans les plus hautes sphères politiques… Le cocktail ne pouvait qu’être explosif.  

La Première ministre Sheikh Hasina au Girl Summit 2014.

Lorsque le principal parti d’opposition BNP annonce publiquement boycotter les futures élections, il est alors suivi par des milliers d’électeurs. En jeu, le poste de Premier ministre, occupé depuis 15 ans par Sheikh Hasina, fille du premier président du Bangladesh. Les citoyens demandent aujourd’hui sa démission en vue des élections. Mais dès les premières mobilisations, les policiers n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur les civils, résultant en la mort de plusieurs d’entre eux et des blessures pour des centaines d’autres. 

Le signal d’alarme a beau avoir été tiré ces dernières semaines par de nombreuses associations, le gouvernement ne semble pas adopter des directives plus douces envers ses opposants.

Les homicides, les arrestations et la répression à répétition au Bangladesh ont des répercussions absolument terribles sur les droits humains, qui se matérialisent avant, pendant et après les élections”, a déploré Amnesty International dans son communiqué du 30 octobre. “Une fois encore, Amnesty exhorte les autorités bangladaises à cesser de réprimer les manifestant·e·s et à remplir leur obligation de faciliter les rassemblements pacifiques.” L’ONG a par ailleurs documenté les violences policières le mois dernier, notamment celles exercées sur le chef du BNP, Gayeshwar Chandra Roy.

L’opposition en berne : diviser pour mieux régner avant janvier 

Le 28 octobre 2023, le Parti Nationaliste du Bangladesh (BNP) a organisé un gigantesque rallye à Naya Paltan (quartier de la capitale Dhaka), devant leur bureau central. Le parti exigeait la démission du gouvernement de la Ligue Awami, et la mise en place d’un gouvernement intérimaire non partisan. “Il est à noter que le rassemblement pour le développement et la paix a été organisé par le parti au pouvoir, la Ligue Awami, pour contrer ce premier rassemblement”, dénote Jamil Ahmed. “Des milliers de militants de différentes régions du pays sont néanmoins venus à Dacca, capitale du Bangladesh, pour assurer le succès de la manifestation du BNP.”

Mais sur instruction du gouvernement, des contrôles de police ont été instaurés à l’entrée de la ville, tandis que les officiers ont procédé aux multiples arrestations de dirigeants et militants. Leurs voitures et téléphones ont également été fouillés. “Même la veille du rassemblement, la circulation des voitures et des bateaux a été interrompue sur ordre du gouvernement”, témoigne Jamil. Entre 100 et 150 000 personnes se sont rassemblées au rassemblement du BNP le 28 octobre, malgré les dispositifs policiers.

Aux alentours de midi, des charges policières ont déclenché des affrontements à l’intersection du quartier de Kakrail, du côté ouest du rassemblement pacifique. Les dirigeants du BNP et des ONG ont tenté de s’y opposer, en vain. « Vers 14 heures, la police et les hommes de la Ligue Awami ont attaqué et atteint la partie principale du rassemblement. À ce moment-là, la police a coupé l’électricité, l’Internet et les microphones, ce qui a entraîné l’arrêt complet du rassemblement », assure le journaliste bangladais.

La cheffe de l’opposition enfermée chez elle

« Les dirigeants et les militants du BNP ont tenté de se sauver de cette attaque barbare. Mais en raison de l’utilisation de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc par la police, un travailleur de Jubadal a été tué sur place et environ 3 000 militants ont été blessés. Il convient de noter qu’environ 28 journalistes ont été blessés. » La police a arrêté plus de 2 000 militants ce jour-là. 

Le secrétaire général du BNP, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, a annoncé le programme suivant immédiat et les dirigeants du BNP ont quitté la zone d’assemblée et se sont enfuis. Le bureau central du BNP est fermé en raison de la présence de la police. 

« Selon les dernières informations, un total de 5 284 dirigeants et activistes du BNP et des organisations ont été arrêtés depuis le 28 octobre », relate Jamil Ahmed. « Parmi eux, le secrétaire général du BNP Mirza Fakhrul Islam Alamgir, le membre du comité permanent Mirza Abbas, Amir Khosru Mahmud, Shamsuzzaman Dudu, Selina et de nombreux autres dirigeants du BNP. Au total, 122 affaires ont été enregistrées, plus de 3 498 personnes ont été blessées et 10 personnes, dont un journaliste, ont été tuées. » 

Le secrétaire général Mirza Fakhrul Islam Alamgir est désormais accusé du meurtre d’un policier avec 164 autres membres du BNP, décédé lors des mobilisations du à Dacca. Ils encourent la peine capitale, c’est-à-dire la mort. Depuis, le BNP affirme qu’environ 1 200 de ses partisans ont été arrêtés depuis le 21 octobre.

Autre restriction inédite de liberté, l’assignation à résidence de Khaleda Zia, dirigeante du BNP et ancienne Première ministre du Bangladesh. Jugée comme une rivale sérieuse de Sheikh Hasina, Khaleda Zia a interdiction de se faire soigner à l’étranger depuis le début du mois d’octobre, malgré sa mauvaise condition de santé et les recommandations des médecins. Emprisonnée en 2008 pour corruption, elle se dit cible politique du gouvernement actuel.

Dans ce climat, comment assurer une bonne tenue des élections ? Une question à laquelle le gouvernement ne s’embarrasse pas à répondre.  Le 8 novembre, Mohammed Anisur Rahman, commissaire aux élections bangladaises, a assuré que ces dernières se tiendraient bel et bien à la date prévue.

Nous n’avons pas d’autre choix que de tenir l’élection d’ici le 28 janvier 2024, selon la Constitution. Nous sommes tous prêts à annoncer le calendrier des élections avant le 15 novembre”, a-t-il avancé dans un communiqué. Des élections sous haute tension donc, et qui ont de fortes chances de faire basculer la vie politique du pays.

Crédits photos : Russell Watkin, OHCHR

Jamil Ahmed, Maud Baheng Daizey

MAGHREB. Élan putschiste tunisien et islamisme

Le président tunisien, Kaïs Saïed, semble avoir usé de procédés algériens, quand il dut annoncer, au soir du 25 juillet passé, le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple durant 30 jours, la levée de l’immunité de tous les députés et le limogeage du chef du Gouvernement, Hichem Mechichi.

« Les mesures du 25 juillet » est l’euphémisme qu’ont préféré utiliser certains titres de la presse tunisienne pour qualifier ce putsch contre la constitution du pays. Tout dans cette mise en scène qui a entouré l’intervention présidentielle, rappelle la déloyauté et les tonalités autoritaires dont le régime algérien s’est fait une spécialité. Grandiloquence dans le propos, habits de scène faits de casques et de bottes avec à la clé l’engagement à respecter la constitution…

Pourtant, Kaïs n’est pas Bouteflika. Il en est même l’antithèse. Le premier a été élu et le second a été coopté par l’armée. N’empêche, les différences entre les deux personnages sont encore plus importantes que les similitudes. 

Quant à la comparaison des régimes des deux pays respectifs, il est à se demander, au-delà de l’apparente césure entre un système formaté par une révolution populaire et un système militariste rigide, s’ils n’ont pas en commun de subir, malgré tout, le diktat de l’État profond. Qu’on se souvienne des circonstances dans lesquelles l’actuel locataire du palais de Carthage fut élu. Toujours est-il, quand on voit comment la démocratie est malmenée sur les terres mêmes qui l’ont vue naître et grandir, il est permis de se dire que la démocratie nord-africaine, à peu près la seule dans la région qui ait pu atteindre un tel niveau, est, peut-être, en train d’imiter les défauts de ses devancières occidentales, étant donné qu’il est plus facile de mimer les travers que les qualités. En cette époque d’incertitude perpétuelle, jamais la criminalisation de la protestation politique et son corollaire, la surveillance intégrale des citoyens, n’ont trouvé meilleur alibi que le terrorisme. Avec l’affaire Pegasus, on se surprend à penser que finalement, si petit que puisse être un pays, si misérable que puisse être son économie, il est susceptible de développer un gigantisme ombrageux et monstrueux pour peu qu’il ait assez d’argent pour acquérir les nouvelles technologies de dernier cri .

Mais que sait-on réellement de l’activisme souterrain des grandes puissances ? La digression étant faite, revenons à la Tunisie. Mais il y a plus à dire sur la régression de l’islamisme que ce qui peut se dire de la violation par Kaïs Saïed de la constitution. L’argument massue en faveur de la politique du coup de pied dans la fourmilière, est celui qui consiste à mettre en avant le devoir moral de combattre la corruption. Eh quoi ? L’éradication de la gabegie, des malversations, du népotisme et l’instauration de la justice sociale, n’étaient-elles pas la raison d’être du parti islamiste Ennahdha? Les islamistes des places de Tunis, Alger et Rabat qui se prenaient pour le centre du monde, sont désormais rappelés à leur condition de mortels. Leur parcours n’est pas sans rappeler celui des communistes. Comme quoi, les utopistes, qu’ils soient laïques ou religieux, deviennent des gens des plus ordinaires dès lors qu’ils se diluent dans la nomenklatura. Il ne subsiste de leur ancienne vie que des signes qui font ambiance, le voile pour les uns, le foulard rouge pour les autres. Même s’il survit socialement, l’islamisme a cessé pourtant d’être un projet d’État. Il se réinvente en dehors de ses circuits traditionnels en investissant de plus en plus des individualités qui expriment des opinions divergentes, se conformant ainsi à une certaine vision « démocratique », disons plurielle de la société. Les réseaux sociaux, du reste, relaient ces voix multiples. Cette évolution confirme, si besoin est, que l’islamisme, pris dans son acception pragmatique (loin de ses penchants consuméristes), est une stratégie d’appropriation de la modernité. C’est pourquoi, l’élan putschiste tunisien me paraît d’autant plus injustifié qu’il vise un mouvement rongé par la déliquescence et condamné à la chute. 

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Journaliste algérien établi en France

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Législatives en Algérie : Abdelkader et le degré zéro de la politique

Les lendemains de la débâcle électorale du 12 juin passé sont cruels pour les généraux algériens. Le désaveu populaire envers le régime militaire est on ne peut plus éloquent.

Même le rafistolage des chiffres n’a pu cacher le fait que les « vainqueurs » des législatives (le Front de libération national – FLN, islamistes-maison et le Rassemblement national démocratique RND réunis) sont d’un poids politique infiniment infinitésimal, et pour tout dire : nul. C’est cette nullité paroxystique que le chef de l’État entend assumer. Ainsi, d’une manière officielle, Monsieur Abdelmadjid Tebboune a fait savoir, le jour même de la tenue du scrutin que le taux de participation ne l’intéressait pas. Autrement dit, les élections seront validées dussent-elles provoquer des fous rires. Un simple calcul basé sur les résultats définitifs publiés dans le Journal officiel, donne les pourcentages suivants : Le FLN qui soi-disant a remporté les élections, n’a pu décrocher que 1.18% des voix, les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (HMS), 0.85% et le Rassemblement national démocratique (RND), 0.81 %.

Bienvenu dans le monde à l’envers ! On a un pouvoir schizophrène qui, lui-même, met à nu la démocratie de façade. C’est la folie du pouvoir, une maladie dont seul Tebboune serait, dit-on, atteint. Dans un pamphlet publié sur sa page Facebook, Noureddine Boukrouh, ex ministre de Bouteflika a suggéré que le chef de l’État devrait être interné dans un asile psychiatrique. Sous le titre « Ce fou de Tebboune », le post a terriblement fait sensation sur les réseaux sociaux.

Connu pour être proche des services de renseignements-aile de l’ex DRS [Département du renseignement et de la sécurité], cet ex ministre n’a pas été inquiété alors que des activistes du Hirak ont été jetés en prison pour moins que rien. Mon propos n’est pas de souhaiter la prison aux politiques ou d’exiger des sanctions à leur encontre, ce serait une atteinte à la liberté d’expression. Toujours est-il que ce n’est pas Boukrouh qui va être emprisonné mais Nordine Aït Hamouda. Tout porte à croire que l’opération a été montée dans le cadre d’une guerre des services. Aït Hamouda aurait été attiré sur le plateau de Hayat TV dans un guet-apens. Ex député, Aït Hamouda est le fils du colonel Amirouche, maquisard kabyle tué par l’armée française, célèbre dans toute l’Algérie. Les hirakistes, des quatre coins du pays se réclament d’ailleurs de lui. L’un de leur slogan est « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière ». Acquis aux idées d’un courant berbériste non consensuel, on aurait fait dire, haut et fort, à Aït Hamouda, ce qu’on pressentait qu’il serait capable de dire dans un débat à forte portée idéologique : l’Histoire en l’occurrence. C’est, du reste, avec fougue qu’il dénonça comme « traîtres » Houari Boumediene, ancien chef de l’État, Messali Hadj, le père du nationalisme algérien et l’émir Abdelkader, icône de la résistance algérienne à l’occupation française lors de ses débuts. Toutes ces personnalités vitupérées par Aït Hamouda appartiennent au courant arabo-islamiste. Arrêté et mis sous mandat de dépôt, le fils du colonel Amirouche est accusé d’ « atteinte aux symboles de l’État et de la révolution », « atteinte à un ancien président de la République », « atteinte à l’unité nationale », « incitation à la haine et discrimination raciale ». Toutes les voix sensées ont appelé à la libération de l’ex député arguant que l’affaire devrait être recadrée par les historiens. Oubliés donc les projectiles tirés sur Tebboune. Ainsi, ce dernier est gommé par un ancien chef d’État. A défaut de débattre des problèmes du présent, les Algériens sont ainsi conviés à s’occuper du passé.Il est utile de souligner que ce n’est pas la première fois qu’une personnalité historique est la cible de calomnies. Sous Bouteflika, Messali Hadj a été également dénoncé comme « traître » par un ex chef d’un parti berbériste. Plus près de nous, en 2020, c’est Abane Ramdane, un des principaux dirigeants du FLN historique, qui a fait l’objet d’une accusation de traîtrise de la part d’un fonctionnaire arabophone exerçant au niveau de l’administration de la wilaya (département) de M’sila. En outre, de son vivant, Ben Bella avait estimé que le congrès de la Soummam, qui devait organiser la révolution algérienne et dont Abane fut l’architecte, avait été une « trahison ». Dirigeant d’origine kabyle, partisan de l’éviction des militaires de la scène politique, Abane a été également célébré par les hirakistes qui se sont reconnus dans son combat.

Le débat sur l’histoire : un débat culturel

Force est de constater que ce débat sur l’Histoire renvoie à un conflit culturel dont les protagonistes ne sont autres que les élites politiques arabistes et berbéristes. Chacun de ces deux camps voit dans l’histoire de l’Algérie une histoire habitée par une succession de traîtres quoique différents selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre. Aussi, depuis la présence romaine, la figure de la traîtrise est toujours liée à un ancien colonisateur. c’est pourquoi d’aucuns diront que l’aguellid (roi) Massinissa fut le « chien » de Rome. L’historien et anthropologue Alain Mahé a bien cerné le problème lorsqu’il écrit que « la singularité de ces affrontements culturels [entre militants arabistes et militants berbéristes] réside dans le fait que les militants d’une cause ne parviennent à flétrir la cause adverse qu’en faisant intervenir un élément tiers, en l’occurrence un conquérant ou un colonisateur. [1]». Le discours historique des berbéristes « conduit implicitement à l’équation : arabe = colonisé, mais il en va de même dans les représentations qu’entretiennent les populations arabophones sur l’identité berbère.[2] » Mais ces derniers propos sont à relativiser vu que le Hirak qui est lui même un phénomène culturel, a fait évoluer les choses.

Un déluge de répression

Tout ce tintamarre fait autour de l’émir Abdelkader survient sur fond d’un déluge de répression visant les marches, les partis, les associations, les militants du Hirak, du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et les autonomistes. L’Algérie n’est pas loin d’atteindre 400 prisonniers politiques. Même Fethi Gheras, chef de file du MDS, héritier du communisme algérien, s’est vu arrêté à son domicile. Cette opération spectaculaire vise à semer la terreur dans la population. Ce n’est pas que le multipartisme soit menacé, c’est qu’il n’existe pas. Mêmes divisés en pro et anti-Tebboune, les généraux algériens, semblent penser qu’ils sont en mesure de réduire le Hirak et neutraliser le MAK en Kabylie, et ce, peut-être en favorisant les autonomistes avant de se retourner contre eux. L’accusation de terrorisme qui vise le mouvement indépendantiste ne peut s’expliquer pour le moment que de cette façon.

[1] Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Bouchene, Paris, 2001, pp. 478-479.

[2] Ibid.

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Journaliste algérien établi en France

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De l’usage de la politique dégénérative en Algérie

Le président Abdelmadjid Tebboune s’est révélé une version améliorée d’Abdelaziz Bouteflika. Tout comme son prédécesseur, il est l’incarnation biologique d’un système politique frappé de paralysie.

Imposé par le commandement militaire dont les principaux représentants sont des gérontocrates, Tebboune perpétue l’impasse plus qu’il ne l’a résout. Et ce n’est pas un hasard si le mouvement anti-régime s’est donné pour nom « Hirak », qui signifie étymologiquement « mise en mouvement ». On a ainsi, d’un côté, une classe dirigeante moribonde, boiteuse et claudicante, qui, férocement se dispute la rente pétrolière, et de l’autre un peuple de marcheurs impénitents prêts à en découdre.

C’est peu dire que le régime algérien est un régime décadent. Bâti sur l’exclusion sociale, il est l’adepte d’une politique dégénérative ayant pour postulat la dépossession de tout ce qui constitue l’identité politique, culturelle et sociale des différents acteurs sociaux. De cette politique, les généraux ont en fait un instrument stratégique du processus de déclin économique, de décomposition institutionnelle et du dépérissement social. L’élaboration de cette politique est dominée par les stéréotypes qui distribuent aux uns et aux autres les bons et les mauvais points, décrétant ainsi qui doit vivre et qui doit mourir. Ainsi, le Haut conseil de sécurité, en violation de la constitution de 2020, a classé deux mouvements politiques -Rachad et le MAK – comme organisations « terroristes ». Le mouvement associatif n’a pas échappé à la vindicte du gouvernement. Implantée dans un quartier de la capitale, l’association SOS culture Bab El Oued, s’est vue accuser de financement étranger alors que ses dirigeants ont été qualifiés de « criminels ».

En réalité, c’est le soutien actif de cette association au mouvement populaire qui lui a valu les foudres des autorités. Non moins grave, a été la procédure judiciaire initiée par le ministère de l’Intérieur pour dissoudre le Rassemblement action jeunesse (RAJ), une association qui n’a eu de cesse d’œuvrer pour la consolidation du Hirak. Ces actions appuyées par des arrestations de militants et d’activistes ainsi que de journalistes ont préludé à la répression massive des manifestations du vendredi et du mardi habituellement animées par les étudiants. Les hirakistes se sont cependant distingués par un pacifisme sans faille, refusant de verser dans la violence alors même que l’occasion leur a été offerte. Il en est résulté que les rues d’Alger s’emplissent chaque vendredi de cars de police aux lieu et place des foules grandioses. Une confrontation avec les forces de l’ordre aurait débouché sur une situation catastrophique qui aurait pu justifier le report ou l’annulation des élections législatives prévues le 12 juin prochain. Ces élections, dont personne ne veut, vont se dérouler si elles venaient à se tenir sur un fond aux teintes sombres. Les populations revendiquent une transition démocratique, jugeant que le parlement sert d’objet ornemental à un système dont le vrai pouvoir est exercé par les généraux.

Ainsi, le pouvoir en place peine à mobiliser l’électorat et à trouver des candidats. Les moins de quarante ans ont été avisés qu’ils pouvaient percevoir la somme de 30 millions de centimes (1800 environ) en guise de financement de leur campagne. Mais l’attrait du lucre est d’autant plus intéressant que les députés et les sénateurs touchent un traitement « 20 fois supérieur au salaire minimum » selon le mot du politologue Lahouari Addi. N’empêche, des partis sur papier et des personnalités « indépendantes » croient savoir qu’ils ne doivent pas rater la chance de leur vie pour se remplir les poches. On ne peut expliquer autrement les motivations des participationnistes dès lors qu’un minimum d’éthique politique et de rectitude morale auraient incité à l’abstention.

En effet, dans une Algérie où croupissent en prison 180 détenus d’opinion, il ne saurait avoir d’élections démocratiques. Le Hirak, objectivement, est appelé à perdurer pour longtemps…

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Journaliste algérien établi en France

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