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Rentrée 2023  : JARIS, un centre de formation qui prône l’inclusion 

En cette période de reprise scolaire, JARIS accueille pour sa rentrée 2023 treize nouvelles personnes en situation de handicap physique, psychique ou avec des troubles du développement. Focus sur un centre de formation unique en France, avec son fondateur, Eric Canda.

Un bénéficiaire de la formation JARIS, lors d’un atelier de montage vidéo ©JARIS

Il n’y a pas que les jeunes écoliers qui pourront entendre la traditionnelle cloche de l’école, synonyme de rentrée scolaire. Au sein du centre de formation JARIS Act’Pro, qui effectue sa 18ème rentrée depuis 2005, ce sont treize personnes, des hommes et des femmes, en situation de handicap physique, psychique, ou avec des troubles du développement et d’autres autonomes âgés de 18 à 35 ans qui sont accueillis ici.

Le centre, situé au Plessis-Trévise dans le Val-de-Marne, mise depuis presque deux décennies sur l’inclusion. Son fondateur, Éric Canda, diplômé de l’École Nationale Louis Lumière, réalisateur de courts-métrages et lui-même en situation de handicap suite à une inflammation des articulations, a décidé d’ouvrir et de développer JARIS (« Journalistes Apprentis Reporters Interviewers Solidaires ») dans un but précis : garantir l’égalité des chances. 

Une salle de classe à l’intérieur du centre JARIS ©JARIS

« On sait que les personnes en situation de handicap peuvent rencontrer beaucoup  de difficultés dans l’apprentissage, puis dans la vie professionnelle par la suite, avec des entreprises qui ne s’adaptent pas toujours à elles. J’ai voulu créer JARIS avec toute une équipe qui soit la plus pédagogue possible pour que les personnes que nous accompagnons puisse vraiment avoir du concret dans et après leur formation », explique le cinéaste.

Les formations, qui concernent les domaines des médias, du journalisme, de l’audiovisuel, du cinéma, de l’image animée et du jeu vidéo se déroulent au total sur 490 heures réparties en 70 jours sur 4 mois, avec un stage de professionnalisation rémunéré de trois à six mois. Ce stage se déroule en immersion totale dans une entreprise adaptée selon le profil et le parcours du bénéficiaire. 

Un centre de formation qui s’adapte à tout type de handicap

18% :  ce chiffre a récemment été mis en lumière dans un communiqué publié par l’Unapei, premier réseau français de défense des personnes avec trouble du neuro-développement, polyhandicap et handicap : il s’agit du pourcentage d’enfants ou adolescents en situation de handicap qui « n’ont aucune heure de scolarisation par semaine ». Eric Canda, lui, ne peut pas supporter que des personnes puissent être pénalisées à cause de leur handicap.

« Notre priorité, c’est vraiment le bien-être général de tous nos bénéficiaires », insiste le fondateur de JARIS. Ainsi, le centre de formation est entièrement adapté à toute forme de handicap, avec par exemple une accessibilité prévue pour les personnes en fauteuil roulant, mais aussi une signalétique adaptée pour les personnes malvoyantes. 

Pour Éric Canda, toutes les spécialités proposées par JARIS ont des objectifs communs : « On a mis en place tout un panel de spécialisations qui permettent dans un premier temps d’acquérir les fondamentaux d’un métier, d’avoir un point de vue critique, mais aussi d’avoir une expérience concrète en entreprise avec le stage en immersion. Il permet de se professionnaliser dans les métiers de l’audiovisuel ». 

Un bénéficiaire de JARIS dans un studio de tournage. ©JARIS 

Une formation gratuite pour les bénéficiaires 

Pour dispenser ses ateliers, JARIS Act’Pro fait appel à des experts dans leur domaine. « Nous proposons à nos bénéficiaires des enseignements dispensés par des professionnels reconnus qui sont toujours en activité, comme la chroniqueuse Laëtitia Bernard, qui est non-voyante ou encore Yves Dewulf,  qui a été photographe et journaliste à France-Soir et qui est actuellement journaliste reporter d’images (JRI) à France 3. Il a plus de 10 000 reportages à son actif », développe-t-il. 

Chaque intervenant a une même mission : partager sa passion, tout en s’adaptant à chaque handicap. « En cette nouvelle rentrée, nous accueillons notamment deux personnes tétraplégiques. Nos locaux sont bien évidemment adaptés pour les recevoir et pour qu’ils puissent circuler en fauteuil. Pendant plusieurs rentrées, nous avons aussi eu plusieurs bénéficiaires qui sont autistes Asperger. La règle est simple : prendre le temps avec chaque élève et être le plus pédagogue possible », détaille Éric Canda.

C’est bien pour cela que le fondateur de JARIS préfère accueillir des effectifs réduits de douze personnes, (treize cette année, “au vu de la grande qualité des candidatures”),  afin que chacun puisse avoir un apprentissage à son rythme et personnalisé.

« Cette année, nous avons reçu 72 candidatures. Nous organisons différents entretiens, que cela soit en distanciel et en présentiel, afin que notre équipe soit sûre de la cohérence et du projet souhaité du candidat », distille Éric Canda. 

Dans les couloirs du centre de formation JARIS. ©JARIS 

JARIS accompagne ses bénéficiaires jusqu’à ce que ces derniers puissent trouver un emploi, ce qui peut parfois prendre deux, voire trois années. « Le coût de l’accompagnement s’élève à 12.500 euros par personne, mais il est intégralement pris en charge par nos partenaires médias, M6, France Télévisions, TF1, Radio France, Arte France ou encore France Média Monde, ainsi que Pôle Emploi et les différents conseils régionaux », précise Eric Canda. Les douze bénéficiaires n’ont ainsi rien à débourser. 

Des ateliers divers et variés 

Le centre de formation JARIS propose un large panel d’ateliers. Éric Canda a pris la décision de miser sur des cours pratiques et ludiques, comme des ateliers d’expression orale, de diction, de gestion du stress et de ses émotions, de comportement face à un interlocuteur, d’affirmation de soi, ou encore des mises en situation d’un entretien d’embauche. « Le but de ces ateliers, c’est vraiment que nos bénéficiaires se sentent le moins bloqués possible par leur handicap et gagnent de plus en plus confiance en eux », affirme le créateur de JARIS. 

Des bénéficiaires de JARIS, lors d’un atelier de journalisme dispensé par le centre de formation. ©JARIS 

Le centre mise aussi beaucoup sur la dramaturgie, cet art de composer une pièce de théâtre… dont les treize bénéficiaires sont les principaux protagonistes. « C’est effectivement comme au théâtre, les douze personnes se mettent en scène en déterminant des obstacles qu’ils doivent eux-mêmes franchir », détaille Éric Canda. « Le premier aspect qui vient, c’est naturellement leur handicap. Ils doivent trouver les ressources pour le surmonter. Bien-sûr, on les accompagne, on ne les laisse pas livrer à eux-mêmes ! », sourit-il.

Accompagnés, notamment par Hélène Blondel, professeur de théâtre et de cinéma et comédienne depuis maintenant dix ans. « L’activité théâtrale permet de se surpasser et de repousser sans cesse ses limites, c’est un très bon exercice pratique, qui peut permettre à chacun de se découvrir des facettes parfois insoupçonnées », souligne Éric Canda.

Chaque semaine et à la fin de tout atelier, les participants de la formation JARIS sont évalués sur l’évolution des compétences acquises.  L’occasion de maintenir un suivi des connaissances assimilées par les bénéficiaires. 

Eric Canda se dit « très fier de la pérennité de cette structure, unique en France ». Il nourrit toutefois un petit regret : ne pas avoir réussi encore à trouver des partenariats pour développer d’autres structures semblables.

En 18 années d’existence, JARIS revendique plus de 80% de parcours d’insertion positifs. Le centre de formation a accompagné au total 240 personnes, « dont 196 sont actuellement en emploi ou ont repris des études », précise le site de JARIS. 
Si vous désirez postuler pour la prochaine session, vous pouvez vous rendre sur le site www.jaris.fr et cliquer sur l’onglet “inscription”. 
Des bénéficiaires de JARIS en pleine séquence de tournage. ©JARIS

Crédits photos : ©JARIS

Un article de Chad Akoum – Service Civique à la MDJ –

Les résidences de journalistes, fer de lance de l’EMI ?

Avec l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, la France prend conscience que les élèves saisissent mal ce que représente la liberté d’expression et de la presse. En réponse, le ministère de la Culture a lancé en 2016 les « résidences de journalistes », projets d’éducation aux médias et à l’information que l’on retrouve aujourd’hui dans toute la France. Véronique Holgado, responsable du service culture de la Communauté de Communes du Pays de Mormal,  nous détaille les missions des résidences. 

Réchauffement climatique, coronavirus, 5G, guerre en Ukraine… Les thématiques où foisonnent les fake news sont très nombreuses. Tant que des grands journaux ont créé de nombreux « fact-checkeurs » dans leur rédaction, et que des médias entièrement consacrés aux fausses informations sont nés. 

D’un autre côté, plus d’un Français sur deux ressentent de la « méfiance » envers les médias et l’information en général. Une situation dramatique qui peut être résolue grâce à l’EMI, l’Education aux Médias et à l’Information. Des programmes, séminaires et guides pratiques fleurissent dans toute la France, notamment les résidences de journalistes. 

Quatre mois consacrés aux conférences et formations

[Les résidences de journalistes sont portées par les DRAC, les Directions Régionales des Activités Culturelles. La résidence de journalistes est née d’un accord tripartite, incluant les DRAC, les collectivités territoriales et le ministère de la Culture. Au Pays de Mormal, « le territoire est engagé dans un CLEA », un Contrat Local d’Éducation Artistique, depuis 2016. Ainsi, deux résidences artistiques se tiennent tous les ans durant quatre mois chacune.]

Pendant ces quatre mois, les journalistes professionnels sélectionnés (un seul par résidence) ont pour objectif de toucher le public le plus large possible et de l’interroger sur des questions liées à la liberté d’expression et au journalisme. Pour Véronique Holgado, la résidence est née sur son territoire à la suite d’une journée de présentation du projet par la DRAC. « Nous vivons aujourd’hui dans un monde rempli d’informations, où les jeunes et moins jeunes sont confrontés à cette “avalanche” qu’ils ne savent pas toujours comment interpréter, ni quoi croire”, explique Madame Holgado. « Il nous semblait intéressant de tenter cette aventure avec une résidence EMI. » 

Plus de 1000 citoyens informés en deux mois 

Avec la journaliste Valérie Rohart, sélectionnée pour porter et animer le projet, la résidence rencontre un franc succès. Grand reporter RFI de 1989 à 2013, Valérie Rohart est une journaliste aguerrie et spécialisée dans les relations internationales. Elle obtient deux prix pour son reportage « Paroles de femmes afghanes » en 2003. 

Elle est la première journaliste à accepter une des missions à Dunkerque en 2016, puis au Pays de Mormal, où elle continue son programme d’EMI. En 2023, une nouvelle résidence testée durant deux mois avec la DRAC a vu le jour, et s’est tenue du 3 avril au 6 juin dans les différentes communautés du Pays de Mormal, dans le département Nord, frontalier de la Belgique.

Valérie Rohart y a animé huit conférences, créé et monté des reportages audio dans trois écoles et deux bibliothèques, conduit de nombreuses séances de formations EMI dans quatre écoles (collèges et lycées) ainsi que dans une association.

Plus de 1100 personnes ont pu bénéficier du dispositif en 2023 dans la région Hauts-de-France. Des interventions ont également été faites dans les maisons de retraite. Toutes les activités ont pour thème l’EMI, en passant par le décryptage d’un journal télévisé, la bonne pratique des réseaux sociaux, l’initiation au dessin de presse, le reportage, la définition du métier de journaliste…

« Ce fut une très belle réussite avec Valérie (beaucoup de demandes, de besoins, d’envies d’interventions) », commente Véronique Holgado. « A la suite de ce succès, nous avons donc décidé de nous engager dans ce type de résidence, en plus des résidences artistiques, pendant trois ans minimum, et sur le même schéma que le CLEA. » 

Une résidence bien organisée

« Nous préparons un appel à candidatures conjointement avec la DRAC et recevons les candidatures », nous explique Véronique Holgado. Un comité de pilotage composé de « techniciens, d’élus, de la DRAC, de l’Éducation nationale et d’autres partenaires, se charge d’analyser les candidatures et de sélectionner le ou la journaliste (après un entretien). » 

Photo de Nijwam Swargiary.

Composé d’un binôme dont Véronique Holgado fait partie, le service culture a pour vocation d’accompagner le ou la journaliste dans son projet. Madame Holgado est donc la responsable du service culture, et est accompagnée d’une médiatrice. Celle-ci « est plus sur le terrain et elle suit plus précisément les résidences, même s’il nous arrive à toutes les deux de les accompagner. » 

Une fois la candidature de Valérie Rohart validée, le service culture a contacté différents partenaires : « collèges, lycées, bibliothèques, municipalités, EHPAD… » détaille Véronique Holgado. 

« Nous avons convenu de rendez-vous et les avons mis en contact. Nous sommes très souvent présentes, l’une ou l’autre au 1er rendez-vous mais ensuite, le ou la journaliste est autonome et gère elle-même son planning (nous avons un Google agenda commun). Nous nous retrouvons sur des temps forts, des moments où elle a besoin de notre présence », notamment pour les bilans. « Nous essayons d’être présentes et disponibles au maximum », précise-t-elle. 

Une édition 2023 qui a rencontré un fort succès, et qui assure un bel avenir à la résidence. « Il y a beaucoup de demandes notamment par les CM (écoles primaires) avec qui nous sommes en lien grâce à la conseillère pédagogique de l’Éducation nationale du premier degré. » 

Même son de cloche du côté des plus âgés : « Les résidents en EHPAD ont beaucoup apprécié les interventions de Valérie et nous avons aussi remarqué que nous touchions un nouveau public, qui ne vient pas forcément sur nos spectacles. Il y a de la demande en ce qui concerne ce type d’interventions. » 

Pour 2024, la résidence basée sur l’essai 2023 sera pérennisée au vu de son succès. Le ou la journaliste « utilisera également le média vidéo et créera des petits films et des bandes-son. » Jusqu’alors, seuls les médias écrits et radio étaient exploités. 

De nouvelles collaborations viendront aussi nourrir les prochaines éditions : « nous sommes en lien avec Laurence Gaiffe de l’ESJ de Lille (NDLR : journaliste et responsable pédagogique), avec qui nous montons un partenariat EMI, en collaboration avec le Centre Social de Landrecies » toujours dans le département Nord, détaille Véronique Holgado. 

« Le partenariat se constitue d’une journée de sensibilisation à l’EMI pour les encadrants, les personnels du Centre Social, nous-même et d’autres partenaires. » Il comporte également « cinq à huit séances de stage vidéo EMI avec des reporters du Centre social de Landrecies (aux côtés un journaliste qui leur fera faire des interviews et de l’éducation à l’image). » 

Un programme exhaustif qui finira par recouvrir tous les champs du journalisme. Grâce à un tel dispositif, les résidents du Pays de Mormal peuvent bénéficier d’une véritable éducation aux médias, de façon plus égalitaire et sans égard pour l’âge. Pas de doute, les résidences de journalistes pourraient devenir le meilleur outil pour l’EMI en France. 

Crédit photo : Ministère de l’Education, Académie de Nice.

Maud Baheng Daizey

France – Afrique : va-t-on vers une mauvaise rupture ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Rien ne va plus entre la France et l’Afrique. Le premier constat est la situation des coups d’Etat successifs en Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso et Niger). L’autre observation est que cette révolte des militaires n’est pas menée seulement à l’interne, comme ce fut jadis le cas ; elle se retourne aussi contre l’ancien colonisateur, la France.  Et au-delà, contre l’Occident. Avec, régulièrement, un brin de brutalité verbale. Marquée, une fois, par un acte de violence sur l’ambassade de France, partiellement vandalisée à Niamey.

Cela est nouveau. Les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’apparentent à un fait d’incubation, qui a cours depuis des décennies. En d’autres termes, c’est l’écho aux ressentiments qu’exprime, désormais, tout le continent africain à l’égard de l’Occident. Côté pays francophones, la France, bien sûr, étant placée en première ligne, autant pour son passé colonial que pour ses attitudes jugées impérialistes.

La Françafrique, cette Hydre de Lerne, qui a traversé tous les gouvernements de la Ve République, est citée en mauvaise référence. En utilisant contre la bête la même épée que ses prédécesseurs, cabossée par des promesses non tenues, le président Macron a fini par mettre les feux aux poudres.

C’est le fait, global, dans lequel se détachent d’autres éléments répréhensifs, pour les Africains, tels l’indécision des troupes françaises à neutraliser les djihadistes au Sahel ou la présence de ces mêmes troupes pour constituer des bases militaires sur le sol africain, notamment.

S’y ajoute, en veilleuse,  l’appel lancé par Aminata Traoré, dans « Le viol de l’imaginaire ». L’écrivaine malienne demandait de tout faire pour « restituer aux Etats du continent leur pleine souveraineté et leurs prérogatives dans l’œuvre de réhumanisation de l’homme ». C’est tout dire.

De là à penser « coup d’Etat », il n’y a qu’un pas à franchir. Y compris, dans la foulée, à organiser des manifestations hostiles contre la France.

Le torchon brûle entre le Niger et la France

On le sent, l’idée, dans cet espace géographique, est d’arracher le continent des griffes du néocolonialisme. En vue de s’approprier une sorte de deuxième indépendance, après celle des années 1960.  Ainsi donc, le Niger ne sera pas le dernier de la série. Le coup d’Etat y est consommé, et rien d’autre ne dérangera ce nouvel ordre des choses. Lequel, à n’y prendre garde, fera tache d’huile.

Cependant, on n’en restera pas là. Il faut penser au revers du décor, à l’image des réactions qui ont suivi les indépendances africaines. L’Occident n’avait pas lâché prise, tout de go. Pour nombre de pays, il a fallu subir des guerres dites de « libération ».

Des guerres pour la préservation par l’Occident des matières premières (pétrole, uranium, cassitérite, diamants, etc.). Or, le même schéma, aujourd’hui, semble se redessiner… en creux.

La France, et par ricochet l’Occident, assisterait-elle les mains croisées devant la perte de son pré carré, surtout que celui-ci a tendance à basculer dans les mains de la Russie et de la Chine ? Ce qui saute déjà aux yeux, en attendant, est que les choses commencent à prendre une mauvaise tournure, avec cette crainte que la rupture ne risque d’être fâcheuse. Simple exemple : le Niger demande à l’ambassadeur de France de plier bagages, Paris dit sèchement « non ».

C’est un premier craquement de l’arbre sur lequel repose le poids des relations séculaires entre les deux pays. En tout cas, mauvais signe des temps !

Crédit photo : James Wiseman.

PORTRAIT. Tamilla Imanova: “It was impossible for the Russian people to remain silent.”

At just 26, Tamilla already has a brilliant humanitarian and professional record. With a degree in law from one of the best universities in Moscow, the young Russian earn her stripes as a lawyer at the Memorial Human Rights Defence Centre in the capital. Winner of the 2023 Marianne Initiative, Tamilla Imanova talks to Eye about the defence of human rights in Russia, and the impact of activism on the war in Ukraine.

Interview.

A life for human rights and civil liberties

Defending human rights was not, however, her first career choice. At the age of 16, during a school exchange to the United States in Rio Vista, Texas, she discovered a standard of living unknown to her until then, which she would like to bring back to her native city in Russia.

People lived better than we do. Children could drive at 16, they had modern computers at school (we had them too, but old ones), better education and teachers were respectful,” she lists wistfully. “In Russia, teachers very often disrespect you, just as the government won’t respect you as a citizen.” A reflection also nourished by her hobbies such as tennis lessons and the chess club, gradually giving birth to a vocation within her.

The sunny young woman remembers that she didn’t want to become a lawyer in her first year of law school, but that she had always wanted to help others. While looking for a work placement, she discovered Memorial, which quickly became the inspiration for her future career.

Memorial-International is a historic NGO created at the dissolution of the Soviet bloc in 1989, to document Soviet oppression, particularly during the Stalinist period. In 1993, another NGO was created: the Human Rights Center “Memorial”, to protect Russian citizens from the current repression.  “The two organizations are friends and exchange information regularly. The Nobel Prize has also been awarded to both branches, in recognition of their past and present work.” 

Tamilla joins Memorial as a trainee lawyer in 2019, on the recommendation of her teachers. She greatly appreciates the work done, far from the strict codes of the university. “I wanted to come back as soon as possible, as soon as I graduated,” she explains playfully into the microphone.

I often say it’s a love affair between me and Memorial,” she jokes. “A love affair that’s been going on for four years!“In her third year, Tamilla joined Memorial as a trainee lawyer, on the recommendation of her teachers. She really enjoyed the work, which was far removed from the strict codes of university life.

Before the invasion of Ukraine, her work consisted of representing citizens in remote regions of the country, for example in cases of domestic violence with her team. Human rights and the defence of civil liberties are the cornerstones of the organization.

In regions like Dagestan, tradition prevails over the law, and she was trying to change that. A genius in her field, she won her first case before the European Court of Human Rights in 2022 concerning domestic violence, a great source of pride for her. 

Most of the time, Russia paid the fines imposed by the ECHR. But sometimes, the Court’s rulings led to new Russian human rights legislation.” Memorial’s cases are often sent to the European Court of Human Rights when Russia denies them justice, which draws the ire of the Kremlin.

Memorial, 2022 Nobel Peace Prize and thorn in the Kremlin’s side

In 2021, the Russian government set its sights on Memorial, which it intended to dissolve thanks to the law on Western influence and foreign agents. Working with a number of European actors, Memorial had been labelled a foreign agent since 2014, when it denounced the conflict in Crimea, and its members, who are still free, still risk imprisonment.

 “In Russia, everything happens legally because the law can quickly be hijacked” by the government. Since this year, you can be labelled as a foreign agent without receiving subsidies from outside. “Anyone could be labelled a foreign agent, whether they worked for an association or not. The simple fact of using Facebook could incriminate you, the law remains very vague”, Tamilla explains.

On 28 and 29 December 2021, the Russian Supreme Court and the Moscow City Court ordered the dissolution of the two Memorial NGOs, the Memorial International and the Memorial Human Rights Centre,  a decision unanimously condemned by the Council of Europe and internationally.

Today, both NGOs had to leave Russian territory, despite the ECHR’s request for the dissolution to be suspended. “We made our fight public on Telegram, Instagram, Twitter and Russian VKontakte, informing the public of our dissolution, but that didn’t stop the government.”

A shocking decision for the Memorial teams, who are nevertheless trying to envisage the future: should the NGO be relocated, or should a new one be set up? Should they defy the ban and continue to work in secret in Russia? Before they could even make a decision, the teams watched in horror as Vladimir Putin invaded Ukraine on 24 February 2022.

Very quickly, they started to arrest anyone who criticized the war. It was impossible for human rights NGOs like ours to remain silent“, says Tamilla forcefully. “It was impossible for the Russian people to remain silent. In February and March 2022, not a day went by without citizens demonstrating.”

And even if this protest is less publicized today, demonstrations against the war are still planned in Russia. “So we haven’t changed our stance, and have founded a new one: the Memorial HRDC, Human Rights Defence Center.” For now.

Some of her colleagues decided to leave Russia and operate from abroad, still facing possible legal proceedings. Like Bakhrom Khamroyev, who was sentenced to 14 years in prison in May 2023 for “terrorism and treachery“. His offence? Providing legal advice to an Islamic group,  which the government has classified as terrorist, even though its members have never committed a single act of violence. 

Initiative Marianne, an incubator for all kinds of projects

The co-chairman of Memorial’s, Oleg Orlov, a leading campaigner for rights and freedoms in Russia, had decided to stay put. On 8 June, he was tried for “discrediting the army” in an interview with Mediapart, where he claimed that Russia was now “fascist“.

 After several fines, he now faces imprisonment. “We have covered the first two hearings of the trial, and we are eagerly awaiting the hearing on 21 July“, explains Tamilla, with a determined expression. “We don’t really have any hope, but he’s still very brave and is keeping us on the right track.”

I myself left Russia in April 2022 for Poland, which provided me with a humanitarian visa. This year they have granted me a temporary residence permit, they have been very welcoming.” Other countries such as Brazil and France have granted permanent residence to Tamilla’s colleagues,  allowing her to take some time off work and to participate in the Marianne Initiative

A photo from Marina Merkulova.
Launched in December 2021 by President Emmanuel Macron, the Marianne Initiative for Human Rights Defenders is a three-part program. The first is international, involving support for human rights defenders in their respective countries through the French diplomatic network.

There is also a national component, involving the hosting in France of human rights defenders from all over the world for six months, to enable them to develop their skills and network. Finally, a federative component aims to build an international network of human rights defenders based on French institutions (associative, public, private).

For six months, human rights defenders from all over the world can build and launch their projects in France. This year, thirteen people of various nationalities were honored for their struggles: Syria, Afghanistan, Iraq, Venezuela, Uganda, Russia, Mali, Bangladesh, Bahrain and Peru.

After welcoming fourteen women last year, it’s now the turn of a mixed class to be welcomed to France as part of the Initiative. Laureates will have access to a training program to strengthen their capacities and commitment in their country of origin or in France, whether in favor of minority rights, freedom of the press and expression, civil and political rights, women’s rights or environmental rights.

Thanks to the program, the winners can develop their association or their work from the French capital, as well as weave a solid network of rights defenders. It’s also a way for France to unite its prizewinners and raise its profile abroad. Since 2022, the Maison des journalistes and the Marianne Initiative have been working together to strengthen exchanges between exiled journalists and human rights defenders around the world.

Come back to Russia to end up in jail

I’m not going back to Russia for the time being, it’s far too dangerous for me. You only have to Google my name to see my actions against the invasion of Ukraine and my positions on human rights.” Positions that could land her in prison, such as her work with Muslim ethnic minorities, which she continues to defend, and her research and legal support for Ukrainians detained on Russian soil.

What I appreciated most about the Marianne Initiative was being able to work not only with 14 people from various nationalities, but also from different fields. It was the first time I had met rights defenders from divergent sectors.” These encounters led to a change in her personal and professional development.

I discovered the work of activists, journalists and politicians who are different from me, but who serve the same cause. We share our work and want to keep in touch with everyone.”

Today, Tamilla would like to extend the Alumni network and meet the class of 2022.I’ve also encouraged two friends to apply for 2024,” she confides with a discreet laugh. “I hope to be able to start mentoring as soon as the program starts in 2024, rather than a few weeks later.”

Thanks to her Polish temporary residence permit, Tamilla is free to move within the Schengen area, which will enable her to continue her work for Memorial and with the UN with greater peace of mind.

A Memorial team is also entirely dedicated to supporting Russians who refuse to be mobilized in Ukraine. Many have been kidnapped and imprisoned, “or brainwashed and promised prison so that they will go to the front“, Tamilla explains.

“We have a Telegram bot where civilians can write to us, and we select our cases. It’s not a very secure system, but many Russians are on Telegram. We also have a hotline that is used a lot.”

We are working with a UN special rapporteur on the situation in Russia, Mariana Katzarova from Bulgaria, to whom we are providing our evidence of abuses of power by the Kremlin. We’re also planning to expand our legal teams,” says Tamilla proudly, undaunted by the sheer volume of work.

Through our work on the invasion, we have even developed solid expertise in Russian military jurisdiction and legislation“, she adds, still smiling. All of which adds up to an extraordinary experience at such a young age, which the Marianne Initiative has honored this year.

Photos credits : © Marina Merkulova

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Tamilla Imanova : « Il était impossible que le peuple russe se taise »

À seulement 26 ans, Tamilla jouit déjà d’un brillant parcours humanitaire et professionnel. Diplômée en droit de l’une des meilleures universités de Moscou, la jeune Russe a fait ses armes en tant qu’avocate dans l’organisation Memorial Human Rights Defence Center, située dans la capitale. Lauréate 2023 de l’Initiative Marianne, Tamilla Imanova revient pour l’Œil sur la défense des droits de l’Homme en Russie, et sur l’impact de l’activisme sur la guerre en Ukraine.

Rencontre.

Une vie pour les droits de l’Homme et les libertés publiques

La défense des droits de l’Homme n’était pourtant pas son premier choix de carrière. À 16 ans, lors d’un échange scolaire aux Etats-Unis à Rio Vista au Texas en 2013, elle découvre un niveau de vie inconnu pour elle jusqu’alors, qu’elle aimerait ramener dans sa ville natale de Russie.

« Les gens vivaient mieux que nous. Les enfants pouvaient conduire à 16 ans, ils avaient des ordinateurs modernes à l’école (nous en avions aussi mais des anciens), une meilleure éducation et les professeurs étaient respectueux », énumère-t-elle avec nostalgie.

« En Russie, les professeurs te manquent très souvent de respect, de même que le gouvernement ne te respectera pas en tant que citoyen. » Une réflexion nourrie aussi par ses loisirs tels les cours de tennis et le club d’échecs, faisant naître peu à peu une vocation en elle.

La jeune femme, solaire, se souvient qu’elle ne souhaitait pas devenir avocate lors de sa première année de droit en 2015, mais qu’elle a toujours voulu aider les autres. Lors d’une recherche de stage, elle découvre le Memorial, qui lui inspire très rapidement son futur professionnel.

Memorial-International est une ONG historique créée à la dissolution du bloc soviétique en 1989, permettant de documenter l’oppression soviétique, particulièrement durant la période stalinienne.

En 1993, une autre ONG voit le jour : le Centre des Droits Humains “Memorial”, pour protéger les citoyens Russes de la répression actuelle.  « Les deux organisations sont amies et échangent régulièrement. » Le prix Nobel a par ailleurs été attribué aux deux branches, en reconnaissance de leur travail passé et actuel.

Tamilla intègre le Memorial en tant qu’avocate stagiaire en 2019, sur recommandation de ses professeurs. Elle apprécie énormément le travail accompli, loin des codes stricts de l’université. « Je voulais revenir au plus vite, dès l’obtention de mon diplôme », explique-t-elle d’un ton enjoué au micro.

« Je dis souvent qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre moi et le Memorial », plaisante la défenseure. « Une histoire d’amour qui dure depuis quatre ans ! »

Avant l’invasion de l’Ukraine, son travail consistait à représenter des citoyens des régions reculées du pays, comme pour des affaires de violences conjugales, de torture ou de violences policières avec son équipe. Les droits de l’Homme et la défense des libertés publiques sont les fondements de l’organisation.

Dans des régions comme le Daghestan, la tradition prévaut sur le droit, ce qu’elle tentait de changer. Génie dans son domaine, elle remporte son premier procès devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2022 concernant des violences domestiques, une grande fierté pour elle.

« La plupart du temps, la Russie payait les amendes de la CEDH. Mais parfois, les arrêts de la Cour amenaient à une nouvelle législation russe concernant les droits de l’Homme. »

Les dossiers du Memorial sont souvent envoyés à la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque la Russie leur dénie la justice, ce qui attire l’ire du Kremlin.

Le Memorial, prix Nobel de la paix 2022 et épine dans le pied du Kremlin

En 2021, le gouvernement russe s’attaque au Memorial, qu’il compte bien dissoudre grâce à la loi sur l’influence occidentale et les agents de l’étranger. Travaillant avec nombre d’acteurs européens, le Memorial avait été labélisé agent de l’étranger depuis 2014, car il avait dénoncé le conflit en Crimée, et ses membres encore libres risquent toujours la prison.

« En Russie, tout se passe de manière légale mais la loi peut rapidement être détournée » par le gouvernement. Depuis cette année, vous pouvez être caractérisé d’agent de l’étranger sans pour autant recevoir de subventions de l’extérieur.

« N’importe qui pouvait être considéré comme agent de l’étranger, que l’on travaille pour une association ou non. Le simple fait d’utiliser Facebook pouvait vous incriminer, la loi demeure très floue », détaille Tamilla.

Les 28 et 29 décembre 2021, la Cour Suprême et le tribunal de Moscou ordonne la dissolution des deux ONG, décision unanimement condamnée par le Conseil de l’Europe et à l’international.

Aujourd’hui, elles ont été contraintes à l’exil, malgré la demande de suspension de la dissolution par la CEDH. « Nous avons rendu notre combat public sur Telegram, Instagram, Twitter et VKontakte en informant le public de notre dissolution, mais cela n’a pas arrêté le gouvernement. »

Une décision choquante pour les équipes du Memorial, qui tentent néanmoins d’envisager l’avenir : fallait-il délocaliser l’ONG, ou bien en monter une nouvelle ? Devaient-ils braver l’interdiction et continuer de travailler en secret en Russie ? Avant même de pouvoir prendre une décision, les équipes observent avec catastrophe Vladimir Poutine envahir l’Ukraine le 24 février 2022.

« Très vite, ils ont commencé à arrêter toute personne qui critiquait la guerre. Il était impossible pour des ONG de protection des droits de l’Homme comme la nôtre de rester silencieuse », affirme avec force Tamilla. « Il était impossible que le peuple russe se taise. En février et mars 2022, il ne se passait pas un jour sans que les citoyens ne manifestent. »

Et si aujourd’hui cette contestation est moins médiatisée, des manifestations contre la guerre sont toujours programmées en Russie. « Nous n’avons donc pas changé nos positions, et avons pris la décision de fonder un nouvel organisme : le Memorial HRDC, Human Rights Defence Center. Nous n’avons pas le droit de travailler avec notre organisation initiale, mais une nouvelle sous un nom légèrement différent ne pose pas problème. » Pour l’instant.

Certains de ses collègues décident de quitter la Russie et d’opérer depuis l’étranger, faisant toujours face à de possibles procédures judiciaires. À l’instar de Bakhrom Khamroyev, condamné à 14 ans de prison en mai 2023 pour « terrorisme et traîtrise. »

Sa faute ? Avoir fourni des conseils juridiques à un groupe islamique que le gouvernement a classé comme terroriste, bien qu’aucun de ses membres n’ait commis d’acte de violence.

Initiative Marianne, incubateur de tous les projets

Le co-président du Memorial, Oleg Orlov, grand militant des droits et libertés en Russie, avait décidé de rester sur place. Le 8 juin dernier, il a été jugé pour avoir « discrédité l’armée » lors d’une interview avec Mediapart, où il a affirmé que la Russie était désormais « fasciste. »

Après plusieurs amendes, il encourt aujourd’hui l’emprisonnement. « Nous avons couvert les deux premières audiences du procès, et nous attendons vivement celle du 21 juillet », nous explique Tamilla, l’expression déterminée. « Nous n’avons pas réellement d’espoir, mais il reste très courageux et nous maintient dans la bonne direction. »

« J’ai moi-même quitté la Russie en avril 2022 pour la Pologne, qui m’a fourni un visa humanitaire. Cette année, ils m’ont donné un permis de résidence temporaire, ils ont été très accueillants. » Ses collègues lui ont également permis de participer à l’Initiative Marianne en lui laissant du temps en-dehors du travail.

Une photo de Marina Merkulova.
Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.

Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétence et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
   
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.

Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Rentrer en Russie pour finir en prison

« Je ne retournerai pas en Russie pour l’instant, c’est bien trop dangereux pour moi. Il suffit de chercher mon nom sur Google pour voir mes actions contre l’invasion de l’Ukraine et mes positions sur les droits de l’Homme. » Des positions qui pourraient lui valoir la prison, comme son travail avec les minorités ethniques musulmanes qu’elle continue de défendre, ainsi que la recherche et l’accompagnement juridique des Ukrainiens détenus sur le sol russe.

« Ce que j’ai le plus apprécié avec l’Initiative Marianne a été de pouvoir travailler non seulement avec 14 personnes issues de nationalités variées, mais aussi de domaines différents. C’était la première fois que je rencontrais des défenseur.es des droits de divers secteurs. » Des rencontres qui ont conduit à un changement dans son développement personnel et professionnel.

« J’ai découvert le travail d’activistes, journalistes et politiciens étranger au mien, mais servant pourtant la même cause. Nous partageons notre travail et souhaitons rester en contact avec tout le monde. » Aujourd’hui, Tamilla compte étendre le réseau Alumni des lauréats et rencontrer la promotion 2022. « J’ai aussi poussé deux amis à candidater pour 2024 », confie-t-elle avec un rire discret.

« J’espère pouvoir commencer le mentoring dès le début du programme en 2024, et non quelques semaines après. » Grâce à son permis de résidence temporaire polonais, Tamilla est libre de se déplacer dans l’espace Schengen, ce qui lui permettra de continuer plus sereinement son travail pour le Memorial et l’ONU.

Une équipe du Memorial est par ailleurs entièrement dédiée à l’accompagnement des Russes qui refusent d’être mobilisés en Ukraine. Beaucoup ont été enlevés puis emprisonnés, « ou bien on leur lave le cerveau et on leur promet la prison pour qu’ils aillent au front », détaille Tamilla.

« Nous avons un bot Telegram où les civils peuvent nous écrire, et nous sélectionnons nos cas. Ce n’est pas très sûr comme système, mais de nombreux de Russes sont sur Telegram. Nous possédons également une hotline qui est très utilisée. »

« Nous travaillons avec un rapporteur spécial de l’ONU sur la situation en Russie, la Bulgare Mariana Katzarova, à qui nous fournissons nos preuves d’abus de pouvoir du Kremlin. Nous comptons aussi élargir nos équipes juridiques », annonce fièrement Tamilla, point découragée par la quantité de travail.

« A force de travailler sur l’invasion, nous avons même développé de solides compétences sur la juridiction et législation militaires russes », précise-t-elle toujours en souriant. De quoi bâtir une expérience hors du commun à un jeune âge, que l’Initiative Marianne a mis à l’honneur cette année.

Maud Baheng Daizey

France : faire de l’éducation aux médias « une vraie politique publique »

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance. En Europe comme en France, acteurs de la presse, du monde associatif et éducatif se mobilisent pour redonner le goût de l’information au public.

En France, l’éducation aux médias (EMI), bien qu’assez récente, se cristallise dans l’espace éducatif. Des associations et des programmes sont mis en place, alors que les campagnes de désinformation massive en ligne prolifèrent en Europe. Comment les citoyens français se protègent-ils de telles menaces ?

Des actions françaises entièrement dédiées à l’EMI

Lors de la création d’Entre les lignes en 2010, Olivier Guillemain voit clair dans sa mission. « Nous avions l’idée avec ma cofondatrice [Sandra Laffont, NDLR] de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les médias car nous étions passionnés par notre métier et nous voulions transmettre ce goût de l’information. »

A ce moment, un climat de méfiance envers les médias s’installe durablement en France, malgré une bonne situation de la liberté de la presse.

Un paradoxe « toujours valable aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de médias et nous n’avons jamais eu autant de mal à nous informer. »

Pour l’association, il est primordial que les jeunes possèdent « les outils pour faire le tri et développer un esprit critique. Nous voulions aussi sensibiliser sur le pluralisme des médias en France, nos ateliers permettent de découvrir de nouveaux médias. Nous avons choisi de nous focaliser sur les jeunes pour leur donner les bons réflexes dès le début de leur vie citoyenne », explique avec engouement Olivier Guillemain.

Des collégiens devenus journalistes

Si « Entre les lignes » bataille seule les premières années pour mener sa mission à bien, l’année 2015 signe un tournant pour l’association.

« En 2010, l’EMI n’était pas du tout un thème porteur, nous étions très peu d’acteurs. Nous ne bénéficions pas de financement public, mais nous avons assisté à un vrai point de bascule avec les attentats de 2015 et Charlie Hebdo. »

Après les attentats, des campagnes de désinformation se sont mises à pulluler sur les réseaux, poussant les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’éducation aux médias.

« Nous avons alors reçu des financements publics ainsi que le soutien de l’Éducation nationale, du ministère de la Culture et de la DILCRAH. Vint ensuite le financement par les fondations privées. »

« Aujourd’hui nous comptons 240 bénévoles dans nos équipes, pour 430 interventions en 2022 dans 44 départements. Nous souhaitons que l’EMI devienne une vraie politique publique, car le public adulte en a besoin aussi. Nous avons prêché dans le désert pendant longtemps les premières années, aujourd’hui nous remarquons une volonté solide de la part de tous les acteurs de l’EMI », constate Olivier Guillemain, plein d’entrain et d’espoir pour la jeunesse française.

Renvoyé Spécial

Loin d’être étrangère dans le domaine, la Maison des journalistes est un acteur important de l’éducation aux médias. Elle entretient depuis 2006 un partenariat avec le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le ministère de l’Éducation nationale.

Ce partenariat productif permet aux journalistes de la MDJ de rencontrer des lycéens pour discuter de leur parcours et de leur métier, en France métropolitaine comme en Outre-mer.

Plus de 10 000 élèves ont ainsi pu entendre le récit de ces journalistes et échanger avec eux. La MDJ et le CLEMI comptabilisent plus de 100 interventions conjointes avec des journalistes syriens, tchadiens, afghans, soudanais, irakiens, marocains ou encore yéménites.

Tous viennent exprimer devant les élèves la difficulté d’exercer leur métier dans leur pays d’origine. D’une richesse exceptionnelle, ces rencontres offrent aux élèves un contact direct avec l’actualité, un témoignage qui permet d’incarner des concepts souvent abstraits, une prise de conscience de l’importance de la liberté d’expression et de la pluralité dans les médias.

Inviter à la discussion pour permettre la critique

« Nous proposons cinq ateliers différents de deux heures chacun », relate le directeur de l’association. L’atelier rencontrant le plus de succès demeure « démêler le vrai du faux sur Internet », mais il assure non sans humour « se battre pour faire vivre les autres thèmes aussi. »

« Les jeunes apprécient cette approche où nous partons des usages du public en s’interrogeant sur leur quotidien. Le journaliste partage son expérience et vice-versa. Des collégiens ayant participé à des ateliers il y a quelques années sont même devenus journalistes aujourd’hui ! » Signe que l’éducation aux médias est un enseignement contemporain incontournable.

Si les premières années étaient consacrées aux élèves de collège et lycées, l’action de l’association s’est élargie aux élèves de primaire. « C’est au collège et au lycée que les usages numériques sont les plus développés », explique l’ancien journaliste.

« Aujourd’hui cet usage se fait de plus en plus tôt, les enfants de 10 ans sont sur les réseaux malgré l’interdiction pour les moins de 13 ans. Il faut les protéger aussi. Nous ne parlons pas de fake news avec eux mais de rumeurs, nous créons du contenu sur-mesure pour les plus jeunes. »

« Nous partons des usages des gens en face de nous : nous nous adaptons en fonction du primaire, collège, lycée… Selon leurs pratiques et usages. Nous ne les jugeons ni ne les culpabilisons sur leurs pratiques, car il y a des bonnes sources d’infos sur les réseaux sociaux – il faut simplement pouvoir les identifier. »

Et de rappeler que les parents ont un rôle à jouer. « Nous les encourageons à discuter avec leurs enfants, en leur expliquant comment bien s’informer. Certaines interventions peuvent déclencher des discussions avec les enseignants et les parents, qui ne savent pas vraiment ce que font leurs enfants en ligne. Les parents constituent un public qu’on n’oublie pas, nous organisons des ateliers avec les adultes en médiathèque ou des centres sociaux pour les sensibiliser. »

L’association est fière des « retours très encourageants » des enseignants et de certains parents, et cherche à étendre son dispositif au niveau national. Elle a mis en place un laboratoire d’EMI en 2020, englobant 12 écoles primaires dans huit départements métropolitains et en Guadeloupe.

Une initiative des plus bienvenues en France, où le gouvernement ne se penche que depuis quelques années sur la question. Qu’il s’agisse d’une collaboration internationale ou de mesures gouvernementales, l’Etat français semble être en décalage avec ses concitoyens sur l’éducation aux médias : aucun programme institutionnel n’a encore été mis en place, malgré l’urgence de la situation.

Maud Baheng Daizey

La France en passe de lâcher le gouvernement de Brazzaville ?

Anatole Collinet Makosso

Une forte délégation gouvernementale du Congo-Brazzaville, conduite par son premier ministre, Anatole Collinet Makosso, arrive à Paris le 23 août pour faire la manche. Mais selon des observateurs avertis de la vie politique franco-congolaise, des nuages épais qui planeraient sur les deux pays, et d’autre part la crise socio-économique et sanitaire que traverse l’Occident, ne militent pas en faveur de cette délégation qui risque de percevoir au cours de son aumône moins de dividende que ce qu’elle espérait récolter.

Nonobstant leur hold-up électoral perpétré le 22 mars 2021 et les relations diplomatiques entretenues entre le Congo avec la Russie, la Chine, la Turquie, mais aussi les dons et legs reçus çà et là, M. Sassou et ses lieutenants n’arrivent toujours pas à sortir le Congo du gouffre. Ce pays traverse une période de récession sans pareil. Tous les indicateurs financiers sont au rouge. L’arrivée de la mission gouvernementale congolaise à Paris en France va-t-elle permettre de débloquer certains accords financiers remis aux calendes grecques depuis belle lurette ?

Pour « déblayer » le terrain, quelques lobbies et autorités politico-administratives congolais et des ministres Antoine Nicéphore Fylla Saint-Eudes et Thierry Lezin Moungalla, sont déjà à Paris. La tâche est difficile car, selon certaines indiscrétions, ces deux mousquetaires et autres sont en France non pas seulement pour prendre des contacts préliminaires avec les autorités françaises concernées par la mission du premier ministre congolais, mais aussi pour des soins médicaux. Si cette dernière thèse est vérifiée, il est normal que ces deux hommes politiques congolais s’y rendent, car, le Congo-Brazzaville est dépourvu des plateaux techniques médicaux complets.

Ces hommes politiques qui ont développé, depuis leur entrée au gouvernement, un penchant à se considérer comme le centre du monde, brillent par l’indifférence notoire vis-à-vis des difficultés et des souffrances auxquelles les populations sont confrontées avec beaucoup d’acuité. Ce n’est un secret pour personne. Ces nouveaux riches n’hésitent pas à faire main basse sur les fonds publics pour satisfaire leurs intérêts égoïstes. Pour se requinquer, ils sont admis dans les hôpitaux de renom d’Europe. Et souvent, leurs séjours médicaux répétés sont rendus possibles par l’argent du contribuable congolais.

Par ailleurs, les lobbies maçonniques, mais aussi d’affaires, qui devaient influencer certaines sphères de décisions grâce au congolo-zaïrois, Nick Fylla, sont en déroute depuis le départ du pouvoir de Nicolas Sarkozy, du Vénérable Très Grand Recessime Maitre Jean François Stifani y compris les rivalités fraternelles auxquelles des adeptes des loges sont exposés qui les caractérisent actuellement.

Il en est de même pour Thierry Lézin Moungalla et sa patronne, Claudia Lemboumba Sassou Nguesso, chargée de la communication et des relations publiques à la présidence de la République du Congo. Claudia Sassou-Nguesso et Lézin Moungalla n’ont pas pignon sur rue. Ils peinent à vendre l’image de leur pays, malgré les millions d’euros qu’ils sortent du trésor public congolais, et les manœuvres intempestives et maladroites de propagande qu’ils mettent en place pour redorer le blason terni de Sassou et du Congo à cause de certains problèmes qui fâchent. Ensuite, les deux communicateurs en chef de M.Sassou doivent solder le contentieux qu’ils ont créé, en refusant aux observateurs occidentaux et à certains journalistes, dont Florence Morice de RFI, d’avoir un œil sur déroulement de la présidentielle de mars 2021.

Ce scrutin a été purement et simplement, pour une énième fois, un hold-up électoral. Il a emporté, le même jour, Guy Brice Parfait Kolelas, challenger de Sassou Nguesso. La dépouille mortelle est toujours en dépôt à l’Institut médico-légal de Paris, depuis le 22 mars 2021 pour des recherches approfondies sur les causes de son décès. 

Du coup, les minimes chances de succès de cette délégation gouvernementale reposent désormais sur les épaules des ministres, Denis Christel Sassou NGuesso, soutenu par quelques membres du MEDEF, Roger Rigobert Andely, qui n’est pas trop pointé du doigt dans des scandales. Mais, les business français ont-ils vraiment oublié le scandale de 2010 concernant les détournements de fonds de la Banque des États de l’Afrique centrale et des obligations de la BSCA (Banque sino-congolaise pour l’Afrique), où il a été respectivement, vice-gouverneur et président du Conseil d’administration ?

Une nouvelle chance pour le Congo ?

Oui, la mission est difficile et délicate, mais, rien n’est impossible à celui qui croit. Certains hommes politiques congolais se disent confiants à l’issue heureuse des rencontres qui auront lieu. Un haut responsable du Quai d’Orsay qui s’est confié à nous, a exprimé également son optimisme quant à la réussite de la mission congolaise. Il avoue que la France, stratégiquement, n’a aucun intérêt à perdre le Congo, après les tensions qui ont été récemment observées en Centrafrique, au Mali, etc. En Afrique centrale, le Congo-Brazzaville est, économiquement, le 3ème client de la France avec un solde commercial excédentaire en 2020, estimé à 215 M euros. En sus, le patronat français qui est plus ou moins indépendant devrait donner une nouvelle chance au Congo, par le gouvernement Makosso, s’il s’engage à assainir le climat des affaires et à œuvrer pour la réduction des dépenses de prestige. D’ailleurs, le chef du gouvernement actuel qui est bien connu dans des milieux français, pour ses publications littéraires et scientifiques, mais aussi par ses différentes initiatives en faveur du rétablissement de la paix dans plusieurs pays, bénéficie donc d’une forte admiration.

Les institutions internationales, comme la Banque Mondiale, l’Unicef, l’Unesco, par exemple, qui l’ont accompagné pendant qu’il était ministre de l’Enseignement connaissent bien l’homme. « Pourvu que la lutte contre la corruption et la dilapidation des fonds publics soit une grande priorité pour son gouvernement, y compris l’éradication de la pandémie Covid-19 », a renchéri ce cadre du Quai d’Orsay.

Certes, Anatole Collinet Makosso est un homme de dialogue. Il voyage, constamment, dans des vols commerciaux, entre Pointe-Noire et Brazzaville, une manière pour lui de respecter, tant soit peu, la règle d’orthodoxie financière. Mais, tout homme sorti du moule de Sassou Nguesso est un potentiel danger. La preuve, voyons comment Collinet Makosso opérera sa transmutation. Restera-t-il comme le bois qui ne se transforme pas, même après un long séjour dans l’eau ? Laissons le temps au temps. Ses prédateurs sont en ordre de bataille, parce qu’ils souhaitent son échec. C’est un secret de polichinelle. Selon nos indiscrétions, ils se donnent déjà des tacles et militent pour faire échec à cette mission au MEDEF, auprès de l’État français et à l’union européenne.

Ghys Fortune BEMBA-DOMBE, journaliste congolais, ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ). Auteur du livre “De l’Enfer à la Liberté” (2019)

 

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