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Syrie : “Même dans le coin le plus sombre de la terre, les gens luttent tous les jours pour être heureux”

[TÉMOIGNAGE] Ameer a 22 ans, il porte des joggings et un débardeur, il a des cheveux blonds et rebelles qui lui tombent sur les épaules et deux yeux bleus qui expriment un mélange d’émotions contrastées: gentillesse, peur, courage. Arrivé à la Maison des Journalistes avec quelques minutes d’avance, il raconte son expérience en Syrie d’une voix monotone, comme si entre lui et les événements qu’il rapporte il se dressait un mur invisible et insurmontable.

“Ce ne sont pas des animaux… ce sont des monstres” – Témoignage de Zaher, journaliste syrien en exil

[PORTRAIT] Zaher raconte son histoire avec difficulté: ce n’est pas facile de rappeler les années passées à Alep, l’engagement politique contre le régime de Bachar al Assad, les mois en prison, les tortures, les persécutions, jusqu’à la fuite en Turquie. Un récit très douloureux, que Zaher reconstruit pour la Maison des Journalistes.

Le courage et la souffrance de Jahia

[PORTRAIT] Malgré les expériences amères qui ont marqué son existence, Jahia n’a pas perdu son sourire et l’amour pour sa profession qui, explique-t-elle, consiste à rapporter les faits, dire la vérité. Aujourd’hui, elle vit à la Maison Des Journalistes et attend que l’OFPRA lui accorde le droit d’asile.

“J’ai vu la haine de la société envers le journal pour lequel je travaillais”

[TÉMOIGNAGE] Entretien avec un journaliste turc exilé: “J’ai vu la haine de la société envers le journal pour lequel je travaillais”. “Même avant le coup d’Etat, on dormait dans nos bureaux au cas où la police arriverait, histoire qu’on ait le temps d’informer nos lecteurs en temps réel de ce qui se passait”.

“Un jour, peut être, je reverrai la mer d’Ismir” – Portrait de Lalbi, journaliste turc exilé

[TÉMOIGNAGE] “Si je n’avais pas téléphoné à ma mère ce jour-là, aujourd’hui je serais probablement en prison. A présent je ne peux pas rentrer en Turquie, la police m’appréhenderait à l’aéroport : c’est le prix que je paye pour avoir partagé mes caricatures sur Internet”. “Le coup d’Etat de juin 2016 ? Cela n’a été qu’une mise en scène. Le Président Erdogan veut détruire la démocratie en Turquie, effacer Atatürk de la mémoire collective et devenir le chef de la communauté musulmane au Moyen-Orient. La révolte n’était qu’un prétexte pour renforcer son pouvoir”.

“Aujourd’hui notre retour est conditionné par la chute du régime et le changement de système politique en place”

“Pour quitter le pays, j’ai payé une grosse somme d’argent à un passeur pour qu’il me permette de franchir la frontière.”

Alzitani Hani fait partie des nombreux syriens qui ont rejoint la promotion 2017 de la Maison des journalistes. Après avoir obtenu son statut de réfugié politique, il aspire à s’installer ici et démarrer une nouvelle vie en attendant, peut-être, que le régime de Bachar el Assad s’effondre.

« I don’t speak english, je parle français, un peu. » Alzeitani Hani est un journaliste syrien, il a 38 ans. Jogging et T-shirt, il s’apprête à se rendre à ses cours de français. Il insiste d’ailleurs pour raconter son parcours dans la langue de Molière. Diplômé en sociologie de l’université de Damas, il a travaillé au sein d’un centre syrien pour les médias sur les problématiques des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Là-bas, il dénonce les conditions des journalistes syriens et l’oppression dont ils sont victimes. Le journaliste cherche à comprendre comment Bachar el Assad est arrivé au pouvoir. Ainsi, tous les mois il effectue des reportages sur la situation en Syrie.

En raison de ce travail, le régime de Bachar el Assad l’arrête et l’emprisonne, lui et ses collègues, durant 3 ans. A sa sortie, les autorités le convoque pour poursuivre l’interrogatoire et font en sorte de l’empêcher de quitter le territoire. « Je savais que si je me présentais à cette convocation, ils allaient m’emprisonner à nouveau. Pour quitter le pays, j’ai payé une grosse somme d’argent à un passeur pour qu’il me permette de franchir la frontière ». Il part au Liban puis en Turquie durant 1 an et demi où il obtient un visa de l’ambassade de France : « Je suis arrivé en France en avril 2017, j’y ai appris le français. Maintenant, je souhaiterais reprendre mes études à l’université Paris Dauphine ». Alzeitani Hari voudrait également pouvoir faire des reportages de terrain. Par ailleurs, Alzeitani est inquiet pour sa famille, il sait que la distance et le temps ont impacté leurs liens : « Je suis marié mais je n’ai pas vu ma femme depuis 6 ans, elle est restée en Syrie. Donc je ne crois pas que notre relation puisse durer. Tout le reste de ma famille est en Syrie et ma situation en France ne leur permet pas de me rejoindre. »

Copyright Valentine Zeler

Souvenir

« Avec cette question du souvenir, plein d’images nous reviennent. Mais ce qui nous revient surtout ce sont des photos de destruction, des rues, des pierres. La Syrie est aujourd’hui remplie de vestiges de bâtiments. Ce sont des lieux que l’on visitait, avec lesquels on habitait. Nous, on vivait avec la pierre, avec la terre, avec les arbres. C’est toujours difficile de répondre à une question sur la mémoire, les souvenirs et les différences entre notre pays et le pays d’accueil. C’est vrai la France c’est un très beau pays, mais quand on interpelle notre pays, on interpelle aussi notre enfance et les souvenirs gravés dans la mémoire de ce pays qu’on a laissé, ou plutôt qu’on était obligé de quitter. Par exemple en ce moment ce qui me revient le plus c’est l’image de la maison où j’ai vécu durant vingt ans. C’est une maison arabe avec une architecture différentes de ce que l’on voit en France. J’ai de la chance parce que ma maison est restée intacte. Pour mes amis ce n’est pas le cas. Mais aujourd’hui notre retour est conditionné par la chute du régime et le changement de système politique en place. »

Un portrait signé Romain Vignaux-Demarquay et Valentine Zeler

Conversation de bistrot : “Méfiez-vous des amalgames et ne tombez pas dans la marmelade !”

 

Mangeur de bambou, moi Yuan Meng, le panda né en exil au zoo de Beauval, j’en entends des trucs depuis mon enclos. Les gens discutent, bavardent, s’étripent ou se congratulent. Au rayon de leurs conversations favorites, un sujet qui m’est familier : les médias. Et tout ça parfois à cause de moi. Voici pourquoi et comment.

Dialogue entendu récemment, dans le genre « conversation de bistrot », faut bien l’avouer :

– C’est un ours en noir et blanc ! A dit quelqu’un en me contemplant (car on ne me « regarde » pas : on me « contemple »).

– Voui, voui : il est de la race des ursidés, celle des ours. Lui a répondu un autre qui passait par là, en bon passant tout occupé à passer…

– Merci pour la nouvelle. J’avais jamais fait le rapprochement… faut dire que c’est pas dans les médias qu’on aurait appris ça.

– Vous lisez quoi ?

– Heu… rien.

– Moi non plus.

– De toute façon on sait pas à quoi ils servent tous ces torchons de papier…  auxquels j’ajoute aussi les radios, les sites web et les TV qui nous saoulent avec leurs débats et leurs nouvelles tordues. Gna, gna, gna, tous les mêmes …

– Ouais, ouais : tout ça c’est de la mélasse, au mieux : de la confiture, voyez. On nous dit que c’est de la fraise mais ça n’en est pas. On nous dit que c’est de la framboise ou de l’orange mais ça n’en est pas. On nous dit…

– … Que c’est de la rhubarbe…

– … Et ça n’en est pas, assurément. Tous menteurs, cher monsieur !!!!!!!!!

– Je vois, monsieur, que nous nous entendons. Il est agréable de croiser ainsi d’honorables citoyens tels que vous, au hasard d’une promenade, et avec qui – de plus – il est possible d’échanger de saines idées en toute quiétude, loin des gêneurs ! Voyez-vous : je pense qu’on devrait les faire taire tous ces bavards du clavier et du micro.

– C’est bien vrai ! Comme ça on serait mieux informé !

Des journalistes bientôt transformés en croquettes ?

Là, ce qui devait advenir et advenu :  je me suis roulé au sol. Ce n’était pas une chute, pas une glissade malencontreuse mais l’abrupte manifestation de mon irrépressible désir… d’hurler de rire. Tous les médias dans un même bocal, donc, avec une étagère de cuisine pour unique horizon. Ça c’est fait. Et les journalistes, pour leur part, on les transforme en croquettes ou en fruits confits ? Serait-ce bon pour votre régime (dans tous les sens du terme, hmmmm ?).

Obèse, désinformé et jouet des puissants sans état d’âme : ce serait alors ton destin, mon ami. Je te le dis. A partir de là, c’est toi qui vois.

Mon œil de panda est affûté

Qu’on se le répète « ubi et orbi » : le panda, lui, ne sera jamais pris la patte dans le pot de confiture car le panda, lui, a le temps de lire, de regarder et d’écouter. Le panda mène une existence édifiante, mais si, mais si… Le panda sait qu’il n’y a guère de rapport entre le Petit Bleu du Lot-et-Garonne et CNN, pas plus qu’entre un reporter de guerre, un journaliste d’investigation et un commentateur de la vie politique ou un chroniqueur sportif. Tous apportent leur pierre à l’édifice (en professionnels qu’ils sont encore). Avec de tels ingrédients, pas possible de les amalgamer et d’en faire de la confiture.

Plus fort avec une métaphore

Osons « la métaphore » (j’aime décidément beaucoup ce mot tellement à la mode, dis donc) : toutes ces filles et tous ces gars qui nous observent et qui nous parlent, les journalistes, sont les fondations au moins autant que la charpente et aussi bien que les murs de notre maison commune…

Les gens peuvent se moquer et me traiter de naïf… Néanmoins, je sais que les enfants, eux, me comprennent (c’est ce que m’assure mon traducteur qui les rencontre dans des débats autour des médias). Ils savent bien que l’information ce n’est pas de la marmelade (la branche anglaise de la famille des confitures), pas même une toute autre mixture indigeste, à la composition et à l’origine inconnues. Les médias n’ont pas pour destin de finir sauvagement amalgamés et en tartines (de confiture, bien sûr). Ils n’en voudraient pas.

L’enfance c’est l’avenir en chantant !

NON. Les enfants ne l’ignorent pas, eux. Pendant que TOUS les adultes (j’amalgame, j’amalgame avec jubilation et mauvaise foi, comprenez bien) pendant que tous les adultes se vautrent donc dans leur suffisance et dans la pièce d’à côté, à l’heure du goûter les enfants apprennent à lire en déchiffrant les étiquettes, mine de rien. Plus tard, ils liront peut-être « Confiture Magazine » sur leur smartphone … et, au bout du compte, ils sauront faire la différence, avec nuances, entre ceci ET cela, entre une marmelade et la diversité des médias.

J’ose l’espérer, moi le panda animé par le rêve d’un avenir qui chante : Ils sauront de quoi ils parlent, eux, nom d’un bambou !

Crédit : Sylvie Howlett

Yuan Meng

(Traduction de Denis PERRIN)