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Congo, le viol est devenu banal : Chouchou Namegabe à l’Oeil de l’exilé

[Propos recueillis par Larbi GRAÏNE]

Mme Chouchou Namegabe qui se définit comme journaliste « formée sur le tas » se bat depuis des années pour mettre fin au viol des femmes en République démocratique du Congo (RDC). Elle a crée 26 clubs radiophoniques pour initier les femmes rurales au journalisme radio à même de leur permettre de répercuter la voix des victimes. Elle dénonce le silence des médias internationaux sur cette question. Nous l’avons rencontrée à Bordeaux lors de la cérémonie de la remise du prix Albert Londres le 12 mai dernier. Entretien.

Photo par afemsk.blogspot.fr

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L’Œil de l’exilé – Vous dénoncez le viol sur les femmes utilisé comme arme de guerre, selon vous qui en sont les auteurs ?

Dans la majorité des cas, les viols sont commis par les FDLR (Forces démocratiques et de libération du Rwanda). Ces troupes sont celles-là mêmes qui avaient commis le génocide du Rwanda. Elles avaient été débarquées au Congo avec armes et munitions avec la bénédiction de la communauté internationale. Ceux qui usent de violence comme arme de guerre contre les femmes ont des idées derrière la tête : pousser la population à quitter les endroits qui regorgent de minerais ou qui renferment des terres fertiles. Derrière cette extermination par le viol de toute une communauté, il y a une cause économique profonde.
Les guerres sont connues comme étant des moments où explosent les viols, est-ce à dire que dans votre pays ces viols présentent quelque chose de spécifique ?
Absolument. Il ne s’agit pas seulement de viol. Si c’était du viol uniquement on n’aurait pas eu recours à la destruction du vagin de la femme. Au début, je pensais que les militaires commettaient ces viols pour assouvir un désir sexuel comme cela arrive en période de guerre, mais ce n’est pas le cas. Les témoignages que nous recueillons sont horribles. Les violences s’accompagnent d’atrocités à premières vues incompréhensibles. On procède de la sorte, pas pour tuer. Après avoir commis leur forfait, les soldats introduisent des branches d’arbre dans le vagin de ces femmes jusqu’à les faire hurler de douleur, ils y introduisent aussi de l’essence et mettent le feu jusqu’à brûler l’utérus. Ensuite ils éteignent le feu avant de laisser leurs victimes se tortiller dans leurs blessures. Le viol est utilisé comme technique de stérilisation pour détruire l’origine même de la vie, on va jusqu’à boucher l’orifice par lequel l’enfant vient à la vie. Des mères de familles de trois ou quatre enfants ont subi le même sort. Pis, elles voient leurs gosses abattus, découpés en morceaux avant d’être obligée d’en manger la chair. Ces actes abjects visent à punir par le biais des femmes les futures générations. On viole même les bébés. Une petite fille qui vient de naître, qui ne connait même pas ce qu’est la vie, on l’a détruit. C’est ignoble, incompréhensible. Et cela dure depuis 20 ans. Des milliers de femmes ont subi ces viols. D’après les dernières statistiques officielles, en moyenne quatre femmes par jour subissent des agressions sexuelles. Vous savez, il n’y a pas d’établissements psychiatriques à même de prendre en charge ces victimes et je me demande quel sera l’avenir de cette population.
Que font les autorités face à ces énormités ?
Les autorités disent qu’elles sont conscientes du problème. Mais la population n’est pas protégée. Il y a plusieurs groupes armés qui opèrent à l’est de la république démocratique du Congo (RDC, NDLR). On en a identifié 36 à peu près. Parmi eux, il y a des groupes armés étrangers et des milices locales qui font la même chose à cause de l’impunité. Mais la majorité de cas de viol, est le fait des groupes armés étrangers. Tout le monde se tait, c’est une question taboue, même si les victimes commencent à parler, à dénoncer en faisant du bruit dans les médias. Il y a une grande banalisation qui s’est installée autour de la question. Finalement au Congo, ce n’est plus considéré comme un crime. A cause de l’impunité, les civils imitent désormais les groupes armés et en viennent à perpétrer la même violence. Pourtant la grande force des Nations-unis dépêchée au Congo (l’ancienne Monuc, rebaptisée Monusco (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, NDLR) avait en 2010 un effectif de 17 000 hommes. Je ne comprends pas comment cette grande force si bien équipée et si professionnelle, si je puis dire, n’a pas su arrêter ce fléau.

Qu’en est-il de la police et des services de sécurité congolais ?
Comme vous le savez, il y a eu à l’est de la république démocratique du Congo plusieurs guerres à répétition, les rebelles avaient occupé des territoires, ce qui a fait que le pays avait été coupé en plusieurs morceaux. Il y a eu des moments où les autorités ont perdu le contrôle de la région orientale du Congo à cause de cette occupation. Des armées étrangères s’y déployaient dont la rwandaise, l’ougandaise, la burundaise, etc. Au final, la guerre au Congo a impliqué 11 pays, qui sont en fait tous les pays limitrophes. Il y a des territoires qui sont contrôlés par des milices, la police et l’armée n’y sont pas présentes, c’est pourquoi la population est vouée à son triste sort. Elle n’a personne pour la protéger. S’y ajoute le fait que l’armée congolaise est constituée d’un mélange d’éléments divers venus de partout. Il y a eu brassage, mixage, et intégration des rebelles et des violeurs d’hier, tous ces gens perpétuent ces crimes.

Vous avez donc créé une association qui regroupe les femmes des médias pour briser l’omerta qui pèse sur ces violations des droits humains…
Oui, nous avons conscience cependant que nous ne pouvons faire le travail du gouvernement. Notre rôle est de faire passer l’information. En tant que journaliste, on dispose de ce pouvoir. On a réfléchi à comment faire bénéficier ce pouvoir aux femmes pour faire entendre leurs voix. On leur a donné la parole et tendu le micro. Nous sommes toutes des journalistes formées sur le tas, faute d’école de formation en journalisme viables et professionnelles. On développe cependant des techniques de formation et de renforcement de nos capacités entre nous-mêmes. On profite des opportunités qui se présentent. Au cas où des journalistes sont de passage, nous organisons avec eux des stages au profit de nos journalistes apprenties. Nous travaillons surtout avec des femmes vivant en milieu rural car c’est à ce niveau qu’il y a beaucoup de problèmes. Notre objectif est de faire d’elles les porte-voix des victimes, et de leur faire jouer le rôle de relais auprès des autres femmes. Elles sont regroupées dans des noyaux clubs d’écoute, et elles reçoivent des cours sur toutes les thématiques possibles comme le journalisme, les droits humains, la démographie, la bonne gouvernance. La première chose qu’on a faite pour elles, c’est leur faciliter l’accès à l’information. On s’était rendu compte que la radio était l’apanage de l’homme. Les femmes n’y avaient pas le droit. Nous les avons dotées d’un poste récepteur car une personne informée n’est pas d’un même niveau qu’une personne qui ne l’est pas. Aujourd’hui ces femmes peuvent approcher les autorités. Elles partagent l’information, écoutent, échangent avec les autres.

Pourquoi avoir choisi la radio ?
C’est l’unique moyen que nous avons là-bas. La presse écrite n’y est pas très développée, vu que la majorité de la population est analphabète, il y a plus de 80 % de gens illettrés. Nous produisons des émissions radio, et nous payons pour qu’elles soient diffusées, c’est la voix des femmes que nous portons très loin.

Vous avez souligné l’aspect programmé, planifié de ces violences sur les femmes, à qui exactement vous faites allusion ?
Je pense que la responsabilité des pays voisins et des grandes compagnies est engagée. Vous pouvez vérifier sur internet en allant sur la bourse des matières premières, le Rwanda était le premier exportateur du coltan, lequel est le minerai qui sert à la fabrication des composants électroniques, notamment dans la téléphonie. Ils utilisent le viol comme arme de guerre afin de décimer toute une communauté et s’accaparer des ressources minières que renferme son territoire. Il y a un rapport qui a été publié par les experts des nations-unies qui détaille l’identité de ces compagnies. Cela dit, je me demande pourquoi les médias internationaux se murent dans le silence. Ils n’évoquent plus ce fléau qui détruit le Congo, alors qu’il s’agit d’un génocide planifié. Le viol a été décrété par l’ONU comme un crime contre l’Humanité. Plusieurs résolutions sur la lutte contre les sévices sexuels ont été adoptées par l’organisme onusien. Mais on peut regretter le fait qu’elles ne soient pas contraignantes. Malheureusement, on ne voit aucune action venir arrêter tout cela. Si les médias en parlaient, si une documentation importante se constituait là-dessus, on s’attaquerait à la vraie cause, car il faut une investigation sérieuse, bien fouillée, à même de changer les politiques.

La Kabylie est-elle encore algérienne ?

[Par Larbi GRAÏNE]

Photo par Nolasco promenade.en.kabylie.over-blog.com

Photo par Nolasco promenade.en.kabylie.over-blog.com

Dans leur analyse de l’évolution de la situation politique en Algérie, la plupart des observateurs et autres spécialistes qui tentent de décrypter la réalité de ce pays ignorent ou feignent d’ignorer pour des raisons idéologiques, sans doute, l’importance de la poussée du mouvement nationalitaire en Kabylie sous l’impulsion du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), un parti qui s’est doté, avant même qu’il en vienne à prêcher le séparatisme, d’une instance exécutive : le gouvernement provisoire kabyle (GPK) que dirige en exil Ferhat Mehenni. Seules la reconduction d’un président invalide dont on se plait à donner en spectacle la maladie et l’attitude des différentes factions de l’armée vis-à-vis de cette reconduction semblent ainsi retenir l’attention de la plupart des analystes. Et pourtant un événement majeur vient de se produire en ce 27 avril 2014, à la veille même où Bouteflika devait prêter serment sur un fauteuil roulant et déclamer un passage renouvelant son engagement à défendre l’unité nationale. Des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Tizi-Ouzou la capitale de la Kabylie pour réclamer l’autodétermination pour le pays kabyle. Ainsi les manifestants ont brandi des pancartes en faveur du GPK et du MAK et ont crié à tue-tête leur refus que Bouteflika soit leur président. Cette manifestation qui a drainé une foule des grands jours, a été organisée également pour protester contre la répression de la marche traditionnelle célébrant le Printemps berbère du 20 avril 1980 à laquelle a appelé une semaine auparavant ce même MAK ainsi que quelques anciennes figures du moribond Mouvement culturel berbère (MCB)

Qui est derrière le MAK ?
Pour certains bons esprits, la réponse est toute trouvée, cette organisation séparatiste ne peut être que l’œuvre de la CIA, des services secrets israéliens ou français car il n’est pas aisé de nommer l’innommable dans un pays nourri à un nationalisme hanté par une guerre traumatique qui a mis fin à 130 ans d’occupation française. On a affaire à un pays non seulement nourri au nationalisme mais aussi aux fantasmes du néocolonialisme qui rejettent la responsabilité à l’ancien colonisateur, le hizb fransa, (parti de la France), souvent assimilé aux Berbères.
S’il y a bien une entité en Algérie qui soit très dépendante de l’étranger c’est bien la bourgeoisie parasitaire, appelée aussi compradore. Organiquement liée aux multinationales, cette bourgeoisie s’occupe uniquement de l’importation de produits finis, n’ayant à proposer aucune production, ni postes d’emploi (1). Dans les entreprises pétrolières du Sud, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) totalement inféodée aux pontes du système, s’interdit toute incursion à l’effet de syndiquer les travailleurs. Cette bourgeoisie des containers fait fructifier ses affaires en faisant des placements à l’étranger généralement concentrés dans l’immobilier. (Quelques noms nous sont connus : Cherif Rahmani, Abdelmoumène Khalifa, Chakib Khelil et Amar Saadani). Généralement ce sont les représentants civils de la bourgeoisie compradore, qui sont ainsi donnés en pâture aux médias. Le noyau dur formé par pantouflage, terme qui désigne en France « la situation trouvée dans le secteur privé par un militaire ou un fonctionnaire issu de l’Ecole polytechnique » est quasi invisible. Le scandale de la corruption qui a éclaboussé la compagnie des hydrocarbures, Sonatrach, donne un aperçu sur les ramifications internationales du dépeçage de l’économie algérienne. Italie, France, Hong Kong, Luxembourg, Syrie, Canada, Singapour, Emirat Arabes Unis, Liban, Suisse, et nous en oublions. Enfin summum de la décrépitude de l’Etat, l’affaire de Tinguentourine dont la conséquence immédiate est la rupture du pacte avec les puissances étrangères qui jusqu’ici concédaient aux autorités militaires algériennes une certaine compétence quant à lutter contre le terrorisme international. Après cet épisode sanglant dans lequel des ressortissants étrangers laissèrent leur peau, il fut procédé à la restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) dirigé par Mohamed Mediene alias Toufik.

Octobre 88, la fausse ouverture.
Depuis les émeutes d’Octobre de 1988, auxquelles on fait remonter l’ouverture démocratique qui en fait n’en a jamais été une, l’économie algérienne subit une libéralisation sauvage qui a eu pour effet de démanteler le tissu industriel de l’Algérie. Survivant en partie grâce à l’émigration interne, la Kabylie, région montagneuse mais densément peuplée, s’il en est, accuse plus que les autres régions du pays, les contrecoups du néolibéralisme mondial. Si pendant la guerre civile la région fut en gros épargnée par le terrorisme, il n’en demeure pas moins que les autorités ont soigneusement évité un conflit ouvert avec les berbéristes du moment que ces dernières s’occupaient de livrer une guerre sans merci aux islamistes radicaux. Se déployer sur deux fronts en même temps, eût été improductif pour le pouvoir qui a donc tout fait pour que la Kabylie reste dans le calme. A cette époque le RCD avait fait le choix de s’allier avec l’armée, pensant ainsi sauver l’identité berbère et contrer l’islamisme. Le Front des forces socialistes ( FFS ) quant à lui, avait cherché à réduire l’islamisme, en s’attaquant au clan de l’armée qui a ordonné l’arrêt des élections de 1992. Mais après dix années de guerre civile, la bourgeoisie parasitaire épaulée par sa police politique a poursuivi le pillage des richesses du pays sous le label de la réconciliation nationale avec les terroristes dont elle confia la mise en œuvre à celui qu’elle vient de porter au pouvoir : Abdelaziz Bouteflika (avril 1999). Pour autant la recomposition du pouvoir en place n’apporte guère la stabilité souhaitée au pays. Deux ans après l’élection de Bouteflika, les signes d’essoufflement apparaissent. La convoitise du pétrole que ravive l’envolée des cours, alimente la tension entre les factions de la bourgeoisie compradore pour le contrôle des leviers du pouvoir. C’est la Kabylie qui devait en payer le prix. En avril 2001, à la veille de la traditionnelle commémoration du Printemps berbère, la gendarmerie tire à balle réelle sur des jeunes, déclenchant ainsi l’insurrection qui devait aboutir à l’expulsion du pays kabyle des brigades de gendarmerie et à la promotion du tamazight (le berbère) en langue nationale. Le conflit qui dura jusqu’en 2003 causa, en plus de dégâts matériels importants, plus de 100 morts et des milliers de blessés parmi la population locale, des adolescents pour la plupart. La Kabylie sembla alors rentrer dans une dissidence larvée avec le pouvoir central. Le mouvement fut inédit de par sa durée, son fonctionnement et son action qui culmina en une marche à Alger la plus importante qu’ait jamais connue, la capitale.

Les âarouch ou le discrédit des partis kabyles.
C’est dans ce contexte qu’avait surgi le MAK d’abord sous la dénomination de Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie, même si sa naissance fut couverte par le vacarme d’une rébellion massivement encadrée par les âarouch, une organisation se réclamant de la tradition tribale berbère. Ceux-ci tirent leur originalité de ce qu’ils prônent une militance moderne tout en prétendant s’inspirer de la coutume des ancêtres. D’aucuns y ont vu à tort un mouvement régressif.
L’affront fait par la gendarmerie à la population locale suscita chez elle un désir de se retrouver unie sous un pouvoir régional. C’est ainsi que les âarouch avaient pu résoudre, du moins pour un temps la contradiction entre le FFS et le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), deux partis à base principalement kabyle qui ont pris depuis 1989 coutume de se disputer la représentativité de la Kabylie, lors même qu’ils ont vocation à être des partis nationaux. La compétition entre les deux formations kabyles a eu pour effet de neutraliser la marche vers l’avant de la Kabylie. Ayant compris cela, les âarouch ont, dès leur irruption sur la scène politique algérienne, jeté l’exclusive sur le système partisan local. Il va sans dire que les deux formations ne se remettront jamais de cette confrontation avec ce mouvement. Du reste il s’ensuivra une querelle tripolaire (âarouch-RCD-FFS) qui devait subrepticement conduire à la consumation des énergies locales, chacun affaiblissant l’autre jusqu’à l’effondrement. Souvenons-nous des locales de 2002 rejetées par les âarouch, boycottées par le RCD et jouées par le FFS. Du reste les animateurs au sein des âarouch, ont réussi en 2005 à obtenir la révocation des « indu-élus » après qu’ils eurent mené des tractations avec le gouvernement d’Ahmed Ouyahia. Aussi des élections partielles furent-elles organisées pour renouveler la composante des collectivités locales. C’est ainsi que le FFS a vu ses élus remettre leur mandat avant de les mener à leur terme. Trainés dans la boue, les partis kabyles ont connu à l’issue de cet épisode trouble un réel discrédit.

Printemps berbère contre Printemps arabe.
Les changements sociaux internationaux et nationaux ont toujours pesé sur l’organisation de la protestation en Kabylie. Pour faire pression sur le pouvoir, un parti comme le FFS, a maintes fois, recouru aux tribunes internationales ayant émergé après la chute du mur de Berlin. Le rôle de l’Union européenne et celui de plus en plus accru des Etats-Unis en tant que superpuissance, furent tenus en compte par la direction du doyen des partis de l’opposition. Le parti d’Aït Ahmed avait fait sensation en adressant, en mai 2001, en pleine ascension des âarouch en Kabylie, un mémorandum « pour une transition démocratique » au Président de la république et « aux généraux décideurs ».  Mais la Kabylie, voire l’Algérie a souvent pâti de l’imprévisibilité des événements internationaux. Alors que le régime algérien semblait pendant l’insurrection des âarouch faire l’objet d’une étroite surveillance internationale, rien ne laissait présager à ce moment-là qu’un événement considérable allait ébranler le monde occidental. Le 11 septembre 2001, Al-Qaïda attaquait les deux tours de New York, d’où du reste, il va en résulter brutalement ce fait qu’au nom de la lutte contre le terrorisme international, les Etats-Unis doivent reconsidérer leurs relations avec les dictatures du monde entier. Ce qui va dorénavant importer le plus pour l’ogre américain, c’est moins la promotion de la démocratie et le développement dans le monde, relégués désormais aux calendes grecques, que leur propre sécurité. C’est ainsi qu’Alger a été intégré dans le système de défense américain du Sahel. (2)
L’idée de revendiquer le droit à l’autodétermination pour la Kabylie a germé en plein de ce qu’on appelle le Printemps arabe. La chute de Hosni Moubarak, la décomposition de la Libye dont l’effondrement du régime a été accéléré par les frappes de l’OTAN, et l’explosion de la revendication amazighe (berbère) qui s’en est suivie au Djebel Nefoussa, l’officialisation de tamazight au Maroc après les grandes manifestations du mouvement du 20 février, la crise touarègue au Mali, ont achevé de signifier le caractère artificiel du monde arabe. C’est au cours de son 2e congrès qui s’est déroulé en décembre 2011 à Bouzeguene, que le MAK a adopté une résolution faisant explicitement référence au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le 4 octobre 2013, à l’issue d’une session de son conseil national à Aït Hamdoun (Bouira), le mouvement autonomiste annonce officiellement sa transformation en parti indépendantiste, réclamant l’autodétermination. Au demeurant, pour Ferhat Mehenni, le Printemps arabe, cristallise l’implosion de ce bric-à-brac appelé monde arabe, qui représente à ses yeux une mosaïque d’Etats postcoloniaux dont les frontières tracées par le colonialisme, sont à refaire.

Islamisme et stratégie du MAK.
Après avoir réduit politiquement le Front islamique du salut (FIS), la bourgeoisie compradore souffrant d’assises populaires, s’est alliée avec le courant soit disant modéré de l’islam politique. En même temps que s’ouvrait pour ce dernier les circuits de la prébende étatique, ce courant entreprit avec l’assistance du DRS de diffuser l’idéologie islamiste dans le pays. La réislamisation s’est traduite concrètement par la fermeture des bars et l’interdiction faite aux restaurants classés d’ouvrir pendant le ramadan, chose qui fut admise jusqu’à la fin des années 80. Les étrangers non musulmans, doivent se débrouiller pour manger. Ils n’ont d’autres choix s’ils sont riches que de se rabattre sur les hôtels de haut standing mais qui pratiquent à leur grand dam des prix prohibitifs.

Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle (missionfalestine.wordpress.com)

Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle (missionfalestine.wordpress.com)

Si pendant la guerre civile des maisons closes ont baissé rideau pour des raisons de sécurité, il n’y a pas eu depuis aucune qui n’ait été rouverte. C’est une réislamisation de bazar à en juger la forme qu’elle a prise : les boissons alcoolisées sont consommées dans des débits clandestins et la prostitution se pratique dans des maisons closes clandestines. En 2008, on dénombrait, selon l’avocate Benbrahem, citée par la presse, dans la seule ville d’Alger 8000 de ces maisons de rendez vous. Mais la courbe de consommation des boissons alcoolisées en Algérie ne faiblit pas, au contraire, elle est en constante évolution. Parallèlement les espaces culturels ont diminué comme une peau de chagrin. Les salles de cinéma ont été détournées de leur vocation tandis que des librairies ont baissé rideau lorsqu’elles n’ont pas cédé leurs rayonnages au livre religieux. Aussi l’ensemble des chaines de radio et les quatre chaines de la télévision d’Etat, s’astreignent-elles à interrompre leur programme à l’heure de la prière pour diffuser l’appel du muezzin. La promotion de la tenue vestimentaire féminine avec le hidjab, se fait officieusement. Dans les administrations publiques, sur les plateaux de télévision, le voile islamique se taille subrepticement la place de l’habit normatif et conventionnel. Les prises de paroles publiques se truffent de formules coraniques de type « Macha’ Allah, Hamdou- li- El-Allah » tandis que les mémoires et les thèses universitaires, souvent quasi nuls sur le plan du contenu scientifique, sont épigraphiées et clôturées par de longues citations tirées du Coran ou des dits du Prophète Mohamed. La police, parfois la gendarmerie, n’ont eu de cesse de leur côté tout au long de ces dix dernières années de jouer aux brigades des mœurs en se spécialisant dans la répression des personnes qui oseraient durant le ramadan rompre le jeûne avant l’heure prescrite.
Dans une nouvelle retentissante au long titre incisif et ironique « L’incroyable et inimaginable histoire de l’homme qui voulait prendre une bière à Alger » l’écrivain Mohamed Kacimi, peint avec une poignante réalité une société cataclysmique où « il suffit que le jour décline pour que la Blanche se transforme en gouffre ». Après une longue absence, un Algérois retourne chez lui et se met en quête des petits bistrots d’antan qui côtoyaient de petits havres culturels tels les cinémas et les librairies, où il pouvait trouver le meilleur de la littérature. Mais à sa surprise tous les lieux où il avait passé son adolescence ont disparu sous l’effet d’une désertification de l’esprit dont on peut deviner la cause au style allusif du narrateur « Vers dix sept heures, écrit-il, et avant que les milliers de minarets ne hurlent la prière du crépuscule, les rues se vident d’un coup des filles et des femmes, déjà toutes voilées et il ne reste, collés aux murs, qu’un magma d’hommes, barbus, moustachus, ou coiffés à l’iroquoise et dégoulinant de gel, fumant clope sur clope ».
Cette réislamisation rampante réactive la rengaine anti-berbère et polarise l’angoisse sur les fantasmes liés à la conquête arabe de la Berbérie. Souvent certains titres de presse que relaye la vox populi en pays arabophone, désigne la Kabylie comme un lieu de libéralité d’où la religion est absente. Les manœuvres de la bourgeoisie compradore qui a ses représentants jusqu’en Kabylie, confortent cette imagerie en alimentant les réseaux de drogue, de prostitution et de débits de boissons alcoolisés, accordés à titre de largesses à des magnats locaux, et ce, dans le but d’annihiler toute résistance au projet de dépersonnalisation de la région. Ainsi s’éclaire la double focalisation sur le mouvement évangéliste et les procès mettant en cause les non jeûneurs kabyles durant le mois de ramadan. A vrai dire le courant islamisant ne fait que reconduire le procédé dont historiquement ont usé les conquérants levantins pour arabiser les Amazighs. Ailleurs en Algérie où l’arabisation linguistique est accomplie, on ne cherche pas à savoir si l’on jeûne où si l’on se prostitue. « Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Salah Guemriche. Cet auteur qui a mené une enquête sur l’évangélisation, montre que celle-ci concerne l’ensemble du Maghreb et du Moyen-Orient. (3)
La riposte du MAK face à ces campagnes de culpabilisation des Kabyles marque une rupture avec la tradition politique des organisations kabyles. C’est à partir des valeurs laïques que ce parti entend défendre la pratique religieuse se refusant ainsi de se laisser entrainer dans le piège de vouloir concurrencer les islamistes sur leur propre terrain. Certes d’autres formations se sont réclamées de la laïcité mais elles n’ont pas osé aller au-delà du discours, ou de la posture qui consiste à laisser leurs militants exprimer individuellement leur solidarité envers les nouveaux convertis lors des rassemblements organisés en leur faveur. On évoque même le terme de « sécularisation » au lieu de la laïcité. Ce qui permet d’articuler celle-ci à une donnée sociohistorique kabyle, à savoir que les sociétés villageoises se sont depuis la nuit du temps prises en charge par elles-mêmes en dissociant les affaires de la cité de la religion. La sécularisation en Kabylie puise sa philosophie de la locution sententielle populaire « j’maa liman » (au nom de toutes les croyances). La laïcité décrirait plutôt la réalité européenne, qui renvoie à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Au lieu du « nous avons le plus grand nombre de mosquées » ou du « nous nous abreuvons à l’islam de nos ancêtres », le MAK déclare respecter au nom de la laïcité, tous les citoyens kabyles qu’ils soient chrétiens, musulmans ou non croyants.

Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (Yawatani.com)

Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (Yawatani.com)

S’agissant du FFS et du RCD, en raison de l’accusation portée contre eux d’être des formations régionalistes cantonnées à la Kabylie, ils se sont bien gardés de franchir certaines lignes rouges quant à la défense des convertis. Il n’y a que le courant nationalitaire qui a pris explicitement fait et cause pour ces derniers. Au lendemain d’un raid mené en décembre 2009 contre des chrétiens kabyles par des adolescents à la Nouvelle-Ville de Tizi-Ouzou, le MAK, alors autonomiste, s’est fendu d’un communiqué pour déclarer que « c’est la rencontre de la Kabylie avec le christianisme qui poserait problème aux plus hautes autorités du pays, car renforçant l’occidentalophilie de celle-ci et son combat pour son autonomie régionale ». Les attaques contre les chrétiens sont jugées comme une incitation à susciter de la part des Kabyles des appels à davantage d’islamisation. La stratégie du MAK va consister alors à associer le combat pour l’affirmation de l’identité kabyle, – la kabylité-, avec la défense de la laïcité. A l’appel du mouvement autonomiste, des milliers de marcheurs ont défilé le 12 janvier 2010, à Tizi-Ouzou et Bejaïa pour fêter le nouvel an berbère et réclamer « l’autonomie régionale kabyle » et « dénoncer l’agression honteuse (contre les chrétiens, NDLR) et exprimer notre attachement à la liberté de culte ». Les autonomistes sont sortis renforcés des procès de convertis que ce soit à Aïn El Hammam ou à Larbâa Nath Irathen.
Face à la police des mœurs, encline à sévir contre des jeunes pour les contraindre à respecter l’observance du carême durant le mois de ramadan, le mouvement nationalitaire kabyle prône un déjeuner public de non jeûneurs à Tizi-Ouzou. On est au ramadan 2013, l’appel à défendre la liberté de conscience est entendu. Des centaines de personnes sont venues boire et casser la croûte sous les flash-photos. Une première dans le monde musulman. Tacticien à souhait, le MAK parvient toujours à sortir du lot même si l’action est initiée par des personnalités (dont son président) plutôt que par l’organisation elle-même. Sa visibilité est rendue possible grâce à son action durable sur le terrain, palpable du reste depuis plus d’une dizaine d’années au moins, laissant au RCD et au FFS le soin de ronger comme des os pourris, les élections législatives et municipales. La suite des événements montre que les tentatives répétées pour réislamiser la société kabyle n’ont pas eu l’effet escompté. Bien entendu les islamistes avec barbes et kamis sont présents en Kabylie, leur poids demeure cependant insignifiant. Mais il y a bel et bien un face-à-face entre berbérisme et islamisme, lequel a remplacé le clivage berbérisme-arabisme, qui dans le fond se rejoignent. Ce face-à-face se déroule à ciel ouvert. Ainsi après l’affront du carême rompu, l’ancien dirigeant du Front islamique du salut (FIS), Ali Belhadj, accompagné d’une assemblée de clercs, est venu sur les lieux mêmes où l’on avait quelques jours auparavant dénoncé l’inquisition de l’Etat, pour condamner les agissements des « impies ». Mais ce monsieur qui se présente en Kabylie en tant qu’islamiste ou missionnaire, est vu par les Kabyles comme un « Arabe ».

Le panberbérisme makiste.
On l’attendait moins sur le terrain du panberbérisme, et pourtant c’est la prouesse réalisée par le mouvement indépendantiste, lequel a réussi à convaincre Kameleddine Fekhar, défenseur de l’identité et de la culture mozabites, de la nécessité de revendiquer pour le Mzab, le droit à l’autonomie. Le 20 avril 2014, les deux hommes ont présidé un rassemblement sur le Parvis des droits de l’Homme à Paris, en présence de Yella Houha, fondateur du Mouvement autonomiste chaoui (MAC), une organisation moins bien connue. On le voit bien, s’étant libéré des contraintes dont sont hantés les partis « kabyles » à vocation nationale, le MAK est allé jusqu’à se déployer en dehors des limites territoriales qu’il s’était fixées. Au nom de la laïcité et de la solidarité berbère, il prend la défense de la minorité mozabite, adepte de l’islam ibadite et sur laquelle pèse un ethnocide d’autant plus dangereux qu’il est soutenu par la bourgeoisie parasitaire. Le MAK a adopté la même attitude par rapport au conflit qui oppose les touaregs (autre groupe berbère) à l’Etat malien et ce, en soutenant les rebelles du MNLA. Il devient clair que le courant indépendantiste en Kabylie caresse l’espoir de redessiner la carte géopolitique de l’Afrique du Nord.

Le MCB ou l’héritage maudit.
Il n’a pas échappé à certains le fait que le sigle MCB dont on n’entend plus parler depuis la fin des années 90, est réapparu cette année à l’occasion de la célébration du 20 avril. Un groupe d’anciens militants de ce mouvement a signé en effet un appel à une marche pour revendiquer l’officialisation de tamazight. Tout porte à croire que l’initiative avait pour motivation réelle de faire écran à la marche à laquelle avait appelée le MAK pour le même jour.

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Saïd Sadi, fondateur et ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (elwatan.com)

Le MCB est à l’origine un regroupement informel d’intellectuels militants dont l’action a trouvé un écho retentissant auprès de la masse de la population kabyle. L’université de Tizi-Ouzou, fut le fer de lance de ce mouvement qui devait soulever la question berbère en Algérie. Il fut le premier mouvement social d’importance après l’accession du pays à l’indépendance. Il révéla l’ampleur de l’adhésion populaire à la revendication de la culture amazighe. Le MCB est crédité d’être aussi l’une des premières nébuleuses politiques à être approchées par le pouvoir au lendemain des émeutes sanglantes d’octobre 1988. A en croire des sources proches de ce mouvement citées du reste par l’historien Alain Mahé, le général Larbi Belkhir, chef de cabinet de la présidence avait pris contact avec quelques personnalités du MCB dont Saïd Sadi, futur dirigeant du RCD, lequel avait fait entre 1978 et 1982 un passage dans le parti d’Aït Ahmed du temps de la clandestinité et Hachemi Naït Djoudi, qui deviendra, après sa légalisation secrétaire général du FFS entre 1989 et 1991. Toujours est-il que le MCB constitua un enjeu de taille au cœur de luttes, que ce soit pour la constitution du RCD ou la relance du FFS que la clandestinité avait réduit à une structure presque vide. Aussi ceux qui avaient convoqué les assises du MCB, – Saïd Sadi et ses amis – furent-ils en réalité ses fossoyeurs, car les fameuses assises qui se tinrent en février 1989 à Tizi-Ouzou, durent accoucher du RCD. Entre le nouveau parti et le FFS, ce sera désormais une course contre la montre en vue du contrôle du MCB, qui représente le seul cadre à même de procurer la légitimité politique en Kabylie. En janvier 1994, le RCD mis en place le « MCB-coordination nationale », ce qui poussa le MCB alors proche du FFS d’adopter l’appellation « MCB-commissions nationales ». Quand le mot d’ordre du boycott scolaire sera lancé à la rentrée scolaire 94-95, il se passera à peu près neuf mois avant que les autorités décident d’installer le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA). Entre temps, Ferhat Mehenni, alors dirigeant du MCB-coordination nationale est poussé à la porte de sortie du fait d’un désaccord avec Saïd Sadi quant à la gestion du boycott. Au final si le HCA s’attèlera très vite à introduire la langue berbère dans le système éducatif algérien, il n’en absorbera pas moins une partie des militants du MCB. Nombre d’entre eux fourniront les effectifs enseignants, tandis que d’autres s’investiront dans des projets éditoriaux de livres berbères, ou dans le cinéma et la télévision d’expression amazighe. Le MCB soutient l’hypothèse que le peuple algérien est formé d’Arabophones et de Berbérophones mais qui dans la majorité sont d’origine berbère. Il plaide pour un statut national et officiel pour tamazight. L’Etat algérien a beau jeu de reprendre à son compte la formulation du MCB, à savoir que le peuple algérien est majoritairement berbère, (ce qui est vrai d’un point de vue scientifique), mais il ne l’en assortit pas moins de l’énoncé implicite qu’il faut s’en tenir aux apports de l’arabe et de l’islam. Tous les chefs d’Etat depuis Chadli Bendjedid ont concédé : « Nous sommes des Berbères que l’islam a arabisés ». Il s’ensuit que pour le pouvoir algérien les Algériens sont des Arabes et des musulmans. Si l’Etat insiste sur le fait que la composante berbère de l’identité algérienne est un patrimoine qui appartient à tous les Algériens, c’est pour empêcher une région ou une partie du peuple de se prévaloir du monopole de la berbérité. Justement le MAK met en pièces ce système conceptuel sur la berbérité en considérant le peuple algérien comme un peuple composé d’Arabes et de Berbères. Dans le peuple algérien, il ne s’y voit déjà plus. Le peuple kabyle est opposé au peuple arabe, les Mozabites, aux Châamba arabes, les Chaouis aux Arabes de l’Est, etc. C’est une vision qui découle d’une essentialisation de la race ou d’une ethnicisation à même de trouver un écho dans le régionalisme qui traverse la société algérienne. Mais cette conception a des conséquences dissolvantes pour l’Etat-nation. Le pouvoir central algérien aura maille à partir avec une revendication circonscrite à l’ancien territoire des Zouaouas (tribu Kabyle du Djurdjura) et à la partie occidentale de celui des Kotamas (tribu Kabyle des Babors), formant un ensemble très individualisé dont l’origine remonte au moins aux temps médiévaux.
Tout compte fait, la résurrection du MCB parait donc plus relever du mythe que d’une donnée concrète. Depuis le Printemps noir de 2001, la Kabylie entretient des rapports de véritable rupture avec l’Etat central. Le courant autonomiste n’aurait pu s’y ancrer s’il n’avait pas trouvé un terrain fertile. On peut dater les premières velléités autonomistes aux affrontements violents ayant suivi l’assassinat en 1998 du chanteur Matoub Lounès. Trois ans après, c’est au tour des âarouch d’entretenir une situation de violence permanente avec sa plate-forme d’El Kseur « scellée et non négociable ». Si ces derniers n’ont pas explicitement réclamé l’autonomie régionale, il n’en reste pas moins que dans les faits ils se sont conformés à son esprit. Ils ont exigé le départ de la gendarmerie, perçue comme une force d’occupation, comme ils ont « rejeté » toute élection qui se déroulerait sur le territoire de la Kabylie. Les évolutions en cours attestent de l’accentuation de la singularité kabyle. En plus de sa fête « nationale » qui est le 20 avril, la Kabylie sous l’impulsion du MAK célèbre depuis au moins quatre années le jour de l’an berbère qui correspond au 12 janvier. Des marches sont organisées pour marquer cet événement, ce qui encore détache la Kabylie du reste du pays. L’emblème algérien tend de plus en plus à s’effacer au profit du drapeau berbère, qu’on brandit dans les manifestations publiques et sur les gradins des stades quand joue la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie), l’équipe fétiche de la région (4). Le mouvement séparatiste à vrai dire multiplie les occasions pour cristalliser la conscience identitaire collective, dès lors que la conscience ethnique renforce la conscience politique. De ce fait le pouvoir d’Alger est de plus en plus soumis à rude épreuve. Célébrée, la kabylité est adossée, outre à la laïcité, à l’occidentalisme qui prend ainsi le contre-pied de l’arabo-islamisme. Passons sur le fait que l’amitié avec Israël est exaltée. Point n’est donc besoin d’expliquer que l’adoption par les Kabyles des caractères latins pour transcrire le tamazight, contrairement à ce qui a été dit à ce sujet, n’est pas d’ordre purement technique mais bel et bien d’ordre idéologique.

De la question berbère à la question kabyle.
Mais les difficultés sont à venir. Le 20 avril de cette année a été entaché par la tuerie en Kabylie de soldats de l’armée nationale populaire. Ce qui augure de dérapages vers un conflit sécuritaire, ce qui est de nature à pousser le courant indépendantiste à entrer en concurrence avec le détenteur de la violence légitime. Le terrorisme en Kabylie opère depuis le Printemps noir, c’est-à-dire au moment où il s’était tu dans le reste de l’Algérie. C’est un fait connu que la bourgeoisie compradore est prompte à instrumentaliser le terrorisme pour criminaliser tout mouvement de contestation qui la met en danger.
Bientôt le pouvoir algérien sera appelé à répondre plus constamment à des actes qui passeront à ses yeux comme des actes de défiance à son égard. Le parti de Bouaziz Ait Chebib (n°1 du MAK) est sur le point de faire élire le drapeau kabyle. Les électeurs kabyles à travers une opération inédite sont conviés à choisir le drapeau de leur nation parmi plus de 80 spécimens. La proclamation du drapeau national kabyle est prévue le 14 juin prochain, à l’occasion baptisée « journée de la nation kabyle » en référence à la marche des âarouch de 2001 qui avait drainé plus de deux millions de manifestants à Alger.
En définitive la promotion de tamazight en langue nationale n’a pas réglé la question berbère en Algérie. Elle s’est même mutée en question kabyle. Avec le recul, on se rend compte que la constitutionnalisation en 2002 de cette langue fut une concession visant à désamorcer l’insurrection des âarouch et à maintenir en l’état le système politique en vigueur. L’Etat a fait le contraire de ce qu’il a laissé entendre. Il a régionalisé la langue berbère, en veillant à ce que son enseignement (toujours facultatif) ne déborde pas le pays kabyle et ne s’implante pas à Alger où pourtant il y a une forte demande sociale. L’Etat a, lui-même, fait le lit du MAK. Quand Mouloud Hamrouche dit que nous avons affaire à un pouvoir anti-national en faisant allusion aux trois compartiments qui le composent (DRS-présidence-les généraux) il insinue par là que la dislocation de l’Algérie n’est pas seulement un mythe.

Notes :

1. Nous distinguons la bourgeoisie compradore de la bourgeoisie industrieuse, productrice de richesses. Issad Rebrab, fait partie en Algérie de cette dernière même si au départ il a bénéficié d’un coup de pousse qui lui a permis de bénéficier d’un prêt bancaire. Lors des émeutes dites de « l’huile et du sucre » de janvier 2011, un bras de fer s’était engagé entre les deux bourgeoisies, il s’est soldé par la victoire de la compradore qui a fait revenir le gouvernement sur sa décision d’imposer un impôt aux importateurs ainsi qu’un contrôle draconien sur leur activité.

2. La presse algérienne a fait état d’un deal qui aurait été secrètement conclu en 2011 entre le pouvoir et le FFS au moment où les manifestations de rue se multipliaient à Alger dans la foulée du « printemps arabe ».Ce fut l’époque où l’on chassait les chefs d’Etat arabes tombés en disgrâce, et où déjà Zine El Abidine Ben Ali, Mouammar Khadafi et le raïs égyptien, Hosni Moubarak, avaient été déchus. Des ministres et des officiels algériens se sont alors empressés de déclarer à certains journaux que Bouteflika (bien avant qu’il ne soit terrassé par son AVC), n’envisageait nullement de briguer un quatrième mandat. Le pouvoir montrait des signes de faiblesse disait-on. L’ex premier secrétaire du FFS, Karim Tabbou qui avait été démis de ses fonctions à la veille des législatives de mai 2012, a relayé du reste, ces soupçons de contacts avec la présidence de la république notamment. Mais en octobre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait une résolution enjoignant aux pays ouest-africains de préciser leurs plans en vue d’une intervention militaire au Mali. Finalement le deal supposé entre le FFS et le pouvoir en place n’a pas vu de concrétisation sur le terrain, le parti d’Aït Ahmed n’ayant soutenu aucun candidat lors de la présidentielle de 2014, ni apporté une quelconque caution à la réélection de Bouteflika. Le FFS n’aurait-il pas une seconde fois été desservi par une conjoncture internationale défavorable, presque imputable à la même cause qui avait été à l’origine de l’échec de son mémorandum de 2001, à savoir l’impératif de lutter contre al-Qaïda ?

3. Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, Enquête sur les conversions en terre d’islam, Denoël, Paris, 2011.

4. A noter que le drapeau berbère actuellement usité en Kabylie est un drapeau panberbère. Formé de 3 bandes horizontales bleu, vert, jaune, avec au milieu, transcrite en rouge,  la lettre Z en tifinagh; il fut conçu vers les années 70 par l’Académie berbère fondée à Paris par le Kabyle Mohand Arab Bessaoud. En 1998 le Congrès mondial amazigh (CMA) l’a proclamé comme drapeau commun à tous les Berbères. Ce qui explique sa diffusion non seulement en Kabylie (et d’autres régions d’Algérie), mais aussi aux îles Canaries, au Maroc, en Tunisie, en Libye et chez les Touaregs du Mali.

Altermondes : Partenaire de la MDJ / L’œil de l’exilé

Altermondes : Conférence-débat Médias & Citoyens en images

[Photos de Muzaffar SALMAN, 15 septembre 2014]

Altermondes - Médias&Citoyens [Photo crédit : M. Salman]

Altermondes – Médias&Citoyens [Photo crédit : M. Salman]



larbigraineLe Front National et le vote immigré

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Larbi GRAINE : Altermondes n° 39 / Septembre 2014]

 

cherifdialloAntiijihad : La sécurité et la liberté

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Sékou Chérif  DIALLO : Altermondes n° 40 / Décembre 2014]

 

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Boko Haram : Non au silence !

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Marciano Romaric Kenzo Chembo : Altermondes n° 41 / Mars 2015]

 

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Loi sur le renseignement Déception chez les réfugiés

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Marie Angélique Ingabire : Altermondes
n° 42 / Juin 2015]

 

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Daesh Menace sur l’Asie Centrale

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Sadegh Hamzeh :  Altermondes n°43 / Septembre 2015]

 

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Attentats de Paris: la compassion vis-à-vis de la France divise les Africains

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par René Dassié :  Altermondes n°44 / Décembre 2015]

 

 

Elyse-NGABIREBurundi : Paroles, paroles de la Communauté Internationale ? 

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Elyse Ngabire :  Altermondes n°45 / Mars 2016]

 

 

Prix Albert Londres : Philippe Pujol et un trio sur le podium

[Par Larbi GRAÏNEenvoyé spécial à Bordeaux]

Le prix Albert Londres 2014, le plus prestigieux des prix francophones, a été décerné lundi 12 mai à quatre journalistes. Il s’agit de Philippe Pujol, du quotidien local « La Marseillaise » et de trois réalisateurs d’un reportage télé tourné en Afghanistan et au Pakistan et diffusé par France 2. Ce trio est formé du Pakistanais Taha Siddiqui et des Français Julien Fouchet et Sylvain Lepetit. Philippe Pujol, qui s’est vu donc attribué le prix de la presse écrite est un spécialiste des faits divers, le jury l’a choisi pour sa série de dix articles « Quartiers Shit » parue sur « La Marseillaise » tout au long de l’été 2013. Présidé par la journaliste Annick Cojean, le Jury a, cette année, opté pour Bordeaux quant à la remise du prix, cette ville ayant été l’un des ports d’où est parti Albert Londres pour réaliser ses reportages, dont beaucoup ont ciblé l’Afrique. L’édition de cette année est dédiée à l’ancienne présidente du Jury, Josette Alia, décédée le 1er mai dernier.

Philippe Pujol reçoit le prix Albert Londres

Philippe Pujol reçoit le prix Albert Londres (Nicolas Tucat/AFP)

Avant l’entame de la cérémonie de remise du prix qui devait se dérouler en fin de journée, on a écorché un peu et ce, devant un parterre d’étudiants de l’Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA) la profession journalistique, comme on en a souligné également ses vertus. Il a fallu surtout coller à l’esprit de celui auquel la cérémonie est dédiée: Albert Londres et au prix qu’il a inspiré et dont la grave sentence : « mettre la plume dans la plaie », a été mise au fronton d’une série de conférences qui s’est étalée de 9h du matin jusqu’aux coups de 18 heures. Pour Annick Cojean, la cérémonie de remise de ce prix « est pour nous (journalistes, NDLR) une journée de dialogue ». En tout cinq conférences étaient au menu de cette manifestation, laquelle a tenté de rendre compte des conditions de la pratique du métier de journaliste sur une aire géographique s’étendant de la Syrie au Canada en passant par le Congo, la France et la Chine.

La Syrie, un conflit périlleux pour les gens des médias.
Jean-Pierre Perrin journaliste à Libération, spécialiste du Moyen- Orient et Michel Moutot, journaliste à l’AFP, ont essayé à propos de la Syrie de répondre à la question de savoir «comment couvrir le conflit le plus meurtrier pour les journalistes ? ». Les deux hommes ont séjourné à plusieurs reprises dans ce pays et le récit qu’ils en ramènent décrit une situation chaotique, insaisissable et opaque, faite de crimes à huis-clos. « On est toujours dans l’ignorance, on ne voit pas ce qui se passe au niveau même de l’opposition. On parle d’Abou Bakr Baghdadi, personne ne sait qui est-il, personne ne connait son âge, ni son lieu de naissance, je voudrais en faire un portrait, mais c’est impossible. C’est le miroir inversé de Ben Laden qui raffolait de passer sous les caméras, lui, il apparait toujours encagoulé, c’est l’homme qui n’existe pas. Le secret est voulu par toutes les parties» regrette sur un ton amère Jean-Pierre Perrin pour qui le régime d’Assad « est à l’affût du moindre écrit ». Telle que décrite, la Syrie apparait comme une citadelle imprenable. En mars 2012, Michel Moutot a tenté de regagner le territoire syrien à partir de la Turquie, mais sans succès alors que l’agence AFP pour laquelle il travaille dispose d’un bureau à Damas. Perrin, a, quant à lui, essayé en 2011 de se frayer un chemin vers ce pays, à partir du Liban, mais sa tentative n’aboutit pas. Par la suite, une organisation lui propose de l’y emmener moyennant la somme de 1200 dollars, mais Perrin décline l’offre. Il a préféré revenir quelques mois après, au moment où la 3e ville de Syrie, Homs, était devenue l’épicentre de la révolution. A l’époque, il avait été hébergé par un paysan sur la frontière libano-syrienne. Et de confesser qu’il avait fait la rencontre d’une célèbre journaliste américaine, Marie Colbin, « plus organisée que moi », qui, en cherchant, elle aussi à faire un reportage en Syrie, avait été mise au courant de l’existence d’un tunnel sous-terrain qui conduisait jusqu’à la ville insurgée. Le journaliste français a donc emboité le pas à l’Américaine. S’il a pu parvenir à Homs, il en sera toutefois expulsé quelques jours plus tard par le même tunnel. Michel Moutot a expliqué comment une agence comme l’AFP est obligée de recourir au système D pour continuer à informer. Selon lui, du fait des dangers que présente la situation, l’agence depuis janvier 2013 a décidé de ne plus envoyer personne sur le front. Les informations que l’agence peut collecter a-t-il ajouté, sont recueillies auprès d’un réseau de correspondants communicant sur Skype. Et d’ajouter « ils savent qu’ils sont écoutés, mais ça reste faisable, les gens le font par militantisme, ils veulent informer sur leur pays ». D’après lui « il n’y a qu’un tiers ou un quart de ce qu’on reçoit qui soit fiable ». Il reconnait l’important rôle joué par l’observatoire syrien des droits de l’Homme qui a-t-il souligné contrôle un réseau de 230 correspondants dont beaucoup de médecins. « On sait qu’il n’est pas neutre, (l’Observatoire, NDLR) puisqu’il s’oppose au pouvoir, mais on fait ce qu’on peut » a-t-il dit.

Les copies des pigistes refusées.
Pour ne pas encourager les pigistes à prendre des initiatives consistant à couvrir des événements dangereux que les rédactions elles-mêmes refusent de couvrir, les journaux commencent à rejeter les papiers commis par des pigistes qui ont été de leur propre chef sur le théâtre des opérations. Si les rédactions acceptent les papiers des pigistes, elles auront alors du mal à justifier le refus d’envoyer un journaliste permanent explique-t-on.

Le témoignage bouleversant d’une journaliste congolaise.
En plus d’une communication sur la mafia du Québec faite par la journaliste à radio Canada, Marie-Maude Denis, dont nous publierons l’interview accordée à l’œil de l’Exilé dans les prochains jours, une autre communication a attiré particulièrement l’attention, c’est celle de la journaliste du Congo démocratique, Chouchou Namegabe, qui a dénoncé «  Le viol » utilisé «  comme une arme de guerre » par des groupes armés rebelles. (Nous publierons prochainement l’interview qu’elle nous a accordée). Ces sévices sexuels d’une horreur abominable sont pratiqués a-t-elle détaillé même sur des bébés de deux ans. Pour perpétrer des viols sur les femmes, des raids prennent pour cible des villages. Certaines femmes ont été forcées, après avoir été violées, de faire acte de cannibalisme en mangeant la chair de leurs petits enfants tués devant elles avant d’être découpés en morceaux. Pour lutter contre cette monstruosité derrière laquelle se profile l’image hideuse de multinationales trop intéressées par les ressources minières que renferment les terres, cette journaliste-courage de la radio a crée 26 clubs radiophoniques dont elle a confié la gestion à des femmes du cru, formées sur le tas pour devenir journalistes. Depuis lors celles-ci s’occupent d’informer via les ondes sur l’état de leur village et signaler en temps réel tout mouvement suspect des bandes armées.

Sécurité des journalistes, vers un durcissement de la législation

Par Larbi GRAÏNE

Reporters Sans Frontières (RSF) préconise la nomination d’un rapporteur spécial de l’ONU sur la sécurité des journalistes à l’effet de lutter contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes a indiqué (hier 5 mai) Christophe Deloire, le secrétaire général de cette ONG qui s’exprimait lors d’une conférence internationale sur la liberté de la presse organisée au siège de l’Unesco à Paris et ce, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse.

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Une journée déclinée cette année sous le thème de « La liberté des médias pour un avenir meilleur : contribuer à l’agenda de développement post-2015 ». Une véritable prise de conscience de la nécessité de protéger les journalistes des assassinats semble être ainsi engagée. L’année 2012 a été particulièrement meurtrière pour la profession. Et pour cause, 89 journalistes ont été assassinés. Un funèbre record depuis 1995, année où RSF a commencé à faire état de son classement annuel. A retenir aussi cet autre chiffre macabre : 450 journalistes ont été tués en six ans. Il est vrai que l’assassinat de deux journalistes français au Mali, achève de signifier que nul journaliste n’est à l’abri d’une élimination physique tragique. Christophe Deloire a annoncé en outre que l’organisation qu’il dirige œuvre pour la modification de l’article 8 du Statut de la Cour pénale internationale relatif aux crimes de guerre, dans le sens de l’élargir aux journalistes car a-t-il expliqué c’est le droit à l’information qui est atteint. Désormais le « fait de lancer des attaques délibérées contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé » sera passible de sévères sanctions. RSF envisage également en plus d’introduire dans le corpus de la charte internationale des Droits de l’Homme des observations générales relatives aux journalistes, la mise en place d’une représentation locale au niveau du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies, à qui serait donnée mandat de traiter les dossiers de journalistes menacés. Répondant à une question de L’Œil de l’Exilé de savoir s’il y a possibilité d’inclure le critère du degré de syndicalisation des journalistes quant à l’établissement par RSF du classement annuel relatif à la liberté d’expression dans le monde, Christophe Deloire, tout en relevant la « pertinence » de la problématique, a indiqué que le classement se fait sur la base de 120 questions.

La situation n’est pas idyllique en Algérie
Evoquant la situation de la presse en Algérie, le secrétaire général de RSF, n’a pas manqué de noter la 121e place affecté à ce pays en 2014 avant de faire observer que « la situation des journalistes en Algérie n’est pas idyllique ». Ernest Sagaga, responsable du département des droits de l’Homme et de la sécurité au sein de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), que nous avons rencontré en marge de la conférence, abonde dans le même sens. Selon lui « la situation de la presse au Maghreb est précaire et difficile ». La représentation de la FIJ à Alger a fermé sa porte et le Syndicat national des journalistes (SNJ) n’est pas fonctionnel » a-t-il reconnu. Et de conclure que seule la mobilisation des journalistes algériens est à même d’imposer le changement.

AlJazeera dans la tourmente
De son côté, Mostefa Souag, directeur d’AlJazeera Media Network a dressé un véritable réquisitoire contre l’Egypte qu’il a présentée comme un « modèle d’oppression contre les gens des médias ». Il a évoqué le cas des journalistes d’AlJazeera jetés en prison par la Justice du Caire. « L’un d’eux a fait 100 jours de grève de la faim, on l’a fait sortir de sa cellule pour le faire passer devant le juge un 3 mai (journée mondiale de la presse, NDLR) » a-t-il fulminé. Et d’ajouter « en fin de compte, son procès a été reporté de 45 jours et le journaliste est retourné en prison. Le juge n’a pas trouvé mieux que de lui souhaiter une bonne journée de la presse ». Pour Mostefa Souag « la lutte contre le terrorisme ne peut être un alibi pour terroriser tout le monde ».

La déclaration de Paris
Notons que la conférence internationale se poursuit aujourd’hui (6 mai 2014) pour son deuxième jour. Hier à l’issue de la première journée, les participants à la conférence ont adopté la déclaration de Paris dans laquelle ils appellent le Groupe de travail ouvert de l’ONU sur les objectifs de développement durable à « intégrer pleinement, dans les documents adéquats les questions de la liberté de la presse, de l’indépendance des médias, de l’accès à l’information, tel que proposé par le rapport du Panel de haut niveau de l’ONU, et d’inclure ces préoccupations dans l’élaboration des objectifs et des indicateurs de gouvernance et de développement ». S’adressant aux Etats membres de l’Unesco, les auteurs de la déclaration ont demandé entre autres à ce que ceux-ci s’assurent « que les crimes commis à l’encontre des journalistes feront l’objet d’enquêtes et de poursuites indépendantes, rapides et efficaces, que les condamnations de la Directrice générale (de l’Unesco NDLR) lors de meurtres commis envers les journalistes, auront pour résultat une réponse exhaustive et rapide sur la poursuite des investigations judiciaires, tels que décidé par le Programme international pour le développement de la communication de l’Unesco (PIDC) ». En outre la déclaration interpellent également les journalistes, les associations professionnelles, les médias, les intermédiaires de l’Internet et les praticiens de médias sociaux afin de « participer au débat sur la liberté d’expression et le développement et à soutenir le Plan d’Action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité grâce à des questions conjointes ou complémentaires, et améliorer la coopération ».

Le témoignage de Makaila

Le célèbre blogueur tchadien Makaila Nguebla, qui a trouvé refuge à la Maison des journalistes (MDJ) de Paris, est monté hier à la tribune de l’Unesco pour témoigner sur les réalités amères des pratiques autoritaires des régimes africains à l’endroit des blogueurs et des journalistes. Après avoir fui son pays, le Tchad, Makaila se retrouve dans une terrible cavale. Partout où il était arrivé, il avait été traqué car les actes de persécution émanant de l’Etat d’origine n’ont pas de frontières. Pourfendeur du président tchadien Idriss Déby Itno, ce militant racé des droits de l’Homme est fiché comme un malfrat chez les polices africaines. Tour à tour le Sénégal, la Tunisie l’expulse, avant qu’il atterrisse en Espagne. Mais c’est finalement la France qui, la première, lui accorde l’asile politique.

Algérie : Le métier de figurant dans les élections présidentielles

[Par Larbi GRAÏNE]

La figuration dans les processus électoraux pour plébisciter le Président de la République en Algérie est devenue une constante depuis l’avènement du multipartisme. En effet depuis que le système politique algérien s’est trouvé dans l’obligation d’organiser des élections présidentielles avec plusieurs candidats afin de les revêtir de la légitimité démocratique et de la dimension pluraliste qui leur sied, on assiste à des candidatures à la figuration, qui proposent de jouer la scène de la rivalité avec le candidat de l’armée. Au temps du parti unique où seul le Front de libération national (FLN) régentait le pays, les choses étaient plus simples, puisqu’il suffisait de faire élire le candidat du parti préalablement coopté par le haut commandement militaire. Seconds couteaux ou lièvres, ces figurants qui ont pour mission d’habiller de l’apparence de la pluralité les scrutins de l’unicité, se recrutent pour certains parmi les leaders issus de la première vague de partis politiques de l’opposition (qu’ils soient islamistes, berbéristes ou laïcs) agrées durant la période précédant l’arrêt des élections gagnées par le FIS, Front islamique du Salut (entre 1989 et 1992), et pour d’autres parmi les vagues plus tardives des années 2000. Au demeurant Ali Benflis est la seule personnalité du sérail à s’être prêté au jeu de la figuration électorale.

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1999 : une élection sans figurants
Toutes les élections présidentielles sous le régime multipartite ont été animées par des figurants, à l’exception cependant de la présidentielle de 1999 qui a vu le retrait à la veille des élections des six candidats opposés à Abdelaziz Bouteflika (Hocine Aït Ahmed, Youcef Khatib, Mokdad Sifi, Mouloud Hamrouche, Abdellah Djaballah, Ahmed Taleb Ibrahimi). En fait ces élections-là sont dans l’absolu des élections sans figurants. Malgré la bonne volonté affichée par le général Zeroual quant à garantir un scrutin transparent, ces hommes n’ont pas voulu se laisser piéger par un processus électoral grandement miné. Ils ont donc laissé Bouteflika remporter l’élection mais sans lui offrir les avantages d’une élection multipartite.

1995 : acte fondateur de la figuration
La fabrique des figurants avant de prendre le caractère qu’on lui connait aujourd’hui, visait au départ des personnalités plus aptes à jouer la comédie, plus rompues au jeu du déguisement. Dans le cas algérien, l’acte fondateur de la figuration électorale a été signé lors de la présidentielle de 1995 qui devait mettre fin aux institutions transitoires nées de la guerre civile. Copté par ses pairs de l’armée, le général Liamine Zeroual, alors chef d’une présidence collégiale, dénommée Haut comité d’Etat (HCE), quêtait la légitimité nécessaire à même de lui permettre de présider aux destinées d’un pays traversant une des phases les plus chaotiques de son histoire. Il fut donc décidé de l’adouber en tant que président de la République par le recours au suffrage des électeurs. Liamine Zeroual a eu en face de lui trois figurants en les personnes de Mahfoud Nahnah, (le figurant malgré lui), alors chef du parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui avait désavoué l’insurrection armée du FIS, Saïd Sadi, dirigeant du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), parti berbériste, principalement implanté en Kabylie, et Noureddine Boukrouh (futur ministre du Commerce), mais leader d’une formation sans ancrage : le Parti du renouveau algérien (PRA). Le véritable rival du général fut à vrai dire Mahfoud Nahnah. Le cas Nahnah rappelle celui de Benflis car l’organisation de la présidentielle avec des figurants implique la présence parmi eux de la tête d’affiche créditée d’être en mesure de concurrencer le candidat du régime. Dans ce type d’élection la tête d’affiche est évidemment abusée et appâtée par la singularité du contexte dans lequel se déroule le scrutin. Pour Nahnah, c’est la guerre civile où l’on peut espérer l’effondrement du système et pour Benflis, c’est l’exacerbation des luttes claniques sur fond d’infirmité d’un chef d’Etat, qui se présente comme candidat à sa propre succession. On peut supposer que les têtes d’affiche sont approchées par des personnalités du sérail qui leur souffleraient à l’oreille que c’est le moment ou jamais de descendre dans l’arène. Maquiller un scrutin fermé en scrutin ouvert a revêtu du reste une importance cruciale pour le pouvoir en place. L’ancien wali (préfet) d’Oran, Bachir Frik, a révélé récemment qu’il fut instruit quand il était en fonction, de collecter les signatures et des parrainages au profit de Saïd Sadi et de Noureddine Boukrouh afin qu’ils puissent se présenter à l’élection présidentielle face à Zeroual. Ouvrons cette parenthèse pour dire que c’est Saïd Sadi à qui revient la palme de la figuration en ceci que son jeu a été le plus difficile à percer du moins à ses débuts. Bénéficiant de la militance berbère en Kabylie, où il avait pris coutume de sortir ses crocs face au pouvoir oppresseur d’une culture minorée, l’ancien dirigeant du RCD peut aisément en sous main pactiser avec ceux qu’il n’arrête pas publiquement de dénoncer.

Fléchissement
On note cependant un certain infléchissement dans le camouflage électoral depuis la gifle de 1999. Le pouvoir en place ne se donne plus la même peine pour y impliquer des personnalités représentatives des courants de pensée qui traversent la société. Le pouvoir militaire attend des partis politiques auxquels il vient d’accorder l’agrément qu’ils produisent désormais des leaders – figurants afin d’accompagner l’homme qu’il s’est choisi. A travers ces procédures d’agrément, on assure entre autres le renouvellement du personnel d’ornementation et l’entretien d’une clientèle malléable et corvéable à merci.

 

Les figurants dans l’élection de 2014

La présidentielle algérienne du 17 avril 2014 qui vient de reconduire pour la quatrième fois consécutive Abdelaziz Bouteflika à son poste de chef d’Etat, procède de la même architecture. A l’exception d’Ali Benflis, les autres candidats censés croiser le fer avec le président sortant, ont tous enfourché volontairement le cheval de la figuration, qu’il s’agisse d’Abdelaziz Belaïd, de Louisa Hanoune, d’Ali Fawzi Rebaïne ou de Moussa Touati. Pour service rendu, le figurant voit par la suite son parti rétribué en sièges au parlement, ou au niveau des collectivités locales et en divers autres avantages.

 

Abdelaziz Belaïd
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Médecin de formation, ce transfuge de 51 ans du FLN, dont il était le plus jeune membre du comité central fut député pendant dix ans et occupa le poste de secrétaire général de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), une organisation satellite du même FLN. En février 2012, il fonde le Front Moustakbal (FM) (Front de l’Avenir). Agrée au cours de la même année, il obtient quelques mois plus tard et ce, à l’issue des législatives de mai 2012 deux sièges à l’assemblée algérienne, venant ainsi renforcer la pléthore des formations ornementales existantes. Il est l’un des rares sinon le seul parti à disposer et ce, dès sa fondation d’un siège national flambant neuf acquis dans le « privé ». Le FM suscite l’intérêt des petits patrons qui ambitionnent d’avoir leur entrée au cœur du système prébendier algérien.

 

Ali Benflis
2
C’est le figurant malgré lui. Ancien ministre de la Justice avant de devenir chef de gouvernement d’août 2000 jusqu’à mai 2003. Il était donné favori lors de la présidentielle de 2004. Et pour cause il eut le soutien du général de corps d’armées Mohamed Lamari, alors chef d’Etat-major. Une partie de la presse et de la classe politique ont cru vraiment à sa victoire. Du reste Benflis paraissait pavoiser. En 2001 il est intronisé secrétaire général d’un FLN décidé de rompre avec les défaites électorales. Quand en janvier 2003, Benflis, alors chef de gouvernement s’était rendu en visite officielle à Paris, Saïd Sadi, dirigeant du RCD relevait qu’il a eu droit à un accueil digne d’un chef d’Etat. Un tel commentaire suffisait à faire de lui un présidentiable, et soit disant en passant, Saïd Sadi ne s’était pas privé une nouvelle fois de jouer aux côtés de Benflis le rôle de figurant lors de la présidentielle de 2004, savourant à l’avance le score qu’il lui serait attribué après la débâcle de Bouteflika. Mais c’est ce dernier qui l’emporta avec 84,99 % des voix. Ali Benflis, 58 ans à l’époque, en était sorti avec le score humiliant de 6,42 %. Le général Lamari a quitté son poste quatre mois plus tard « pour des raisons médicales » signant ainsi l’acte de sa défaite face au Département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui avait laissé Bouteflika gagner son second mandat. Benflis s’est retiré sur la pointe des pieds. Il ne se représentera pas à la présidentielle de 2009 qu’il sait être taillée sur mesure pour Bouteflika qui a déjà procédé à la révision de la constitution en retranchant l’article limitant le nombre de mandat présidentiel à deux. Ceux qui mettront le pied à l’étrier électoral à l’image de Louisa Hanoune, Moussa Touati, Djahid Younsi, Ali Fawzi Rebaine et Mohamed Saïd, futur ministre de la Communication, savent que les jeux sont déjà faits et que leur mission consiste à faire de la figuration. Pour autant, du point de vue du pouvoir Benflis concentre en lui toutes les qualités d’un présidentiable. Il est issu des Aurès dans l’Est du pays, dans la région qui a enfanté la majeure partie des officiers supérieurs de l’armée. Il aurait pu assurer l’alternance du pouvoir entre l’Ouest et l’Est, dès lors que Bouteflika est originaire de l’ouest. Pur produit du sérail, au moment où il aspire à monter sur le trône, Ali Benflis n’a aucun passif avec un clan particulier du pouvoir. Si on aime à pointer son opposition à Bouteflika, l’homme n’en a pas été moins son directeur de campagne pour l’élection présidentielle de 1999 avant d’assumer tour à tour les fonctions de secrétaire général de la Présidence de la République et de Chef de cabinet de la Présidence sous le même Bouteflika, lequel le désignera comme on l’a vu chef du gouvernement.

 

Louisa Hanoune
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Seule femme ayant gagné sa place de figurante parmi un casting exclusivement masculin, Louisa Hanoune, 60 ans, est à la tête du Parti des travailleurs (PT) depuis sa fondation en 1989. Il y a loin de la coupe aux lèvres entre son statut actuel et son passé militant à l’époque de la clandestinité où engagée dans l’Organisation socialiste des travailleurs (OST), elle fait preuve d’une combativité et d’une audace inouïes en assumant des positions qui lui valurent un séjour en prison au milieu des années 80. Native de Jijel, dans l’est algérien, Hanoune s’était illustrée pendant la guerre civile, en prônant la réconciliation avec les islamistes du FIS et en se posant comme la championne de la lutte contre l’intervention étrangère, se démarquant des appels à l’envoi de commissions internationales d’enquête sur les massacres de civils. Peu à peu, son discours politique perdit ses référents à l’extrême-gauche. Ses fans l’adoptèrent moins pour sa thématique trotskyste que pour sa faconde et son franc-parler que l’équivocité de sa situation de femme, a rendu encore plus percutants. Louisa Hanoune a compris d’après ce que lui renvoie l’imagerie populaire sur sa propre personne que la virilité n’a pas de sexe. Dans un message subliminal adressé aux Algériens, elle se pose comme le seul « homme » parmi les candidats à la magistrature suprême, promettant d’être le « Chavez de l’Algérie ». Tout au long des années 2000, le PT a pris part à toutes les élections législatives et Louisa Hanoune à toutes les présidentielles qui devaient consacrer le triomphe d’Abdelaziz Bouteflika. Elle s’est donc représentée trois fois, comme s’il eût été de son devoir de coller comme une ombre à l’omnipotence de Bouteflika.
Embourgeoisés, ses députés roulent aujourd’hui carrosse. Dans ses conférences de presse fustigeant le « pouvoir » où elle met assez d’allusions pour faire comprendre qu’elle ne vise pas Bouteflika, mais certains de ses ministres, Louisa Hanoune s’empresse de les corriger en croyant sérieusement à sa mission de maitresse d’élèves pris en faute et à l’égard desquels elle se sent en devoir de distribuer les bons et les mauvais points. Emportée par ses élans doctrinaux, elle attribue tous les mérites à tous ceux qui n’en ont pas. A commencer par l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le syndicat étatique, dont le chef ventripotent est devenu son affidé en tout. La cheffe inamovible du PT ne défend les travailleurs qu’en théorie. Objectivement, elle y est contre. Quand les syndicats autonomes arrachent de nouveaux droits, c’est l’UGTA, qui passe le plus clair de son temps à tenter de mettre en échec l’action des syndicats autonomes, qu’elle félicite. Quant aux familles de disparus, dont longtemps elle avait semblé défendre la cause, elle n’a pris leur parti que pour contrôler la situation par crainte du reste que le dossier ne s’internationalise. Mais lorsqu’elle a compris que pour faire valoir leurs droits, les familles étaient prêtes s’il le fallait à aller jusqu’au bout du monde, elle les a mises à la porte du siège national du PT. Pour autant la question des disparus n’en reste pas moins un thème de campagne, sans plus, qui est remis à l’honneur à la veille de chaque rendez vous électoral.

 

Ali Fawzi Rebaïne
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Natif d’Alger, Ali Fawzi Rebaïne, 59 ans, peut se targuer d’avoir eu un passé militant des temps héroïques. Qu’on en juge : fils de parents maquisards qui ont fait la guerre d’indépendance, il eut à subir des tortures dans la cellule même où quelques années plus tôt son père périt sous la torture coloniale. Et pour cause, il prit part en 1983 à un mouvement armé conduit par un certain Benchenouf (dont à vrai dire, on connait peu de choses). Aussi cet opticien de profession a-t-il participé à la création de la première ligue algérienne des droits de l’Homme en juin 1985. Accusé d’atteinte à la sureté de l’Etat pour avoir contribué à la constitution d’association illégale, il est déféré devant la Cour de sureté de l’Etat qui le condamne à 13 ans de prison. En 1987, il fut libéré, lui et ses camarades suite à une grâce présidentielle. Co-fondateur de l’association des fils et filles de martyrs dans le département d’Alger en février 1985, il en devint le premier responsable jusqu’en 1990. De ce noyau associatif qui voulait disputer la rente révolutionnaire au pouvoir en place, naquit le parti Ahd 54 (Le serment de 1954) dont Ali Rebaïne fut élu secrétaire général en 1991, puis reconduit en 1998 avant d’en être élu président successivement en avril 2002 (à l’occasion de la tenue de son congrès constitutif) puis en mars 2007. La dénonciation des harkis, (Algériens supplétifs de l’armée française) qui auraient pris après le départ des Français les leviers de commande en Algérie, est le principal thème dont s’est emparé à ses débuts Ahd 54. Ce parti qui n’a jamais osé désigner directement du doigt le pouvoir militaire, s’est contenté de concentrer ses attaques sur la personne du Président de la République qui serait entouré de harkis. Ali Fawzi Rebaïne en est à sa troisième représentation à la présidentielle après avoir pris part à celles de 2004 et 2009.
Toujours est-il que l’audience de ce parti reste insignifiante, et sa ligne politique se résume à des protestations épisodiques qui se concluent toujours par une adhésion à l’opération électorale en cours. Un des militants de ce parti, Mohamed Seddiki en l’occurrence, a été élu à deux reprises par ses pairs pour présider la Commission de surveillance des élections lors des législatives du 12 mai 2012 et des locales du 29 novembre de la même année. Cependant son action fut sujette à caution. Alors que la nouvelle loi électorale enregistrait un progrès en supprimant le principe de rémunérer les membres de la Commission de surveillance, Mohamed Seddiki montait au créneau pour réclamer de l’argent à l’Etat afin de rembourser les frais occasionnés par les différentes activités de la Commission. Pour comprendre ce qui se passe il faut avoir à l’esprit que la commission ayant élu Seddiki était composée de 52 partis aux locales et de 44 aux législatives sans compter les indépendants. Du reste 21 nouvelles formations politiques y ont fait leur entrée depuis la promulgation en 2012 des textes ayant découlé des « réformes politiques » de Bouteflika. Au fait au sein de cet aréopage de partis majoritairement éprouvettes, aucune formation de véritable opposition n’a de chance d’émerger.

 

Moussa Touati
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Chef d’un petit parti à scandale, le Front national algérien (FNA), qui se voulait à ses débuts comme un FLN épuré de ses dérives népotiques et corruptives, Moussa Touati, 60 ans a finalement produit une forme originale de militance. Celle-ci consiste en le monnayage des candidatures pour devenir députés ou maires sur les listes de son parti. Moussa Touati est le prototype même de l’opposant-client sous l’ère bouteflikienne. Il est le pur produit du système algérien dans ce qu’il a de plus éloigné de la politique, de plus dévitalisé en termes partisans. Fils d’un martyr de la révolution algérienne, ce natif des Beni Slimane dans la wilaya de Médéa, fut tour à tour adjudant dans l’armée, agent des douanes avant d’opter en 1980 pour la police. Il ne s’y plaira que le temps de dénicher une autre chapelle que du reste il bâtira de ses propres mains à la faveur d’un assouplissement de la loi sur les associations en créant en 1986 l’Onec, une organisation pour enfants de martyrs de la guerre d’indépendance. C’est en 1988 qu’il démissionne de la police afin d’être en conformité avec ses nouvelles fonctions. Aidé par le FLN, alors parti unique, lequel a le contrôle sur les mouvements liés aux anciens combattants, Moussa Touati structure son réseau mais sans toutefois réaliser son désir d’autonomie par rapport au parti dont il redoutait les velléités d’hégémonie. Tout compte fait le FLN finit par le détrôner. Après une galère qui va durer quelques mois, Touati trouve le moyen de rebondir lorsque l’armée interrompt les législatives de 1992 remportées par les islamistes. Il crée alors une nouvelle organisation d’enfant de martyrs, la Cnec (Coordination nationale des enfants de chouhada) à qu’il s’empresse de forger une identité reposant sur une allégeance au pouvoir des militaires qui « ont écarté la menace islamiste». Après un mandat à la tête de la Cnec, il fonde en 1999, le FNA, un parti politique qui se définit comme nationaliste dont il devient du reste le président en 2000. Sa première participation aux législatives de 2002 lui vaut huit sièges à l’assemblée populaire nationale (APN). Mais une législature plus tard, soit en 2007, il améliore son score en se tirant avec 13 sièges. Une belle affaire car l’année suivante, Bouteflika triple le salaire des députés en le ramenant à pas moins de 300 000 dinars algériens (2700 euros environ), soit 25 fois le Smig. Ceci n’est pas étranger à cela, des crises récurrentes ont secoué le FNA durant l’année 2012. Moussa Touati était acculé par ses opposants à partir et il s’est vu refuser l’accès au congrès extraordinaire qu’il avait lui-même convoqué. Il se tira d’affaire en avalisant un second congrès dans un autre endroit sans que l’administration ne bronche. Se posant comme un label de la députation, le FNA négocie des places d’élus à l’APN avec le premier venu qui désire se porter candidat en tant que tête de liste pour peu qu’il renfloue la caisse du parti de quelques millions de dinars . Adepte d’un populisme mâtiné d’indigence politique, le FNA est allé jusqu’à vouloir démocratiser la médiocrité. Aux journalistes qu’il reçoit au lendemain des opérations électorales entachées de fraude, il leur déclare sans ciller regretter qu’on n’ait pas gonflé les résultats pour tout le monde s’offusquant ainsi de voir uniquement certains partis avantagés par rapport à d’autres.

 

 

Marouan Omara, réalisateur de CROP : « C’est à Al Ahram où tout se décidait… »

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Souvent pour cerner la politique de nos dirigeants, politologues et journalistes, s’intéressent davantage au discours politique qu’à la photographie. Et Pourtant l’image se trouve être au cœur des manœuvres du pouvoir politique, qui en use et abuse, soit pour faire de nouvelles conquêtes, soit pour s’y maintenir. Marouan Omara, jeune photographe et réalisateur égyptien de 27 ans a dérogé à cette règle en réalisant avec l’Allemande Johanna Domke « CROP » un film complètement dédié au pouvoir de l’image. Nous l’avons rencontré en marge du Festival international du film des droits de l’Homme (FIFDH) qui s’est déroulé au cinéma Nouveau Latina à Paris du 11 au 18 mars 2014. Notons que le film a été tourné entièrement à l’intérieur du journal al Ahram, le plus grand tirage du pays. Entretien.

 

L'affiche du film "Crop"

L’affiche du film “Crop”

 

Même s’il est très court votre film est très beau, j’ai constaté que le public a eu du mal à quitter la salle à la fin de la projection…
« A vrai dire je suis satisfait que le film soit court, beaucoup parmi le public égyptien se sont accoutumés à voir des films rapides, comme les clips ou les réclames. Certains peuvent le percevoir comme lent et ennuyeux. Mais je crois que le fait qu’on ait ressenti sa « petitesse », c’est la preuve qu’on a réussi à faire passer le message, ce qui a donné l’envie de le regarder sans discontinuer pendant 47 minutes. Du reste, je n’ai pas pensé à la durée du film, ce qui m’avait importé, c’est l’idée qu’on va véhiculer sans penser que le film va être court ou long ».

 

Pourquoi, avez-vous choisi le siège d’un journal gouvernemental, Al-Ahram en l’occurrence, pour tourner ce film ?
« L’idée, c’était de cerner et de comprendre comment se fabriquaient l’information et l’image. Pendant notre enquête, on a réalisé plus de 19 interviews avec des photographes de presse, des gens des médias et des experts en communication. Nous leur avons tous posé la question de savoir qui détient le pouvoir de décision dans un journal, qui décide que telles photos méritent d’arriver au public et telles autres d’être supprimées pour qu’elles ne soient pas vues. Nous avons eu des réponses différentes. Pour certains c’est le directeur de la rédaction qui décide. Pour d’autres, c’est le chef du service photographie. Mais lorsqu’on s’est entretenu avec quelques chefs du service de photographie de certains journaux, quelques uns nous ont affirmé que c’est le directeur de la publication qui décide, alors que d’autres ont soutenu que ce sont les conseillers du Président Hosni Moubarak, qui ont ce pouvoir. Au final, on s’est rendu compte, qu’il n’y avait pas une réponse concordante et franche. Le chef de service photographie d’Al Ahram fut l’une des personnalités avec laquelle nous avons eu à nous entretenir. Au cours de cet entretien qui s’est déroulé au siège d’Al Ahram, on a découvert que ce journal était abrité par d’immenses locaux. On s’était senti alors comme dans une usine, comme dans une place forte. Il y a beaucoup de couloirs, de bureaux et d’employés, on en a déduit que c’est dans cette place où devrait être filtrées les informations. Nous nous sommes dit qu’un service, un département devrait bien s’occuper de ça. D’où l’idée de filmer à l’intérieur d’Al Ahram d’autant plus que d’une façon générale on voulait traiter de la presse en Egypte de ces 70 dernières années, qu’elle soit gouvernementale ou nationaliste ».

 

Est-ce que ça été facile pour vous de s’introduire dans le siège d’Al Ahram ?
« Cela s’est déroulé durant la première présidence assurée par l’armée après la chute de Moubarak. On s’approchait de la fin du règne des militaires sous Tantaoui, la vie politique était dominée par les grandes protestations précédant la confrontation électorale entre Morsi et Chafik. On ne savait pas qui allait s’emparer du pouvoir. Donc lorsque nous avons exprimé notre désir de filmer à l’intérieur des locaux du journal, il était difficile aux responsables de dire non ou oui. Et à vrai dire ils n’auraient jamais été capables de justifier un quelconque refus ne sachant guère de quel côté va pencher la balance. On a dû donc attendre trois mois avant qu’on nous autorise à faire notre reportage. Nous nous sommes alors entendu dire « puisque vous faites un film d’inspiration culturelle, on ne voit pas d’inconvénients ».

 

Le film planche sur l’impact des images sur le public, selon vous c’est la révolution qui construit l’image ou c’est l’image qui construit la révolution ?
« C’est la révolution qui construit l’image, c’est le peuple qui fabrique l’événement que les médias viennent couvrir. Parfois la presse gouvernementale faisait le contraire en fabriquant de fausses images pour stigmatiser des gens en les taxant de traitres et de collabos. Parfois elle soutenait que le pays est stable et qu’il n’y a pas de révolution. Mais quand les gens se sont fortement mobilisés, ils ont imposé le fait que l’image censée les refléter corresponde à la réalité ».

 

Comme l’a montré le film, les chefs d’Etat égyptiens raffolaient de l’image, ils étaient séduits par son attractivité, quelle différence y a-t-il entre Abdel Nasser, Sadat et Moubarak ?
« Oui dans la première partie du film nous avons tenté d’analyser l’image en tant qu’instrument de séduction des masses. Nous avons voulu montrer comment les chefs d’Etat ont utilisé leur image dans un but hégémonique et de domination de l’opinion. Sous Abdel Nasser, il faut rappeler que la gestion de la photo subissait les limites de l’époque qui était marquée par la photographie d’avant les dernières innovations. Dans les années 60 et 70, le nombre de photographes et de caméras était extrêmement réduit. Nasser utilisait les médias et la photographie comme moyens de communication, non pas seulement en Egypte mais également à l’échelle de la planète et plus particulièrement en direction du monde arabe. Mais le message iconique de Nasser était porteur du désir de fraternité et d’amitié à l’égard des mouvements révolutionnaires et du nationalisme arabes, auxquels il appelait de tous ses vœux. L’examen de ses photos, montre toujours un Nasser soucieux de communiquer avec son peuple, un homme modeste qui ne s’intéresse pas à sa petite personne. A l’opposé, Sadate venu aux affaires dans les années 70, bascula vers la méthode américaine, tournant ainsi le dos aux Russes. Il était grandement inspiré par les films américains. On le voit toujours en train d’exhiber ses capacités à devenir Président. Il était obsédé par l’idée de transmettre par le truchement d’un plan visuel les preuves qui établiraient combien il était extraordinaire, sage et modeste. Nous avons même eu des informations, (que le film n’a pas exploitées), selon lesquelles Sadate à ses débuts avant même qu’il entame sa carrière politique, a pris attache avec une des célèbres actrices du Caire, pour lui demander de jouer un petit rôle à ses côtés. Sadate était féru du paraitre, il était obsédé par la caméra et les flashes photos. Il s’échinait à paraitre comme un héros nationaliste, mais sa mort a révélé la réalité du personnage : ses obsèques furent quasi désertées. C’est plutôt Nasser qui a eu droit à des obsèques grandioses qui ont eu un grand retentissement dans le monde arabe. Quant à Moubarak il avait une peur bleue des médias. Il était aux côtés de Sadate lorsqu’il rendit l’âme. Moubarak sait que les médias sont la cause de l’assassinat de Sadate. Il avait adopté des faux-fuyants, étant lui même aviateur de métier, il se transformait en volatile pour gérer les affaires de l’Egypte et des médias. Il était rigide, ne manifestant aucune sympathie à l’endroit des photographes, de son entourage et de son peuple. Ses photos sont routinisées, ennuyeuses, traditionnelles, qui le montrent souvent inaugurant quelque usine. Mais tous les endroits où il apparaissait sont placés sous haute surveillance, il est très difficile de trouver une photo le montrant en train d’échanger avec les gens. Quand vous en trouvez une, elle est l’œuvre d’un travail de laboratoire inspiré par les services de renseignements. Avec le temps les Egyptiens ont fini par honnir la politique de Moubarak qui est devenue aussi ennuyeuse et rebutante que sa photo. Tout était plat, froid, sans aventure et sans rêve ».

 

Est-ce que chacun des chefs d’Etat égyptiens qui se sont succédé, avait-il eu un modèle dont il s’est inspiré pour bâtir sa propre stratégie visuelle ?
« Nasser je crois était plus proche des Soviétiques que des Américains, mais Sadate était plus proche de l’Amérique avec laquelle il entretenait beaucoup de relations. Moubarak quant à lui ne semble s’inspirer d’aucun modèle particulier. Son plan visuel était incolore et inodore. On ne peut pas dire que ses choix sur l’image peuvent s’incarner dans quoi que ce soit, c’est un mauvais mixage de beaucoup de choses. Un mixage dépourvu de toute vision ».

 

Qu’est devenu le cinéma égyptien ?
« Je crois que le cinéma égyptien a complètement disparu ces dix dernières années mais je pense qu’il va rebondir dans un proche avenir car il est appelé à exorciser ce qui s’est passé pendant la révolution. Le public égyptien est lassé et ne peut plus supporter le cinéma ayant précédé la chute de Moubarak. Le public a changé et a pris conscience des moyens d’hégémonie dont usent les gens des médias, entre réalisateurs et producteurs pour dominer les esprits. Souvent ce sont des films de bas étage avec des comédiens qui ne véhiculent ni idées ni messages ».