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« Return to Homs » : Il était une fois la guerre civile en Syrie

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Il y a de la démesure dans Return to Homs, (Retour à Homs) le film de Talal Derki réalisé en pleine guerre civile syrienne. Projeté pour la première fois en France au cinéma Nouveau Latina à Paris, le 14 et le 15 mars derniers, ce documentaire a drainé beaucoup de monde. C’est dire que les révolutions arabes continuent d’exercer sur le public parisien beaucoup de fascination au bonheur d’un Festival du film des droits de l’Homme dont cette 12e édition est du reste estampillée d’une affiche du caricaturiste syrien Ali Ferzat. De la démesure, parce que le film est d’une authenticité inouïe. Ce qu’il donne à voir et ce qu’il donne à sentir, c’est l’atrocité d’un monde dans sa nudité la plus crue. Return to Homs est l’épopée de la démolition de la 3e ville de Syrie, l’antique Emèse. C’est un reportage direct sur des événements qui n’ont pas encore livré tout leur secret.

 

Abdel Basset Sarout, leader de la révolte à Homs

Abdel Basset Sarout, leader de la révolte à Homs

 

Une histoire de la démolition
Un groupe de jeunes manifestent contre Assad. Ils croient qu’ils vont faire tomber le dictateur de Damas rien qu’en imitant les Tunisiens. Sur la place publique inondée de monde, on brandit des pancartes on hurle « Assad dégage ! », on chante et on danse. On voit bien que la rue est tombée aux mains du peuple. L’autorité publique y semble être absente. Mais les manifestants ne savent pas encore qu’un engrenage va subrepticement s’enclencher avant de faire désagréger un à un les liens de solidarité qui les unissaient auparavant. Métaphore de la guerre totale en Syrie, Homs, s’étire soudain en un feuilleton sanglant et cauchemardesque. Dès lors que les premiers manifestants tombent sous les balles assassines des forces du régime, on commence à s’armer. Les groupes rebelles se constituent et le combat s’engage rue par rue, quartier par quartier. Les rebelles se dotent de Kalachnikov puis de lance-roquettes. Le face à face avec les forces de l’ordre s’installe durablement car les partisans d’Assad ont décidé de mettre le siège sur la ville. Les rebelles, quant à eux, sont acculés à riposter dans un périmètre de plus en plus réduit. La caméra de Talal Derki qu’on ne voit pas, mais qui nous fait voir des morts en direct, on la devine cachée sur un balcon ou une terrasse d’un immeuble. Il y a de gros plans sur le crépitement des balles et les cadavres qui roulent sur terre. Au fil des événements qui s’accélèrent, on se rend compte que le combat est inégal. Les rebelles combattent une machine de guerre qui a des ramifications internationales. C’est David contre Goliath, le pot de terre contre le pot de fer. Les forces du régime font usage de snipers, de tanks, et de bombardement au mortier. Les murs s’écroulent sur la tête des insurgés. En février 2012, déjà l’on enregistre un pic des plus meurtriers. Dans le quartier Khalidiyya, près de la mosquée Rifaï , des obus sont lancés lors même qu’on égorge. 200 morts dont des vieux, des enfants et des femmes, et 700 blessés. Ainsi l’étau se resserre sur la population, obligeant les familles à déserter leur maison. Il ne va rester dans la ville dévastée, désarticulée et calcinée que les plus déterminés d’entre les jeunes. Homs verra une petite trêve à l’occasion de la venue d’une mission de l’ONU. « Aujourd’hui la ville est rasée à 70 % » selon le politologue syrien Salem Kawakibi qui animait le débat lors de la séance du 15 mars.

 

Aider les Syriens ?
Return to Homs évidemment porte la marque de son temps. Une séquence du reste montre bien l’impact de l’épisode libyen. Une foule nombreuse réclame en entonnant une chanson « une zone d’exclusion aérienne » et « l’intervention de l’Otan ». Kawakibi a même nié ces faits pourtant attestés par le documentaire. Les reproches ont fusé des deux côtés. Kawakibi : l’Occident n’aide pas assez le peuple syrien. Les répliques au niveau de la salle ne se font guère attendre, sous le propos agressif : « allons-nous refaire l’histoire de la colonisation ? » perce pourtant la culpabilité. Kawakibi explique que l’Occident invente le radicalisme islamique pour trouver le prétexte de tourner le dos à un pays meurtri. Et de souligner que « la demande en radicalisme religieux crée l’offre » soutenant que duit de cette attitude, on a favorisé aujourd’hui la montée du religieux. Il rappelle que les Européens n’ont pas aidé les républicains lors de la guerre d’Espagne livrant ainsi ces derniers aux franquistes. Une voix se fait entendre dans la salle : « Je suis militant associatif, je sais que la France est le pays européen qui accueille le moins de réfugiés syriens dont le nombre est estimé à 4 millions. Et d’asséner « depuis 3 ans, la France n’en a accueilli que 6000 ».

 

 

FIFDH – Châtel : « La vie des demandeurs d’asile est suspendue à l’entête d’une enveloppe »

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, coréalisé avec Charles Emptaz, quelque chose de théâtral. Projeté le 13 mars 2013 au Nouveau Latina de Paris dans le cadre du 12e Festival International du film des Droits de l’Homme, Les Réfugiés de la nuit polaire, n’a pas manqué d’interpeller sur la situation des demandeurs d’asile en France.

 

Jonathan Châtel - crédit photo Larbi Graïne

Jonathan Châtel – crédit photo Larbi Graïne

Fjord, chalets éparpillés dans une campagne recouverte d’un manteau blanc, banquise à la dérive, mer azurée surplombée par de prodigieux rochers, rivière serpentant entre de grands icebergs, ce pan de Norvège sur lequel s’appesantit la caméra de Jonathan Châtel, ne fait guère la promotion du tourisme norvégien, même si elle s’efforce de décrire un monde oscillant entre désert polaire et univers féerique. Car l’histoire qui s’y raconte contraste avec ces paysages idylliques dont se ressentent l’opulence et la sérénité. C’est celle des demandeurs d’asile enfermés dans un Alcatraz d’un autre genre. Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, quelque chose de théâtral même si à priori, cela semble ne pas s’accorder avec ce genre de film ni avec le sujet traité : la vie des étrangers ayant fui leur pays et qui se retrouvent dans un hôtel désaffecté, le Mottak, transformé en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Or ce côté théâtral, est ce qui rend compte le mieux de la réalité vécue par les pensionnaires de ce centre insulaire implanté dans l’archipel des Lofoten.

 

Un homme de théâtre
L’air intellectuel, la chevelure ébouriffée, le visage ovale et bienveillant, arborant une fine moustache et une barbe, ce spécialiste du théâtre d’Ibsen, metteur en scène, scénariste, compositeur, voire enseignant et directeur d’un département d’études théâtrales à l’Université, se prend tout de suite de sympathie pour Salek, un Sahraoui militant pour l’indépendance du Sahara occidental. Jonathan Châtel, pour faire jouer sa pièce a trouvé le site idéal en le village de Stamsund, une petite île de pêcheurs. « J’ai choisi cet endroit parce qu’il présente un microcosme de la société norvégienne. Si mon film avait été tourné dans une grande ville, le centre serait noyé et la population ne se serait même pas aperçue de son existence. Là dans le village, on voit le Mottak immergé dans la société ». Et de confesser « il y a aussi quelque chose de subjectif dans ce qui a présidé à mon choix, c’est le fait que Salek soit enrôlé dans un théâtre local (Teater Nor )».

 

Un drame humain
Du reste, des 120 résidents du Mottak, quelques individualités sortent du lot. En plus de Salek, il y a le Syrien Oussama et un couple congolais. A eux quatre explique Châtel, ils représentent trois situations différentes. Si Salek s’est vu refusé à deux reprises sa demande d’asile et de ce fait devrait être renvoyé dans son pays, Oussama, lui, a reçu une réponse positive de la part de l’Udi, (la direction norvégienne de l’immigration) tandis que le couple congolais est en attente d’une réponse. « J’ai voulu décrire le désarroi de ceux qui vivent dans l’attente de ce sésame qu’est le statut de réfugié, c’est pourquoi je me suis plus intéressé aux personnes incarnant les différentes situations qu’aux nationalités des uns et des autres » soutient-il. Le film montre Salek comme quelqu’un de très sociable. Artiste accompli, il peint des tableaux, et campe des rôles sur les planches. Gentleman, il se mêle à la vie mondaine du village et fait connaissance avec une ancienne ministre norvégienne des Affaires étrangères. Mais il est présenté comme originaire du « Sahara occidental » devant être expulsé vers le « Maroc ». Jonathan Châtel a choisi de ne pas être très politicien, ce qui l’intéresse c’est le drame humain. Est-ce que Salek dont la demande d’asile a été refusée mérite-t-il le statut de réfugié ? Châtel pense bien que oui. « Salek est une personnalité, c’est quelqu’un qui a beaucoup de talent » dit-il. Le film n’évoque pas le statut du Sahara occidental dont une partie est administrée par le Maroc. La souveraineté de ce pays sur ce territoire, qui est une ancienne colonie espagnole est sujette à équivoque puisque l’ONU a décidé d’y faire tenir sous la supervision d’un organisme onusien un référendum d’autodétermination.

 

La Norvège, un pays riche mais fermé
Châtel fera observer que la « Norvège est un pays riche » rappelant qu’on y a découvert du pétrole dans les années 70 ». Dans le film, un habitant de Stamsund déplore le fait que la Norvège soit un pays fermé aux demandeurs d’asile, croyant savoir qu’on a « fait toutes ces lois afin d’empêcher de faire venir les gens de couleur ». Un autre plaide pour un « tri » des demandeurs d’asile pour ne pas être amenés à les parquer si l’on s’évertuait « à accorder le statut de réfugié au tout venant ». Est-ce que le Mottak a eu à héberger une personne provenant d’un Etat européen ? Jonathan Châtel a commencé par dire non avant de se raviser, signalant avoir entendu parler du « cas d’un Français mais dont je n’ai pas suivi la situation».

 

Comme à la prison
Châtel a réalisé un film où perce l’angoisse d’hommes et de femmes qui attendent la réponse de l’organisme appelé à leur accorder ou refuser le statut de réfugiés. Il a laissé entendre que les autorités considèrent les gens du Mottak comme des prisonniers. Et d’affirmer « d’ailleurs ils ont été avertis que s’ils ne donnaient pas signe de vie au bout de trois jours, ils seront exclus du centre ». Le film de Châtel rappelle un peu, même si on parait forcer sur le trait, la vie de ces prisonniers qui attendent leur tour pour passer sous la guillotine. « Ils ne veulent pas réfléchir à leur cas, ni échafauder des plans pour l’avenir avant de connaitre le sort qui leur est réservé » souligne Châtel. Et ce dernier de résumer ainsi la situation « la vie de ces gens est suspendue à l’entête d’une enveloppe, ils savent qu’à un moment ou un autre leur vie va basculer ». La délivrance pour certains intervient après une réponse positive, mais c’est le calvaire pour ceux qui doivent recevoir une réponse négative.

 

Quid de la France ?
En quelque sorte ces pensionnaires du Mottak, vivent ces moments d’attente comme un supplice « malgré le fait qu’ils touchent deux fois par mois, 200 euros ». Dans le débat, une intervenante fera remarquer que si en Norvège les demandeurs d’asile semblent être mieux traités que ceux de France, en percevant plus d’argent et en ayant droit à un hébergement, parfois à un travail, il n’en demeure pas moins qu’ils endurent la même situation d’incertitude que leurs homologues en France. En somme, un meilleur confort n’améliore en rien leur état psychologique.

 

 

Journée internationale de la Femme : Du Maghreb à l’Occident

[Par Larbi GRAINE, journaliste algérien – larbigra @ gmail . com]

 

Cette année l’ONU célèbre le 8 mars, journée internationale de la femme sous le slogan de « l’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous ».  Outre son aspect rituel – rappeler ce que l’Humanité tout entière doit à la  gente féminine- le 8 mars est aussi une halte pour évaluer à l’échelle du monde les progrès et les régressions en la matière. C’est forcément le temps des plaintes et des rapports mondiaux sur la question. Et souvent, ce sont les Etats, investis par leur rôle de mauvais pères qui prennent pour leur grade car la mondialisation n’est pas encore parvenue à imposer le même statut de la femme partout dans le monde.  La femme est plus ou moins libre selon les cultures. A cette occasion, on aime à se référer à diverses agences spécialisées, qu’elles soient des organisations humanitaires ou même des structures de police dont on s’évertue à citer les chiffres relatifs au nombre de femmes violentées par leur mari, de victimes du harcèlement sexuel, des mariages forcés, de mutilation génitale, etc.

Photo prise par le site : http://euro-mediterranee.blogspot.fr/

Photo prise par le site : http://euro-mediterranee.blogspot.fr/

 

La cause des femmes progresse

 

Dérogeons un peu à cette règle pour dire  que, la cause des femmes progresse, et que sous des dehors de reculade, se cachent parfois des percées notables.  D’ailleurs ces statistiques souvent sont rendues publiques afin de mettre au pilori un gouvernement jugé trop répressif envers sa population. L’Egypte par exemple a dégringolé dans le classement en termes de respect des droits des femmes, dès lors qu’on avait compté les femmes qui ont été battues sur la place Tahrir dans ce que les médias appellent le Printemps arabe. Ces statistiques omettent par exemple de faire allusion aux tueries d’hommes comme si les femmes étaient les seules concernées par la violence. Or, c’est connu, il faut du temps pour que le fruit d’une révolution soit cueilli. Retenons plutôt l’appropriation par les femmes égyptiennes de la place publique et des réseaux sociaux. Les organisations humanitaires ne sont pas les seules à manipuler les statistiques. Les gouvernements pour des raisons diamétralement opposées font de même. Ils en usent et abusent pour la consommation interne et aussi pour séduire les instances internationales. Nombre de pays (ils sont parait-il 87 aujourd’hui) ont souscrit au principe des quotas des femmes au niveau du Parlement.  Mais souvent ces pays qui se targuent d’avoir tel pourcentage de personnalités féminines dans leur représentation nationale, ont conservé les mêmes mœurs et coutumes, en se gardant d’apporter tout correctif à la matrice idéologique à l’origine de l’asservissement des femmes. Souvent le Parlement en question ne possède aucun pouvoir législatif. Du fait  d’institutions démocratiques de façade, la femme se retrouve alors prisonnière du même système. L’Algérie illustre bien ce cas.  Quand Abdelaziz Bouteflika projetait de briguer un nouveau mandat, il a engagé une révision constitutionnelle qui introduisait une  disposition faisant obligation de faire représenter les femmes par un  système de quotas qui, à terme parviendrait à la parité hommes-femmes. Or concomitamment à cette mesure qui donnait pleine satisfaction à l’Occident, le pays connaissait une vague d’islamisation sans précédent, car d’un autre côté, le régime était soucieux de satisfaire  l’opinion interne. Il faut dire que les progrès ne découlent presque jamais d’actes volontaristes ou délibérés. C’est l’évolution économique, la diffusion des nouvelles technologies, les progrès de la scolarisation, le salariat qui créent de nouveaux rapports de force dans la société. Un exemple : Vers 2005, le gouvernement algérien avait instruit les banques à l’effet d’accorder des crédits aux  salariés (hommes et femmes) justifiant d’un certain revenu pour l’achat de véhicules. Les femmes dont un nombre impressionnant de jeunes filles ont alors souscrit à cette formule. Quelques temps plus tard on allait assister à un phénomène jamais vu auparavant. Des jeunes filles à bord de leur voiture personnelle viennent klaxonner au bas des immeubles pour prendre leurs copines avant  de partir en promenade et ce, même en fin de journées. Or ce privilège n’était pas longtemps l’apanage des seuls garçons dont les pères tenaient à mettre à leur disposition leur propre voiture.

 

L’islam politique  a des racines plus profondes

 

L’œil occidental a tendance à percevoir l’islamisation de la société maghrébine comme un mouvement religieux stricto sensu alors qu’il plonge ses racines dans un fond socioculturel très ancien qui puise ses valeurs dans le système patriarcal. La féminité au Maghreb est associée du reste à des valeurs ancestrales faisant référence au code de l’honneur et au prestige du lignage.

 

Certes les révolutions et les guerres créent les conditions du dépassement de l’ordre établi. On l’a vu déjà, que ce soit pendant la guerre d’indépendance algérienne ou pendant la seconde guerre mondiale comment les femmes en Europe vont gagner leur liberté en se retrouvant investies par de nouveaux rôles. En Europe, ce mouvement préfigurera d’ailleurs la révolution sexuelle des années 60 qui fera tomber en désuétude le tabou de la virginité qui soit dit en passant est toujours en vigueur sous beaucoup de latitudes, notamment au Maghreb et au Moyen-Orient.

 

Dans ces sociétés qui pourfendent l’individualisme, sont exaltées les valeurs inhérents au  collectif et au communautaire, de sorte que même l’homme est pris dans les rets de l’oppression sociétale. Certes l’homme a tous les pouvoirs, mais il en a moins lorsque par exemple il est célibataire. Le contrôle sexuel étant de mise, les relations hors mariage sont interdites. Il en résulte que l’homme qui demeure dans le célibat, se sentira tout aussi dans la peau d’un être mineur que la femme. S’il possède un chez soi individuel, il devient un danger pour le voisinage qui se croit en devoir de le surveiller. Lorsque parlant de la construction de logements, le chef de l’Etat algérien s’écrie qu’il ne veut plus entendre parler de F1, il ne fait que se ranger à l’avis de la majorité conservatrice pour qui F1 rime avec studio et tout ce que cela peut invoquer comme déviation par rapport à la norme.

 

La femme-démon

 

Lorsque l’on pense femme au Maghreb, on pense diable. Passons sur la filiation biblique avec le péché originel, qui valut à Eve et à Adam d’être chassés du paradis. Du reste la fascination pour la femme démoniaque garde tout son sens au plus fort des soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La révolution tunisienne, ce n’est pas uniquement la chute de Ben Ali mais également de son épouse Leila Trabelsi que les chroniques locales ont décrite comme la véritable instigatrice de toutes les conspirations contre le peuple tunisien. Suzanne Moubarak, épouse du raïs égyptien n’a pas échappé au même procès. Femmes manipulatrices, vicieuses et malicieuses, ces reines déchues avaient tenu en laisse leur mari ! Dans la même veine, quoique plus tempérée, les médias français notent « le sens politique » de Carla Bruni  dans l’affaire des extraits choisis des enregistrements de Nicolas Sarkozy. « Sarkozy et Carla Bruni, entre mépris du peuple et vulgarité ? » titre le site d’information le Plus, Le Nouvel observateur.

 

Au Maghreb la femme ne vaut que par la famille

 

Le chanteur Idir déclame que la femme est une « bombe ». Pour la désamorcer, il faut diluer son individualité, la dissoudre complètement dans la famille. Quand on parle de famille, ça passe mieux  car ça alimente un imaginaire de la procréation, où la femme est parée de ses vertus de mère nourricière dont le destin se confond avec celui de ses enfants et de son époux. Point donc de femmes en dehors de la famille. En Algérie, le ministère chargé de gérer les affaires de la femme est dénommé Ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la condition de la femme. Au Maroc, son équivalent est dénommé Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du développement social. Mais celui de Tunisie se mêle de sport ! Il est dénommé Ministère de la Jeunesse, du Sport, de la Femme et de la Famille. Signe tout de même que le pays de Habib Bourguiba a une longueur d’avance sur ses voisins, un secrétariat d’Etat chargé de la Femme et de la Famille a été nouvellement crée. En France c’est plus simple : le département ministériel chargé de la même fonction s’appelle Ministère des droits des Femmes.  La détentrice du portefeuille, Mme Najat Vallaud Belkacem, également porte-parole du gouvernement, passe pour être la ministre la plus populaire du gouvernement français.

 

Le voile, c’est la voile

 

Vu du dehors les régimes politiques du Tiers-monde paraissent être les principaux obstacles à  l’émancipation des femmes alors que les choses ne sont pas aussi simples. Les pesanteurs culturelles sont telles que les Etats sont obligés d’en tenir compte. Les polices politiques s’y maintiennent d’autant plus durablement qu’elles ont développé la capacité de compréhension du système patriarcal dans lequel elles se positionnent en tant que tutrices veillant au bien être général. Ces polices y trouvent donc un terreau fertile  pour exercer la tutelle sur des populations qu’elles jugent immatures pour prendre leur destin en main.

 

L’œil occidental du reste ne distingue guère le foulard kabyle ou la capuche oranaise du hidjab. Tout est amalgamé sous un générique exotique. Si les femmes conduisent et vont au travail et se marient  elles le font selon des critères relationnels très anciens. Le voile traditionnel, aujourd’hui quasi abandonné au profit du hidjab, était jadis porté par les citadines et était la marque de l’aristocratie. Toute femme habitant la campagne devait arborer le voile en venant en ville. On le constate aujourd’hui, le hidjab est devenu l’habit qui permet à la femme maghrébine d’aborder la modernité. (Encore qu’il faille faire une autre lecture du voile dans les diasporas).

 

Or cette fameuse preuve de religiosité qu’est le voile pour les Occidentaux (pourtant métaphore de l’hymen et de la chasteté. Passons sur ses ramifications chrétiennes) ; est devenu au Maghreb, l’alpha et l’oméga d’une évolution inéluctable qui se fait tout de même en sourdine. Tout y est permis pourvu qu’on mette le voile (la voile ?).

 

 

 

 

Maladie du Président Bouteflika : La faiseuse de reines, le FLN et les autres

[Par Larbi Graïne, journaliste algérien]
larbigra @ gmail . com

 

La maladie du président Abdelaziz Bouteflika a dominé l’actualité politique en Algérie tout au long de 2013. Devenue star politique, l’infirmité du chef de l’Etat devait très vite faire écran au scandale de corruption qui éclaboussa son gouvernement, et à l’attaque du site gazier de Tinguentourine, suite à l’enlisement du conflit touareg aux frontières sud de l’Algérie. A la tête du pays depuis 1999, Bouteflika briguera-t-il un 4e mandat ?

Président Abdelaziz Bouteflika / Par lefigaro.fr - Crédits Photo : -AFP

Le Président Abdelaziz Bouteflika / Par lefigaro.fr – Crédits Photo : -AFP

Telle est la question qui ne cessait d’alimenter les colonnes des journaux. Les experts en communication du régime ont tout fait pour soigner l’image du Président malade. Les rumeurs le donnant pour mort au moment où il était soigné à l’hôpital du Val-de-Grâce en France, ont contraint les décideurs algériens de mettre le chef de l’Etat sous les projecteurs des caméras de télévision. Soigneusement filtrées, les images qui ont été prises ont fait le tour du monde. Elles montrent pourtant un homme profondément hagard et affaibli. Bouteflika apparait en robe de chambre affalé sur un fauteuil en compagnie du Premier ministre Abdelmalek Sellal, et du chef d’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah. On est le 12 juin 2013 et le Président n’avait plus remis les pieds dans son palais d’El-Mouradia depuis 47 jours. Ses médecins évoquent dans un premier temps l’AIT (accident ischémique transitoire), en d’autres termes une attaque cérébrale légère avant de se raviser en pointant un mal plus grave : l’AVC ou accident vasculaire cérébral. Bouteflika ne regagnera le pays que le 16 juillet 2013 après 80 jours mais pour apparaitre de nouveau sur les écrans assis sur un fauteuil roulant, le visage livide et les yeux perdus. Sitôt arrivé au pays, l’on annonce que le Président va poursuivre une période de convalescence. Or il ne restait à Bouteflika moins d’une année pour terminer son mandat qui expire en avril 2014. Mais au vu de son état de santé qui ne cessait de se dégrader et dont tout le monde pouvait se rendre compte au fil d’apparitions aussi parcimonieuses qu’épisodiques à la télévision d’Etat, on commençait alors à émettre de sérieux doutes quant aux capacités de Bouteflika à gouverner le pays. Des voix se sont même élevées pour réclamer une élection présidentielle anticipée. Mais c’était sans compter sur les consignes que le pouvoir réel a fait passer au gouvernement en place.

 

Le FLN repêché pour jouer le baroudeur

 

Le Front de libération nationale (FLN) qui n’est pas un parti politique dans le vrai sens du terme mais un appareil inféodé au chef de l’Etat, lequel en est le président d’honneur dans un faux sursaut d’orgueil s’est ressaisi à la fin août 2013 en mettant fin à la crise de succession des chefs en élisant à sa tête par un tour de passe-passe dont lui seul a le secret, Amar Saadani, ex président de la chambre basse du parlement algérien. L’homme est réputé pour être un exécutant fidèle du plan de qui il reçoit ses ordres. Miné par une crise depuis l’avènement du multipartisme en 1989, le FLN s’est vu désigner ses secrétaires généraux et imprimer sa ligne de conduite par les pouvoirs successifs. Seul Abdelhamid Mehri bien que désigné par le Président Chadli Bendjedid a osé en son temps défier les généraux de l’armée en arrimant son parti à l’opposition. Mais Saadani se distingue par ses attaques- les premières du genre de la part d’un apparatchik dans les annales politiques algériennes- contre les services secrets, le fameux redoutable DRS, Département du renseignement et de la sécurité, dont le chef, le général Mohamed Lamine Mediène, alias Toufik était considéré jusqu’à récemment comme le véritable maître de l’Algérie. Faisant écho à Saadani, alors que Bouteflika, très fragilisé devenait de plus en plus invisible, le gouvernement annonce la restructuration des services du renseignement, lequel voit plusieurs de ses directions passer sous le contrôle de l’Etat-major. Dans le même temps des proches collaborateurs de Toufik sont limogés. Ce qui passait aux yeux de beaucoup comme un duel entre Bouteflika et Toufik n’a été que très rarement analysé sous l’angle de la reprise en main par l’Etat-major de l’armée des prérogatives qu’il avait perdues au moment où, en 1991, l’Algérie basculait dans la guerre civile. Le DRS, en fait, devait faire les frais de son incompétence à protéger un site aussi stratégique que celui de Tinguentourine où l’Algérie y avait laissé des plumes au niveau international.
Tout compte fait c’est un président fantomatique qui aborde l’année 2014, s’adressant aux Algériens par voie de communiqués, Bouteflika évite de plus en plus de se montrer à la télévision car on le dit incapable de parler, le moindre effort pouvant lui coûter ses dernières forces. Si la presse internationale relève le caractère spectral du candidat Bouteflika, c’est que quelque part l’image du malade hospitalisé s’est surimprimée sur le portrait officiel. Suprême ironie, la présidence se fendra d’un communiqué informant que le président sortant sera candidat à sa propre succession à la présidentielle du 17 avril prochain.

 

Un candidat en cache un autre

 

Si le DRS a été en principe rappelé à l’ordre il n’en demeure pas moins qu’on continue à user de ses méthodes. On peut du reste se demander si ce qui est en train de se profiler à travers la prochaine élection n’est pas une grosse manœuvre de manipulation de l’opinion visant à faire accroire que Bouteflika est réellement le favori alors qu’en réalité, il ne fait que de la figuration ? Le sociologue Lahouari Addi a montré une piste intéressante en évoquant la possibilité qu’Ali Benflis, ancien chef de gouvernement et candidat malheureux à la présidentielle de 2004 soit le véritable candidat de l’armée et que Bouteflika ne soit qu’un lièvre. Ayant à l’esprit la grosse campagne d’intoxication d’officines occultes qui lors de l’élection présidentielle de 2004 qui a permis au président sortant de briguer son second mandat, avaient savamment distillé des informations faisant état de la défaite de Bouteflika face à Benflis. A l’époque, des hommes politiques et des journalistes de renom avaient mordu à l’hameçon. Ces rumeurs devenaient d’autant plus vraisemblables qu’elles étaient relayées par des opposants. Animant un meeting dans une salle d’Oran, fief de Bouteflika, Saïd Sadi, alors président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et candidat à la présidentielle, s’est écrié sûr de lui « Je vous le dit Bouteflika ne passera pas ! ». On susurrait que Benflis avait le soutien du Général Mohamed Lamari alors chef d’Etat-major de l’armée. Au-delà de ce que ces faits peuvent suggérer comme proximité pouvant exister entre officines et « démocrates », cela peut éclairer l’attitude de Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement sous Chadli, qui aujourd’hui se refuse à descendre dans l’arène. Hamrouche qui ne s’est jamais laissé compter par la propagande des officines occultes, a conscience que les jeux sont déjà faits.

 

Qui de Bouteflika ou de Benflis sera élu ?

 

Grabataire bientôt de 77 ans, Bouteflika, issu de l’Ouest, est un candidat impossible, le quatrième mandat n’est qu’une chimère et l’armée le sait. Si en dépit de cela Bouteflika est réélu, c’est qu’on sait que ce n’est pas lui qui va gouverner le pays. Une révision de la constitution devrait doter l’Exécutif du poste de vice-président. On ne sera pas alors tenus d’organiser une nouvelle élection si le chef de l’Etat réélu viendrait à passer à trépas. Quant à Benflis, bientôt 70 ans issu de l’Est, dans la région de Batna d’où sont originaires les gradés de l’armée, il est réputé être une personnalité « molle ». Ce « fils de famille » qui fut, outre chef de gouvernement (limogé par Bouteflika en 2003), secrétaire général du FLN (démissionné par la Présidence), directeur de campagne électorale du candidat Abdelaziz Bouteflika, directeur de Cabinet de la Présidence, on pourrait se demander pourquoi il se présente à ces élections après tant de déconvenues. L’homme a observé le silence depuis 10 ans n’osant émettre aucune critique. Certainement, s’il figure parmi la liste des candidats à la magistrature suprême, c’est qu’on lui a demandé de le faire. Mais de quelque côté que penchera la balance, le président qui sortira des urnes, ne bénéficiera que d’un fragile consensus. Les généraux paraissent avoir paré au plus pressé, et jamais leur choix, n’a été aussi incertain. L’armée qu’on dit faiseuse de rois, n’est-elle pas en train de se muter en faiseuse de reines ?

 

 

A l’heure des diasporas / L’exil serait-il en crise ?

Par Larbi GRAINE, journaliste algérien.
La notion d’exil est-elle en crise ? Dans un contexte de mondialisation économique et culturelle, caractérisé par la prolifération de diasporas dans des métropoles gigantesques, peut-on être sûrs que les populations de métèques qui y vivent se sentiraient dépaysées et mal dans leur peau et souffriraient du calvaire du « vivre-séparés » ? Les étrangers qui viennent s’installer durablement dans un pays qu’ils ont peu ou prou connu éprouveront-ils le sentiment d’exil de la même façon nonobstant leur différence de race, de culture et de religion ? Peut-on supposer que l’éloignement géographique par rapport au pays d’origine soit à la base du sentiment ineffable d’étrangeté dont souffre l’exilé ?

Originaire d’Algérie, l’auteur de ces lignes, va tenter de répondre à ce pack de questions, tout en interrogeant les migrations contemporaines à partir de sa propre subjectivité (qui soit dit en passant, comme a dit le philosophe) permet de reconnaître les objets. Puisqu’il me faut parler de la France afin de permettre à l’exilé que je suis censé être de scruter les réalités françaises, c’est-à-dire aborder toutes choses qui m’éloigneraient de mon pays, qui m’exileraient encore davantage en me projetant loin de mon territoire habituel, c’est ce qui fait de moi du reste un journaliste d’un pays tiers, un apatride dont on espère qu’il va jeter un regard neuf sur des choses archaïques et peut-être passées de mode. La chose n’est pas sans rappeler l’exotisme qui jadis se pratiquait sur les contrées de l’ailleurs, dans cet orient lumineux que Flaubert avait cru déceler aux portes mêmes de la province. On se délecte bien du français de l’étranger, sa langue est d’autant plus attrayante qu’elle est habitée par des sonorités et des réminiscences de la langue première.Algérien, je vais dire aux Français dont des millions sont d’origine algérienne comment je les perçois. Et d’ailleurs comment prendre le fait que ce plat berbère qu’est le couscous soit devenu celui que préfèrent les Français ? Saviez vous qu’il est plus facile de manger un couscous dans les restaurants de Paris que dans ceux d’Alger ? Saviez-vous que l’exilé, algérien de surcroît, ne peut retenir de la France que ce qu’elle a d’Algérie en elle ? Barbès explose au rythme des victoires de l’équipe d’Algérie, ce qui nous donne parfois l’impression que c’est la France qui s’exile sur ses propres terres. On le constate bien les Algériens installés en France, y compris ceux qui sont en situation irrégulière, s’y comportent comme s’ils étaient chez eux. La même observation vaut pour les ressortissants de l’Afrique subsaharienne, relevant des anciennes colonies françaises. On le voit le poids de l’histoire y est prépondérant. Réfugié à Paris, un confrère syrien qui a fui la guerre civile qui déchire son pays souligne qu’il éprouve un sentiment d’exil encore plus profond que celui que ressentiraient « les Arabes d’Algérie, du Maroc ou de Tunisie » arguant qu’en France il n’a pas eu le loisir de rencontrer beaucoup d’Arabes du Moyen-Orient.
De tradition arabo-berbère et fortement présents en France, les Maghrébins en général et les Algériens en particulier seraient-ils plus proches des Français ? A vrai dire, les Français ont leurs Arabes depuis longtemps. Dans l’hexagone aujourd’hui on entend parler le kabyle et l’arabe d’Algérie à chaque coin de rue. En plus des places fortes tenues par les Maghrébins, la France abrite une floraison de sociétés diasporiques. L’agglomération parisienne en est la plus parfaite illustration, Italiens, Noirs Africains, Chinois, Turcs, Indiens et j’en oublie se disputent son sol. Mais s’il n’y a point de Syriens à l’horizon, les traces du pays perdu seront plus difficiles à retrouver. L’exilé s’attellera à les chercher, et la vision qu’il aura de son pays d’accueil en sera profondément marquée. A la quête du pays qu’il vient de quitter, il est sans cesse rappelé à la dure réalité de sa condition. Tout aussi exilé qu’il le fut chez lui, il l’est tout autant sur sa terre d’adoption. N’ayant jamais été prophète en son pays, il ne saurait devenir le messie chez les autres. Vivant un double exil, il atterrit (quand il a la chance d ‘appartenir à une forte communauté expatriée), dans une diaspora, substitut de la société d’origine, laquelle va en quelque sorte le travailler au corps, le malaxant ne serait-ce que parce qu’il va pouvoir continuer à faire usage de sa langue maternelle. Certes, la vie en diaspora peut atténuer le sentiment de l’exil mais elle ne peut empêcher le désarroi découlant de la coupure d’avec la terre d’origine – devenant par la force des choses la terre promise. 

 

Larbi GRAÏNE

DAKOTA DUAL WIFI­Þ­ÞLarbi GRAÏNE, Journaliste algérien, ayant exercé dans plusieurs titres de la presse écrite en Algérie. Il est titulaire d’un DEA en littératures francophones et d’une maîtrise en Histoire et sciences sociales.

Le plus :

En 2010, Larbi GRAÏNE a publié chez l’Harmattan un livre sur le syndicalisme autonome en Algérie, intitulé Naufrage de la fonction publique et défi syndical. Accueilli par la Maison des Journalistes en 2014, il vit depuis en France.

Courriel : larbigra@gmail.com

 

Larbi GRAÏNE, Algerian journalist, having practiced in several titles of the written press in Algeria. He holds a DEA in French Literature and a Master’s degree in History and Social Sciences.

Most :

In 2010, Larbi GRAINE published a book on autonomous unionism in Algeria at the Harmattan, entitled “The Wreck of the Public Service and the Trade Union Challenge”. Welcomed by the House of Journalists in 2014, he lives since in France.


Email: larbigra@gmail.com