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Lors du Prix Dolega, Klugman renouvelle son soutien à la MDJ

Patrick Klugman

Patrick Klugman

Samedi 16 janvier 2016, le jury de la 5e édition Prix Lucas Dolega a décerné la première place au photojournaliste iranien Hashem Shakeri sur la société iranienne « Iran, une identité multiple ».

Patrick Klugman, adjoint à la Maire, chargé de toutes les questions relatives aux relations internationales et à la francophonie, a saisi cette occasion pour renouveler son soutien à la Maison des journalistes.

[Vidéo de Mortaza BEHBOUDI]

La « renvoyée spéciale » Gulasal Kamolova : « la passion de la vérité »

[Par Bernadette COLSON | Photos de Lisa Viola ROSSI]

Le jeudi, c’est jour de la tenue professionnelle au lycée Charles de Gaulle du 20ème arrondissement à Paris. Ce jour-là: pas de casquette à l’envers, de jeans délavés et de baskets colorés, mais un habit sombre, sobre et chic pour tous les lycéens qui préparent un bac-pro en gestion et administration dans cet établissement. Et pourtant… Observant les élèves de seconde qui ont voulu la rencontrer, les premiers mots de Gulasal Kamolova, journaliste « renvoyée spéciale » de la Maison des journalistes, seront ceux-là : « Si vous étiez en Ouzbékistan, vos parents seraient tout de suite convoqués parce que vous ne portez pas votre uniforme ! ». photo00009Le ton de cette rencontre est donné, entre liberté de paroles, spontanéité des échanges et gravité des propos. Pendant deux heures, la journaliste ouzbèke tiendra en respect son auditoire par la force de son témoignage. Au grand étonnement des professeurs Haïfa Pin et Nicole Wolff, organisatrices de cette réunion, et d’élèves eux-mêmes qui avouent que souvent, le dernier quart d’heure de l’heure de cours est plutôt chahuté.
???????????????????????????????Au cours de cet après-midi pluvieux, au gré des questions des jeunes qui émailleront sa présentation, c’est à un voyage déroutant, parfois cocasse et souvent terrifiant auquel nous convie Gulasal.
Les images défilent: celles de jeunes enfants, courbés dans les champs pour ramasser le coton. Tout le mois de septembre, les écoliers comme les étudiants sont contraints à la cueillette pour fournir une récolte quotidienne dont le poids est fixé en fonction de l’âge. « Oui, moi aussi je l’ai fait, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, explique Gulasal en se pliant en deux pour montrer la pénibilité de la tâche. Et quand on n’atteint pas notre quota, la famille paie, oui mes parents ont dû parfois payer pour moi ». Et puis cette photo qui montre la mascarade d’un champ où le coton a été recollé sur les tiges avant la visite d’un ministre venu assister à la récolte. Le grotesque de cette situation sensée nous faire sourire n’a pourtant d’égal que la cruauté du travail forcé des enfants.
???????????????????????????????En Ouzbékistan, ancienne république soviétique, le même président est à la tête du régime depuis l’indépendance du pays en 1991, Islam Karimov, 78 ans, réélu pour la quatrième fois le 29 mars 2015 avec 90,39% des voix sans prendre la peine de modifier la Constitution qui limite à deux mandats la fonction présidentielle.
« Vous avez le droit de vote ? » interroge un lycéen. « Oui » répond Gulasal qui explique au jeune français qu’il ne peut pas y avoir une vraie compétition électorale ni de débats démocratiques dans son pays. Si quatre partis qui regroupent les différentes composantes de la société ouzbèke sont autorisés, les partis d’opposition qui pourraient présenter un autre projet politique sont interdits, leurs dirigeants sont en exil ou en prison. IMG_9286Il n’y a pas de liberté d’opinion ni de liberté d’expression, et sur la carte de Reporters sans frontières représentant la liberté de la presse dans le monde, l’Ouzbékistan est une tache noire.
C’est un régime cruel qui n’hésite pas à faire tirer à la mitraillette sur des centaines de manifestants pacifiques comme le 13 mai 2005 à Andijan. C’est un régime dangereux pour tous ceux qui osent mener de vraies enquêtes sur les problèmes sociaux, la corruption ou la catastrophe écologique de la mer d’Aral car, en cas d’arrestation, le recours à la torture est systématique pour extorquer des aveux de faits extrémistes, terroristes voir de trafic de drogue.
Muhammad BekjanovD’autres photos se succèdent, celles de prisonniers émaciés qui donnent l’impression de s’évanouir derrière les barreaux de leur geôle, comme Muhammad Bekjan en passe de devenir le plus ancien journaliste emprisonné au monde. Elles sont d’autant plus impressionnantes qu’elles suivent celles des filles « glamour » du président, notamment l’aînée qui est soupçonnée d’avoir bâti une fortune sur des pots de vin réclamés à des firmes contre leur entrée sur le marché ouzbèke.
Gulasal pour qui « la passion de la vérité » est au cœur de sa vocation de journaliste est arrivée à Paris en juin dernier. Une jeune lycéenne lui demande si sa famille a subi des pressions parce qu’elle est journaliste. photo00013« Quand j’étais correspondante à Moscou, on a envoyé une lettre à mon père lui disant que je me prostituais et qu’il devait me faire revenir. Il a fait une crise cardiaque et il est mort quelques mois plus tard » raconte-t-elle. Touchée, la salle de classe soudain fait silence, comme si le danger qui la menaçait s’était invité dans le lycée. Pourtant il n’y a pas un jour où Gulasal n’ait envie de rentrer dans son pays, de rejoindre la poignée de journalistes indépendants qui restent là-bas et de retrouver les gens qu’elle aime.
Les dernières photos qu’elle nous fera voir sont celles de la splendeur de son pays, région d’Asie centrale avec ses vestiges qui ont plus de 2000 ans sur la route de la Soie entre l’Orient et l’Occident.

Réfléchir ensemble pour s’engager et résister contre la peur

[Par Johanna GALIS | Photos de Mortaza BEHDOUDI]

11 janvier 2016, « Soirée Non »: Résistance solidaire à Saint-Quentin en Yvelines.

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De gauche à droite : Catherine Pont-Humbert, animatrice de la soirée, Jean-Luc Despax, Hala Mohammad, Diane Hakizimana, Maxime N’Debeka

Quand le directeur des Itinéraires poétiques de Saint-Quentin-en-Yvelines, Jacques Fournier demande la réorganisation de la Journée en faveur des écrivains et des journalistes emprisonnés et persécutés, qui devait avoir lieu le 15 novembre dernier – mais fut annulée, à cause des attentats du 13 novembre – il fait appel au directeur du Théâtre Saint Quentin en Yvelines, Lionel Massétat, pour une mobilisation sous un thème quelque peu différent. Avec le souhait d’une réelle fédération entre les participants et le public (la date du 11 janvier, qui apparait comme celle des un an de Charlie faisant en quelque sorte écho à son souhait). “De nombreuses personnes se sont demandées pourquoi j’appelais cette rencontre “Non””annonce-t-il en prélude à la soirée, “Pourquoi ne pas l’intituler plus positivement? Je leur ai répondu qu’au vu des événements, nous avions chacun besoin de faire preuve de résistance”.

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Le flûtiste André Stocchetti

Résister à la peur, aux obscurantismes, à la mort qui est devenue, avec les attentats français de janvier et novembre de l’année 2015, beaucoup plus présente dans notre quotidien. Sur la scène du théâtre sont présents ce 11 janvier 2016, quatre personnes de lettres, venant d’horizons différents. Diane Hakizimana, journaliste burundaise et ancienne résidente de la Maison des journalistes, Hala Mohammad, poète et cinéaste syrienne, Maxime N’Debeka, poète et romancier congolais et Jean-Luc Despax, professeur agrégé de lettres modernes, poète et président du P.E.N. club français. En ouverture de la soirée, le duo guitare-voix Iringa interprète une chanson composée le 7 janvier 2015, qui marque de son refrain vindicatif “Guess who won?” (Devinez qui a gagné?) le sceau de la victoire des français qui se sont rassemblés au lendemain des attentats contre Charlie et l’Hypercacher et ont manifesté dans un immense élan de solidarité face à la barbarie humaine.

“Nous avons un devoir de vigilance”, déclare peu après Maxime N’Debeka, qui souligne le fait que peu importe le niveau de culture – ce soi-disant indice qui montre à quel point nous sommes civilisés – du pays où l’on est, l’inhumanité et la terreur peuvent surgir. Être vigilant, pour soi-même être paré contre des déviances telles que celles qui ont surgit et se sont insinuées des décennies plus tôt dans un pays occidentalisé, l’Allemagne, qui avait pourtant un superbe patrimoine, mais dont le chaos progressif a laissé place aux extrêmes.
Il s’agit de réfléchir, pour comprendre et prendre position, et anticiper, aussi. Anticiper une solution positive, une éventuelle ouverture de tous face à chacun, “où les fenêtres seraient partout grandes ouvertes, dans une ambition pacifique d’être soudés les uns aux autres”, comme le souligne avec émotion Hala Mohammad, pour que l’unité que nous pourrions créer, à l’image des manifestations de Charlie l’année dernière, soit plus forte que les peurs qui nous assaillent et nous font se méfier les uns des autres. Car “la peur chasse nos libertés en tant qu’êtres humains: c’est par amour les uns des autres que nous pourrons combattre Daesh” ajoute-t-elle. Il s’agit aussi de réfléchir pour marquer son engagement contre les persécutions: Jean-Luc Despax le souligne en évoquant la situation du poète palestinien Ashraf Fayad, condamné à mort en Arabie Saoudite pour apostasie. L’Association Amnesty International prend alors la parole pour parler de son engagement pour faire sortir des personnes injustement condamnées à l’emprisonnement et parfois même à la mort, grâce à son unique arme, un stylo. En écho, Diane Hakizimana évoque la fuite de quatre-vingt cinq pourcent de plumes burundaises, en l’occurrence de ses journalistes, hors du pays, pour la plupart au Rwanda, de peur de se faire emprisonner – ou de connaitre des sévices encore pire – par le gouvernement de Pierre Nkurunziza. La journaliste, elle-même exilée, ne pensait pas devoir faire face à la peur de l’ennemi politique en France aussi.

bbbb0a0d-385a-42a3-8dee-d741696e33f3Comme arme ultime contre ceux qui souhaitent attaquer notre liberté, la créativité. C’est sous ce signe que la soirée se déroule, aussi. Les intervenants lisent des poèmes, empruntés à des personnalités littéraires qui leur donnent matière à penser, tant leurs mots souhaitent se battre. Des jeunes du Club Jeunes Théatre & Poésie lisent lisent des textes. Un flûtiste ponctue ces interventions de courtes mélodies, puis sous une mise en scène faite de distorsions sonores et de mimes, l’hymne de la France surgit, victorieux malgré tout.

 

Une Syrie inédite à la MDJ

[Par Mourad HAMMAMI]

La Maison des journalistes de Paris a organisé jeudi dernier, le 19 novembre 2015, dans l’après-midi, une conférence-débat animée par deux journalistes venus de la Syrie. Le voyage et la rencontre ont été initiés et encadrés par le Collectif des amis d’Alep du Rhône-Alpe.

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Mot d’accueil de Denis Perrin, représentant de la MDJ

Les deux journalistes syriens sont Youcef Seddik et Louai Aboaljoud. Le hasard du calendrier a voulu qu’ils arrivent en France au même moment que les terribles attentats de Paris. « C’était prévu que nous serions à Paris dans la nuit du 13 novembre, puis le vol a été reporté jusqu’au lendemain ». Ils devaient faire une conférence majeure à Lyon le 25 novembre ; à la demande de la préfecture, suite aux derniers évènements, elle a été annulée.
Seddik et Aboaljuoud sont très actifs en Syrie, notamment à Alep : ils ont en effet créé des syndicats et des agences de presse, à travers lesquels ils informent le monde sur la réalité de leur pays.
C’est leur premier déplacement à l’étranger, au-delà de la Turquie. Selon Youcef Seddik, les frontières sont fermées. C’est grâce à l’invitation du Collectif des Amis d’Alep et au visa français qu’ils ont pu se rendre en Turquie, puis prendre l’avion pour la France.

Louai Aboaljoud Alep Point Zero

Louai Aboaljoud pointe le catalogue de l’exposition Alep Point Zéro, qui a eu lieu à la MDJ de mai à septembre 2015

Selon ces journalistes Alep est divisé en deux territoires. A l’Est, il y a les révolutionnaires et à l’Ouest l’armée loyale au régime de Bachar el-Assad. Ils ont souligné que l’organisation de l’Etat Islamique, communément appelé Daesh, fait sa percée dans une partie du territoire de l’Est d’Alep et occupe du terrain particulièrement dans les zones rurales.
Selon eux, chaque jour il y a des bombardements contre les territoires sous le contrôle des révolutionnaires. Pour faire face à l’absence de l’Etat, les habitants ont mis en place des comités de quartiers, des conseils municipaux. En dépit des armes qui sont à la portée de tous, rares sont les moments où l’on enregistre des dépassements ou des dérapages entre citoyens. L’ennemi extérieur a fait tisser une grande solidarité entre les habitants, en effet une protection civile par la police a été mise en place : le service minimum est assuré grâce à cette auto-organisation des habitants.
Youcef Seddik accuse clairement l’aviation russe de bombarder des positions de révolutionnaires qui ne sont pas islamistes. Il cite à titre d’exemple le bombardement du village Sahara où un responsable révolutionnaire a été tué.

Un moment de l'intervention de Youcef Seddik

Un moment de l’intervention de Youcef Seddik

Selon ces journalistes, Daesh est une organisation barbare. Mais le premier ennemi à combattre est Bachar el Assad, car c’est lui qui a créée et qui alimente cette organisation terroriste dans le but de créer une diversion et un chantage pour se maintenir au pouvoir.
Les deux journalistes rajoutent que Daesh est surmédiatisé. Il existe d’importantes organisations de révolutionnaires qui luttent chaque jour et dont on parle rarement.

Interviewé par le magazine Télérama, Youcef Seddik a passé donc la parole à son collègue, Louai Aboaljoud, déjà emprisonné par le régime d’Assad, au lendemain de la révolution en 2011, ainsi que par Daesh, lors de son apparition dans la région d’Alep. A cette occasion, Aboaljoud a été menacé de mort et retenu six mois par le groupe terroriste dans un hôpital civil utilisé également comme prison. Sa libération n’a été possible qu’à la faveur de négociations menées par la rébellion.

La journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Le journaliste exilé Mazen Adi montre une photo des activistes syriens solidaires avec Paris suite les attentats du 13 novembre 2015

Malgré un lourd vécu de crimes menés par la dictature et par les terroristes, Aboaljoud a terminé la rencontre par une note d’espoir et de paix : à son avis, une action non violente sera la seule solution possible pour sortir la Syrie de la guerre et rendre le pays en un Etat libre et démocratique.
Selon Aboaljoud, les bombardements russo-occidentaux instaurés en réponse aux attentats terroristes seront en fait perçus par les jeunes Syriens comme une confirmation de la propagande anti-occidentale fondamentaliste : en conséquence, ils décideront de rejoindre les rangs des recrues djihadistes.

De cette manière, Bashar el-Assad sera de cette façon officiellement réhabilité par la communauté internationale en tant qu’interlocuteur privilégié (au lieu d’être jugé pour ses crimes contre l’humanité) et, avec le soutien de l’Occident et de la Russie, il obtiendra l’anéantissement de Daesh ainsi que de tous les groupes de pouvoir qui aspirent à contrôler la région. Au niveau politique, il n’y aura plus aucune alternative démocratique, en raison de l’appauvrissement du front révolutionnaire de l’opposition syrienne.

Renverser la dictature syrienne, libérer tous les prisonniers politiques détenus dans les prisons du régime et de Daesh, ainsi que permettre à tous les réfugiés syriens de retourner en Syrie : c’est l’appel lancé par les deux journalistes à la communauté internationale, afin de soutenir la mise en place d’un ordre véritablement démocratique en Syrie.

Youcef Seddik et Louai Aboaljoud n’ont pas demandé l’asile à la France ; leur retour pour Alep est prévu le 30 novembre.

Ci-dessous une galerie photo de la rencontre (crédit photo : Lisa Viola Rossi/MDJ)

 

Mon combat continue : le témoignage de l’Azerbaïdjanais Agil Khalil

[Par Yvette MUREKASABE]

“Je voulais que justice soit rendue, que les autorités de mon pays reconnaissent leur responsabilité pour tout le mal qu’ils m’ont fait, mais mon combat est loin d’être fini”, me confie Agil Khalil, en ce moment. Il me fixe droit dans les yeux mais son regard est surtout tourné vers son pays. Il repense sûrement à tout ce qu’il a enduré ainsi qu’au calvaire que peuvent vivre ses confrères qui sont encore là-bas.

3“Le régime dictatorial qui m’a contraint à l’exil est toujours là. Je sais que rien n’a changé et je me battrai jusqu’à la fin contre ce système corrompu” ajoute-t-il.

Journaliste d’investigation pour le principal quotidien de l’opposition “Liberté”, il s’exile en France après des années de lutte et de persécutions par les autorités de son pays. Une fois sur place, il porte plainte contre cet Etat à la cour européenne de justice (CEDH) en 2008. Six ans après, le 29 octobre, le verdict est rendu: son gouvernement est reconnu coupable des actes de tortures morales et physiques dont il a été victime.

“Je ne suis pas satisfait et mon combat est loin d’être fini. Les vingt-huit mille euros de dédommagements qui me seront versés par le gouvernement Azerbidjanais ne peuvent en aucun cas me laver de toutes les humilliations et de toutes les peines que j’ai endurées; je ne dépenserai aucun centime”. Il rajoute ensuite avec compassion: “Je les donnerai aux prisonniers politiques de mon pays, qui croupissent dans la misère. Le reste sera pour mes confrères Azéris et pour les organisations qui m’ont accueilli et soutenu en France, principalement la Maison des journalistes de Paris”.

Agil garde espoir qu’une nouvelle ère viendra et qu’il pourrait repartir dans son pays. Il reste optimiste qu’un jour l’Azerbaïdjan deviendra un Etat de droit et que tous les citoyens azerbjadaïnais pourront jouir de la liberté d’expression et les journalistes pourront exercer leurs métiers en toute liberté.

Le secret du roman : Hommage à la MDJ

[Par Maha HASSAN]

Est-ce le hasard si la Maison des journalistes est la dernière adresse que j’ai vue avant de quitter Paris ? Ou est-ce un hasard objectif, comme l’appelait André Breton, comme en un roman qui me pousse à écrire ce qui suit avant de quitter Paris ?

(Auteur : @ENPC)

(Auteur : @ENPC)

Quand je suis arrivée à Paris pour la première fois, j’ai eu la chance d’être logée à la MDJ au bout de quatre mois de mon séjour parisien.
Quand je suis arrivée, également pour la première fois dans le quinzième arrondissement et que je suis descendue au métro Javel, j’ai presque poussé un cri de surprise en regardant le Pont Mirabeau.
En Syrie, sans connaître ce pont, sauf par le poème d’Apollinaire, mon premier roman commence par la chanson que mon héros écoutait : « Sous le pont Mirabeau coule la Seine… ».
J’ai publié mon premier roman, L’infini, en 1995, et me retrouve dix ans après à côté du Pont Mirabeau.
Et voilà, dix ans encore après mon arrivée à la MDJ, je prépare mon départ de Paris. Le secret du roman me pousse encore une fois vers la Maison des journalistes, comme s’il me fallait dire au revoir au Pont Mirabeau où coule la Seine.
Un ami romancier et journaliste qui a quitté son pays en fuyant la guerre et les menaces des djihadistes arrive à Paris une semaine avant mon départ.
J’ai contacté Darline, la directrice de la Maison, pour prendre un rendez-vous pour cet ami ; Darline me donne aussitôt une date, serrée, un jour juste avant mon départ.
Je vais avec mon ami pour le présenter à la MDJ et chercher son soutien. On passe devant le Pont Mirabeau comme si je le faisais il y a dix ans, comme si ces dix ans ne s’étaient pas écoulés.
Depuis la Syrie en 1995, à Paris en 2005 puis en 2015, le Pont Mirabeau m’accompagne.
Ce n’est donc pas le hasard qui me ramenait à la MDJ un jour avant de quitter Paris, mais le roman. Le roman qui a créé un lien secret entre le Pont Mirabeau, mon roman et le roman de mon ami, pour lequel je suis allée à la MDJ.

(source : http://les-balades-de-yaya.over-blog.com/)

(source : http://les-balades-de-yaya.over-blog.com/)

Aujourd’hui, une semaine est passée… Je suis dans mon nouvel exil, mon deuxième exil. Mon ami vient de m’appeler pour m’annoncer que Frédéric (qui travaille à la MDJ) lui avait trouvé une chambre pour demain. Il pourra ainsi commencer son nouveau chemin à Paris, celui que j’ai moi-même terminé.
Mon ami dont je ne veux pas dévoiler le nom, va mettre à son tour, les pieds sur le chemin de son premier exil, alors que moi, en même temps, je m’engage dans mon second exil.
Entre ces exils, entre Paris et la Bretagne, la seule différence, la grande différence est que je sens naturellement que je suis chez moi à Morlaix, où le sentiment d’exil se confond avec la sensation d’être chez moi. J’en suis à penser que le secret du roman c’est vivre toujours en exil, même si on vivait dans son pays natal. L’écriture même est un acte d’exil. On se déplace entre réalité et fiction.
Finalement, la sécurité de l’exil français est indispensable pour les journalistes et écrivains- journalistes pour vivre leur exil intime, l’exil intérieur. Sans la sécurité de l’exil extérieur nous ne pouvons pas écrire et nous déplacer dans le grand terrain de l’exil choisi.
La Maison des journalistes est un grand pas pour trouver cette sécurité recherchée et pour y vivre tranquillement notre exil.

 

 

Femmes exilées : privée de patrie et non d’autonomie

« Afin d’être réellement porteur de changement, le programme de développement pour l’après-2015 doit établir des priorités en matière d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes. Le monde ne pourra jamais atteindre pleinement ses objectifs si la moitié des habitants de la planète ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel. »

M. Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations Unies

Témoignage d’une femme exilée

Aujourd’hui hébergée à la Maison des Journalistes, ma vie s’améliore de jour en jour depuis que j’ai quitté mon pays ; c’est le premier lieu qui m’a redonné le sentiment d’être “chez moi”. Hébergée gratuitement, je peux m’offrir l’essentiel du matériel nécessaire au confort dont une femme a besoin. Dès que je tourne la clé et franchis la porte de ma chambre, je dis “Ouf! Merci Seigneur, je suis arrivée chez moi”. Pourquoi ?

(Source : lamontagne.fr)

(Source : lamontagne.fr)

Agée de 33 ans et mère de 2 filles, je suis exilée en France depuis le 28/01/2014. Comme tout demandeur d’asile sans famille, dès mon arrivée en France je fus logée par le service du 115, numéro que j’appelais chaque jour pour bénéficier d’un lit le soir et sortir le matin. Sortir et errer dans les rues sous un climat d’hiver fut pour moi une nouvelle expérience. J’ai vécu cette situation jusqu’au 31/03/2014, quand la même structure m’a placée en colocation de chambre dans un foyer social. Comme femme, dans de telles conditions de vie, on en oublie même un minimum d’intimité dont on a toujours besoin. Oui, l’exil est une nouvelle école, un champ de bataille où l’on est obligé de “tenir le coup” faute de choix, et en tant que mère, toujours avec l’image de ses enfants qui vous tourne dans la tête.

Voir d’autres exilés qui ont eu la chance de venir avec les leurs, ou de croiser des gamins dans la rue, vous donne les larmes aux yeux ; mais où pleurer? La nuit, dans une salle commune sans aucun visage familier, au milieu de femmes de cultures et de langues différentes, on retient ses larmes. Dans la journée, il est obligatoire de quitter le centre, mais pour aller où ? Nulle part… dans la rue, faire un tour dans un centre commercial pour rester au chaud, errer sans destination…au risque de se faire passer pour une malade mentale si l’on pleure dans la rue. En colocation, le problème reste le même : que dira ma colocataire si elle me voit pleurer ?

(Source : lexpress.fr)

(Source : lexpress.fr)

Autre défi: la majorité des hommes que je croise ont tendance à imaginer qu’une femme exilée est toujours “femme seule” et donc sans défense ni autonomie. Ils ne se donnent même pas la peine de savoir si je suis prête à m’engager dans une relation! Pire encore, ils me disent souvent: « Si tu n’as pas encore tes papiers, c’est que tu n’es ni intelligente ni prévoyante. Il suffit de faire un enfant avec un homme qui le reconnaîtra administrativement, et tu vivras des papiers du bébé….Ou, marie-toi ! “. Quelle honte? Que les hommes cessent de prendre les femmes pour des machines incubatrices ou pour des gens sans espoir de vie. On quitte son pays ,obligée, parce qu’on est menacée et non pour juste obtenir des papiers . On fuit sa patrie à la recherche d’une protection internationale comme le font des hommes dont la sécurité est mise en question. Si certaines femmes suivent ce maudit conseil, c’est leur problème mais que les hommes cessent d’en faire une règle générale.

En tant que mère, l’exil loin de mes enfants me fait penser que j’aurais peut-être dû me soumettre à la volonté de ceux qui m’ont persécutée, et qu’aujourd’hui je serais encore avec mes filles! Mais à l’occasion de cette journée de la femme, je dis “il n’en est pas question”. Si toutes les femmes se soumettent, à quoi ressemblera le monde de demain? Certains veulent profiter des femmes. Mais les erreurs commises peuvent avoir des conséquences irrémédiables dans l’avenir.

“Si tu satisfais à mes besoins, tu seras libre et tu rejoindras ta famille, tes enfants… Après tout tu n’as pas le choix; si tu acceptes mes avances, tu sors de ta cellule de détention ; si tu refuses, je le fais par force et tu y restes”. C’est ce que m’a dit un jour un jour l’un de mes persécuteurs.

Cela arrive-t-il aux hommes détenus? Je ne crois pas ! Cher lecteur/lectrice, que choisirais-tu ?
Après tout cela, j’arrive dans un pays d’exil où avec ces longs moments d’attente de papiers qui influent aussi sur le temps de rapprochement familial, certains hommes, sans aucune idée de ce que j’ai traversé, me parlent de faire un « enfant-titre de séjour ».

Gustav Klimt

Gustav Klimt

En cette journée de la femme, dont le thème 2015 « Autonomisation des femmes – Autonomisation de l’humanité : Imaginez ! », que le monde pense à des milliers de femmes exilées vivant des expériences parfois pires que celles qu’elles ont vécues dans leurs pays. Nous sommes des femmes, que le monde a longtemps considérées comme des êtres faibles et donc prêtes à se soumettre à toute ébauche d’avantages, aussi humiliante qu’elle puisse être.

Pourtant, ce n’est ni un fait ni une vérité. Nombreuses sommes nous qui avons la capacité de nous adapter aux situations nouvelles ; la persévérance, la détermination et l’amour maternel font que malgré la situation difficile que nous traversons, nous tenons le coup pour nos enfants qu’un jour nous finirons par revoir.