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Antisémitisme : grande inquiétude dans la communauté juive de France

[Par René DASSIE’]

Les manifestations pro-palestiniennes et leurs débordements antisémites violents suscitent la peur chez les juifs de France. Depuis le déclenchement le 8 juillet de « Bordure protectrice », une nouvelle militaire israélienne dans la bande de Gaza, en réponse aux tirs de roquettes du Hamas, les Juifs sont victimes d’une recrudescence d’agressions antisémites, lors des manifestations pro-palestiniennes dans la région parisienne.

© Muzaffar Salman

La manifestation pro-palestinienne qui s’est déroulée dans la capitale, samedi 19 Juillet, à Barbes.
© Photo crédit : Muzaffar Salman

Le ton est donné dès le dimanche 13 juillet, avec les « morts aux juifs » entendus dans les rues de Paris, au cours de la première manifestation qui rassemble des milliers de personnes, entre Barbès et la place de la Bastille. Au moment de la dispersion de la foule, plusieurs personnes tentent de pénétrer par la force dans deux synagogues, situées rue des Tournelles (IVe) et rue de la Roquette (XIe). C’est grâce l’intervention des forces de l’ordre qu’ils en sont empêchés.
Rebelote six jours plus tard à Barbès, dans le nord de Paris. En dépit d’une interdiction administrative, quelques milliers de personnes ont répondu à l’appel à manifester lancé par une quarantaine d’organisateurs, parmi lesquels le NPA, le Parti des Indigènes de la République, le Collectif des musulmans de France et l’Union générale des étudiants de Palestine. Parmi eux, plusieurs dizaines de casseurs. La manifestation commencée dans le calme dégénère en scène d’émeute, lorsque les forces de l’ordre tentent de s’interposer. Ils sont vivement pris à partie par certains manifestants qui leur lancent cailloux, pétards et autres projectiles et ripostent avec des gaz lacrymogène. Bilan : une vingtaine de policiers et de gendarmes blessés, une quarantaine d’interpellation et de nombreux biens publics, dont des cabines téléphoniques, des supports publicitaires et deux camionnettes de la RATP détruits. I-télé filment des jeunes brûlant des drapeaux israéliens.
Le lendemain dimanche, la banlieue est contaminée par cette violence qui cible la communauté juive. A Sarcelles, une ville de 60 000 habitants du Val d’Oise surnommée « la petite Jérusalem » eu égard à l’importante communauté juive séfarade qui y vit depuis des décennies, un nouveau rassemblement lui aussi interdit par les autorités réuni dans la soirée plusieurs sympathisants pro-palestiniens. Les casseurs qui ont infiltré les rangs des manifestants réussissent effectivement à s’en prendre à des commerces appartenant à des israélites. En criant à nouveau « mort aux juifs ». Une pharmacienne présente dans la ville depuis des décennies, l’épicier casher dont l’établissement avait déjà été la cible d’un attentat à la grenade il y a deux ans, verront leurs enseignes attaquées par les flammes. Dans le même temps, des voitures et des poubelles sont brûlés et d’autres commerces vandalisés. Un élu syndicaliste évoque une « vraie guérilla urbaine », tandis que le maire socialiste de la ville, François Pupponi, dénonce pour sa part « la haine contre l’autre exprimée en plein jour », ajoutant que « la communauté juive a peur ».

Antisémitisme
Selon le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, jusqu’à sept synagogues ont été victimes d’agression, depuis le début des manifestations. Les analystes sont pourtant unanimes à reconnaitre que les juifs de France n’ont rien à voir avec ce qui se passe actuellement dans la bande de Gaza. Où la nouvelle escalade de violence fait suite à l’enlèvement et l’assassinat de trois jeunes israéliens, suivi par l’assassinat tout aussi lâche d’un jeune palestinien, vraisemblablement brûlé vif, par des extrémistes juifs. On sait qu’après ces crimes, le Hamas, l’organisation islamiste qui tient la bande de Gaza a déclenché les hostilités et refusé un cessez-le-feu proposé par Israël. En un peu plus de deux semaines d’affrontement, le bilan est lourd, avec plus de 815 morts côté palestinien et 36 côté israélien.

© Fred Dufour / AFP Haïm Korsia (grand rabbin de France)

© Fred Dufour / AFP Haïm Korsia (grand rabbin de France)

« La haine qui s’exprime n’est pas liée à ce qui se passe à Gaza. Si c’était vraiment lié à l’actualité internationale, on aurait vu des gens manifester à Paris contre ce qui se passe en Syrie ou des massacres de populations dans le monde. Mais non, ce qui s’exprime c’est l’obsession anti-israélienne et antisémite. Une haine qui se manifeste au quotidien même quand il n’y a pas de guerre : des jeunes juifs sont frappés dans le métro, dans la rue… », analyse Haïm Korsia, Aumônier général des armées et nouveau grand rabbin de France, connu pour ses efforts dans le dialogue interreligieux.
Journaliste multimédia, Natacha Polony ne dit pas autre chose, dans une tribune publiée dans Le Figaro. «L’antisémitisme des banlieues a crû parallèlement à une radicalisation religieuse savamment entretenue par certains imams salafistes gracieusement fournis par des puissances du Golfe. Le drame des populations palestiniennes n’était alors qu’un opportun catalyseur. » Et d’ajouter : « C’est dans les manifestations contre la loi sur les signes religieux à l’école, en 2003 et 2004, qu’on entendit les premiers «mort aux Juifs.» Pour le Premier ministre Manuel Valls, « L’antisémitisme «se répand dans nos quartiers populaires, auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’histoire qui cache sa «haine du Juif» derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’Etat d’Israël ».
Du coup, dans la communauté juive règne une profonde inquiétude. Certains évitent de se montrer avec des signes religieux trop évidents, tandis que d’autres envisagent de quitter la France. Selon Oded Forer, directeur général du ministère de l’Immigration israélien, plus de 5.000 juifs de France vont immigrer en Israël en 2014, un record depuis la création de cet Etat il y a 66 ans.
Les autorités tentent de rassurer les juifs de France. Pour, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, « les juifs en France ne doivent pas avoir peur ». Son collègue de l’Intérieur Bernard Cazeneuve assure de son côté que la communauté juive « sera protégée par le gouvernement ».
Pour Frédéric Haziza, journaliste à LCP et à radio J, « la République représente justement cet élan pour vivre ensemble sans exclusive. Il est du devoir des Républicains, de le rappeler, de s’unir et de faire du retour à la cohésion sociale une «grande cause nationale».
Pour le grand rabbin de France, la situation invite à faire un diagnostic de cette « haine des juifs qui « s’habille des oripeaux de l’antisionisme », Puis à « mettre en route des mesures de formation de la jeunesse, un contrôle de ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux et les satellites, qui arrive du monde entier et qui diffuse la haine ».

Cameroun : le combat de Jeannette Marafa

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

C’est bien connu: l’amour est la plus grande des forces, et le meilleur avocat d’un homme en difficulté c’est son épouse. Jeannette Marafa, l’épouse de l’’ancien ministre d’État camerounais chargé de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt-cinq ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et reconnu par la communauté internationale comme un prisonnier politique, se bat en première ligne pour desserrer l’étau politico-judiciaire qui s’est refermé sur lui et obtenir sa libération. Il y a trente ans, elle l’avait déjà sauvé du peloton d’exécution, peu après un coup d’Etat manqué contre Paul Biya.

Ce sont les aléas de la vie qui ont poussé au-devant de la scène cette mère de famille discrète, qui, en dépit d’une solide formation universitaire, avait choisi de vivre à l’ombre, pour assurer les arrières de son grand commis d’État d’époux, aujourd’hui enfermé dans une prison de haute sécurité à Yaoundé.
Séparée malgré elle de son mari, retirée à Paris auprès de ses trois enfants, tous jeunes adultes et scolarisés dont elle assure désormais seule l’autorité parentale, Jeannette Marafa est marquée par l’épreuve que traverse sa famille; mais elle a refusé de baisser les bras. Elle est restée digne. Aussi bien à l’aise en tailleurs européens qu’en robes africaines, elle n’a rien perdu de son élégance de femme Douala, son ethnie d’origine. C’est une « femme debout », comme diraient les Antillais.

Elle court les médias, mobilise les avocats, fait du lobbying politique, apporte son expertise au comité de libération des prisonniers politiques camerounais (CL2P). Car elle en est convaincue : l’homme qui partage sa vie depuis plus de trois décennies n’est pas coupable des faits pour lesquels il a été condamné à vingt-cinq ans de prison, il y a deux ans.

« Marafa est innocent »

« Le motif qui a été retenu contre lui, la complicité intellectuelle, n’existe pas en droit pénal camerounais et même français. Cela vient du fait que l’un des accusés était considéré comme un ami de mon mari. Le juge, en rendant sa décision, a d’ailleurs bien spécifié qu’on n’avait rien trouvé prouvant la culpabilité de mon mari. Cependant, comme il connaissait Monsieur Fotso [l’ancien administrateur directeur général de la Camair condamné dans la même affaire NDLR] depuis 1993, il a aussi été déclaré coupable », a-t-elle clamé récemment sur la radio Africa N°1 lors du « Grand débat », une émission consacrée au décryptage de l’actualité française et internationale, animée par le journaliste Francis Laloupo.

Elle explique que son époux n’a joué aucun rôle déterminant dans l’affaire dite de «l’Albatros», du nom de l’avion de Paul Biya, dont l’achat controversé a conduit nombre de dignitaires camerounais en prison : ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de commander cet avion. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de débloquer les quelques trente millions de dollars affectés au paiement de cet aéronef et qui auraient été détournés, mais l’ancien ministre camerounais des Finances, Michel Meva’a Meboutou, lequel n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de commander un autre avion que celui initialement prévu. Il n’a participé ni de près ni de loin à l’accord par lequel l’Etat du Cameroun et Boeing, le vendeur de l’avion, se sont entendus pour solder cette affaire. L’avocat de l’État du Cameroun dans ce dossier, l’ancien bâtonnier Akéré Muna, a d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse à Yaoundé que l’avion avait bien été livré et que les autorités camerounaises ont perçu des indemnités compensatrices du retard observé dans la transaction. « Mon mari n’a jamais été concerné par tout cela », conclut Jeannette Marafa.

A l’en croire, c’est parce que son époux n’avait rien à se reprocher qu’il a refusé de s’enfuir, alors même qu’on l’avait prévenu qu’il serait arrêté.

Jeannette Marafa s’en souvient comme si c’était hier. Début avril 2012. Son conjoint n’est plus ministre depuis un remaniement gouvernemental intervenu cinq mois plus tôt. Il manifeste son souhait d’aller en vacances en France. Au secrétariat général de la Présidence camerounaise, on lui fait savoir verbalement que le président Paul Biya a donné son accord. Mais il exige d’en être notifié par écrit. Une prudence qui l’aurait sauvé d’une situation beaucoup plus fâcheuse qu’une simple arrestation.

Alors qu’il attend toujours son autorisation de sortir du territoire, Une de ses connaissances lui téléphone de l’étranger pour le prévenir : son arrestation est imminente. Ses recoupements sur place lui permettent de confirmer cette information. Sur ces entrefaites, il reçoit, le 14 avril, deux convocations émanant de deux unités d’investigations différentes : il est invité à se rendre le 16 avril 2012, à la même heure, auprès du juge d’instruction et à la police judiciaire de Yaoundé. Il a encore deux jours devant lui. C’est largement suffisant pour s’enfuir ou demander l’asile politique dans l’une des représentations diplomatiques occidentales de la capitale camerounaise.

Mais, stoïque, il choisit de faire face. « Mon mari est un homme d’État qui se sait innocent. Il a servi Monsieur Biya et l’État du Cameroun avec toute son honnêteté, toute sa vigueur. Il a donné de son temps. Il a donné de son énergie. Il en a même oublié sa famille. Il a présenté plusieurs fois sa démission à Monsieur Biya, lequel ne l’a pas acceptée. Marafa n’est pas de ces personnes qui refusent d’affronter la réalité », assure Jeannette Marafa. Sans surprise, l’ancien ministre est placé en garde à vue au terme de son interrogatoire policier, puis placé sous mandat de dépôt. A la surprise générale, il est condamné à 25 ans de prison. La sentence est lue par un juge qui reconnaît lui-même l’absence de preuves contre lui.
Pour son épouse, c’est l’aboutissement d’une opération de diabolisation qui a duré bien longtemps. On sait en effet que deux ans plus tôt, le 9 février 2010, lors d’un entretien avec l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Mme Janet E. Garvey, Marafa Hamidou Yaya a confié à la cheffe de la mission diplomatique américaine que le Président Paul Biya se servait de la campagne anticorruption baptisée « Épervier » pour tenir en respect ses collaborateurs comme ses opposants. « Je peux me retrouver en prison », lui dit-il. Des confidences transcrites dans un compte-rendu de l’ambassadrice au gouvernement américain qui ont été dévoilées par Wikileaks.

« La déconstruction de l’image de Marafa ne s’est pas faite en un an. Elle s’est étalée sur plusieurs années. Vous pouvez imaginer l’effet sur nos enfants, d’apprendre dans les journaux, sur les réseaux sociaux que leur père est un voleur. Des choses qu’ils ne connaissent pas », se plaint Jeannette Marafa, qui poursuit : « La réalité dans la famille que nous avons eu le bonheur de construire, c’était l’honnêteté. Lui, il est musulman, moi je suis chrétienne pratiquante. Nous ne sommes pas des voleurs. Il y en a plein autour de Paul Biya. Il connaît Marafa, il connaît son honnêteté, il connaît sa franchise ».

Tentatives d’intimidation à Paris

L’exil parisien de Jeannette Marafa, qui avait quitté le Cameroun la veille de l’arrestation de son époux, n’est pas du tout tranquille. « J’ai eu peur pour tout le monde, pour moi, pour mes enfants. J’ai été menacée plusieurs fois. On a dévissé les roues de ma voiture une première fois et j’ai failli avoir un accident. La deuxième fois, on a cassé complètement ma voiture. J’en ai appelé aux autorités françaises qui m’ont proposé une protection policière ». D’autre part, elle explique que les avocats de son époux travailleraient dans des conditions difficiles. Alors que ceux du Cameroun subissent des pressions, leurs confrères parisiens ont essuyé des refus de visa d’entrée au Cameroun.

Toutes choses qui n’entament pas la détermination de l’épouse de l’ancien ministre.

Jeannette Marafa se dit optimiste et confiante vis-à-vis de la Justice camerounaise « menée par des magistrats compétents », qui ont déjà eu à corriger des erreurs, comme dans le cas du colonel Edouard Etondé Ekoto, l’ancien délégué du Gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, acquitté par la Cour suprême de Yaoundé fin avril, après avoir été condamné en instance à vingt ans de prison pour détournement de fonds. En attendant la convocation de son mari devant cette haute juridiction, elle ne ménage pas ses efforts. Elle a ainsi obtenu l’entrée dans le dossier de son conjoint de Me Jean-Pierre Mignard, un ténor du barreau de Paris, avocat et confident du président François Hollande. Il y a trente ans, en remuant ciel et terre, Jeannette Marafa avait évité à son époux le peloton d’exécution des putschistes désignés du 6 avril 1984 au Cameroun. Plus tard, le calme revenu, les enquêtes avaient prouvé que le jeune ingénieur en pétrochimie d’alors n’avait rien à voir avec ceux qui avaient tenté de renverser Paul Biya.

Faut-il sanctionner les policiers de la « soirée négro » ?

[Par René DASSIE]

Une des photos publié sur Facebook par un des policiers

Une des photos publiées sur Facebook par un des policiers

Cinq policiers du Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne organisent en début du mois une fête déguisée entre collègues. La soirée a été baptisée « negro ». Ils ont tous le visage peint en noir, arborent des dreadlocks ou des coupes afro. L’un d’entre eux publie des photos de la soirée sur son profil Facebook. Ces clichés montrent l’un des participants en boubou, mimant un singe qui gesticule près des bananes, mais aussi le groupe tout entier esquissant un sourire, de manière à bien faire ressortir le contraste entre leurs dents blanches, et l’obscurité de leurs visages noircis. Les accoutrements sont directement issus de l’imagerie coloniale.

Informé par une collègue des policiers qui n’était pas de la partie et qui se dit outrée par leur attitude, l’animateur Claudy Siar, ancien délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer et producteur sur RFI, republie sur son compte Facebook des captures d’écran de la soirée, pour alerter l’opinion. En une semaine, les clichés ont largement circulé sur les réseaux sociaux.
Alors qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est ouverte, un des policiers mis en cause tente de minimiser les faits, arguant qu’ils « voulaient juste s’amuser » entre amis et « faire une soirée négro ». Une explication qui ne convainc guère.

On connait le principe des soirées déguisées : par le jeu des maquillages et des tenues vestimentaires, les participants tentent de se mettre dans la peau d’un personnage, ou d’incarner une idole. Et parfois, avec succès. L’allure, la tenue vestimentaire étant depuis longtemps imprimées dans la mémoire collective, certains réussissent à bluffer leur monde. Les faux Mickael Jackson, Marilyn Monroe, Elvis Presley, etc. cela n’ont jamais choqué personne, bien au contraire. Des sites comme cmonanniversaire.com (http://www.cmonanniversaire.com/soiree-thematique.aspx) proposent même des idées originales pour réaliser ce type de délires.

Cependant, la soirée des policiers du Kremlin-Bicêtre ne rentre pas dans cette catégorie de distractions. Il s’agit bien d’un dérapage raciste, comme le relève Sihame Assbague et Franco Lollia du Collectif stop le contrôle au faciès, dans une tribune publiée vendredi dans le plus du Nouvelobs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1214087-des-policiers-font-une-soiree-negro-ni-marrant-ni-anodin-il-s-agit-bien-de-racisme.html). « Ce n’est ni marrant ni anodin de se grimer en noir et de mimer un singe », analyse les auteurs.

Car la comparaison entre le Noir et le singe renvoie à un vieux poncif raciste qui malheureusement résiste au temps. Elle trouve sa source dans le racialisme scientifique du 19e siècle. De nombreux anthropologues de cette époque assimilent volontiers le Noir au chaînon manquant dans l’évolution des espèces, entre l’homme et les primates. On sait les conséquences d’une telle déshumanisation : les Africains sont régulièrement photographiés en présence d’animaux, souvent des singes. On les exhibe dans des foires coloniales, qui attirent des millions de visiteurs. On connait l’histoire de la Vénus Hottentote, de son vrai nom Sawtche, arrachée à sa terre natale, l’Afrique Australe, pour être exposée comme une bête exotique dans des foires des capitales européennes, avant d’être prostituée puis reléguée au rang d’objet d’étude scientifique. Apres sa mort, son corps sera disséqué, dans l’optique de prouver « l’infériorité de certaines races ». Ce n’est qu’en 2002 après près d’une décennie de refus arguant qu’elle fait partie du patrimoine inaliénable de l’État et de la science, que la France consent à restituer sa dépouille à l’Afrique du Sud qui souhaitait lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Les victimes de cet obscurantisme criminel d’inspiration pseudoscientifique se comptent par milliers.

On pensait eu égard aux progrès de la science qui a définitivement établi qu’il n’existe qu’une seule race humaine en dépit des variations morphologiques, qu’une telle déshumanisation serait oubliée.
Malheureusement, les mauvaises habitudes ont la peau dure. Les footballeurs noirs, qui évoluent comme professionnels sur les stades occidentaux depuis la fin des années 70 sont régulièrement la cible des franges les plus radicales des supporters qui leur jettent des bananes et poussent des cris de singes. Le gardien franco-camerounais Joseph-Antoine Bell, le défenseur ivoirien Marc-André Zoro, et très récemment Daniel Alves, défenseur du FC Barcelone en ont fait les frais.

En fin d’année dernière, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui défendait la loi sur le mariage pour tous a été accueillie à Angers dans le Maine et Loire par des enfants visiblement manipulés par leurs parents, qui lui tendaient des bananes et la traitaient de guenon.

Le dérapage raciste des policiers du Kremlin-Bicêtre, qui intervient dans un contexte de délitement du lien social et d’une montée exponentielle des extrémismes xénophobes ne saurait donc être considéré comme un fait anodin. Il est d’autant plus grave qu’il émane de personnes dépositaires de l’autorité publique. Comment pourraient-ils faire leur travail en toute objectivité et impartialité si d’avance ils considèrent une partie de la population, comme des sauvages ?

«Si les policiers à qui incombe la lutte contre le racisme sont plus occupés à se moquer des Noirs qu’à les défendre, en effet, cela pourrait expliquer pourquoi les choses n’avancent guère dans ce domaine», dénonce Louis-Georges Tin, le président du Collectif des associations noires de France (Cran), cité par Le Figaro.

C’est donc à juste titre que le Collectif stop le contrôle au faciès demande des sanctions.

Journalistes réfugiés, le combat continuel : « Il faudrait une politique d’écoute »

À l’occasion de la Journée Mondiale du Réfugié 2014, René Dassié, journaliste d’origine camerounaise réfugié en France depuis 2004 (cliquez ici pour écouter son historie – audio), fait le point sur la situation de la liberté de la presse au Cameroun ainsi que sur la condition des professionnels de l’information en exil en France.

Propos recueillis par Lisa Viola Rossi (lisaviola.rossi @ maisondesjournalistes . org )

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René Dassié et Michel Thierry Atangana (1er mars 2014)

Après dix ans d’exil en France, vous ne pouvez toujours rentrer au Cameroun. Pourquoi ?

Aujourd’hui on peut publier dans un journal sans condition, mais après la publication on peut être soumis à des pressions de toutes sortes, à l’heure qu’il est beaucoup de journalistes camerounais continuent à être persécutés. Dernièrement, il y a 2 ans, l’un d’entre eux est décédé en prison […] Il y a également une pression économique sur les médias. Ils ne  reçoivent pas la publicité des entreprises : elles ont peur de recevoir des redressements fiscaux de la part de l’Etat […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Est-ce que vous pouvez continuer vos activités professionnelles et militantes ici en France en tant que journaliste réfugié ? 

Je suis diplômé de Sciences Po Paris, mais malgré cela je n’arrive pas à trouver du travail. Les entreprises de presse quand je leur présente mon CV ne comprennent  pas ce qu’est le statut de réfugié politique […]. Le journalisme est la seule chose que je sais faire : donc si la situation se poursuit comme cela, peut-être que j’envisagerais de quitter la France pour aller dans un Pays où les étrangers diplômés sont mieux accueillis. […] Récemment en enquêtant sur le cas de Michel Thierry Atangana, j’ai constaté qu’au Cameroun il y a beaucoup de prisonniers politiques. J’ai donc mis en place avec des amis un comité de libération de ces prisonniers. […] Ce combat, c’est une façon aussi pour montrer notre reconnaissance au Pays qui nous a vu grandir. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Si vous aviez la chance de rencontrer un chef d’État ou un membre du gouvernement français et / ou européen, quel sujet concernant la condition des reporters réfugiés aimeriez aborder avec lui ?

Les journalistes réfugiés sont des personnes qui ont beaucoup d’expérience, de savoirs et de savoirs-faire, ils peuvent aussi apporter du sang neuf dans l’Etat qui les a accueilli : tout ce qu’ils ont appris ailleurs, ils peuvent s’en servir ici. […]. Il faudrait une véritable politique d’écoute et ensuite d’insertion.  Il faudrait nous donner la chance de montrer notre reconnaissance aux Etats qui nous accueillent. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

René Dassié reporter au Messager, Cameroun, avec David Sasson ancien ambassadeur d’Israël à Yaoundé

 

Affaire Marafa Hamidou Yaya : les sorciers noirs sortent de l’ombre

[Par René DASSIE]

Image tirée par Agence Ecofin

Marafa Hamidou Yaya. Image tirée par Agence Ecofin

Après les révélations de l’ex-prisonnier Michel Thierry Atangana sur la popularité aux États-Unis de Marafa Hamidou Yaya, l’ancien ministre camerounais de l’Administration condamné à 25 ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et considéré par la communauté internationale comme un prisonnier politique, on se doutait bien que les francs-tireurs du régime de Yaoundé sortiraient de l’ombre pour réagir. Et ils n’ont pas tardé : la romancière Calixthe Beyala et un lampiste exilé en Amérique se sont relayés dans les médias pour répandre, à force de calomnie et de diffamation, leur venin sur le célèbre pensionnaire du Secrétariat à la Défense de Yaoundé.

La récente sortie de Calixthe Beyala, romancière anciennement célèbrene surprend que ceux qui pensent à tort que son engagement désintéressé en faveur des droits de l’homme se poursuit encore. En réalité, l’auteure de La plantation, roman polémique dans lequel elle prend la défense des fermiers blancs victimes de la redistribution des terres orchestrée par le président Robert Mugabe, se serait inscrite depuis longtemps chez ces panafricanistes alimentaires qui écument les plateaux de télé chaque fois que la moindre critique est émise à l’endroit des Africains ou d’un dictateur du continent pour crier leur rage feinte, inhibant du même coup toute amorce d’autocritique chez les concernés. Le nouveau pouvoir ivoirien l’a accusée d’avoir marchandé son activisme bruyant en faveur du président déchu Laurent Gbagbo et une procédure judiciaire avec commission rogatoire a été initiée contre elle pour “recel de fonds volés ou détournés et blanchiment de capitaux”. On la sait à tu et à toi avec le Président Paul Biya. Chacun le sait: c’est socialement sécurisant d’avoir des amis riches et puissants.

Qu’elle vienne de la sorte déclarer sur la chaîne privée camerounaise Canal 2 que c’est M. Marafa qui organisait la fraude électorale au Cameroun participe aussi d’une stratégie de contre-attaque face à la popularité grandissante de l’ancien ministre qui, depuis sa prison, continue, par une correspondance régulière, à se préoccuper de l’avenir de son pays. Il s’agit manifestement d’une tromperie.

Pour rétablir les faits, il convient de rappeler le rôle joué par Marafa Hamidou Yaya dans le processus électoral camerounais. Après une longue carrière à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et un passage à la Présidence de la République comme conseiller spécial, puis secrétaire général, celui-ci ne devient ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation que fin août 2002. C’est-à-dire dix (10) ans après la première élection multipartite camerounaise, celle de 1992.

On sait d’ailleurs dans quelles conditions il débarque dans le processus électoral: il doit rattraper in extremis le fiasco des élections couplées, municipales et législatives, de 2002. Le ministre Ferdinand Koungou Edima s’est montré complètement défaillant, et des départements entiers n’ont pas reçu de bulletins de vote, tandis que d’autres se sont retrouvés avec des cartons qui ne leur étaient pas destinés. L’élection a été reportée le matin du vote. Les observateurs de la vie politique camerounaise, depuis le retour au multipartisme, savent qu’on frôle alors une crise et que, le contexte électrique aidant, la paix sociale est menacée. Il faut en urgence un pompier. M. Marafa, encore Secrétaire général de la Présidence de la République, se voit déléguer le rattrapage du scrutin : il a dix (10) jours pour y parvenir. S’il réussit son coup, ses proches savent qu’il y laisse des plumes. Épuisé par le manque de sommeil, il manque de peu d’y passer.

Dans sa lettre ouverte adressée à Paul Biya moins d’un mois après son arrestation mi-avril 2012, il fait savoir au Président que bien qu’il ait toujours été loyal à son égard, il n’a jamais abdiqué son indépendance d’esprit et sa liberté de parole. De sorte qu’après la présidentielle de 2004, il lui avait rappelé que, le septennat en cours étant son dernier mandat, il fallait se mobiliser pour le succès des «grandes ambitions (…) afin que votre sortie de la scène politique se fasse avec fanfare, que vous jouissiez d’un repos bien mérité, à l’intérieur de notre pays». De là à dire qu’il fut à la manœuvre pour prolonger le séjour du Président Biya à la tête du pays, c’est prendre des vessies pour des lanternes.

Le lampiste de Boston. S’il ne traitait pas de sujets graves engageant la vie et l’honneur d’un homme, on ne se serait pas attardé outre mesure sur le texte écrit avec la tonalité, le vocabulaire et l’argumentaire d’une conversation de bistrot par un Camerounais qui se présente par ailleurs comme un professeur de lettres vivant aux États-Unis.

Allant plus loin que la romancière parisienne, celui-ci accuse M. Marafa d’avoir rempli les prisons camerounaises et d’être le favori intéressé des occidentaux dans la course successorale à la tête du Cameroun.

Il convient à ce sujet de rappeler qu’au Cameroun, contrairement à d’autres pays, la police et la gendarmerie ne font pas partie du ministère de l’Administration du territoire, mais relèvent d’entités ministérielles autonomes rendant compte directement au chef de l’État (respectivement la Délégation Générale à la Sûreté Nationale et le secrétariat d’État à la Défense, anciennement Délégation Générale à la Gendarmerie Nationale), et que M. Marafa n’a été ni Délégué général à la Sûreté Nationale (police) ni Secrétaire d’État à la Défense (gendarmerie), encore moins juge aux ordres de l’exécutif ou ministre de la Justice. Comment aurait-il donc pu exercer des attributions qui ne relevaient pas de son domaine de compétence? À l’opposé, l’honnêteté commande de constater qu’il n’a pas ménagé ses efforts pour moderniser la gestion du Cameroun. La décentralisation du territoire par exemple porte l’encre indélébile de sa signature.

Si l’on l’apprécie M. Marafa, c’est que sa personnalité et sa probité morale en imposent.
Et la comparaison avec des personnages comme Jean Marie Pougala, « géostratège » autoproclamé, confus et douteux, qui écrit comme il parle avec le même langage approximatif et traite Nelson Mandela de traître, tient de la plaisanterie de mauvais goût.

Tous ceux qui ont pu le voir, même en prison, comme Dominique Sopo, économiste et ancien président de Sos Racisme, ont tout de suite perçu la dimension d’homme d’État de M. Marafa. Les Camerounais sont un peuple mature et savent distinguer le bon grain de l’ivraie. Si aujourd’hui, toutes ethnies et confessions religieuses confondues, ils adhèrent à sa vision d’un pays sûr et prospère, c’est sans doute parce qu’ils comprennent, en considérant son parcours et en lisant les tribunes qu’il leur offre depuis sa cellule comme des lampes pour les éclairer sur leur avenir, qu’il se place largement au-dessus du lot et sait faire abnégation de sa propre personne pour s’occuper des problèmes bien plus importants de ses deux dizaines de millions de concitoyens. C’est effectivement comme si la séquestration dans une zone de non-droit avait libéré une parole indispensable, trop longtemps contenue. L’histoire de la vie des nations montre que les réformateurs les plus efficaces sortent souvent du sérail. L’actuel président du Sénégal par exemple, Macky Sall, a été tour à tour ministre et Premier ministre d’Abdoulaye Wade avant de passer à l’opposition et de ravir la présidence de la République à son ancien mentor, à l’issue d’un scrutin électoral exemplaire.

Présenter M. Marafa comme le « bon valet » qui irait brader son pays aux occidentaux en échange de leur soutien traduit une méconnaissance totale de la géopolitique actuelle. Confrontés à une crise économique qui perdure et régulièrement critiqués pour leur passé colonialiste, les Etats occidentaux n’ont aucun intérêt à voir émerger en Afrique des tyrans incompétents qui sèmeraient le chaos, détruiraient des vies humaines et leur enverraient des vagues de réfugiés et exilés économiques qu’ils ne savent plus gérer. Cela coûte cher à l’État français par exemple, d’avoir à intervenir au Mali pour sauver les institutions menacées par une rébellion djihadiste ou d’aller en Centrafrique stopper une guerre d’épuration ethnico-religieuse déclenchée dans la confusion d’un coup d’État militaire. C’est-à-dire que des pays africains politiquement stables et économiquement viables arrangeraient les affaires des pays développés. Eu égard à leur longue expérience de la démocratie, les dirigeants de ces pays savent qu’en politique, l’homme providentiel n’existe pas. Seuls comptent le projet et la capacité à le défendre. M. Marafa n’a sur ce plan jamais demandé à personne de l’installer au pouvoir. Son souhait a toujours été qu’on aide son pays à s’installer dans la modernité et le développement.

Qu’on continue à l’attaquer aujourd’hui, après lui avoir collé une affaire – dans laquelle le procureur de la République a lui-même reconnu qu’il n’avait aucune responsabilité – n’est que la suite logique d’une opération de diabolisation qui a commencé bien longtemps avant son arrestation. Au Sénégal, Macky Sall fut accusé de blanchiment d’argent avant de bénéficier d’un non-lieu. Cela ne l’empêcha pas d’être ensuite élu président par un peuple qui avait su garder sa lucidité.

Altermondes : Partenaire de la MDJ / L’œil de l’exilé

Altermondes : Conférence-débat Médias & Citoyens en images

[Photos de Muzaffar SALMAN, 15 septembre 2014]

Altermondes - Médias&Citoyens [Photo crédit : M. Salman]

Altermondes – Médias&Citoyens [Photo crédit : M. Salman]



larbigraineLe Front National et le vote immigré

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Larbi GRAINE : Altermondes n° 39 / Septembre 2014]

 

cherifdialloAntiijihad : La sécurité et la liberté

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Sékou Chérif  DIALLO : Altermondes n° 40 / Décembre 2014]

 

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Boko Haram : Non au silence !

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Marciano Romaric Kenzo Chembo : Altermondes n° 41 / Mars 2015]

 

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Loi sur le renseignement Déception chez les réfugiés

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Marie Angélique Ingabire : Altermondes
n° 42 / Juin 2015]

 

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Daesh Menace sur l’Asie Centrale

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Sadegh Hamzeh :  Altermondes n°43 / Septembre 2015]

 

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Attentats de Paris: la compassion vis-à-vis de la France divise les Africains

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par René Dassié :  Altermondes n°44 / Décembre 2015]

 

 

Elyse-NGABIREBurundi : Paroles, paroles de la Communauté Internationale ? 

[Chronique / L’œil de l’exilé / Par Elyse Ngabire :  Altermondes n°45 / Mars 2016]

 

 

La leçon de courage de Michel Thierry Atangana : « La foi m’a permis de tenir », affirme l’ex prisonnier

[René DASSIE]

renedassie@sfr.fr

Lors de sa première sortie officielle samedi 1er mars au siège de Sos Racisme à Paris, Michel Thierry Atangana a fait part de la force de conviction qui lui a permis de survivre dans des conditions extrêmes pendant ses dix-sept ans de prison. Il a aussi insisté sur son innocence et rendu un hommage appuyé à Pius Njawé, l’ancien patron du quotidien Le Messager  qui fut le premier journaliste camerounais à s’engager en faveur de sa libération.

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« J’ai passé dix-sept ans avec une pointe d’oppression qui s’appellent le silence. Le code de détention qui était le mien m’interdisait de dire un seul mot à l’extérieur, sauf devant les juges. Et j’ai tellement parlé devant les juges et je n’ai pas tellement été entendu. Aujourd’hui je me retrouve avec des juges, mais vraiment de bons juges, ceux qui acceptent de m’entendre et de ne pas m’appliquer la présomption de culpabilité avec laquelle j’ai vécu pendant 17 ans. Dans mon affaire, la présomption d’innocence n’a jamais existé ».

 

Au siège de Sos Racisme sur la rue de Flandre dans le 19 e arrondissement de paris ce soir du samedi 1er mars , les premiers mots de Michel Thierry Atangana mettent un terme à la joyeuse agitation qui a suivi son arrivée. L’ancien prisonnier veut dire dans quel état d’esprit il a vécu ses dix-sept années de détention, mais surtout rendre hommage à ceux qui l’ont accompagné dans son combat.  Avant de prendre le micro devant le logo géant de l’association, la célèbre paume de main jaune portant l’inscription« Touche pas à mon pote », sous le crépitement des appareils photos,  M. Atangana a fait le tour de la cinquantaine de personnes, parents, soutiens et associatifs venues l’accueillir. Il a touché et embrasser la plupart de ses hôtes, un peu comme si le contact humain lui permettait de vérifier  qu’il ne rêvait pas, qu’il était bien vivant, et libre. Le choix de Sos Racisme comme premier lieu de prise de parole en public depuis son arrivée en France une semaine plus tôt s’est imposé tout seul, eu égard à l’implication de l’association dans sa libération.

Chemise clair et pull noir col en v, Michel parait récupérer rapidement. On reconnait à peine l’homme dont on avait, il y a à peine dix jours, que quelques photos décrivant sa détresse dans une cellule de sous-sol  humide et aveugle, si étroite qu’il ne pouvait y étendre les deux bras à l’horizontale. En l’examinant, les médecins militaires se sont d’ailleurs montrés surpris. « A l’hôpital des armées, un médecin s’est tourné vers moi et m’a dit, « dis-moi comment tu as fait pour survivre…. Il faut l’enseigner aux militaires qui demain iront en guerre ! Expliquez-nous comment on peut avoir vécu dans ces conditions et être debout aujourd’hui », rapporte-t-il.

 

La force de la foi

 

Avec Amanda Njawé, femme noire avec chaine en or

Avec Amanda Njawé, femme noire avec chaine en or

Michel Thierry Atangana explique qu’il a tiré de sa foi chrétienne le courage nécessaire pour faire face aux épreuves qu’il a subies. Catholique pratiquant, il revenait d’ailleurs de la messe lorsqu’il fût interpellé par la police camerounaise en avril 1997. En prison, il continuera à prier, à se rapprocher de Dieu. Il peut ainsi résister à toutes sortes de tentations, notamment la trahison, lorsqu’on lui proposera de dénoncer , en échange de sa propre liberté, son compagnon d’infortune, l’ancien ministre Titus Edzoa condamné pour les mêmes faits et aux mêmes peines que lui. Il refusera.

Il y a quatre ans, alors qu’il abordait sa treizième année de détention, le journaliste Bosco Tchoubet, patron de la radio TBC à Yaoundé relevait et saluait cette attitude immuable. Michel Thierry Atangana explique d’ailleurs qu’il était prêt à donner sa vie . « Il faut réaliser que la mort est possible pour la défense de ses idées. Quand on a une conviction, il faut accepter de la garder de la préserver, de la nourrir même s’il faut en mourir. J’étais prêt à mourir. Je vous le dis sincèrement », assure-t-il.

Il est alors d’autant plus déterminé, qu’il sait n’avoir rien à se reprocher, en dépit des contre-vérités savamment distillées par les autorités camerounaises sur sa nationalité et sur sa fortune supposée.  « Les rumeurs ont couru mais je n’ai jamais triché sur ma nationalité française. Je suis arrivé au Cameroun avec l’intention d’investir et j’ai obtenu pour cela une carte de séjour. Il s’agissait de doter le pays en  infrastructures structurelles et de créer des emplois. Le combat que vous avez soutenu, il faut le redire, est un combat noble et juste», lance-t-il à l’endroit de ses soutiens. Et d’ajouter, au sujet de la fortune qu’on lui a prêtée : « J’ai subi sept commissions rogatoires, c’est-à-dire qu’on vérifie ma vie dans le monde entier. Un jour, un militaire m’a dit à la fin d’un long interrogatoire que j’étais selon lui le seul homme apte à exercer la charge d’homme d’Etat, parce que de toutes les personnes qu’il avait interrogées,  j’étais le seul propre. Un ministre [camerounais] a écrit dans un journal que j’étais devenu fonctionnaire. Ce n’est pas vrai. Je suis resté dans le cadre de mes activités privées. Je n’ai pas trahi la France. Je n’ai pas trahi mes idéaux, je suis resté fidèle», jure-t-il.

 

Le soutien inattendu de Pius Njawé

Avec Etienne et Éric ses deux fils

Avec Etienne et Éric ses deux fils

 

On lit dans la Bible qu’avec la foi, on peut soulever des montagnes. Le Ciel semble avoir fini par entendre les prières de M. Atangana et à provoquer un renversement de situation en sa faveur. Plusieurs personnalités vont travailler bénévolement pour lui. Elles créeront une synergie qui conduira à sa libération.

Parmi elles, Pius Njawé, le défunt patron du quotidien camerounais Le Messager. Chrétien lui aussi, il publie, dans les dernières années de sa vie, des maximes religieuses en première page de son journal. Mais surtout, c’est un homme qui a voué sa vie au combat contre l’injustice. M. Njawé qui comme tout Camerounais n’a pas échappé à la propagande officielle qui a rendu illisible l’affaire Atangana décide de voir clair dans son dossier.  Après un long travail d’investigation, sa conclusion est sans appel : « Michel Thierry Atangana est victime d’un règlement de comptes politiques. Son cas démontre à suffire, l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire par le pouvoir en place », déclare-t-il à ses confères. Il fait de la libération de M. Atangana une priorité. Pour rencontrer celui-ci à qui la presse n’a pratiquement pas accès, M. Njawé fera usage d’une fausse identité, pour déjouer l’attention des gendarmes qui le gardent. «Quand Pius décide de débarquer au SED avec sa casquette, tournant le dos aux militaires, il s’assied à côté de moi et m’écoute, après avoir été abreuvé de mensonges pendant tant d’années, sachant aussi que tous les journalistes m’avaient tourné le dos, parce que pendant 28 mois je ne sortais de ma cellule qu’une heure par jour, j’étais enfermé 23 heures sur 24 », se rappelle ému,  Michel Thierry Atangana. «  Si je souhaite laisser une trace sur terre, c’est d’avoir participé à la libération d’un innocent », lui promet le patron du Messager.

Pius Njawé met en place en place au Cameroun le premier comité de soutien au prisonnier, à partir de l’année 2009 et en prend à la direction. Deux fois par semaine, il tient une chronique sur l’affaire dans son journal et entame une tournée de sensibilisation. « C’est lui qui ramène la vérité dans cette affaire », reconnait aujourd’hui Marc Ndzouba, l’actuel président du comité camerounais de soutien à Michel Thierry Atangana. En juin 2010, avant de se rendre aux Etats-Unis où il trouvera la mort dans un accident de la circulation, Pius Njawé s’arrête à Paris, le temps d’une conférence de presse consacrée à l’affaire Atangana, au Centre d’accueil de la presse étrangère de Radio France. « Il s’est battu pour moi. [Grâce à lui], une génération de lycéens camerounais et africains a commencé à s’intéresser à mon affaire. J’ai aussi commencé à voir des foules s’organiser pour venir à mon procès », témoigne M. Atangana. Après le décès de Pius Njawé, un autre journaliste du Messager, le pasteur Robert Ngono Ebodé prendra le relai au comité de soutien. Il décèdera huit mois plus tard, d’une crise cardiaque.

 

Comité français de soutien

 

De plus en plus sensibilisée, la France s’implique peu à peu dans la libération du prisonnier. Ce mouvement prend de l’ampleur après l’élection présidentielle de 2012 et l’arrivée au pouvoir de François Hollande. Fortement ému par le sort de M. Atangana, le nouveau président, François Hollande s’engage en faveur de sa libération. Un comité de soutien voit le jour à Paris, piloté par Dominique Sopo, l’ancien président de SOS Racisme et Ibrahim Boubakar Keita, vice-président de cette association et président de BDM TV. La famille française de M. Atangana n’est pas en reste. C’est non sans appréhension que Michel Thierry Atangana du fond de sa cellule, découvre ses deux enfants dans les médias audiovisuels. L’aîné avait cinq ans au moment de leur séparation. Il est désormais un jeune adulte. « Quand je vois ce qu’Éric a fait… Parfois quand il parlait à la radio, je ne voulais pas l’écouter ; j’avais peur de le voir à la télévision. Un jour j’ai eu le courage, il était avec Dominique Sopo chez Paul Amar, j’étais tellement étonné de penser que j’étais son père», avoue-t-il. Et de poursuivre : « C’est terrible de voir son fils et d’être étonné d’en être le père. Éric a entrainé et encouragé Etienne son petit frère, ils ont encouragé leur mère, cela m’a permis d’avoir ce soutien, cette affection, qui n’a pas de prix ».

Témoin lui aussi de la ténacité de son client, l’avocat Dominique Tricaud qui défend bénévolement Michel Thierry Atangana depuis des années,  multiplie les initiatives. C’est lui qui saisit le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Dans un avis publié en février, cet organisme ajoute la voie des Nations Unies aux demandes de libération du prisonnier qui pleuvent sur le Cameroun. « Me Tricaud a pris des risques, il ne m’a jamais rien demandé. Aucune note de frais. Je voudrais qu’il sache qu’il n’a pas eu tort de me faire confiance. Me Tricaud n’a pas placé sa confiance dans le néant. Sa cause est noble et juste», commente M. Atangana.

Aujourd’hui, Michel Thierry Atangana entend reconstruire sa vie, être utile à son prochain.« J’ai quitté mes enfants, ils étaient enfants. Ils ont perdu un père. A mon retour j’ai trouvé des adultes et ils ont retrouvé un grand-père avec les cheveux blancs. Mais ce qui importe c’est l’amour qui nous lie » « Je suis debout, fier de vivre, j’aime la vie. Je veux vivre. Je n’ai jamais eu l’intention de me suicider. Lorsque j’étais encore en prison, j’avais appris que les lycées se suicidaient. Passez le message, s’il vous plait.Aucune cause ne justifie le suicide. Battons-nous, restons debout, quitte à y laisser nos vie, mais sans nous la retirer nous-mêmes. Les hommes qui s’engagent autour de nous sont des hommes courageux. Soyons dignes de ce courage », lance-t-il à l’endroit des jeunes de France. Un pays duquel, dit-il, il ne faut jamais désespérer.

 

Réactions

Avec Sacha Reingewirtz

Avec Sacha Reingewirtz

Dominique Sopo président du Comité de soutient

C’est un beau combat qui se finit de façon très heureuse. Le fait que nous ayons pu récupérer Michel est aussi dû à sa force morale et c’est finalement un bel espoir pour tous ceux qui souffrent aujourd’hui dans des conditions d’injustice comme il a pu souffrir. Cet exemples de ténacité, d’opiniâtreté, d’envie que justice que soit faite, il faut aussi dire merci à Michel parce que c’est grâce à des exemples comme le sien que d’autres personnes tiennent et ne désespèrent pas. il y a aussi l’avenir. Nous serons toujours là pour faire en sorte que Michel soit innocenté, même si personne aujourd’hui ne doute plus de son innocence après qu’il ait été sali pendant des années, c’est quelque chose de très dur sur le plan moral. On l’a accusé d’avoir voulu faire des coups d’Etat, d’avoir volé de l’argent, je ne sais quoi d’autre. Plus personne aujourd’hui ne peut plus croire à de telles fariboles, mais ce serait bien que ce soit officiel.

Sacha Reingewirtz Président de l’Union des étudiants juifs de France ( UEJF)

«  Il y a tellement de joie et d’espoir qui se dégage que j’en perds mes mots…..En tout cas, il y a un proverbe dans la tradition juive qui dit que « qui sauve une vie sauve le monde ». La libération de M. Atangana c’est vraiment un espoir pour les gens qui se battent pour la démocratie et la liberté. Les dirigeants et militants de SOS Racisme qui ont participé ont prouvé toute leur efficacité dans les combats qui sont menés en France, mais aussi de par le monde »

Sonia Aïchi, Présidente Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL)

C’est une énorme fierté, un honneur extrême d’avoir participé à ce combat. Aujourd’hui Michel Atangana c’est pour les lycées, tous les jeunes, le combat à part entière, c’est croire à la liberté, c’est croire en des valeurs que nous portons depuis très très longtemps et on est vraiment content qu’il soit là aujourd’hui.

Marc Nzouba, Comité de soutien, Cameroun

Michel Thierry Atangana a permis que beaucoup de Camerounais soient libres.  Des milliers de camerounais. Il a surtout permis de comprendre qu’un homme peut se battre pendant des années et réussir son combat contre un régime, le régime du Cameroun, le régime de Paul Biya qui a fini par plier. Et aujourd’hui, c’est une fierté, c’est également une leçon à la jeunesse : on, peut résister contre l’injustice. C’est d’ailleurs la première partie du combat. Voilà un homme qui débarque en Afrique pour aller développer un pays, celui qui l’a fait naitre. Malheureusement, la machine a failli l’écraser. Il y a laissé dix-sept ans de sa vie et aujourd’hui il est libre. Les jeunes doivent le prendre en exemple. Le combat de SOS racisme a fait naitre une branche de SOS racisme au Cameroun. Il est l’un des promoteurs et le président délégué. Avec son concours, cette entité deviendra comme celle de la France. Elle finira par être une entité africaine.

Ibrahim Boubakar Keita Porte-parole du comité de soutien en France

C’est une fierté extraordinaire pour chaque militant de SOS racisme dont nous célébrons cette année le trentième anniversaire, d’avoir contribué à la libération de Michel. SOS racisme ce n’est pas seulement la lutte contre les discrimination, le combat pour l’égalité, c’est aussi le mieux-vivre ensemble, les droits de l’homme.