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Les graves dérives de la diplomatie américaine en Afghanistan

Les Etats-Unis négocient avec les Talibans avec l’intermédiaire du Qatar. Ce trio diplomatique agit au détriment du gouvernement afghan, qui subit la gestion américaine des Talibans. Bienvenue dans les méandres de la politique américaine de Donald Trump en Afghanistan et sa gestion du cas Talibans.
Le gouvernement afghan a libéré trois importants responsables talibans le 12 novembre 2019.
 

Echanges d’otages

Parmi eux, Hanas Haqani, le fils de Jalaluddin Haqani, fondateur de réseau Haqani, Mali khan et Abdul Rashid, membres du bureau politique de Talibans. Le porte-parole des Talibans Sohail Shahin a approuvé leur arrivée au Qatar le 19 novembre.
 
Cette libération est en réalité un échange avec deux professeurs de l’université américaine de Kaboul. L’américain Kevin King et son collègue australien Timothy Weekes, kidnappés par les hommes de Tlibans en août 2016.
 
Lors d’une intervention télévisée depuis le palais présidentiel le 12 novembre, le président afghan Ashraf Ghani a déclaré que cette libération était sous condition et a souhaité que cela puisse ouvrir la voie à des négociations directes «entre le gouvernement afghan et les Talibans» et ainsi réduire les violences.
 
Jusqu’alors, les Talibans ont toujours refusé les négociations avec les autorités afghanes.
 

Peut-il être possible d’obtenir un accord de paix sans le gouvernement afghan?


 
En effet, ce n’est pas le gouvernement afghan mais l’administration de Trump qui est à l’initiative de cet échange lors des négociations de Qatar avec les responsables Talibans.
 
La question qui se pose dans ce cas-là est: quel est le rôle de Kaboul dans les négociations américain-talibans? Peut-il être possible d’obtenir un accord de paix sans le gouvernement afghan?
 
Zalmaiy Khalilzad, le représentant américain a commencé les négociations avec les autorités de Talibans au Qatar en octobre 2018 afin de trouver des solutions à la une guerre la plus longue que l’histoire américaine ait connue.
 
 
Depuis octobre 2018, Khalilzad a rencontré neuf fois les responsables Talibans à Doha, où se trouve le bureau politique des Talibans. Ils se sont entendus sur un accord portant sur le retrait des troupes américaines d’Afghanistan et la reprise des négociations avec le gouvernement afghan lors de la dernière rencontre en septembre 2019.
 
Le président Ashraf Ghani et les représentants Talibans ont été invités aux Etats-Unis pour signer un accord entre les Etats-Unis et les Talibans au mois de septembre.
 

Militairement, aucun adversaire ne peut gagner cette guerre.


 
Trois jours avant cette rencontre, Trump l’a brusquement annulé dans un tweet, suite à un attentat à Kaboul causant la mort de 11 personne dont un soldat américain. Trump a déclaré que le cessez-le-feu et la diminution des attentats sont les préconditions à la reprise des négociations avec les Talibans.
 
La situation est compliquée. Militairement, aucun adversaire ne peut gagner cette guerre. Selon Dominic Tierney, le professeur de Swarthmore College aux Etats-Unis et l’auteur de «The right way to lose a war», les américains se jugent plus faibles qu’en 2001.
 
Malgré la dépense de 18 bilions dollars depuis 2001, les institutions politiques et les troupes afghanes ne sont pas en mesure de garantir la stabilité dans le pays.
 

Les autorités américaines souhaitaient […] réécrire la constitution afghane et ajouter les propos religieux des Talibans.

 
Par conséquent, les autorités et la société civile ont salué les tentatives de Zalmay Khalilzad dans la recherche d’une issue afin de construire la stabilité et la paix. Mais la direction que suit Mr Khalilzad fait l’objet de beaucoup de controverses dans les médias.
 
Dans l’accord qui aurait dû être signé en présence de Donald Trump, les autorités américaines souhaitaient accorder un gouvernement temporaire et transitionnel en Afghanistan, afin de réécrire la constitution afghane et ajouter les propos religieux des Talibans.
 
Ces deux propositions ont été sévèrement refusés par le gouvernement ainsi que par la société civile. Politologues et institutions politiques considèrent que la paix ne sera établie que par le gouvernement, les Talibans et les autres partis politiques du pays.
 

Les Etats-Unis affaiblissent le gouvernement afghan

Le négociateur américain Khililzad ne prenait pas en compte la place du gouvernement afghan dans les négociations depuis l’an dernier et, de ce fait, a affaibli la position et le prestige du gouvernement autant que les Talibans étaient encouragés à refuser la négociation directe avec les autorités afghanes.
 
Les Talibans ont changé, passant d’un groupe terroriste illégitime à une opposition légitime dans les débats politiques afghans grâce aux diplomates américains.
 
Dans une interview de Khlilzad sur Tolo News, en février 2019, il a considéré Molla Broder, un des dirigeants et le négociateur des Talibans, un patriote qui est fidèle au pays. Cette approche envers les Talibans a provoqué beaucoup de critiques dans la société qui considère les Talibans comme un groupe terroriste ne faisant que tuer les civils, bruler les mosquées, les écoles…
 

Si les troupes américaines quittent l’Afghanistan, il y aurait un manque du pouvoir poussant le pays au bord du chaos et une guerre ethnique.


 
Dans une enquête menée par l’Institut afghan d’études stratégiques en novembre 2018, 75% des afghans pensent que les Talibans sont un groupe terroriste illégitime dirigé par le Pakistan.
 
 
Pour davantage clarifier, il existe trois critiques majeures de la diplomatie américaine au sein du débat politique afghan:

1) Une diplomatie unilatérale: l’approche récente de la diplomatie américaine a isolé le gouvernement, qui est pourtant le pouvoir légitime dans le pays. De ce point de vue, les négociateurs américains se rapprochent aux idées pakistanaises et celles des Talibans qui voudraient délégitimer l’autorité à Kaboul élue dans un processus démocratique.

Le gouvernement et les politiciens considèrent les Talibans comme un groupe armé qui doit s’intégrer dans le système démocratique construit après 2001, mais les responsables de Talibans ont réussi à convaincre les diplomates américains, notamment Khalilzad, de redéfinir la constitution et construire un gouvernement à nouveau en faveur d’un système qui limite la démocratie.

Khalilzad a aussi négocié le retrait de troupes américaines alors qu’il existe un accord stratégique signé en 2014 entre le gouvernement afghan et celui des Etats-Unis, par conséquent, c’est Kaboul qui décide légitiment sur la relation bilatérale en long ou en court terme avec Washington. Si les troupes américaines quittent l’Afghanistan, il y aurait un manque du pouvoir poussant le pays au bord du chaos et une guerre ethnique.

2) Le résultat rapide: l’agenda américain est désigné pour l’élection présidentielle de 2020 et Trump veut se montrer aux américains comme gagnant de la guerre en Afghanistan. Donc l’administration de Trump désire avoir un résultat à n’importe quel prix. Alors que cette stratégie semble fragiliser davantage la situation au long terme.

Les groupes d’Al-Qaeda sont présents dans la région et Daech est en recherche d’un territoire pour se renforcer et se stabiliser après une défaite en Syrie et en Iraq. Le retrait des troupes américaines créera un manque de pouvoir en faveur des groupes terroristes.

L’Afghanistan peut devenir un terrain de compétition entre ces différents groupes.


Les vrais combattants sont les Afghans qui payent le prix de cette guerre.


3) L’exclusion des acteurs internes: Khalilzad pense que la guerre en Afghanistan est un problème que seul les Etats-Unis peuvent résoudre. Donc la négociation avec les Talibans est un projet américain.

Les vrais combattants sont les Afghans qui payent le prix de cette guerre. Le gouvernement et les institutions non gouvernementales sont toujours exclus de négociation avec les Talibans. Le gouvernement, les partis politiques et la société civile, ce sont eux qui déterminent la direction et de leurs pays.

Une politique américaine en Afghanistan au détriment des droits de l’homme

Depuis les premières rencontres en octobre 2018, les afghans ne sont pas au courant de ce qui se passe entre Khalilzad et les Talibans. Les Talibans ne sont pas seulement ennemis de l’armée afghane mais aussi l’ennemi de la démocratie, de la liberté individuelle, des médias et de tous les principes qui fondent une société démocratique.

L’administration  Trump sous-estime le rôle de tous ceux qui battent pour la démocratie, des droits de l’homme et le plus important, pour les victimes de guerre, dans les négociations qui déterminent le futur de leurs avenirs.

La voix des femmes, des jeunes et des militants des droits de l’homme et leurs visions sont absents de la doctrine américaine concernant la guerre en Afghanistan. La doctrine américaine pour l’Afghanistan semble unilatérale, exclusive et loin de la réalité de la société afghane. Elle ne prend pas en compte les rôles des acteurs principales – le gouvernement, la société civile et les dirigeants ethniques- dans le conflit actuel.

La divergence d’opinion entre le gouvernement afghan et les américains à propos de la guerre et de la paix rendent difficile la réalisation d’un accord qui représenterait équitablement les intérêts des Etats-Unis et d’Afghanistan.

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Les Talibans imposent toujours la terreur en Afghanistan

Un conflit meurtrier entre le gouvernement et les talibans ravage l’Afghanistan. Environ 4000 Afghans, dont 927 enfants ont été tués en 2018. Hafiz Ahmad Miakhel, journaliste afghan est contraint de quitter son pays, après avoir subi plusieurs menaces des talibans. Arrivé en France il y a moins d’un an, il vit en tant que réfugié politique et dénonce la situation déplorable de son pays. Il a accepté de répondre à nos questions. 

Quelles sont les divergences entre le gouvernement afghan et les talibans durant la médiation américaine?

Un processus de paix a débuté en septembre 2018 au Qatar à Doha. Durant ces pourparlers, les talibans maintiennent leurs positions : ils exigent le retrait total des troupes américaines du sol afghan et souhaitent établir un émirat islamique afin de remplacer la république islamique d’Afghanistan.

Ils disent se battre pour la liberté du pays et de sa population. Ils affirment que leur pays n’a pas besoin d’aide d’autres pays non-musulmans comme les Etats-Unis. Je pense que les talibans ne changeront jamais, c’est un groupe extrémiste. Ils ont été au pouvoir entre 1996 et 2001 et ce fut une très mauvaise expérience.

Les talibans reflètent un passé et un présent noirs pour l’Afghanistan. Ils continuent de tuer des soldats et des innocent, ils ne croient pas aux droits de l’Homme. Le peuple afghan ne veut plus des talibans au pouvoir. Au contraire, le gouvernement afghan se base sur les aides des organisations internationales. Il considère que l’Afghanistan a besoin de cette présence de troupes étrangères. Cela lui permet de se développer au niveau économique et politique. Le gouvernement croit en l’alliance avec les Etats-Unis.

Cependant, le processus de paix manque de cohérence, le gouvernement afghan est exclu.

Quelle a été la portée des élections présidentielles du 28 septembre?

Deux principaux candidats se sont présentés pour ces élections. L’actuel président afghan, Ashraf Ghani, et son chef de l’exécutif, Abdullah Abdullah.

Les deux hommes politiques ont chacun leur tour annoncé leur victoire. La situation devrait donc se muer en un conflit entre les deux camps: lorsqu’un des deux candidats va gagner, l’autre rejettera les résultats. Il s’agit du même problème qu’en 2014. Les deux mêmes candidats revendiquaient la victoire. Les Etats-Unis sont donc intervenus. Ils ont partagé le pouvoir en deux.

Durant les cinq années suivante, il n’y a eu aucune coordination entre les deux et le système s’est bloqué. Depuis, la situation du pays ne fait qu’empirer.

En 2014, davantage de personnes ont participé aux élections qu’en 2019. Les situations économiques, sociales et politiques se sont, elles aussi, dégradées. Aujourd’hui, les deux parties rejettent l’idée de reproduire cette situation.


“Si ces pays se coordonnent et souhaitent réellement une paix durable en Afghanistan, nous y arriverons.”


Ce sont les quatrièmes élections présidentielles depuis la chute des talibans en 2001. Les élections du 28 septembre n’ont toujours pas rendu leur verdict.

La commission électorale d’Afghanistan annonce leur publication pour le 14 novembre. L’abstention est apparue comme la plus grande difficulté. Neuf millions de personnes sont inscrites, et seulement deux millions sont allées voter.

Cette situation découle de l’insécurité omniprésente en Afghanistan. Les talibans ont attaqué plusieurs bureaux de votes. L’insécurité perdure depuis 40 ans.

Selon l’ONU, plus de 20 groupes terroristes sont enregistrés et se battent contre le gouvernement afghan, tuent des civils, des personnes innocentes. Malgré un processus de paix, les combats continuent. D’après les Etats-Unis, l’Afghanistan est l’un des pays les plus meurtriers en 2018, devant la Syrie et le Yemen. C’est un réel problème pour la population.

Il y a aussi d’autres challenges. La fraude et la corruption amplifient la défiance de la population vis-à-vis de la classe politique. Il n’y a aucune transparence.

copyright Muhammed Muheisen

Copyright Muhammed Muheisen

Quel est l’impact de cette instabilité sur l’émigration?

Dans les quatre dernières décennies, des millions de gens ont quitté le pays à cause des violences.

Plus de 7 millions de réfugiés afghans sont demandeurs d’asile. 90 % d’entre eux vivent au Pakistan et en Iran.

Le gouvernement essaye donc de retenir cette jeune génération. C’est essentiel pour le bon développement du pays. De plus, leur situation est très mauvaise dans certains pays. Des millions d’afghans n’y sont pas enregistrés. Certains vivent dans des camps, n’ont pas accès à l’éducation, aux soins médicaux, aux besoins vitaux. Parfois, les relations sont tendues entres les réfugiés et les populations locales ainsi qu’avec la police.

Quel est pour vous, le meilleur chemin pour restaurer la paix ?

Je pense que la guerre prendra fin quand les deux camps (le gouvernement afghan et les talibans) négocieront ensemble, avec l’aide des Etats-Unis.

Le gouvernement afghan fait entièrement partie de cette guerre. Des centaines de milliers de civils et des milliers de soldats afghans ont été tués.  Les talibans refusent les négociations avec le gouvernement afghan. Ils ne négocient qu’avec les Etats-Unis.

Par ailleurs, nous sommes en conflit depuis quatre décennies. Pour avoir un pays en paix dans le futur, il faut une coopération régionale et internationale. Certains pays ne sont pas honnêtes dans le combat contre les terroristes en Afghanistan. Tous ces pays ont des intérêts là-bas. La position du pays est très stratégique. Il y a une grande compétition entre les grandes puissances (Chine, Russie, Iran, Etats-Unis). Si ces pays se coordonnent et souhaitent réellement une paix durable en Afghanistan, nous y arriverons.

Nous n’avons pas encore évoquer les médias, pourriez-vous me dire quelle est la situation?
 
Les médias renaissaient en Afghanistan après la chute des Taliban en 2001 ; aujourd’hui le pays a des centaines de publications, une douzaine de stations de télé et de radio ainsi que plusieurs agences d’informations.
 
La croissance rapide du média est un grand accomplissement pour le gouvernement mais les journalistes afghans paient un prix élevé pour un tel development.
 
Selon Reporters Sans Frontières, l’Afghanistan était le pays le plus mortel du monde pour des journalistes en 2018.
 
Les journalistes sont régulièrement battus, menacés et tués par des bombardments de tous les côtés dans la guerre — des insurgés, des fonctionnaires du gouvernement, des élus locaux et parfois des forces étrangères.
 
La censure est un autre défi pour les journalistes en Afghanistan. Le phénomène existe mais il est difficilement quantifiable.
 

Articles d’Hafiz Ahmad Miakhel

Hong Kong: comprendre la crise par la liberté de sa presse

Alors que la Chine est classée 177 sur 180 dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontière (RSF), la presse de la région administrative spéciale de Hong Kong a elle, pendant longtemps, bénéficié de son système libéral. Mais depuis la rétrocession en 1997, la donne a drastiquement changé. Hong Kong a chuté de la 18e place en 2002 à la 73e cette année. Les manifestations se déroulant depuis 3 mois à Hong Kong pourraient annoncer un tournant décisif pour le futur de la presse.

Grâce au “un pays, deux systèmes”, Hong Kong a longtemps accueilli les grandes agences de presse étrangère (AFP, Reuters pour ne citer qu’eux). Les réseaux Internet ne souffrent pas non plus du Grand Firewall chinois : des sites comme Google ou Facebook sont accessibles sans compromis. Mais derrière cette façade, la presse subit depuis les années 2000 de graves attaques de son voisin communiste.

Définitivement abandonné le 4 septembre, le projet de loi d’extradition vers la Chine a été pointé du doigt dès son annonce par les organismes de défense des droits de la presse comme étant une menace importante pour les journalistes hongkongais et leurs sources. Jusqu’ici, la Chine organisait des kidnappings pour ramener sur son territoire des opposants à l’étranger, mais le nouveau projet de loi menaçait, avec l’accord avec les autorités hongkongaises, de permettre des extraditions par la voie légale.

Hong Kong, un îlot pour la presse libre en Asie

En juillet 2018, on comptait à Hong Kong 78 quotidiens de presse, pour la majorité en langues chinoise ou anglaise. Ils cohabitent depuis toujours, à l’image de la société hongkongaise, une grande variété d’opinions dans la presse. Le grand clivage politique étant la relation avec la Chine, entre les médias dit pro-démocrates (Apple Daily, Passion Times) et les médias pro-chinois (Sing Pao Daily News, The Standard, Sing Tao Daily). Cependant, les sensibilités de ces médias varient également sur les questions politiques, libérales, internationales ou sociales.

En parallèle, deux journaux sont contrôlés par Pékin via le Bureau de liaison à Hong Kong (Wen Wei Po, Ta Kung Pao). Ces quotidiens diffusent la vision officielle de l’actualité mondiale et nationale du Parti communiste chinois (PCC), mais selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, ils sont considérés aux yeux des Hongkongais comme les journaux les moins crédibles.

Michel Bonnin dans l’émission d’Arrêt sur Images du 23 août 2019

Au départ opposé au projet de loi qui menaçait leur liberté économique, le milieu des affaires a ensuite fait marche arrière pour s’aligner avec la Chine après que le régime leur ait rappelé que c’est du marché économique chinois dont ils dépendent.

Des journaux hongkongais déjà sous influence chinoise

Fin 2015, le rachat du South China Morning Post (SCMP), le quotidien anglophone le plus important de Hong Kong par le groupe Alibaba (plateforme de vente Chinois) a mis en lumière la fragilité de l’indépendance des médias.

Depuis, le journal a été à plusieurs reprises accusé de collaboration avec les autorités chinoises. En juillet 2015, Zhao Wei est arrêtée et retenue prisonnière pour “incitation à la subversion du pouvoir de l’État”.

Un an après cette avocate et activiste des droits de l’Homme en Chine sort de prison mais reste sous le coup d’une importante surveillance. Au moment de sa libération, le SCMP publie alors les confessions de la jeune avocate qui explique “réaliser d’avoir emprunté un chemin dangereux et souhaite se repentir. Je ne suis plus la même personne.”

Ni son avocat, ni son mari n’avait pu obtenir le droit de s’entretenir avec elle depuis son incarcération.

Même histoire pour Gui Minhai, écrivain suédois d’origine chinoise qui travaillait pour la librairie hongkongaise Causeway Bay Books. Entre octobre et décembre 2015, cinq employés sont enlevés, dont Gui Minhai, kidnappé lors d’un voyage en Thaïlande. Début 2016, les cinq libraires réapparaissent à la télévision nationale. Ils confessent plusieurs délits, expriment leurs regrets puis purgent leurs peines. Gui Minhai est le dernier des cinq libraires à être libéré en octobre 2017 mais il est interdit de sortie de territoire.

Quelques mois plus tard, nouveau rebondissement, Gui Minhai retourne en prison. Prétextant une visite médicale, des diplomates suédois auraient tenté de l’extraire du pays mais les autorités chinoises l’ont intercepté avant.

Gui a insisté pour l’interview [avec le SCMP], il souhaite dire la “vérité” au public” – Au South China Morning Post on reste évidement septique, on met des guillemets autour de “vérité”

C’est à ce moment que le journal hongkongais South China Morning Post intervient.

Dans un article publié en février 2018, le bouquiniste hongkongais réapparaît dénonçant une machination de la Suède qui l’aurait piégé. “J’ai honte de mon comportement. J’ai commis beaucoup d’erreurs (…) Je souhaite à ma famille une vie heureuse. Ne vous inquiétez pas pour moi.” “J’aimerais désormais rester vivre en Chine. (…) Je souhaite que le gouvernement suédois cesse de me contacter et arrête de dramatiser mon cas.”

C’est la seconde confession de Gui Minhai mais celle-ci ne convainc pas sa fille, Angela Gui, plus que la première. Depuis 2015, elle dénonce sa détention comme politique et exige le retour de son père.

En avril, Tammy Tam, rédactrice en chef du SCMP lui répondait dans un éditorial : “Nous vous assurons catégoriquement que nous n’avons pas collaboré avec les autorités chinoises. (…) En tant que journalistes, nous faisons couramment face à des décisions difficiles. Ici, nous avons dû choisir entre interviewer votre père dans ce cadre contrôlé ou ne rien faire.”

Mais cette déclaration d’indépendance de la rédactrice en chef sonne faux alors qu’en 2015, 6 mois avant le rachat du journal, quatre éditorialistes du SCMP, connus pour leur opposition au régime chinois, étaient forcés de quitter la rédaction.

Dans un éditorial, le Asia Sentinel (journal où travaille également Philip Bowring, un des éditorialistes écartés du SCMP) soupçonnait déjà le Bureau de liaison à Hong Kong, souvent taxé d’être un organe d’influence chinois, d’être derrière ces évictions.

Les confessions forcées, un “classique” des médias chinois

Les confessions publiques comme celles qu’on fait Zhao Wei et Gui Minhai sont très répandues dans les médias chinois, elles sont réalisées en collaboration avec les autorités et diffusées aux heures de grande écoute de la télévision publique chinoise.

En réalité, ces confessions sont produites sous la menace et représentent une des nombreuses pratiques utilisées par le régime pour tisser la toile de sa propagande. Celles-ci n’ont jamais fait illusion à Hong Kong ou à l’international et visent majoritairement le public chinois sensible à la propagande du PCC.

Mais voir apparaître ce type de pratique propagandiste à Hong Kong, dans un média pourtant censé être indépendant du pouvoir, semble indiquer que la Chine continentale a déjà commencé à reprendre la main sur la presse hongkongaise.

Dans un article pour la revue Made in China en novembre 2018, Magnus Fiskesjö, anthropologue et ami de Gui Minhai estimait la réputation du journal définitivement ternie: “Ces récentes affaires montrent que le South Chinia Morning Post [depuis son rachat par Alibaba] ne peut désormais plus être considéré comme une organisation de presse indépendante.”

Une opinion qui semble partagée par les Hongkongais, alors même que le journal était auparavant perçu comme le quotidien le plus sérieux de la presse. Selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, le SCMP est le journal qui a le plus perdu en crédibilité entre 2003 et 2016.

Un nouveau journalisme d’opposition

En réponse à la pression chinoise grandissante, de nouveaux médias web au financement alternatif sont apparus avec une ligne radicalement opposée à la rétrocession de Hong Kong.

Extrait d’une manifestation du 5 août filmé à 360° par Hong Kong Free Press

Né dans le sillage de la Révolution des parapluies de 2014, Hong Kong Free Press (HKFP) est un journal web anglophone.

Ce média fonctionne par donation, selon un modèle non lucratif et affiche une transparence sur ses finances. Sa couverture alternative des manifestations de 2019 diffère du reste de la profession, les journalistes filment les rassemblements et affrontements au côté des manifestants.

FactWire est une agence de presse bilingue apparue en 2016. Elle se concentre sur l’investigation des affaires nationales et fonctionne sur un modèle économique similaire à HKFP. Sa première enquête exposa les graves défauts de qualité des rames de métros hongkongaises importés de Chine continentale. Depuis le début des manifestations, FactWire couvre les cas de violences policières en recoupant le déroulé des événements grâce aux dizaines de vidéos disponibles sur la toile.

Face à une influence chinoise de plus en plus présente, ces nouveaux médias entendent peser sur le marché de l’information hongkongaise en mettant en avant la liberté d’expression, la démocratie et les droits de l’Homme contre le système chinois. Un climat de peur entretenu par des attaques contre les journalistes.

Des journalistes pro-démocratie pris pour cible

Kevin Lau au club des correspondants internationaux de Hong Kong le 9 mai 2015

On m’a souvent demandé ces deux dernières années si la presse à Hong Kong était en danger. Maintenant, je crois que la réponse est claire comme de l’eau de roche. Elle l’est.”

Le Ming Pao est un des plus gros journaux de la presse hongkongaise, de tendance plutôt libérale et en faveur de l’ouverture vers Pékin. En 2014, le journal participait à une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les paradis fiscaux mis en place par le gouvernement de Xi Jinping et le PCC [Parti Communiste Chinois].

Le 26 février 2014, Kevin Lau, rédacteur en chef au Ming Pao est attaqué au couteau alors qu’il sortait de sa voiture. Deux hommes appartenant aux triades hongkongaises lui infligent de multiples blessures au dos et aux jambes.

Pour la sphère politique, aucun lien ne peut être établi entre l’attaque de Kevin Lau et une atteinte à la liberté de la presse. Mais le Ming Pao, rejoint par toute la profession journalistique, dénoncent alors cette attaque comme un crime contre la liberté de la presse.

Mais cette attaque rejoint la liste grandissante des violences contre les journalistes depuis la fin des années 90.

  • En 1996, le journaliste Leung Tin-Wai se fait mutiler au hachoir dans son bureau de travail.
  • En 1997, Albert Cheng, journaliste de radio se fait poignarder dans le parking de son lieu de travail.
  • Chen Ping éditeur du magazine iSun Affairs subit un passage à tabac en 2013
  • Deux jours plus tard le patron de l’Apple Daily, Jimmy Lai, retrouve une machette et une hache en guise d’avertissement à son domicile vandalisé.

Tous partagent une opinion opposée à la rétrocession de Hong Kong.

La question du mobile de l’attaque s’est ensuite posée. À ce moment là, Kevin Lau et la rédaction du Ming Pao collabore avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) pour une enquête sur les montages fiscaux organisés par l’élite politique chinoise du PCC.

Une corrélation qui n’a pas été plus approfondie, n’ayant aucune preuve que l’attaque ait été commandée depuis la Chine, les organisations de protection des journalistes ont préféré écarter toute hypothèse prématurée.

Après 11 arrestations et 2 condamnations, l’enquête n’est finalement pas parvenue à déterminer de commanditaire, cependant ces même triades hongkongaises sont depuis réapparues à plusieurs reprises. Contre le mouvement pro-démocrate en fin 2014, et également le 22 juillet dernier où cette fois-ci, elles ont été aperçues collaborant avec les forces de police hongkongaise dans de nombreuses vidéos amateur compilées par le New York Times.

La rétrocession de Hong Kong en 1997 a porté un grand coup au journalisme hongkongais et les affaires d’ingérence se sont succédées. Face aux pressions chinoises, le modèle libéral hongkongais ne semble pas capable de protéger la liberté de sa presse et tend au contraire, sous la pression, à collaborer avec Pékin. Reste la société hongkongaise, qui elle, après 14 semaines de mobilisation, ne semble pas l’entendre de cette oreille.

Une présence massive sur les réseaux sociaux et un important retour du journalisme citoyen

Si la situation pour la presse semble s’assombrir à Hong Kong, la mobilisation elle ne semble pas diminuer.

Alors que les manifestants étaient quelques dizaines de milliers dans les rues en 2014, les cortèges ont rassemblé cette année près de deux millions de personnes mi-juin et 1,7 million le 18 août, alors même que le mouvement tend à se radicaliser.

Dans Le Temps du débat sur France Culture, Eric Sautedé, analyste politique basé à Hong Kong, évoque un soutien populaire de près de 80% et une mobilisation de 25% des citoyens (pour une population de 7,4 millions).

“Be Water”: slogan phare de la mobilisation

Dans ce contexte, le mouvement a développé une présence d’une importance sans précédent sur les réseaux sociaux.

La communication autour des mobilisations, empreinte de culture asiatique, est massive et a largement dépassé les frontières chinoises (voir thread twitter du photojournaliste Maxime Reynié sur les visuels partagées sur les réseaux)

Suivant le modèle du réseau de journalisme citoyen Indymedia en Europe et Amérique du Nord (ensemble de médias citoyens locales de tendance de gauche radicale), In-Media version hongkongaise s’est développé à Hong Kong de façon collaborative depuis 2004.

Alors que le journalisme citoyen à connu un fort déclin en Occident au profit des réseaux sociaux, In-Media a continuer à fonctionner au gré des mobilisation contre la gouvernance chinoise.

Le site de In-Media connaît depuis le début des manifestations des pics d’affluence (classé 82.000e début juin, inmediahk.net est aujourd’hui 38.000e mondial selon les statistiques de trafic Web Alexa) tandis que la page Facebook compte elle plus de 560.000 abonnés.

Recrudescence des attaques contre les journalistes en RD Congo

Journaliste en danger (JED), s’insurge contre le regain d’attaques enregistrées depuis quelques semaines contre des journalistes et des médias. Le JED appelle les nouvelles autorités de la République Démocratique du Congo à prendre des mesures immédiates pour que cessent ces attaques répétées.

En l’espace de deux semaines, le JED a enregistré au moins 6 cas d’atteintes flagrantes à la liberté de l’information en RD Congo, à Kinshasa et dans les provinces où des journalistes et médias ont été victimes des attaques ciblées en rapport avec leur travail.

Voici une liste non exhaustive des journalistes concernées par la répression:

Simon BOFUNGA, directeur de Congo Nouveau, journal paraissant à Kinshasa, qui a été interpellé le mercredi 21 août 2019 au parquet près la Cour d’Appel de Kinshasa Gombe. Le journaliste s’y était rendu après avoir reçu un mandat de comparution. Détenu pendant environ 10 heures, le journaliste a été remis en liberté sans être auditionné et sans savoir le motif réel de cette interpellation. Il lui a été demandé de se présenter au parquet le vendredi 30 août.

Raim MAYAMA, journaliste présentatrice du magazine “Masolo ya Congo” et collaboratrice avec plusieurs médias émettant à Kinshasa, a été interpellée, le mardi 20 août 2019, successivement à la police criminelle et au parquet de grande instance de Likasi, dans la province du Haut- Katanga sur ordre de M. Kambaj, Chef de bureau des Mines. La journaliste s’était rendue au bureau du Chef de bureau des Mines pour réaliser une interview sur le présumé détournement de la taxe minière. Après avoir recueillie des informations auprès d’un proche collaborateur de M. Kambaj, Raim MAYAMA a été subitement mise aux arrêts. Accusée “d’extorsion”, elle a été conduite dans les installations de la police criminelle avant d’être acheminée au parquet où elle a été gardée jusqu’à présent sans droit de visite ni d’assistance ou de conseil.

Serge SINDANI, journaliste à Kis24.Info, un média en ligne dont la rédaction est basée à Kisangani dans la province de la Tshopo, a été violemment molesté par un groupe d’éléments des Forces Armées de la RD Congo, le 18 août 2019, alors qu’il regagnait son domicile après avoir couvert le culte de dédicace de la province de la Tshopo à Dieu, organisé par le nouveau Gouverneur de province. Violenté, le journaliste a été dépouillé de tous ses biens, notamment ses deux téléphones portables. 

La radio Télévision Shaloom, l’une des stations des radios de Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï Central, fermée depuis trois mois pour non paiement des redevances, taxes et impôts par la Direction Générale des Recettes Administrative, Domaniale et de Participation (DGRAD) a été visée, le vendredi 16 août 2019 dans la nuit, par un groupe de personnes non autrement identifiées. Tous les matériels de ce média ont été emportés. Il s’agit notamment du mixeur, le groupe électrogène, les ordinateurs, les micros, etc.

Michel Tshiyoyo, directeur de la Radio Sozer FM, une station communautaire émettant à Kananga, chef- lieu de la province du Kasaï Central est détenu depuis le mercredi 14 août 2019, dans les installations du Tribunal de paix de Kananga sur ordre du gouverneur de province M. Martin Kabuya qui “l’accuse d’incitation à la haine et outrage à l’autorité provinciale”. Le journaliste est poursuivi pour s’être interrogé sur sa page Facebook sur la rumeur d’une altercation qui aurait eu lieu entre le gouverneur Martin Kabuya et son adjoint Ambroise Kamukuny lors d’une mission officielle à Kalamba Mbuji, un poste douanier situé à 250 km de Kananga, dans le territoire de Luiza. Depuis son arrestation, Michel Tshiyoyo comparaît devant le Tribunal de paix de Kananga. À l’audience du lundi 26 août dernier, le journaliste a récusé les juges et a sollicité la recomposition du tribunal. Depuis, Tshiyoyo reçoit dans sa cellule des menaces de mort: “Michel, c’est nous que tu veux combattre. On va te tuer, retiens- le. Nous connaissons où habitent tes deux femmes. Nous t’avons piégé et nous t’avons eu. Tu n’es pas intelligent. Que le tribunal se prononce tu verras“.

Franck MUSUNZU, journaliste-correspondant de la Radio Pole FM à Masisi, un territoire de la province du Nord- Kivu, a été copieusement tabassé, le jeudi 1er août 2019, par un militaire des Forces Armées de la RD Congo. Le journaliste voulait interviewer la population de la localité de Kitshanga, victime de plusieurs exactions militaires.

Après plus d’un mois de fermeture arbitraire, un média proche de l’opposition a été re-ouvert. Aucune déclaration des officiels congolais n’a accompagné cette reprise, ni justifiée les raisons de la fermeture de cette chaîne. Il s’agit de la Radiotélévision par Satellite (RTV1) qui a repris ses activités le samedi 24 août 2019. Signalons que le signal de ce média a été brusquement coupé, le samedi 29 juin 2019, sans aucune notification, verbale ou écrite, adressée aux responsables de ce média diffusait une émission intitulé “Spécial Lamuka” appellant la population à participer à une marche pacifique, le 30 Juin 2019, pour notamment réclamer “la vérité des urnes”. Cette manifestation de l’opposition était interdite, la veille par l’autorité urbaine au motif le 30 Juin était un jour commémoratif de l’indépendance de la RD Congo.

Dorcas BAKANDA, journaliste de la Radio Communautaire Rurale FM, station émettant à Mbandaka, chef- lieu de la province de l’ Équateur, a été victime, le dimanche 28 juillet 2019, d’une violente agression. La journaliste a été poignardée à ses postérieurs par un groupe d’hommes munis d’armes blanches. Blessée et saignant à flots, Dorcas BAKANDA a été dépossédée de son sac à main contenant son téléphone portable, son dictaphone, etc. Dorcas BAKANDA a été attaquée sur son chemin de retour à son domicile après avoir présenté une émission consacrée au décryptage de l’actualité sociopolitique de la province. Dans cette tranche d’émission, elle a critiqué les autorités provinciales en les invitant à pouvoir résoudre le problème de l’inondations récurrente dont est victime la population locale.

Attaque avec violence, vol, enfermement arvitraire, peur au quotidien…

Le JED condamne avec la plus grande fermeté ces attaques dont sont actuellement victimes des journalistes qui doivent pouvoir exercer leur travail dans les meilleurs conditions, surtout à l’aube de cette période de l’alternance politique en RDC qui doit marquer une rupture avec les méthodes et pratiques prédatrices de l’ancien régime.

Près de huit mois après son avènement au pouvoir, et en dépit de ses déclarations des bonnes intentions, le JED constate avec regret que le nouveau Président de la République Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi , n’a pris aucune mesure concrète pour promouvoir la liberté de la presse et assurer la sécurité des journalistes.

Rappelons que la RDC a perdu plusieurs journalistes (ses Fils maison) à cause des exactions commises en 2018 ; Nombreux sont en exil tandis que d’autres vivent dans la clandestinité bien qu’ils soient dans leurs propres pays ; d’autres ont été assassinés, enterrés dans des fosses communes à Kinshasa et à travers la République.

Lors de la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse le 3 mai dernier, il avait pourtant déclaré: “J’entends par quatrième pouvoir que vous avez des droits. Le droit d’être protégé, de parler librement ou d’investiguer…!

Les atteintes à la liberté d’expression, d’opinions et d’informations en République démocratique du Congo restent un combat pour la vraie démocratie dans le pays de Lumumba!

Deux hommes du pouvoir congolais au coeur d’un système de répression

Il faut enquêter sur deux anciens responsables des services de renseignement ! En effet, deux anciens hauts responsables de l’Agence nationale de renseignements – ANR – ont été récemment limogés et devraient être traduits en justice.

Les autorités de la République démocratique du Congo devraient ouvrir des enquêtes sur deux anciens responsables des services de renseignement récemment limogés et accusés d’avoir commis de graves violations des droits humains, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Vers la fin des abus systématiques commis par les services de renseignement congolais ?

En mars 2019, le président Félix Tshisekedi a relevé Kalev Mutond de ses fonctions de directeur de l’Agence nationale de renseignements -ANR- et Roger Kibelisa de son poste de chef du Département de la sécurité intérieure de cette agence.

Sous la direction de Mutond et de Kibelisa, l’ANR a été un instrument de répression politique contre les dirigeants de l’opposition ainsi que les activistes pro-démocratie et des droits humains, tout au long de la longue crise politique qu’a connu le pays.

Le président Tshisekedi a nommé Kibelisa au poste d’assistant du conseiller spécial du Chef de l’État en matière de sécurité. On ignore encore si Mutond se verra offrir un nouveau poste. “Le limogeage de Mutond et Kibelisa par le président Tshisekedi pourrait s’avérer être une étape importante vers la fin des abus systématiques commis par les services de renseignement congolais“, a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch.

Mais au lieu de donner à ces hommes de nouveaux postes, la nouvelle administration devrait enquêter sur leur comportement passé et les poursuivre en justice de manière appropriée.

Le système Kalev Mutond : intimidations et menaces, arrestations arbitraires, détentions au secret durant des années, corruptions de juge, tortures… 

Il fut le principal architecte de l’entreprise de répression orchestrée par le gouvernement lors de la contestation politique qui avait secoué le payx alors que le président de l’époque, Joseph Kabila, se maintenait au pouvoir au-delà de la limite de deux mandats autorisée par la constitution, en décembre 2016.

Human Rights Watch s’est entretenu avec plus d’une douzaine de responsables gouvernementaux, de membres de la coalition de Kabila et d’agents de forces de sécurité, qui ont tous affirmé que Mutond avait joué un rôle central dans la répression exercée par le gouvernement à l’encontre des activistes des mouvements de jeunesse pro-démocratie, les journalistes et des dirigeants d’opposition et leurs partisans, ainsi que dans l’orchestration de violences à travers tout le pays, notamment dans la turbulente région centre du Kasaï.

L’Agence nationale de renseignements a détenu beaucoup des personnes arrêtées au secret pendant des semaines, voir des mois, des années, sans aucun chef d’inculpation, sans accès à leurs familles ou à des avocats.

Certaines personnes ont été jugées sur la base d’accusations montées de toutes pièces, tandis que prétendument, Mutond jouait aussi un rôle dans ces procès en intimidant les juges et en dictant des verdicts.

L’ANR a brutalement maltraité ou torturé certaines personnes détenues dans le cadre de cette répression, y compris en recourant aux électrochocs et à une forme de simulacre de noyade.

Des agents des services de renseignement placés sous l’autorité de Mutond, Kakiat (actuelle directeur de l’ANR), et Kibelisa, ont également à maintes reprises intimidé, menacé et harcelé des activistes, des journalistes et des dirigeants ou des partisans de l’opposition, apparemment dans le cadre d’une vaste campagne visant à semer la peur et à limiter leurs activités avant les élections nationales de décembre 2018.

Inzun Kakiat, devenu l’actuel responsable de l’ANR, aurait également été impliqué dans le recrutement de membres de la branche jeunesse du parti au pouvoir pour infiltrer les manifestations de l’opposition et répandre violence et désordre pour décridibiliser les opposants.

Les États-Unis ont sanctionné Mutond le 12 décembre 2016 pour avoir “entravé des processus démocratiques” et l’Union Européenne l’a sanctionné à son tour le 29 mai 2017 pour avoir “planifié, dirigé ou commis” de graves violations des droits humains.

L’UE a prolongé ses sanctions à l’encontre de Mutond en décembre 2018.

Kibelisa : l’autre artisan de la répression, toujours en poste et plus près du pouvoir

Kibelisa a également joué un rôle essentiel dans la répression exercée contre les activistes, les journalistes et l’opposition lors de l’administration Kabila.

Le bureau de Kibelisa était situé dans un immeuble de l’ANR à Kinshasa connu comme le centre de détention “3Z” où, de 2015 à 2018, de très nombreux prisonniers politiques, journalistes, et activistes ont été détenus dans des conditions inhumaines et, dans de nombreux cas, maltraités ou torturés.

Les familles des détenus, leurs avocats et les défenseurs des droits humains se sont vu régulièrement dénier l’accès au centre 3Z lorsque Kibelisa était à son poste. En 2016, l’Union Européenne a sanctionné Kibelisa pour son rôle dans la perversion du processus démocratique, et pour avoir orchestré des violations des droits humains et incité à la violence.

Ces sanctions ont été prolongée en décembre, avant les présidentielle et législatives.

Il était le cerveau et l’organisateur de la répression anti-démocratique, c’est à lui que l’on doit les arrestations arbitraires de journalistes qui exerçaient leur travail librement. Nombreux sont les journalistes dont on ignore où ils sont, ou tout simplement s’ils sont encore en vie. 

Donc, la décision de Tshisekedi de nommer Kibelisa au poste d’assistant du conseiller spécial pour les affaires de sécurité est une indication qu’il ne fera pas l’objet d’une enquête pour ses abus présumés passés.

Bien que Mutond ne se soit pas encore vu offrir un poste dans le nouveau gouvernement, le choix de Justin Inzun Kakiat, qui fut son adjoint pendant de nombreuses années, pour lui succéder comme directeur de l’ANR est un signe de plus d’une absence de volonté de la part de la nouvelle administration de s’occuper de la question d’impunité au sein des agences de renseignement.

En tant que journaliste soucieux des droits de l’homme, j’ajoute qu’un examen approfondi du rôle joué dans le passé par Kakiat dans des abus devrait être effectué avant qu’il ne prenne son nouveau poste.

En echo, Lewis Mudge directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch : “La manière dont le président Tshisekedi traitera les auteurs de violations des droits humains commises dans le passé sous l’administration Kabila sera très révélatrice de la future direction de son administration“.

Avec peu d’espoir sur la réponse, nous sommes tout de même en droit de nous interroger : y aura-t- il vraiment un véritable processus de responsabilisation et de réforme ou une continuation de la répression, des abus et de l’impunité qui prévalaient sous Kabila ?

L’impunité des crimes commis contre des journalistes

[RAPPORT UNESCO] Ces 12 dernières années, l’UNESCO a enregistré, dans le monde, 1 010 meurtres, dont 115 seulement ont été suivis d’une procédure judiciaire qui a abouti à la condamnation d’un ou plusieurs auteurs. Plusieurs éléments peuvent attirer notre attention. Le plus surprenant est le nombre de journalistes tués en dehors des zones de conflit armé. La majorité des meurtres commis en 2017 (55 %) ont été recensés dans des pays qui ne sont pas en conflit.

Manifestation contre l’esclavage en Mauritanie violemment réprimée

[LUTTE CONTRE L’ESCLAVAGE] “Aujourdhui plusieurs militants ont été gravement blessés, battus sauvagement par des policiers armés jusqu’aux dents et ayant pour ordre de casser les militants pacifiques. Des blessés graves, victimes de tabassage violent à coups de matraques, de godasses sur toutes les parties du corps.”