Géorgie. Un pays sous haute tension

Avocats, journalistes, étudiants et militants descendent quotidiennement dans les rues pour dénoncer un recul démocratique qu’ils jugent alarmant. Leurs témoignages reflètent un pays à la croisée des chemins, où l’avenir européen se heurte à une dérive autoritaire croissante.

[Par Ulviyya Karimova, publié le 3/12/2025]

La Géorgie traverse l’une des périodes les plus tumultueuses de son histoire récente. Depuis les élections parlementaires contestées de 2024 et la décision du gouvernement de suspendre les négociations d’intégration à l’Union européenne jusqu’en 2028, des manifestations massives secouent le pays.

Pour Saba Brachveli, avocat et responsable du programme des droits humains à la Civil Society Foundation, les manifestations sont bien plus qu’un mouvement politique. Elles sont un sursaut citoyen face au recul des libertés. « Nous manifestons parce que nous voyons la Géorgie s’éloigner de la démocratie, de lavenir européen et de lindépendance », explique-t-il, décrivant un mouvement profondément émotionnel, nourri par l’amour du pays.

Il dénonce une réponse gouvernementale « brutale, impitoyable et indigne », marquée par des violences contre des manifestants pacifiques, des arrestations arbitraires et des intimidations qui ciblent la société civile.

Brachveli lui-même a été arrêté, blessé par un projectile en caoutchouc, gazé et aspergé par des canons à eau. Il affirme que ces épreuves n’ont fait que renforcer la détermination collective : « Cette violence na fait que nous unir davantage. Les citoyens montrent un courage qui prouve que la peur ne pourra jamais soumettre ce pays. »

Pour lui, l’intégration à l’UE reste essentielle, non seulement comme choix politique mais comme projection de valeurs fondamentales : liberté, justice, solidarité. « Aucun gouvernement ne peut effacer cette aspiration. Elle est ancrée dans le cœur du peuple. »

La situation n’est guère meilleure pour les journalistes. Mariam Nikuradze, cofondatrice du média OC Media, décrit une dégradation rapide de la liberté de la presse depuis l’annonce de l’arrêt du processus européen. Selon elle, le parti au pouvoir, Georgian Dream, a adopté un arsenal législatif qui restreint la liberté d’expression. Ainsi, les médias ont interdiction d’enregistrer les procès. Un coup dur alors que plus de cinquante manifestants sont poursuivis. Elle-même a été sanctionnée, elle s’est vue infliger une amende de 20 000 laris [soit 6 400 euros] pour « blocage de route », alors qu’elle couvrait une manifestation dans le cadre de son travail. D’autres journalistes ont été agressés physiquement, parfois grièvement, sans qu’aucune enquête ne soit ouverte. « La police ne nous protège plus. Nous devons désormais nous protéger delle », déplore la journaliste.

Journalistes, étudiants, tous dans le viseur du gouvernement

La pression financière, les campagnes de diffamation et les poursuites administratives créent un climat de peur qui menace la survie même des médias indépendants. Pourtant, ceux-ci continuent de documenter les violations des droits humains et de contrer la propagande gouvernementale, malgré des moyens extrêmement limités. Nikuradze appelle la communauté internationale à réagir plus fermement : « Il nest jamais trop tard pour augmenter la pression. »

La répression n’épargne pas les étudiants, y compris étrangers. Javid Ahmadov, étudiant azerbaïdjanais à l’Institute of Public Affairs (GIPA), a découvert qu’il avait été condamné à une amende de 5 000 laris [soit 1 600 euros] en quittant le pays. Son tort : avoir filmé une interview pour un devoir universitaire lors d’une manifestation, ce que les autorités ont qualifié de « blocage de route ».

Un cas révélateur de l’extension des mesures punitives bien au-delà des militants les plus visibles. Un gouvernement qui invoque la stabilité et la souveraineté face aux critiques, le gouvernement et le parti Georgian Dream défendent leurs actions. Ils affirment que les mesures adoptées – y compris la pause des négociations avec l’UE – visent à stabiliser le pays et protéger l’ordre public.

Les autorités rejettent les accusations de répression systématique. Elles évoquent des interventions nécessaires face à des manifestations jugées perturbatrices. Elles justifient également la loi sur les « agents étrangers » comme un outil de transparence face aux financements internationaux. Le ministère de l’Intérieur assure que des enquêtes seront menées pour tout usage excessif de la force. Cependant, les observateurs estiment que les mécanismes de responsabilité restent largement insuffisants.

Ces témoignages convergent vers un constat clair : la Géorgie vit un moment de bascule. La société civile subit un environnement de plus en plus hostile, marqué par des pressions juridiques, des violences et des sanctions financières. Pourtant, tous insistent sur la persistance d’un engagement profond pour les valeurs démocratiques et l’avenir européen du pays. Malgré la répression, la mobilisation populaire ne faiblit pas. Elle traduit une volonté collective de défendre la démocratie, l’indépendance et la place de la Géorgie au sein de la famille européenne. Le bras de fer entre aspirations citoyennes et stratégie gouvernementale reste ouvert – et son issue déterminera le futur du pays.

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Ulviyya Karimova

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