Iran. Le régime efface les traces de ses crimes : destruction de la parcelle 41 du cimetière de Behesht Zahra à Téhéran

Au sud de Téhéran, le plus grand cimetière d’Iran, Behesht Zahra, abritant de nombreuses tombes de victimes des massacres de 1981 et 1988, a de nouveau été pris pour cible par le gouvernement iranien.

[par Massoumeh Raouf, publié le 02/10/2025]

Iran
©capture d’écran

Le 11 août 2025, des engins lourds ont pénétré dans la parcelle 41, où reposaient des milliers de prisonniers politiques exécutés au début des années 1980, notamment des membres de l’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI). En quelques jours, les pierres tombales ont été détruites, les allées nivelées et les forces de sécurité ont interdit l’accès aux familles. Le 19 août, Davoud Goudarzi, adjoint au maire de Téhéran, a cyniquement admis que cette section avait été « officiellement autorisée à être transformée en parking« . Le 16 août, Mohammad Javad Tajik, directeur général de Behesht Zahra, avait déjà confirmé et même justifié cette opération dans le quotidien Shargh. La parcelle 41 comptait près de 9 500 tombes, principalement celles de victimes des massacres de 1981 et de 1988. Ces exécutions de masse, qualifiées de « crimes contre l’humanité » et de « génocide » par des experts indépendants de l’ONU, continuent d’être niées par le régime, qui cherche désormais à effacer jusqu’à leurs traces matérielles.

Une politique systématique d’effacement

Cet acte n’est pas isolé mais s’inscrit dans une politique délibérée. Depuis des décennies, les autorités iraniennes profanent systématiquement les tombes des victimes. À Machhad, Ahvaz, Tabriz et Khavaran, les fosses des massacres de 1988 ont été détruites ou recouvertes. En 2017, des dizaines de tombes ont été rasées à Tabriz ; en 2021, ce fut au tour de Khavaran. À Ahvaz, des charniers ont été recouverts de béton pour faire disparaître les preuves.

Rapport des Nations Unies

Dans son rapport de juillet 2024, le professeur Javaid Rehman, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en Iran, a qualifié les massacres de 1981 et de 1988 de « génocide et crime contre l’humanité« . Il a exhorté les États à engager des poursuites judiciaires, en vertu de la compétence universelle, contre les responsables, dont beaucoup occupent encore aujourd’hui les plus hauts postes du régime, à commencer par le Guide suprême Ali Khamenei. En droit international, la destruction intentionnelle de preuves de crimes de masse constitue une complicité active et prolonge le crime initial.

La prise de position d’Amnesty International

Le 22 août 2025, Amnesty International a publié une déclaration dénonçant cet acte comme « un nouveau témoignage sinistre de l’impunité systémique pour les crimes contre l’humanité« . L’organisation a rappelé que les tombes individuelles et collectives des années 1980 sont des scènes de crime nécessitant une expertise médico-légale, et que leur destruction équivaut à dissimuler des preuves, à nier la vérité et à entraver la justice. Amnesty a documenté comment, par le passé, les autorités iraniennes avaient déjà détruit les sépultures des victimes avec des bulldozers, construit des routes ou des bâtiments par-dessus, ou transformé ces sites en décharges. L’organisation a également souligné la profanation de tombes de victimes de violations plus récentes, notamment des bahaïs persécutés et des personnes tuées illégalement lors du soulèvement en 2022. Elle a appelé à un arrêt immédiat de ces destructions et au respect du droit des familles à enterrer leurs proches dans la dignité.

Une histoire de sang et de déni

La parcelle 41 n’est qu’un des nombreux lieux où le régime a enterré ses victimes en secret, sans informer les familles. Tout au long des années 1980, des milliers de prisonniers politiques – en majorité des sympathisants de l’OMPI – ont été exécutés dans les prisons.


L’événement le plus tragique eut lieu à l’été 1988, lorsque Rouhollah Khomeiny émit une fatwa ordonnant l’exécution de tous les prisonniers politiques restés fidèles à leurs convictions. Les « comités de la mort » rendaient leur verdict en quelques minutes. On estime que 30 000 prisonniers politiques furent massacrés, dont une écrasante majorité de membres de l’OMPI. Comme mon frère, enterré dans une fosse anonyme quelque part en Iran, ces victimes incarnent un génocide toujours impuni.

« Une tentative désespérée pour échapper à la justice »

La Résistance iranienne affirme que la destruction de ces tombes est menée sur ordre direct de Khamenei et des plus hauts responsables du régime. Maryam Radjavi, présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne, a fermement condamné la destruction de la parcelle 41, la qualifiant de prolongement des crimes des années 1980. Elle a déclaré : « En effaçant les tombes des martyrs, le régime tente d’effacer la vérité. Mais il ne pourra jamais détruire la mémoire vivante d’un peuple ni empêcher la justice internationale« . Elle a averti que le silence face à ces crimes ne ferait qu’encourager les bourreaux et a appelé à une action internationale décisive pour briser ce cycle d’impunité.

Au-delà de la destruction physique, cette politique vise à étouffer la mémoire collective. En effaçant les traces matérielles des crimes, le régime cherche à priver les victimes de justice et à protéger les coupables. Transformer un cimetière en parking, c’est enterrer à la fois les martyrs et la vérité.

La souffrance des familles

Pour les familles endeuillées, cette destruction n’est pas seulement une perte matérielle, mais une blessure rouverte : une tentative de tuer leurs proches une seconde fois, en effaçant jusqu’à leur nom sur les pierres tombales. Chaque tombe détruite est une voix que le régime veut faire taire. Les familles sont privées du droit élémentaire au deuil, ce qui engendre une douleur profonde et un traumatisme permanent. Le cimetière était leur seul lien tangible avec leurs disparus ; il est désormais remplacé par des voitures garées sur leurs tombes.

Nous, familles de victimes, appelons avec insistance l’ONU, les gouvernements démocratiques et les organisations de défense des droits humains à condamner publiquement cette destruction, à protéger les autres lieux de sépulture menacés et à soutenir des enquêtes judiciaires indépendantes. Le silence ne fera qu’encourager Téhéran à poursuivre ses crimes. Une action urgente est indispensable pour que justice soit enfin rendue.

À lire également : Iran. Deux prisonniers politiques condamnés et exécutés

Massoumeh RAOUF

Massoumeh Raouf est iranienne, ancienne prisonnière politique du régime des mollahs.

En 1988, son frère de 16 ans est exécuté lors du massacre des 30.000 prisonniers politiques iraniens. Pour lui rendre hommage, Massoumeh Raouf a écrit la bande-dessinée "Un petit prince au pays des mollahs".

Engagée dans la «Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988», Massoumeh Raouf se bat aujourd'hui pour faire traduire en justice les auteurs de ce «crime contre l'humanité resté impuni».

Comme pour tous les journalistes réfugiés politiques, l'Oeil de la Maison des journalistes garantit une Tribune Libre de liberté d'expression.

Articles recommandés