Une ancienne membre du groupe islamiste qui a semé la mort pendant plus d’une décennie en Afrique, raconte Boko Haram de l’intérieur. En route pour l’exil, nous l’avons rencontré il y a quelques semaines à Toumou au nord-est du Niger. Un lourd secret qui la hante depuis plusieurs années.
[par Fabien Essiane, publié le 21/07/2025]

Pour des besoins de sécurité, nous allons lui donner un nom emprunt. Nous l’appellerons Aminata Gokou. Originaire de Tilaberi, une région au sud-ouest du Niger, Aminata, était l’une des plus cruelle du groupe radical, Boko Haram. Elle agissait pour seul but de tuer. C’est à 25 ans, qu’elle est recrutée par Boko Haram. « Je suivais en permanence, un lavage de cerveau. Cela m’a fait changer sans même le réaliser. La vie d’un être humain ne me disait plus rien« , reconnaît-elle. Ici à Goudoumaria, cependant, personne ne le sait. C’est un secret lourd que la jeune femme porte. « Je suis l’une des plus brutale tortionnaire de boko Haram, » reconnaît-elle. Un secret qu’elle a habilement conservé. « Mes méthodes consistaient à amputer un bras ou une jambe à toute personne qui refusait de se convertir à l’islam. J’amputais un membre de leur corps et trempais la partie non amputée dans de l’huile bouillante pour que la cicatrisation soit rapide« , raconte l’ancienne coordonnatrice de Boko Haram au Niger.
« Je demandais à tous ceux qui étaient sous mon commandement de boire du sang humain. Celui de nos victimes. Nous appelions cela l’eau spirituelle. Ce sang nous permettait d’être puissants et nous incitait à commettre des crimes. Nous sommes devenus très dangereux. Nous pouvions facilement tuer, sans raison particulière. L’eau spirituelle [le sang], nous fortifiant aussi contre les armes ou les balles des fusils … Je me souviens encore des instructions que nous donnait notre chef Abukakar Shekau. Il nous demandait d’être toujours armés, soit d’un couteau ou d’une arme à feu. Je ne sais pas combien d’êtres humains j’ai sacrifié ou mutilé une partie de leur corps. La nationalité m’importait peu. C’était des hommes en tenus comme en civile par exemple » raconte Aminata qui s’est repentie et regrette de telles pratiques qu’elle trouve aujourd’hui, mauvaises.
« J’ai assisté à l’exécution de beaucoup de gens. Quand on arrivait dans un village, notre mission était de tuer tout être humain présent dans ce village. On demandait à nos victimes, êtes-vous d’accord pour devenir musulmans? Si la personne répondait non, on l’égorgeait comme une chèvre. On recueillait son sang dans une petite coupe, on buvait une partie tandis qu’on versait le reste sur nos têtes ».
« Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça fait du bien de rompre avec Boko Haram. Tout le temps que j’ai passé avec eux, restera gravé dans ma mémoire toute ma vie. Nous étions comme des robots. Nous devions agir sans se poser de questions. Nos vies appartenaient à Boko Haram. Tous les matins, on nous disait que nous serons récompensés avec nos familles si nous réussissons des missions qu’ils nous attribuaient. J’avais été kidnappé et marié de force à deux combattants de Boko Haram. J’ai donné naissance à une fille pendant ma captivité. Mais l’enfant n’a pas survécu à cause des mauvaises conditions de vie. Elle est décédée, elle avait à peine huit mois. On m’a accusé de l’avoir tué. Ce qui n’était pas vrai. J’avais été torturée pour cela.«
Quand elle raconte sa vie, Aminata Gokou fond en larmes. « Comment est-ce que ma fille pouvait-t-elle grandir dans un environnement comme celui-là ? C’est l’une des questions que je me posais sans cesse. A partir de ce moment-là j’ai commencé à penser à m’échapper. A défaut de périr aux mains de Boko Haram. Vous ne pouvez pas savoir ce que j’ai vécu là-bas. Je ne pouvais jamais imaginer que je deviendrais kamikaze au service Boko Haram, une bombe humaine. Ici, personne ne le sait, » murmure-t-elle.
Trois fois par semaine, la trentenaire suivait des cours de religion dispensés par un marabout. Elle est à présent convaincue que Dieu lui accordera son pardon. Aminata veut redémarrer une vie normale et une intégration sociale.
Auteurs et victimes
Les cicatrices profondes de la secte islamique demeurent intactes plusieurs années après le décès de son chef Abubakar Shekau.
Boko Haram est l’un des groupes djihadistes les plus mystérieux et les plus violents au monde. Aminata a retrouvé la « société à laquelle elle appartenait avant de s’égarer » souligne Eleme Asumu, analyste equatoguiéen.
La jeune dame semble avoir pris note. « Je veux libérer ma conscience. Je veux recommencer ma vie et passer à autre chose. Je me sens triste. Je sais que j’ai laissé des milliers de personnes dans les mains de Boko Haram. Ils sont là-bas dans les bois. Je veux redémarrer ma vie et vivre dans un autre pays et ce sera la meilleure chose qui puisse m’arriver. Ma destination est sans aucun doute, un pays européen dans lequel je compte refaire ma vie et passer à autre chose. C’est l’avenir qui déterminera la suite des choses » poursuit-elle.
Une épouse modèle
« J’étais une femme qui obéissait à mon mari. Tout ce qu’il me disait de faire, je le faisais sans lever le petit doigt. J’étais une épouse modèle. C’est comme cela que je me suis retrouvée dans le groupe, sous l’influence de mon mari. Une fois intégré dans le groupe, les prédicateurs nous ont appris que nos premiers ennemis sont les chrétiens. Que plus nous tuons les chrétiens, plus nous avons de chance d’entrer au paradis. J’en suis venu à croire que ce qu’ils disaient était la vérité absolue, à force de recevoir à longueur de journée ces paroles » se souvient Aminata Gokou.
« Je ne sais pas combien de personnes j’ai égorgé ou mutilé »
« Lorsque nous buvions le sang de la victime, on ne voyait pas son fantôme dans nos rêves » raconte Aminata Gokou. « Mais ces pratiques ont commencé à réveiller en moi un dédain et une envie de quitter le groupe Boko Haram. Et quand ce jour est arrivé, je me suis enfuie. Je n’ai plus aucune envie de revenir à ma vie précédente avec ces gens« . Aminata craint pour sa famille restée dans son village. « Depuis que je suis dans un périple, je n’ai pas de nouvelles de ma famille. J’ai perdu tout contact. Mes parents ont-ils été exécutés ? Je n’en sais absolument rien« , conclu-t-elle inquiète du sort qui peut leur être réserver.
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