Carnet d’exil. Le récit du retour, une lutte contre l’oubli

Le journaliste Amanullah Qaisari a été contraint de quitter son pays, l’Afghanistan, pour immigrer vers la France. Membre de la deuxième promotion du programme Voix en Exil, il raconte à travers cet épisode de « Carnet d’exil » comment ce programme l’a aidé à réaliser son premier reportage depuis son départ d’Afghanistan. Un moment important pour Amanullah pour qui sa profession incarne un bout de son identité et de sa lutte pour la liberté.

[par Amanullah Qaisari, publié le 13/08/2025]

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© Amanullah Qaisari

Des sommets aux profondeurs

Il n’y a pas si longtemps, en tant que producteur d’émissions télé, je parcourais le monde, devenant le narrateur de l’inconnu et de la spontanéité. J’en ai tiré un sentiment enivrant de fierté et d’honneur. Parmi des millions de personnes, j’avais été choisi pour raconter des vies, pour immortaliser une partie de l’Histoire.

Lorsque j’ai mis ma carte de presse à mon cou, j’ai eu l’impression que le monde m’appartenait. La vie m’a souri et j’ai répondu par un sourire. J’étais comblé, et je pouvais seulement envisager que des jours encore plus beaux m’attendaient.

Mais un jour, le temps s’est arrêté pour moi. Toutes ces journées radieuses ont pris fin. Le dernier arrêt !

L’exil, un nouveau départ

Je suis devenu un migrant, errant à la recherche de moi-même. Bien qu’à partir du moment où j’ai émigré, puis à mon arrivée en France, j’ai continué mon travail d’une autre manière, l’envie de partir en reportage, d’une carte de presse, d’un appareil photo et d’un micro ne m’a jamais quittée.

On dit que l’espoir fait vivre. Malgré toutes mes inquiétudes, j’ai continué à produire du contenu et j’ai gardé espoir en l’avenir. Pour être honnête, le journalisme n’est pas seulement un devoir pour moi ; c’est une partie de mon identité.

À la fin de l’année 2024, j’ai reçu un mail de Reporters sans frontières : un programme pour journalistes en exil appelé « Voix en Exil ». Je suis très reconnaissant envers cette organisation, qui m’a soutenue silencieusement et m’a accompagnée jusqu’à aujourd’hui.

Cet email incarnait mes espoirs de changement. J’ai immédiatement déposé ma candidature et, après plusieurs entretiens, j’ai été accepté. J’ai recommencé à travailler dans un environnement professionnel, avec des travailleurs compétents. Il me semblait que j’étais sur le point de raconter à nouveau, d’écrire à nouveau, de refaire face à la caméra, de réaliser de nouveaux reportages. C’était comme si j’allais une nouvelle fois accrocher ma carte de presse autour de mon cou et sourire de l’intérieur. J’étais choisi pour la deuxième fois

Voix en exil

Le programme de « Voix en exil » a vu le jour grâce au soutien conjoint de plusieurs organisations françaises : C’est fou de constater à quel point un sourire aimable et quelques paroles bien placées peuvent motiver quelqu’un. Dès les premiers instants, j’ai été chaleureusement accueilli par les organisateurs du programme, comme si nous nous connaissions depuis des années.

Aux côtés d’Anis, le coordinateur du programme, nous avions prévu de préparer un reportage dans Les Herbiers, couvrant le championnat national de cyclisme. Avec des participants un peu particuliers. Cinq femmes afghanes, parrainées par l’Union cycliste internationale et la Fédération française de cyclisme sont venues concourir pour une compétition nationale afghane: Fariba, Yuldoz, Samira, Mahnaz et Zahra.

Les Herbiers ; un championnat national en France

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© Amanullah Qaisari

Le 27 juin, nous quittons Paris pour Nantes, puis rejoignons Les Herbiers. Tout au long du trajet, je sens monter l’excitation. Nous arrivons sur le site ; une ville colorée, aménagée pour accueillir la compétition.

J’entre enfin dans la zone réservée au média, et même si cela peut sembler simple, le moment où je reçois ma carte de presse a pour moi la même valeur que si je venais de recevoir la médaille d’or de la course elle-même. Je commence mon travail ; avec mon appareil photo, j’enregistre tout ce que je peux. L’enthousiasme des spectateurs, les cyclistes qui franchissent la ligne d’arrivée et l’atmosphère d’une ville qui vit pour le vélo.

Je discute avec Noémie Abgrall, la championne amatrice française. Je l’interroge sur la présence de femmes afghanes sur les lieux.

« C’est admirable et précieux que vous soyez présents dans cette compétition. Cela montre que d’autres cultures sont également représentées… Mais surtout, cette compétition est la leur. C’est très encourageant. Ils le méritent, c’est certain. La France a fait un excellent travail pour ça. »

Noémie Abgrall

Les organisateurs sont également optimistes. Jacques Landry, responsable du développement à l’Union cycliste internationale, souligne dans sa toute première interview avec un journaliste afghan, l’importance de continuer la compétition pour les femmes cyclistes. De nombreux habitants de la ville sont conscients de la présence des cyclistes afghanes et les accueille avec bienveillance.

Le cyclisme féminin

Je m’entretiens avec Yulduz Hashemi, l’une des cyclistes afghanes les plus titrées et ayant participé aux jeux Olympiques de Paris.

© Amanullah Qaisari

Elle évoque sa préparation pour ce championnat, ses projets futurs et son rêve de rouler à Kaboul. Je découvre une femme confiante qui veut être une digne représentante du cyclisme afghan.

Finalement, Fariba Hashemi remporte la course et Yulduz décrocher la deuxième place. Une course qui n’est pas seulement là pour distribuer des médailles, mais aussi pour prouver la force et la durabilité de l’identité afghane. Cette compétition est aussi un symbole de la lutte contre le silence, l’oubli et l’exil.

© Amanullah Qaisari

La fin ? Vous avez lu : Un début

Le voyage aux Herbiers – une petite ville verte à 80 km de Nantes, dont la seule fierté sportive est peut-être d’avoir atteint la finale de la Coupe de France en 2018 contre le Paris Saint-Germain – a été un tournant pour moi en tant que reporter.

Rien n’est impossible. Même dans les moments les plus sombres, avec de l’espoir et des efforts, les rêves peuvent devenir réalité. Aujourd’hui, je suis plein de vitalité, je fais ce qui me passionne. Je suis devenu le narrateur des récits de personnes forcées de quitter leur patrie, ont dû donner un nouveau sens à la vie.

Sur le chemin du retour, j’ai réfléchi à l’ampleur du travail accompli. Dans ce village, deux histoires sont racontées simultanément : celle des filles qui doivent se battre à des kilomètres de chez elles pour leurs droits… et la mienne, qui doit autant que possible être la voix de ceux qui ne peuvent pas s’exprimer.

VOIX EN EXIL. Lancé par CFI, la Maison des journalistes (MDJ), SINGA et Reporters sans frontières (RSF), Voix en Exil est un nouveau projet de soutien et d’accompagnement à Paris de journalistes et médias en exil, soutenu par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, afin de faire de la France l’une des principales terres d’accueil des journalistes en exil. 


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