Grèce. Suspension des demandes d’asile pour les personnes arrivant d’Afrique du Nord

Mercredi 9 juillet, Athènes a annoncé la suspension temporaire des demandes d’asiles des personnes arrivant du Nord de l’Afrique. Selon le gouvernement grec, cette suspension a pour but de réduire le flux migratoire en provenance, notamment, de la Libye, le nouveau point de départ des personnes en exil voulant rejoindre l’Europe. Les organisations des droits de l’Homme et l’ONU ont jugé cette décision inquiétante et surtout illégale.

[par Mila D’Aietti, publié le 25/09/2025]

asile
Unsplash © Julie Ricard

Le premier ministre grec, Kyriakos Mitsokatis, a annoncé suspendre les demandes d’asile de toutes les personnes arrivant par bateau de la Libye pour une durée de 3 mois. Cette nouvelle survient après que plusieurs groupes d’une centaine d’exilés aient été secourus en l’espace de quarante-huit heures aux larges des côtes grecques. Selon les chiffres officiels de l’État grec, 7 300 personnes migrantes sont arrivées en Crète et sur l’île de Gavdos depuis le début de l’année contre 4 935 sur toute l’année 2024. Cette hausse des arrivées fait passer la Grèce en « situation d’urgence »  et exige « des mesures exceptionnelles« , selon le premier ministre Kyriakos Mitsokatis.

Ce n’est pas la première fois qu’une telle décision est prise en Grèce puisque début 2020, Athènes avait suspendu les demandes d’asiles des personnes en provenance de Turquie pendant tout un mois. A l’époque, Kyriakos Mitsokatis avait déjà prétendu à une situation d’urgence provisoire et s’était appuyé sur l’article 78.3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne : « Au cas où un ou plusieurs États membres se trouvent dans une situation d’urgence caractérisée par un afflux soudain de ressortissants de pays tiers, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires au profit du ou des États membres concernés. Il statue après consultation du Parlement européen ».

A cette occasion, le premier ministre grec avait exprimé sa colère « N’essayez pas d’entrer en Grèce illégalement, nous vous renverrons », des paroles très similaires à celles entendues en ce début de mois de juillet. Lors d’une audience publique, ce dernier a annoncé que « le passage vers la Grèce est fermé » et que « tout migrant entrant illégalement sera arrêté et détenu« , ce qui indique un changement dans la politique migratoire grecque qui propose dans  ce projet d’amendement l’arrestation et la détention de toutes les personnes concernées ne souhaitant pas retourner dans leur pays.

Une nouvelle route migratoire au départ de la Libye

Il faut noter que les routes migratoires sont en constante évolution, du fait de changements des accords et politiques entre états côtiers mais aussi des adaptations des réseaux de passeurs en conséquence. Alors que la principale route migratoire se trouvait entre la Grèce et la Turquie depuis 2015, la traversée se fait depuis plus d’un an au départ de la Libye. Ce changement a surpris l’État grec qui n’était pas prêt à devoir accueillir un flux important d’exilés en Crète et sur son île de Gavdos, îles situées à quelques centaines de kilomètres de la côte libyenne.

Les autorités qui avaient construit des camps d’accueil de réfugiés sur les îles de la mer Égée en réponse aux arrivées des exilés depuis la Turquie se retrouvent une nouvelle fois sans capacité d’accueil immédiate pour les personnes arrivant de Libye. Face à cette situation, les autorités locales demandent sans relâche au gouvernement de répondre aux besoins d’accueil et d’hébergement pour les personnes exilées. Lors d’une récente visite en Crète, l’ancien ministre des migrations, Makis Voridis a appelé à la création d’un centre d’accueil temporaire à Héraklion ou à Lasithi.

Ce changement de route a déclenché une autre réaction du côté des politiques grecs : la volonté de suivre l’exemple de l’Italie en tentant de passer un accord avec la Libye. L’accord en question passé entre Tripoli et Rome en 2017 permet l’arrestation par les gardes-côtes libyens des embarcations en direction de l’Italie. De 2017 à 2023, aidé par l’UE, l’Italie a dépensé 32,6 millions d’euros pour des missions de soutien aux gardes-côtes libyens.

Cet accord intervient 1 an après la mise en place de l’accord migratoire entre l’Union Européenne et Ankara en 2016. Ce fameux accord qui a certes fait baisser les traversés depuis la Turquie mais a fait augmenter de 174% les départs d’exilés depuis le nord de l’Afrique…

Mais rappelons-le, c’est un système qui tue. Les personnes en exil embarquent sur des bateaux souvent en mauvais état ou sur des embarcations surchargées pour parcourir plusieurs centaines de kilomètres sur la mer. Les personnes arrivant en Crète partent du port de Tobrouk en Libye, ce qui constitue une traversée d’un peu plus de 300 kilomètres. Sur les eaux, les exilés sont confrontés aux caprices de la météo, à la faim, à la soif mais surtout aux harcèlements des gardes-côtes.

C’est ainsi que des drames se produisent, comme le tristement célèbre naufrage de Pylos en 2023. Ce chalutier qui transportait 750 personnes et qui a chaviré aux larges des côtes grecs, causant la mort de plus de 500 d’entre eux. Suite à cet événement, les autorités grecques ont été tenues pour responsables. Les techniques de push-back mais aussi l’indifférence des garde-côtes face à des embarcations en détresse étant très répandues dans la mer méditerranée.

Une décision qui va à l’encontre du droit international humanitaire

Le projet de loi en question prévoit non seulement la suspension des demandes d’asile de toutes les personnes arrivant par bateau de l’Afrique mais aussi le renvoi de ces personnes vers les pays tiers de l’UE sans permettre l’enregistrement de leur demande d’asile. Mais la Grèce n’est pas seule à décider.

La gestion de la politique migratoire étant soumis aux directives européennes sur la migration, le parlement grec doit attendre la confirmation de l’éligibilité de ce projet de loi par le Parlement européen avant de pouvoir procéder au vote. Suite à l’annonce d’Athènes, le porte-parole de la Commission Européenne, Markus Lambert a affirmé que « la Commission continue de soutenir la Grèce sur les plans opérationnel et financier » et « qu’elle est prête à renforcer ce soutien ».

Cependant, du côté des défenseurs des droits de l’Homme, la nouvelle n’a  pas été accueillie de la même manière. Ainsi, le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) a rappelé que même en période de pression migratoire « le droit de demander l’asile est un droit humain fondamental, sauvegardé par le droit international, européen et national, et s’applique à tous, quel que soit le moyen ou le lieu de leur arrivée dans un pays« .

En effet, l’amendement de la loi prévoit que les personnes arrivant du nord de l’Afrique ne puissent pas enregistrer une demande d’asile sur le territoire grec, ce qui équivaut à rompre les protections offertes par le droit d’asile. Mais c’est aussi le principe de non-refoulement qui est ici totalement négligé. Principe phare du droit des réfugiés en Europe, celui-ci interdit strictement le renvoi des personnes vers un pays ou territoire où elles sont en danger.

« Cette proposition légaliserait le renvoi de personnes exposées à un risque de torture et d’autres violations graves, en violation des obligations découlant de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi que d’autres instruments, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte des droits fondamentaux de l’UE »

Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe

De nombreuses ONG, telles que International Rescue Committee (IRC), ont dénoncé une décision en violation du droit de demander l’asile et ont rappelé que les personnes demandant le refuge ont le droit d’être traité avec dignité et non pas refoulés ou bien détenues comme c’est le cas aujourd’hui en Grèce.

Malgré cette mobilisation, le gouvernement grec semble déterminé à faire passer cette nouvelle loi et bénéficie de tout le soutien de Bruxelles dont il a besoin.

Le 11 juillet, le parlement grec s’est prononcé en faveur de l’amendement. En attendant, la mobilisation civile continue. Le 16 juillet, une lettre collective rédigée par la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et signée par plusieurs organisations condamne le projet de loi jugé illégale sur le fondement du droit européen et international et appelle le gouvernement grec à retirer ce projet et respecter ses engagements en vertu des traités auxquels il est partie.

A lire également : Migration. Dans une Europe où aider devient un crime, quelle place reste-t-il pour l’aide humanitaire ?

Articles recommandés