Voici le récit glaçant d’une journaliste égyptienne. Les mots qu’elle a choisis elle-même pour raconter son histoire et son calvaire. Abeer Elsafty a travaillé plusieurs années en Égypte avant d’être contrainte de fuir son pays en 2023 après avoir subi arrestations, violences et détention pour avoir exercé son métier.
[Par Abeer Elsafty, publié le 04/11/2025]

Beaucoup pensent que la première épreuve est toujours la plus dure, que la douleur finit par s’atténuer avec le temps et la répétition. Pour moi, c’est l’inverse : la répétition a été la vraie torture.
Je suis journaliste égyptienne. Si j’écris aujourd’hui, c’est pour témoigner de ce que j’ai vécu, pour raconter l’enfer des prisons égyptiennes et la répression que subissent ceux qui osent dire la vérité. L’humanité nous enseigne que la vérité est une vertu. Le journalisme en fait un devoir. Mais dans mon pays, dire la vérité est devenu un crime. Et j’en ai payé le prix — de mes années, de ma liberté, de ma dignité.
L’arrestation de 2017 : “L’année de la femme”
En janvier 2017, le président Abdel Fattah Al-Sissi déclarait cette année « l’année de la femme ». Pour moi, cette année a commencé par mon arrestation. Mon tort : avoir dénoncé l’accord maritime par lequel l’Égypte cédait les îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite.
J’avais 22 ans. Les yeux bandés, j’étais interrogée sur mon travail, mes opinions, mes articles. Pendant des heures, je n’ai vu que le noir de ce bandeau.
Après l’interrogatoire, on m’a coupée du monde : aucune visite, aucun contact, et même la négation de ma présence dans le commissariat.
On m’a ensuite jetée dans une cellule de cinq mètres carrés, avec une dizaine de détenues de droit commun. Je pensais à ma fille de trois ans. Le lendemain, le procureur m’a accusée de “manifestation” et de “rassemblement illégal”. Trois jours plus tard, j’étais libérée sous caution — avant d’apprendre qu’un an de prison avait été prononcé contre moi, par contumace.

“C’était leur manière de punir une journaliste”
Quelques mois plus tard, en juillet, j’ai couvert la répression policière contre les habitants de l’île d’Al-Warraq. Le lendemain, j’étais de nouveau arrêtée. On m’a bandé les yeux, encore une fois. Puis j’ai entendu une voix ordonner : « N’est-ce pas celle qui filmait à Al-Warraq ? Attachez-lui les mains derrière le dos et suspendez-la ! » Je croyais à une menace. En quelques secondes, j’étais pendue par les poignets, tout mon corps tiré vers le bas. Chaque policier passant devant moi me frappait où me touchait. C’était leur manière de “punir une journaliste”. J’ai perdu connaissance. Le lendemain, le procureur a refusé d’enregistrer les traces de torture sur mon corps. J’ai passé plus de deux mois dans une prison surpeuplée, battue, humiliée, torturée. J’y ai perdu une dent.
En mai 2018, après la hausse du ticket de métro, j’ai rejoint un sit-in pacifique contre cette mesure injuste. J’ai été frappée, traînée au sol, agressée sexuellement en public.
Pendant plus de trente heures, on m’a privée de nourriture, d’eau et de sommeil. J’ai ensuite passé sept mois en détention : cinq pour avoir protesté, deux autres avant d’être acquittée dans l’affaire des îles de Tiran et Sanafir. En prison, j’ai été torturée, harcelée, puis violée par une policière. À ma sortie, je devais me présenter deux fois par semaine au commissariat. J’y étais souvent retenue des heures, volée, humiliée, parfois touchée contre mon gré.
La disparition
Ma quatrième arrestation a eu lieu en avril 2019, après ma couverture du référendum constitutionnel. Cette fois, j’ai “disparu” pendant six jours. Nulle part inscrite, détenue illégalement, exposée à la mort à tout moment. J’ai été encore une fois frappée, violée, torturée. J’ai même tenté de mettre fin à mes jours. Mon incarcération a duré onze mois.
Privée de soins, de visites, de sommeil.
À ma libération, un autre enfer m’attendait : le rejet social, le silence, la peur des autres.
Aujourd’hui, je témoigne pour que ces violences ne restent pas impunies.
Pour dire que la première fois n’est pas toujours la plus difficile.
Parfois, c’est la seule qu’on arrive encore à supporter.