Pourquoi il faudra lire, « Revenge porn », de Nathalie Koah, quand il sera autorisé à sortir

[Par René DASSIE]

Le livre expose un cas d’école de l’insécurité judiciaire qui règne au Cameroun.

« Revenge porn *», un livre autobiographique dans lequel Nathalie Koah, une jeune Camerounaise accuse son ex-amant, le footballeur international Samuel Eto’o d’avoir diffusé ses photos intimes sur internet, ne sortira pas officiellement le jeudi 18 février comme annoncée.

(Source : Éditions du Moment)

(Source : Éditions du Moment)

En cause, un blocage judiciaire. Dans une vidéo postée sur sa page Facebook il y a deux jours, l’auteure, ex-employée de Camerco-co, la compagnie aérienne nationale camerounaise déclarait que celui-ci avait obtenu du juge français des référés la suspension de la vente de l’ouvrage sur le territoire hexagonale. Elle expliquait que le juge avait décidé de prendre du temps pour examiner en profondeur le contenu du livre, avait-elle expliqué.

Lundi, un communiqué de l’entourage professionnel de Mme Koah indiquait déjà que Samuel Eto’o, sociétaire depuis l’année dernière du club turc Antalyaspor avait assigné l’éditeur, les Éditions du Moment, en référé, pour atteinte « à l’intimité et à la vie privée. » Il demandait l’interdiction de l’ouvrage à la vente.

L’ex-capitaine des Lions indomptables, l’équipe nationale du Cameroun, a donc provisoirement eu gain de cause.

 

 

 

Samuel Eto'o (Source : AFP)

Samuel Eto’o (Source : AFP)

Le livre de la jeune Camerounaise n’aura donc pas connu en France le même sort que celui de la nageuse Laure Manaudou, qui s’inscrit dans le même registre.

Le précédent Manaudou

Il y a deux ans en effet, la championne de natation au palmarès impressionnant – 96 médailles et sept records du monde- publiait «  Entre les lignes » son autobiographie, dans laquelle elle accusait son ex-petit ami, le nageur Pierre Henri, d’avoir diffusé quelques années plus tôt sur le web ses photos intimes.

Niant les faits, celui-ci avait assigné Mme Manaudou en citation directe devant le tribunal correctionnel de Marseille, pour « grave atteinte à son intégrité morale ». Il avait réclamé 500.000 euros de dommages et intérêts.

Le livre n’avait cependant pas été interdit.

Le revenge porn, un mal récurrent d’Internet 

« Revenge Porn » mérite pourtant d’être lu. Certains critiques lui reprochent son manque de recherche stylistique. D’autres n’y voient que la sombre vengeance d’une femme qui a profondément été meurtrie de voir sa nudité exposée aux yeux du monde. Les plus déterminés, fans du talentueux footballeur ont même évoqué l’effet néfaste d’un tel livre sur l’image du Cameroun, pays d’origine des deux protagonistes, pour soutenir son interdiction.

Des arguments qui n’entament en rien la pertinence du récit, lequel, au-delà des souffrances personnelles de son auteure, révèle l’insécurité judiciaire qui règne dans la société camerounaise gangrenée par la corruption.

On pourrait même objecter à la décharge de Mme Koah que le style linéaire pour lequel elle a opté, son dédain d’une saturation de la narration par une description compliquée des paysages et des décors sied bien au style du témoignage.

Nathalie Koah (Source : Twitter)

Nathalie Koah (Source : Twitter)

 

« Revenge Porn » se lit comme le procès verbal tout juste amélioré d’une déposition judiciaire ou comme une longue confidence recueillie dans un confessionnal. Nathalie Koah ne juge pas. Elle vide son cœur. Les adeptes du voyeurisme pourraient bien se délecter de l’évocation de la sexualité débridée du richissime footballeur exposée par son ex-maitresse. Mais ce faisant, ils passeraient à côté de l’essentiel.

Le livre évoque certes de manière elliptique les scènes de sexe à plusieurs au cours desquelles Samuel Eto’o aurait partagé Mme Koah avec ses amis. Il raconte aussi le jeu de cache-cache avec l’épouse du footballeur souvent invitée dans le même environnement que la maîtresse et les pressions que M. Eto’o aurait exercées sur la narratrice pour qu’elle réalise et lui rapporte des clichés compromettants de son concurrent supposé, le chanteur de Rumba Fally Ipupa.

Ce n’est toutefois pas tout cela qui a poussé l’auteure à prendre la plume. Nathalie Koah était consentante pour les partouzes, et appréciait bien les cadeaux luxueux dont son amant la couvrait et les séjours qu’il lui offrait dans de somptueux palaces. Bien plus, elle avait décidé de mettre un terme à cette vie tumultueuse, en quittant le footballeur. Lequel n’a pas ménagé ses moyens pour se venger.

(Source : AFP)

(Source : AFP)

Victor Hugo a écrit dans Les Contemplations : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »

Dans la société camerounaise qui offre peu d’opportunité aux jeunes et où l’argent, détenu par le petit nombre est roi, n’importe quelle jeune femme aurait pu se retrouver à la place de Nathalie Koah, et subir les humiliations auxquelles elle a été exposée.

La justice camerounaise muselée par l’argent et les paillettes

Mais surtout, « Revenge porn » offre un témoignage poignant de l’insécurité judiciaire qui règne dans une société camerounaise gangrenée par la corruption, où la justice s’adjuge au plus offrant.

On lit ainsi qu’après l’avoir soumise à d’atroces pressions pour récupérer, inélégance suprême, tous les cadeaux de valeur qu’il lui avait offerts, l’amant de Mme Koah a fait usage de son carnet d’adresse pour la jeter en cellule. Cueillie un matin au sortir d’une boite de nuit, elle est ainsi conduite dans un commissariat où elle s’entend dire qu’elle est poursuivi pour escroquerie.

Tout l’interrogatoire consistera à faire pression sur elle pour qu’elle rembourse les cadeaux, que son amant milliardaire a chiffrés à 200 millions de francs CFA.

Pour l’extirper de sa cellule infecte au bout de trois jours de supplice, son entourage devra également recourir à « une relation haut placée », laquelle emmène le procureur à infléchir sa position et à reconnaître qu’il s’agissait d’une affaire civile dans laquelle « la loi ne prévoit ni mandat d’arrêt, ni garde à vue ».

« L’affaire Eto’o-Koah cache sans doute des milliers de cas similaires aux conséquences sûrement bien plus dévastatrices. En m’endormant enfin après deux nuits blanches ou presque, je pense au scandale quotidien vécu par ces femmes sans titres, esclaves d’un patriarcat archaïque et de la corruption ordinaire, qui n’ont pas la chance que j’ai eue», écrit Mme koah en fin de son ouvrage.

 

* Revenge porn – Foot, Sexe, argent. Le témoignage de l’ex de Samuel Eto’o, édition du Moment.