Le 2 mai 2025, l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF) a publié son classement 2025 de la liberté de la presse dans le monde. La Guinée chute de façon alarmante dans le classement, passant de la 78ème à la 103ème place, perdant 25 places au niveau mondial. Comment a évolué la liberté de la presse depuis le coup d’État menant à la chute du régime de Condé?
Abdoulaye Oumou Sow est un journaliste et animateur radio indépendant guinéen. Après avoir été victime de persécutions dans son pays, il s’exile au Sénégal, puis en France, où il arrive en avril 2023. Il a travaillé pour plusieurs médias en ligne, notamment pour le site d’information guinéematin.com. Il a aussi collaboré avec RFI, ainsi que France 24.
Il revient, pour l’œil de la maison des journalistes, sur la situation des médias avant et après la chute du régime, et l’évolution de la liberté de la presse depuis que la junte militaire s’est installée en septembre 2021.
[Par Juliette Durand, publié le 15/05/2025]

Cet article est réalisé en collaboration avec le syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG)
Selon vous, quelle était la situation de la presse sous le régime d’Alpha Condé?
Jusqu’en 1984, la République de Guinée ne disposait que d’un seul média d’État, contrôlé par le pouvoir en place. Cela persista sous le régime d’Ahmed Sékou Touré, jusqu’à sa mort, qui fut suivie d’un coup d’état militaire, ayant porté une junte au pouvoir dirigée par le Colonel Lansana Conté.
C’est à partir de cette rupture politique que l’on observe les prémices d’une ouverture progressive du paysage médiatique guinéen dans les années 1990 avec l’émergence des premiers journaux imprimés. Entre 2006 et 2008, cette dynamique s’accélère avec la création de stations de radio privées, de chaînes de télévision non étatiques et de sites d’information.
Durant cette période, l’exercice du journalisme s’est déroulé sans entraves majeures, dans un climat relativement favorable à la liberté d’expression. Sous les débuts du régime d’Alpha Condé, cette tendance à l’ouverture des médias a persisté.
Que s’est-il passé pour la presse et les journalistes après le coup d’état de 2021, avec l’arrivée au pouvoir de la junte militaire ?
À son arrivée au pouvoir, la junte adopte une posture plutôt conciliante à l’égard des médias, elle s’efforce notamment d’améliorer les conditions de vie et de travail des journalistes, dans une volonté de séduire l’opinion publique via la presse. L’un des exemples les plus significatifs de cette démarche est la mise à disposition d’une Maison des journalistes — un espace dédié à la presse, où les acteurs sociaux, politiques et économiques viennent tenir leurs conférences de presse ou formaliser leur communication publique. Ce lieu sert également de cadre de travail temporaire pour les sites d’information ne disposant pas de locaux propres.
Ainsi, au début, on peut dire que la junte et les journalistes entretiennent une relation plutôt bonne. La stratégie de la junte visait à asseoir sa légitimité en s’appuyant sur les médias pour soigner son image auprès de la population.
C’est un an après son accession au pouvoir que la junte a commencé à manifester des dérives autoritaires, surtout à l’égard des médias formulant des critiques au pouvoir. La presse, qui n’hésite pas à dénoncer le pouvoir en place en cas de malversations, est progressivement devenue la cible de la junte. Les autorités ont mis en place un dispositif de répression de la liberté d’informer.
Dans un premier temps, les réseaux sociaux ont été restreints, les signaux étant volontairement brouillés pour empêcher la diffusion d’informations. Par la suite, ce sont les principaux médias audiovisuels — notamment les radios les plus écoutées — qui ont été ciblés par des interférences sur leurs fréquences. Au-delà des émissions radios et TV, les sites internet ont commencé à ne plus être accessibles au niveau de la Guinée. Pour accéder aux sites, il fallait nécessairement utiliser un VPN (réseau privé virtuel).
Le 10 mai 2024, un nouveau cap a été franchi avec la fermeture des médias les plus écoutés et influents du pays, notamment la radio et télévision “Espace” ainsi que la station “Fim FM” et Djoma médias. Cette décision a entraîné le licenciement de près d’une centaine de journalistes et a marqué le début d’une vague de persécutions visant certains animateurs et figures médiatiques associées à ces organes de presse.
La junte a alors commencé à menacer les journalistes ?
Oui, les journalistes ont été persécutés, certains ont été forcés à l’exil. Tout à été fait pour étouffer la presse.
Une subvention est allouée chaque année à la presse, et ce soutien financier a été instrumentalisé par le pouvoir en place, qui s’en sert comme moyen de pression à l’égard des médias. Le Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG) s’est d’ailleurs mobilisé pour obtenir la réouverture des organes de presse fermés, en organisant des manifestations. Ces dernières ont été violemment réprimées. Le régime n’hésite pas à recourir à la violence pour réduire les journalistes qui ne vont pas dans leur sens, au silence.
Aujourd’hui, au moment où nous parlons, le journaliste, Habib Marouan Kamar est toujours porté disparu. Il a été enlevé alors qu’il se rendait à un rendez-vous avec un homme d’affaires considéré comme proche du pouvoir. Depuis son enlèvement, on ne sait pas où il est détenu, et nous ne connaissons pas son état de santé. Cela fait maintenant cinq mois qu’il a disparu.
Le 1er avril 2025, la junte militaire a annoncé qu’un référendum sur la constitution allait être organisé en septembre, puis que des élections auraient lieu, pensez-vous que cela pourrait changer la situation?
La période de transition était supposée finir le 31 décembre 2024, conformément à un accord signé entre la junte militaire et la CEDEAO (communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), dont est membre la Guinée.
Finalement, la junte a refusé de tenir les différentes échéances électorales notamment les élections communales, législatives, référendaires et présidentielles qui devaient se passer au cours de l’année civile 2024. Les élections n’ont donc pas eu lieu.
Oui, le 1er avril la junte a fait une déclaration précisant que le référendum sur la constitution aurait lieu en septembre 2025, mais cette déclaration reste à confirmer dans les faits, une grande prudence s’impose quant à sa mise en œuvre effective…
Aujourd’hui, la Guinée ne dispose pas encore de fichier électoral. De plus, la constitution qui va être mise au référendum n’est pas encore terminée, donc les gens ne sont pas encore au courant de ce qui va être inscrit dans la constitution. Il faut aussi préciser que la saison des pluies en Guinée dure de mai à septembre, et on peut se demander s’il sera possible d’organiser des élections dans la saison pluvieuse.Je pense que ce sont des annonces en l’air, jusqu’à preuve du contraire. Je vois plutôt une annonce dilatoire, d’une junte qui voudrait donner quelque chose à espérer aux gens, plutôt qu’une volonté réelle de mettre en œuvre des élections.
En réalité, la junte n’a pas l’intention d’organiser des élections, elle veut rester au pouvoir tant qu’elle peut. Elle essaie de faire taire toutes les voix dissonantes, pour rester au pouvoir. J’ai peur pour l’avenir de la Guinée, j’ai peur pour la stabilité de la région.
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