Portrait. Husna Asef Zada : une jeune journaliste sous la tyrannie talibane

À tout juste 23 ans, Husna Asef Zada a déjà une vie « plombée de souvenirs », selon les mots du poème La vieille âme d’Erik Février. Journaliste dès l’âge de 18 ans, elle a vécu les bombardements à Kaboul, la prise de pouvoir par les talibans et son lot d’abominations.

[Par Théa DOULCET, publié le 04/08/2025]

talibans
© Husna Asef Zada

15 août 2021 : Kaboul bascule dans la terreur.

Après une première offensive le 1er mai, les talibans finissent par envahir la capitale afghane. Entre les détonations et les éclats de verre se noient les sanglots et les cris de la population. L’impression que tout cela n’était pas réel, qu’il s’agissait dun « mauvais rêve dont j’allais bientôt émerger », se confie Husna.

La jeune fille est sortie profondément bouleversée par cet évènement. Dès lors, « ma vie a changé à 90% », affirme-t-elle, le ton grave. Retourner dans le Kaboul qu’elle aimait tant, retrouver sa vie d’avant. Car pour Husna comme pour la population kaboulie, l’incursion talibane marque un tournant : un avant et un après.

Avant l’invasion des talibans : une ville déjà sur le fil

Dès ses 18 ans, Husna se lance dans le journalisme. « Le journalisme a toujours été quelque chose qui trottait dans ma tête. Dans ce monde chaotique, écrire me procurait un sentiment de paix. C’est pour ça que j’ai eu envie de commencer le plus tôt possible », raconte-t-elle.

Après l’obtention de son « kankor » (l’équivalent du baccalauréat), elle entreprend une première année de licence en littérature dari qu’elle est contrainte d’interrompre sous le joug des talibans. Elle effectue d’abord un premier stage à Afghanistan TV avant que de nombreuses portes ne s’ouvrent à elle : de la télévision à la radio, en passant par la presse écrite. Si la jeune journaliste touche à tout, elle a surtout l’occasion de réaliser des reportages à la télévision kaboulie. Pendant un temps, elle s’occupe des chroniques matinales de l’antenne télévisée Anya TV. Puis, pour la très populaire chaîne TOLOnews, elle filme les conséquences délétères des bombardements qui accablent Kaboul. Aller directement sur le terrain, parler avec la population et révéler, par des images et des sons, le désastre causé par les bombardements : voilà ce qui l’anime dans l’enquête télévisée.

Un reportage en particulier l’a chamboulée. Un énième bombardement ; elle a l’habitude, à l’exception, ici, qu’il s’agit d’une école primaire. Avec parcimonie, elle livre cette image douloureuse : des cadavres d’enfants jonchent le parvis de l’école. Leurs membres épars brûlent encore sa rétine. Elle a envie de tout arrêter : « On ne peut pas filmer ça ! », se souvient-elle s’être exclamée. Mais, la jeune journaliste sait que ça fait partie de son métier. Il faut filmer pour montrer la réalité : là où la mort menace à chaque coin de rue, les enfants ne sont même plus épargnés. Alors, elle prend son courage à deux mains et se décide finalement à lancer le direct. 

En plus de ses reportages de terrain, Husna enquête sur le fléau des mariages forcés qui perdure encore dans les campagnes afghanes. Une problématique qui lui tient à cœur. « Certaines filles sont mariées dès l’âge de 12 ans avec des hommes de plus de 40 ans ! Ce sont seulement des enfants… » s’indigne-t-elle. 

Bien que l’atmosphère à Kaboul soit oppressante, Husna mène une vie tout ce qu’il y a de plus normale : elle passe du temps avec ses parents et ses trois frères dont elle est très proche et sort régulièrement avec ses amies. La jeune fille évoque le vent de liberté qui soufflait lors des soirs de fête à Kaboul ou encore les câlins de sa mère.

Le 15 août 2021 va plonger sa vie et celle des autres kaboulis dans le chaos.

Après la chute de Kaboul : une vie en sursis

Dorénavant, les talibans font la loi. Dès leur prise de pouvoir, ils prennent des mesures drastiques et imposent une stricte interprétation de la charia. Un flot de lois liberticides se succède et les femmes sont les premières ciblées. Elles sont interdites de travailler, de voyager, de sortir sans être accompagnées d’un homme et les filles n’ont plus le droit d’aller à l’école.  Des rumeurs circulent : les talibans s’introduisent de force dans les maisons kaboulies et marient des jeunes filles contre leur gré. Ce scénario cauchemardesque hante les nuits de Husna.

Tout comme le droit des femmes, la liberté de la presse est réduite à néant. L’Afghanistan figure désormais en queue de peloton dans le classement mondial de la liberté de la presse: il occupe la 175ème place sur 180.

En effet, après avoir assiégé Kaboul, les talibans promulguent les « 11 règles du journalisme » afin d’affirmer leur autorité. Interdiction de critiquer l’islam ou des personnalités publiques issues du conseil de direction, surveillance des rédactions par des talibans infiltrés, fermeture des syndicats journalistes : la presse est muselée.

De plus, chaque article doit au préalable être envoyé aux talibans avant leur publication, souligne Husna. « En l’espace de trois mois, 43 % des médias afghans ont disparu. Plus des deux tiers des 12 000 journalistes que comptait le pays en 2021 ont cessé leur activité. Huit femmes journalistes sur dix ont abandonné la profession », rapporte l’organisation Reporters sans frontières. Ainsi, depuis la chute de la République islamique d’Afghanistan, il ne reste plus que 5.100 journalistes dont seulement 560 femmes.

Et, en tant que femme et journaliste, la peine est double pour Husna. Dotée d’une veine combative, la jeune journaliste ne se laisse pourtant pas abattre et continue à exercer le métier qu’elle aime, peu importe les conditions. Pour un média espagnol, elle décide d’enquêter auprès d’écoles clandestines pour filles qui fleurissent un peu partout à Kaboul suite à l’interdiction de scolarisation des jeunes afghanes. Des professeurs contraints d’enseigner en cachette, cela la révolte. 

En découvrant ses intentions, les talibans la harcèlent et la menacent afin qu’elle cesse son enquête, d’autant plus qu’elle travaille pour un média occidental. Souvent accusés d’espionnage, les journalistes travaillant pour des médias étrangers sont régulièrement victimes des attaques talibanes.

Rien n’y fait, la jeune journaliste est déterminée à dénoncer ce cataclysme. Malheureusement, elle est arrêtée puis séquestrée par les services de la Direction générale du renseignement talibans. Dix heures : c’est le temps qu’elle passera dans un cachot, plongée dans l’obscurité la plus totale, sans eau ni nourriture. Dix interminables heures à la merci des talibans. « Ici, il n’y a aucun espoir : on ne sait jamais si l’on va mourir », déclare Husna, le regard absent. 

Elle est finalement libérée. Dès lors, elle prend une décision radicale : quitter l’Afghanistan. Elle n’a plus le choix. Dans un pays où la terreur est reine, Husna doit partir si elle veut survivre. En seulement une heure la jeune fille rassemble quelques affaires, son passeport et dit au revoir à ceux qu’elle aime, sans savoir quand elle les reverra. Avec son frère cadet, elle s’enfuit en catimini.

L’exil sous le signe de l’incertitude

Ils atterrissent d’abord au Pakistan -où ils resteront un an- avant de rejoindre Paris en septembre. Aussitôt arrivée, Husna s’empresse de visiter le château de Versailles, puis la Tour Eiffel. Elle retrace également son passage à Toulouse, en octobre, où elle a l’occasion d’assister au « HellFest Warm-Up Tour », dont la mascotte du festival, une sorte de démon géant appelée « la Gardienne des ténèbres » la stupéfait.  Ce n’est qu’à partir de novembre qu’elle dépose ses valises dans le 15ème arrondissement de Paris, au cœur du foyer de la Maison des journalistes.

Que préfère-t-elle en France ? « La nourriture française, et tout particulièrement les croissants ! », s’amuse Husna. Et ce qu’elle n’aime pas ? L’attente, « ici il faut beaucoup de patience ! », renchérit-elle. Sa famille, surtout, lui manque. D’ailleurs, celle-ci n’est plus avec son frère depuis peu. Quelques mois après leur arrivée, son petit frère devient majeur et est donc redirigé vers un foyer d’accueil à Clermont-Ferrand. La séparation est rude, mais elle le revoit bientôt, dit-elle tout sourire. Et puis, elle s’est fait des amis afghans avec qui elle peut parler sa langue natale, le dari.

En parallèle, la jeune journaliste continue à rédiger des articles. Pour le média de l’association, L’Oeil de la Maison des journalistes, elle dévoile des fragments de son carnet d’exil. Elle en profite également pour dénoncer la situation des principales victimes collatérales des guerres, à savoir les enfants. Bien qu’elle continue à écrire, elle a toutefois arrêté de suivre l’actualité. Des guerres, toujours des guerres : ça lui donne le cafard.

Et après ? Que compte-t-elle faire par la suite ? « Je ferai sûrement quelque chose d’extraordinaire ! » s’exclame Husna. Mais, comment voit-elle son avenir en France? Déjà apprendre le français. Puis, reprendre ses études, peut-être dans le journalisme ; elle ne sait pas encore. « Arriver dans un pays qui m’est totalement étranger où je ne connais ni la langue ni la culture, c’est très difficile, j’essaye d’abord de digérer tout ça », explique-t-elle.

Malgré l’incertitude, Husna croit en l’avenir, en tout cas au sien. S’affirmer, tenir tête et avancer : elle l’a appris à travers son métier. Du haut de ses 23 ans, la jeune fille possède déjà le courage et la force nécessaires pour « tout recommencer à zéro. »

À voir également : Portait. Djenyka Piverger, journaliste exilée pour avoir raconté la réalité des camps de réfugié en Haïti.

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