Portrait. Sharareh Mehboudi, journaliste et militante iranienne 

« Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée »

Dotée d’un sourire franc et aux cheveux couleur magenta, Sharareh Mehboudi est une reporter indépendante, activiste et chercheuse iranienne, réfugiée en France depuis mars 2023. Désormais hébergée à la Maison des journalistes, elle revient pour l’Œil de la MDJ sur son parcours éclectique, ainsi que sur la répression des droits civils et sociaux en Iran. 

Sharareh Mehboudi est une femme aux multiples facettes : reporter, activiste, chercheuse universitaire, blogueuse, rien ne semble l’arrêter. Fondatrice du site irandigitalnomad, où elle documente depuis 2015 ses combats, Sharareh s’est érigée en véritable opposante du régime des Mollahs et à l’autoritarisme avec le soutien de la population iranienne. Aujourd’hui, son blog relaie les informations de journalistes sur place et couvre la résistance civile iranienne sur Paris.

La journaliste garde un doux sourire durant tout l’entretien, parlant un français courant, qu’elle a pourtant commencé à apprendre moins d’un an plus tôt. Elle explique que depuis plus de dix ans, elle s’est engagée « en Iran dans le milieu journalistique en faveur d’une diffusion libre des informations et pour la défense des droits de l’Homme », et plus particulièrement dans la protection des droits des femmes. « J’étais et je suis l’une des activistes de la campagne de lutte contre les crimes d’honneur en Iran, et de la campagne s’opposant au port obligatoire du voile. »

Sur son blog, elle poste des photos d’elle sans hijab et relate l’actualité sur les droits des femmes de son pays, ainsi que des communautés kurdes. Une activité qui a manqué de venir à bout de la reporter, contrainte à l’exil.

Sharareh durant son voyage en Turquie, à Istanbul.

Une journaliste-activiste habituée aux arrestations sommaires

Depuis dix ans donc, Sharareh a documenté son combat et ses protestations, ainsi que travaillé pour de nombreux journaux iraniens et occidentaux : Iran Intl, VOA News, Iran Global, Akhbar-Rooz, Tribune Zamaneh, Stop Honor killings, News Gooya ou encore Le Figaro. Elle traite les sujets de tous les domaines : politique, économique, culturel, sociétal, droit des femmes et des kurdes… La journaliste ne se refuse aucun sujet, malgré les menaces et la répression qu’elle subit dès 2011. 

« En novembre 2011, j’ai été emmenée dans les locaux de l’Ershad (Bureau de police de charia), rue Wozara à Téhéran. J’y suis restée trois jours car je ne pouvais pas payer la caution. Lors des interrogatoires, j’ai été torturée par les agents des services de sécurité : ils m’ont insulté, tabassé, donné des coups de pieds et des violentes gifles. » 

Courageuse, Sharareh refuse de signer des excuses et la promesse officielle qu’elle ne s’attaquera plus à certains sujets, notamment sur la communauté kurde. « Les violences ont continué. J’ai été blessée et suivie par un médecin pour cela mais je n’ai jamais pu être soignée. »

Cet épisode n’arrête pas la reporter et activiste, bien au contraire. Elle entame entre 2016 et 2019 un grand voyage en Iran : l’objectif, se balader libre et sans hijab dans les rues et sur les sites historiques. Durant 3 ans, Sharareh se prendra en photo tête nue dans tout le pays, défiant le port du voile obligatoire. 

Et dès 2016, « j’ai publié une photo de moi non voilée lors de la célébration de la mémoire de Cyrus le Grand. Cette photo a été par la suite largement relayé dans les médias étrangers. J’accompagnais souvent cette photographie d’articles critiquant l’obligation du port du voile. La publication d’une de mes premières photos sans voile obligatoire sur Internet m’a valu d’être virée de mon poste de directrice pédagogique d’un centre de conseil Moshaverin. »

Par la suite, « j’ai été la cible de menaces des Services de sécurité iraniens et ai subi de nombreuses pressions de leur part. Je recevais en permanence des appels anonymes des agents des services de sécurité, me menaçant d’arrestation et même de mort. Leur objectif était de me réduire au silence et de me pousser à renoncer à mes activités de militante. »

La communauté kurde, ligne rouge du régime des Mollahs

Un voyage peuplé d’embûches, mais durant lequel Sharareh rencontre un fort soutien de la population. Les civils ne lui font pas de remarques, alors que les services de sécurité n’hésitent pas à la terroriser. 

Qu’à cela ne tienne, Sharareh continue de documenter son aventure ainsi que la vie des Iraniens et des Kurdes qu’elle rencontre. « En 2019, je me suis rendue au Kurdistan afin de préparer un reportage sur la situation des kolbars qui s’y trouvent. À l’issue de mon travail, je me suis rendue à Chiraz dans le sud de l’Iran pour voir mes proches, en novembre de la même année. »

Une période sensible pour le pays, qui entre à l’époque dans une révolte contre le régime des Mollahs, violemment réprimée. En 2019, le pays connaît une période d’inflation extraordinaire, ruinant la population. Le 15 novembre, des manifestations géantes éclatent dans le pays, conduisant à la mort de 140 civils et à 7 000 arrestations, avant que le régime ne coupe l’accès à Internet à la population. 

« Je vivais à ce moment-là à Téhéran mais j’ai participé aux manifestations de Chiraz », nous explique Sharareh de sa douce voix. « Après quelques jours, je suis retournée à Téhéran pour assurer ma sécurité car le risque que l’on m’identifie à Chiraz était trop important. » Trop tard cependant, car une photo d’elle sans hijab dans la ville se met à circuler sur tous les médias persans. Sa visibilité explose et d’autres Iraniennes suivent son mouvement. 

Sharareh tête nue à Chiraz, en 2016.

Une notoriété qui n’est pas sans funeste conséquence : elle fait dorénavant l’objet d’une violente campagne de harcèlement en ligne, où elle est régulièrement menacée de mort. À son retour à Téhéran, sa vie bascule.

Alors qu’elle rentrait chez elle, Sharareh aperçoit la porte de son domicile enfoncée, avec des individus à l’intérieur, appartenant aux services de sécurité. « Ils ont saccagé le mobilier et ont emporté avec eux mon téléphone professionnel ainsi que mon ordinateur portable. Il contenait tous mes documents confidentiels y compris mes reportages d’investigation, mes écrits, les vidéos des manifestations ainsi que mes échanges avec des activistes des droits de l’Homme à l’étranger. »

Dès lors, Sharareh comprend que « [son] arrestation et [mon] emprisonnement étaient inéluctables. Le risque était d’autant plus important qu’à l’issue du soulèvement de novembre, la répression des services de sécurité s’est considérablement intensifiée. J’ai décidé de partir directement d’Iran vers Istanbul à la fin de l’année 2019. »

« Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran »

« À Istanbul, j’ai rejoint des amis journalistes et reporters. Ma famille m’a informé qu’une convocation au tribunal était parvenue à mon domicile à Téhéran. De même, le tribunal a contacté ma famille et a menacé ces derniers pour que je me rende au ministère des Renseignements. Je ne connaissais pas la raison de ma convocation mais je ne souhaitais pas prendre le risque de subir toute forme d’interrogatoire ou d’arrestation arbitraire. »

Le mauvais sort ne cesse d’accabler Sharareh, qui s’installe en Turquie juste avant l’annonce du confinement du fait de la pandémie. « Je ne pouvais plus retourner en Iran et mon séjour irrégulier à Istanbul s’avérait compliqué. J’ai alors effectué une démarche en ligne afin d’obtenir un visa de touriste d’une durée d’un an avec une autorisation de travail. J’ai pu le renouveler deux fois pour une durée totale de trois ans. »

C’est durant cette période que Sharareh se met à travailler pour plus de médias occidentaux, parfois sous couvert d’anonymat : Voice of America, Iran International, Tribune Zamaneh, la journaliste ne lésine pas. Elle poursuit par ailleurs son travail d’activiste, en participant à des rassemblements iraniens à Istanbul, notamment en septembre 2022, après le meurtre de Mahsa Jina Amini. Tuée le 16 septembre 2022, date d’anniversaire de Sharareh, Mahsa a durablement marqué les mémoires des Iraniens et de la communauté

« Des photos et des vidéos de ma personne en train de scander des slogans tels que « Femme, Vie, Liberté » et de brûler un voile ont été relayées dans les médias iraniens et turcs. J’ai notamment collaboré avec Le Figaro dans le cadre de la réalisation de nombreux reportages et d’interviews avec les manifestants et opposants en Iran. Ces activités ont été à l’origine d’une reprise des menaces et des appels anonymes à travers les réseaux sociaux et sur WhatsApp. »

Malgré les changements récurrents de numéro de téléphone, les agents des services de sécurité continuent de la harceler et de la traquer. « Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran. Ils connaissaient mon adresse postale. Ils pouvaient m’appeler deux à trois fois par semaine ou plusieurs fois dans la même journée. Je me suis recluse chez moi, inquiète de l’effectivité des menaces de mort et de viol. »

Elle demeure néanmoins quatre ans à Istanbul et continue son travail de correspondante étrangère pour plusieurs journaux occidentaux. « En octobre 2022, j’ai également subi une cyberattaque sur irandigitalnomad.com. J’ai perdu les articles que j’avais écrit sur des sujets féministes iraniens et droits de l’Homme, ainsi que la partie graphique de mon site », déplore-t-elle avec douleur. 

Des campagnes de harcèlement en ligne, des menaces quotidiennes et des cyberattaques qui lui font craindre pour sa sécurité à Istanbul. Il n’y a plus d’autres choix que de fuir dans un pays « tiers et lointain », où le régime des Mollahs ne pourrait pas l’atteindre. « Ainsi, j’ai adressé une demande de visa à l’Ambassade de France en Turquie. Ils m’ont proposé de me remettre un visa talent afin que je puisse entrer sur le territoire français et déposer ma demande d’asile, avec la recommandation de Reporters sans frontières. »

« Lorsque j’ai dû déménager à Istanbul, puis en France, ma plus grande crainte et ma plus grande inquiétude étaient de perdre mon indépendance en tant que journaliste. Ma vie a été détruite deux fois parce que j’écrivais et disais la vérité. J’ai dû laisser mon chat à Istanbul pour immigrer en France », témoigne-t-elle avec douleur.

« Avec l’aide d’organisations comme RSF et la MDJ, et avec l’aide de journalistes indépendants comme Delfin Minoui, je suis une journaliste indépendant parrainé par l’Union européenne. Aujourd’hui, je suis un journaliste indépendant parrainé par la Maison des journalistes. S’il n’y avait pas de MDJ, la vie en exil serait plus difficile pour moi. » Des partenaires que Sharareh tient à remercier chaleureusement, lui ayant permis de se sentir plus en sécurité.

Depuis, Sharareh Mehboudi poursuit sa lutte à Paris. Ayant fait l’objet d’un procès par contumace en Iran, dont l’accusation a été formée selon les informations recueillies sur son ordinateur. « Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée », affirme-t-elle. Alors, elle prolonge la lutte pour ses sœurs iraniennes et pour elle-même, malgré la haine qu’elle subit.

Grâce à la Maison des journalistes, Sharareh a pu bénéficier d’un accompagnement sur le plan administratif, et profiter des cours de français qui y sont dispensés. « Faire la connaissance de journalistes d’autres pays qui ont été contraints d’émigrer en raison de la liberté d’expression est pour moi intéressant et inspirant », précise-t-elle.

« J’aimerais beaucoup publier en français mon livre, qui est une biographie de 20 combattantes iraniennes, et pouvoir poursuivre ma carrière de journaliste dans les médias francophones. Comme vous le savez, plus de 100 journalistes sont emprisonnés en Iran. En raison du manque de liberté d’expression en Iran, je peux publier la vérité sur les événements actuels de mon pays avec Le Figaro. »

Elle continue par ailleurs d’alimenter son blog, Irandigitalnomad, et de travailler avec des médias iraniens indépendants. Elle souhaite également publier son livre en français, récit de la lutte et de la résistance civile des femmes iraniennes. « Je souhaite rester journaliste pour le reste de ma vie et travailler sur les droits de l’homme, les droits des femmes et l’information. Et pouvoir aider les journalistes indépendants dans les pays dictatoriaux », rappelle-t-elle avec fermeté. « Et après la victoire du peuple iranien, je retournerai dans mon pays pour ouvrir une Maison des journalistes en Iran et consolider la liberté d’expression. »

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Naama Al Alwani, une journaliste syrienne au mental d’acier

Du haut de ses  31 ans, Naama Al Alwani, journaliste syrienne, garde le sourire, malgré un parcours semé d’embûches. Ancienne résidente de la Maison des journalistes, elle accepte de revenir sans filtre sur son parcours. Portrait d’une journaliste dotée d’une confiance en soi inébranlable.

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Un rire facile et un débit de phrase posé. Voilà ce qui caractérise Naama Al Alwani lorsqu’elle accepte de remonter le temps et de retracer son parcours.  Née en 1991, elle a rapidement trouvé sa vocation grâce à son esprit très curieux et sa passion d’être sur le terrain. Dès son plus jeune âge, elle sait tout de suite ce qu’elle veut : être journaliste. Elle lance sa carrière à l’âge de 20 ans. Nous sommes en plein printemps arabe, au cœur de l’année 2011. Naama Al Awani se définit alors comme « journaliste activiste ».

Très concrètement, elle partage sur ses réseaux sociaux toutes les actualités sur les mouvements de la révolution dans sa ville de Homs, en Syrie, située à 100 kilomètres de Damas, la capitale. En particulier les frappes israéliennes qui ont détruit sa ville. Le tout en variant les supports afin de donner encore plus de poids à ces informations : photographies, vidéos, témoignages de locaux sur place… En 2012, le conflit prend une tournure encore plus grave pour Naama : “Ma maison à Homs a été bombardée par le régime de Bachar El-Assad. J’ai vraiment eu peur pour ma vie, mais aussi pour celle de mes proches. C’était la goutte de trop, je devais partir”, raconte-t-elle, d’une voix tremblante. 

Le cœur lourd, elle décide de prendre la direction de Daraya, dans la province de Damas. “Sur place, j’ai notamment pu travailler pour l’organisation Life Institute : the Lebanese Institute For Democraty and Human Rights, une instance qui milite pour les droits humains. Je réalisais des rapports et des comptes-rendus sur la situation des droits de l’Homme en Syrie, tout en continuant bien-sûr à dénoncer l’injustice et les crimes commis par ce dictateur, je conserve toujours ma liberté de penser, malgré les multiples pressions, telles que l’intimidation ou les menaces de mort”, se remémore Naama. 

Le régime syrien, qui a toujours gardé un œil sévère sur les activités de Naama, n’apprécie guère son militantisme. À tel point qu’il décide de passer à la manière forte. En octobre 2013, Naama a été arrêtée par le régime, qui voulait depuis un moment museler la journaliste. Pendant cette période, il était en effet interdit de diffuser et de partager toute diffusion d’information en rapport avec le régime syrien et la révolution.

“Je me souviens qu’ils ont arrêté plusieurs autres journalistes qui étaient contre le pouvoir, retrace Naama. Rendez-vous compte, à cause de nos convictions, de nos idées, ils nous ont bâillonné en nous envoyant en prison. Moi, j’y suis restée pendant huit mois. J’ai toujours gardé la force mentale, grâce à la spiritualité, avec ma religion. Cela m’a rendue encore plus forte pour surmonter cette épreuve très dure”, complète-t-elle. Musulmane très pratiquante, Naama Al Alwani a recours à sa foi pour ne pas sombrer. Durant sa détention, elle en profite notamment pour réaliser un rapport sur les conditions des femmes en prison. “Je pensais en permanence à mon entourage, à mes proches. Cela m’a aidé à tenir”, souffle-t-elle.

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Naama Al Alwani apprécie particulièrement la télévision et le montage vidéo.

Les chiffres clés de la guerre en Syrie depuis 2011
Selon un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme publié en juin 2022, 306 887 civils ont été tués entre le 1ᵉʳ mars 2011 et le 31 mars 2022 en Syrie depuis le début du conflit. En d’autres termes, cette estimation indique qu’au cours de ces dix dernières années, ce sont en moyenne 83 civils par jour qui ont subi une mort violente. “Cela n’inclut pas les très nombreux autres civils qui sont morts en raison de la perte d’accès aux soins de santé, à la nourriture, à l’eau potable et à d’autres droits de l’homme essentiels, qui restent à évaluer” déclare dans ce rapport Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme. Ce nombre de victimes civiles recensées au cours de ces dix dernières années “représentent un taux stupéfiant de 1,5 % de la population totale de la République arabe syrienne au début du conflit”, indique encore le rapport.

« J’ai fait 8 mois de détention à cause de mes convictions »

Naama Al Alwani, journaliste syrienne

Dès sa sortie de prison, Naama n’oublie pas ses engagements : lutter encore et toujours contre le régime en place, à son échelle. “Personne ne me fera taire”, tonne-t-elle. Ainsi, pendant plusieurs années, elle continue de dénoncer les actes sanglants du régime en enregistrant des vidéos sur son téléphone, en réalisant des reportages vidéos et des articles, qu’elle garde pour elle. Mais le petit écran la titille toujours. Spécialisée dans la télévision, Naama Al Awani réalise des reportages pour le petit écran.

Elle collabore notamment avec Halab Today TV, une chaîne de télévision syrienne depuis septembre 2020. En plus de ses talents de présentatrice, la Syrienne a un profil très polyvalent : polyglotte – elle maîtrise l’arabe, l’anglais et a de bonnes bases en français, elle aide les chercheurs et journalistes étrangers qui la contactent pour faire de la traduction sur des sujets liés à l’actualité de la Syrie. Parmi les sujets traités, Naama a ses domaines de prédilection : “J’apprécie particulièrement tous les sujets de société qui concernent les réfugiés syriens et les femmes syriennes. Je me focalise principalement sur la révolution et sur ce qu’il se passe sur ce long conflit syrien qui dure depuis 2011”, explique-t-elle. Sa mère, qui vit actuellement au Liban, lui apporte une autre culture : “Je me sens syrio-libanaise”, sourit-elle.

Un départ pour développer sa polyvalence

Après ces longs mois, Naama décide de quitter sa Syrie natale pour rejoindre le Liban voisin, toujours dans l’optique d’y exercer son métier de journaliste. “J’ai pu travailler avec plusieurs médias sur place en tant que freelance, comme Al Jazeera magazine, Al Aan TV. Je voulais toucher à tous les médias pour développer ma polyvalence”, précise Naama. En plus de ses activités journalistiques, la jeune femme n’oublie pas la cause qui lui tient à cœur, en accompagnant les réfugiés installés dans des camps au Liban. La journaliste leur fournit notamment les premiers soins et contribue à distribuer des denrées alimentaires aux personnes les plus démunies.

Réfugiés syriens au Liban : un parcours du combattant pour survivre 
Au Liban, on estime le nombre de réfugiés syriens entre 1,5 et 2 millions, faute de données officielles, dont 805 000 sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Cela fait du Liban l’État qui héberge le plus grand nombre de rescapés de la guerre civile syrienne par habitant. Ces réfugiés représentent environ 25 % du total de la population libanaise. Avant le conflit syrien qui a débuté en 2011, le pays du Cèdre accueillait entre 250 000 et 500 000 Syriens. 

Ils étaient alors pour une partie d’entre eux employés dans le BTP et l’agriculture particulièrement. Alors que le Liban continue de s’engouffrer dans une crise sociale et économique majeure depuis 2019, le pays est depuis plus de neuf mois sans président et avec un gouvernement démissionnaire. 82 % des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et la livre libanaise a perdu plus de la moitié de sa valeur. Les conditions de vie des réfugiés syriens sont déplorables : selon le HCR, 90 % d’entre eux croupissent dans une situation de pauvreté extrême : ceux d’entre eux qui travaillent dans des champs et assurent les récoltes, par exemple, gagnent l’équivalent en livres libanaises de cinq dollars la journée.

Naama vivra dans le pays du Cèdre pendant sept ans. En tant que journaliste-reporter, elle a notamment collaboré avec le média syrien « Halab Al-Youm », pour informer de l’actualité des Syriens qui résident au Liban et en Turquie. En quittant le Liban en 2020, après avoir subi de plein fouet de la xénophobie, mais aussi les multiples crises du pays, Naama rejoint le territoire turc, où elle y résidera pendant sept mois. La journaliste continue de travailler pour « Halab Al-Youm » et le média « Watan », tout en entreprenant les démarches afin d’obtenir le visa, pour vivre en France. 

Après de multiples contacts avec l’ambassade française au Liban, elle obtient son précieux sésame en 2021, après deux ans et demi d’attente.  Elle rejoindra l’Hexagone la même année. Sa famille, quant à elle, continue de résider actuellement dans la ville de Tripoli, au Liban. “C’était très dur de les laisser, mais j’ai régulièrement de leurs nouvelles en visio. Pour le moment, je n’envisage pas de rentrer au Liban à cause de la situation locale très compliquée. Mais je garde toujours espoir pour un avenir meilleur”, lance Naama Al Alwani. 

Une adaptation contrastée en France 

Naama Al Alwani est arrivée en France le 15 juillet 2021. “J’ai choisi ce pays parce que je voulais uniquement la paix, je n’en pouvais plus de subir des pressions de la part du gouvernement syrien, je veux avoir la liberté de porter fièrement mes convictions. En France, il y a cette liberté d’expression”, clame-t-elle. La journaliste commence par découvrir la Normandie et en particulier la ville de Rouen, où elle habite avec une amie, pendant une dizaine de jours. 


“Après quelques recherches sur le web, j’ai découvert la Maison des journalistes et les combats de cette association qui milite notamment pour la liberté de la presse. J’ai rempli le formulaire d’admission et je m’y suis installée le 18 août 2021”, raconte Naama, soit tout juste un mois après son arrivée sur le territoire français. Elle réside au sein de la Maison des journalistes pendant une année. Le programme « Renvoyé spécial », qui consiste à raconter son histoire devant un jeune public de lycéens, lui tient particulièrement à cœur. “Je suis souvent positivement surprise par le public que je rencontre. Je trouve qu’ils ont des questions très pertinentes sur le fonctionnement de la liberté de la presse et moi j’apprends beaucoup sur leur manière de s’informer. Dans notre société, ce sont des sujets cruciaux”, développe Naama Al Alwani.

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J’ai beaucoup apprécié de vivre ces expériences et surtout de ressentir la curiosité de ces jeunes. Je sens qu’ils sont souvent captivés par ce que je raconte”, se remémore Naama Al Alwani. La journaliste retient également ce mixte de cultures qui lui a permis de tisser des liens avec d’autres journalistes de l’association. Naama Al Alwani a obtenu son statut de réfugiée en novembre 2021.

Entre octobre 2021 et octobre 2022, elle a suivi  des études dans la spécialité « Français langue étrangère » à l’université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Elle a enchaîné avec une licence en cinéma, toujours dans le même établissement, entre juin 2022 et juillet 2023. Elle recherche actuellement un Master, sans savoir encore dans quelle spécialité. 

« Je dois choisir entre mon hijab ou ma carrière »

Naama Al Alwani, journaliste

La jeune femme, qui réside actuellement à Paris, souhaite trouver un travail dans le journalisme avec toujours une appétence pour l’univers de la télévision, mais se heurte à une difficulté majeure selon elle : le port du hijab. “On m’a déjà forcé à l’enlever, mais je ne veux pas. Le hijab fait partie de moi, de ma personnalité et de ma religion. Cela fait 18 ans que je le porte. Je suis donc confronté à un dilemme : je dois choisir entre mon hijab ou ma carrière”, déplore Naama.

Elle souhaite par ailleurs dénoncer un cliché: “Beaucoup font le rapprochement entre les extrémismes et le terrorisme, juste à cause d’un vêtement. Mais je ne suis pas terroriste, je ne cache rien !”, clame Naama. La journaliste souhaite réaliser une enquête journalistique sur les discriminations liées au port du hijab.

Elle rebondit par ailleurs sur une polémique qui a fait couler beaucoup d’encre au sein de tous les partis politiques en France : le port de l’abaya, qui est désormais interdit à l’école  par le ministre de l’Education, Gabriel Attal. “On voit finalement que les gens ne sont pas traités de manière équitable. En quoi l’abaya peut vraiment déranger une personne ?” 

La journaliste confie que des connaissances qui portent le hijab ont accepté de l’enlever, uniquement sur le temps professionnel. “Je suis juste un être humain, une personne normale. Ici une des premières choses que l’on me dit lorsqu’on me voit avec le hijab, c’est : ‘’Tu n’as pas trop chaud avec ça ? Mais oubliez-le et concentrez-vous sur ma personne!“, lance Naama dans un grand éclat de rire. “Mais dans d’autres pays, comme en Allemagne, la mentalité est différente. Je me rends compte qu’ici en France, je ne peux pas totalement exprimer ma spiritualité”, ajoute la Syrienne.

Pour autant, Naama Al Alwani ne se voit pas qu’ailleurs qu’en France, reconnaissant être  “fatiguée” d’être perpétuellement en mouvement.  “Mon corps est ici en France, mais ma tête est au Liban avec mes parents et mes proches”, explique-t-elle pour définir son état d’esprit.

En plein apprentissage de la langue française avec un niveau B2, Naama a encore plusieurs souhaits : stabiliser sa situation professionnelle, obtenir la nationalité française et revoir sa mère. Cela fait déjà deux ans qu’elles ne sont pas vues. “Sur le plan psychologique, je désire aussi avant tout que tout ce stress disparaisse une bonne fois pour toute”, conclut-elle avec un long soupir. Une différence qui peut se faire au mental, Naama en a désormais l’habitude. 

Par Chad Akoum 

RENCONTRE. Au Bangladesh, comment « les disparitions forcées » se banalisent 

Avocat bangladais spécialisé dans les droits des minorités et personnes LGBTQI+, Shahanur Islam est l’un des lauréats 2023 de l’Initiative Marianne. Dévoué depuis de longues années à la communauté queer à travers ses actions et affaires pénales, l’avocat a été récompensé par l’Initiative pour son engagement sans faille. L’Œil de la Maison des journalistes a eu l’opportunité de l’interviewer sur son engagement et son ONG.

Marié et père d’un petit garçon, Shahanur a souvent craint pour sa famille. Sa femme s’est elle-même spécialisée dans la défense des droits des femmes et des enfants, eux aussi brimés au Bangladesh.

Shahanur Islam n’a pour autant jamais cédé aux menaces, intimidations et agressions qu’il subit de la part de ses détracteurs. Avocat par passion et profondément animé par le respect des droits humains, rien ne semble pouvoir l’arrêter. 

Et pour cause : le Bangladesh est un pays d’Asie du Sud dominé par la religion islamique. Là-bas, la communauté LGBTQI+ est confrontée à de nombreuses et diverses formes de violence, de discrimination et de marginalisation au sein de sa famille, de la société et de l’État en raison de lois ségrégatives, de sentiments religieux et de normes sociales. Ayant une cousine transgenre déjà agressée, Shahanur sait de quoi il parle. 

Le Bangladesh a également connu des périodes d’instabilité politique, avec des changements fréquents de gouvernement et des cas de violence politique. Un environnement toxique voire mortel pour les défenseurs des droits, où leur travail est perçu comme un défi au gouvernement ou à des acteurs puissants. 

« La faiblesse des institutions démocratiques et le manque de respect de l’État de droit empêchent la mise en œuvre et l’application des protections des droits de l’Homme », explique le lauréat 2023 de l’Initiative Marianne.

« Il existe une culture d’impunité pour les violations des droits de l’homme. Cela décourage les gens de demander et d’obtenir justice, ce qui rend difficile notre lutte », regrette-t-il.

« Les journalistes, les militants et les défenseurs des droits de l’homme sont les victimes constantes de harcèlement, de menaces, voire de violences pour avoir dénoncé des violations ou critiqué le gouvernement. Les cas d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées sont très répandus au Bangladesh. »

« Cela contribue à créer un climat de peur et de méfiance à l’égard des forces de l’ordre et entrave les efforts de protection des droits humains. »

Mais d’autres paramètres doivent également être pris en compte : la pauvreté et l’analphabétisme (taux d’alphabétisation de 75%), « qui exacerbent les problèmes de droits de l’homme au Bangladesh, car les personnes marginalisées n’ont pas accès aux droits et aux services de baseDe plus, les organisations et institutions de défense des droits de l’homme disposent de ressources limitées, ce qui les empêche d’enquêter efficacement sur les violations, de les documenter et d’apporter un soutien aux victimes. »

Un avocat dévoué à la communauté LGBTQI+

« Cette situation m’a profondément choqué et ému, d’autant plus que j’ai été témoin de persécutions et de discriminations similaires dans mon quartier et au sein de ma famille élargie. » Ressentant un fort sentiment d’empathie et d’inquiétude pour leur bien-être, « j’ai su que je devais agir pour changer les choses. »

Il a commencé il y a quelques années à s’informer sur les questions LGBTQI+ dans le monde et à entrer en contact avec des militants et des institutions engagés.

« Ces expériences ont renforcé ma détermination à défendre les droits LGBTQI+ dans mon propre pays », dans sa vie personnelle comme professionnelle. Il croit fermement aux principes fondamentaux des droits humains, de l’égalité et de la dignité pour tous les individus, indépendamment de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression.

Son travail vise à renforcer les capacités des personnes LGBTQI+, en les aidant à faire valoir leurs droits et à revendiquer la place qui leur revient dans la société. Il sait son rôle d’avocat « essentiel » pour « promouvoir un changement positif, sensibiliser l’opinion et faire pression pour une meilleure protection juridique de la communauté. »

« En tant que défenseur des droits de l’homme, avocat et journaliste citoyen au Bangladesh, je défends depuis quelques années les droits des minorités, ainsi que des victimes de torture, d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de violences organisées. »

Un « engagement inébranlable » pour la communauté queer, et n’arrêtera jamais de contribuer à un avenir « où tous les individus pourront vivre dans la dignité et la liberté. »

De multiples et violentes agressions au Bangladesh

Un combat qui semble sans fin. « L’année dernière, j’ai reçu des menaces d’extrémistes islamiques, qui visaient aussi ma femme et mon enfant. C’est pourquoi nous avons pris diverses mesures de sécurité pour les protéger lorsqu’ils vivent au Bangladesh. » Des menaces qu’il reçoit toujours aujourd’hui. 

Sur place, sa famille évite les endroits bondés, ne sort qu’en groupe et pas après la tombée de la nuit ; ils changent fréquemment d’itinéraire lorsqu’ils se déplacent, de même que de lieu de résidence.

Des précautions aux impacts lourds sur leur vie quotidienne. « La sécurité de ma famille est une priorité absolue et je serais reconnaissant de toute aide que nous pourrions recevoir pour surmonter ces circonstances difficiles », précise l’avocat.

Shahanur en conférence.

« J’ai été confronté à des expériences terrifiantes, notamment des menaces répétées, des menaces de mort, des intimidations, des agressions physiques, et des poursuites judiciaires illégales », se confie-t-il sans baisser la tête. Shahanur porte plainte à chaque assaut, en vain.

D’abord le 9 janvier 2011, dans le district de Thakurgaon, au nord du pays. Il est alors en présence de deux autres défenseurs des droM2307-DHOYVits, pour mener une mission d’enquête concernant une violation des droits de l’homme.

« Au cours de notre visite, nous avons été attaqués par un groupe d’une dizaine de personnes. L’un des assaillants s’est présenté comme un membre de l’union locale Parishad (NDLR : conseil rural), tandis qu’un autre a prétendu en être le président. »

« Ils nous ont interrogés de manière agressive sur l’objet de notre présence dans la région, puis l’un d’entre eux m’a agressé physiquement alors que j’essayais d’appeler la police locale. Ils ont alors commencé à nous voler sous la menace d’une arme, emportant notamment des caméras vidéo, un ordinateur portable, des documents importants et de l’argent liquide. J’ai subi d’autres blessures au cours de cette agression lorsque j’ai tenté désespérément de demander de l’aide. »

Le drame ne s’est pas arrêté là : les hommes ont forcé le groupe « à poser pour des photos en tenant des sommes d’argent en dollars américains. » Menacés de mort et de diffusion des photos compromettantes dans les journaux, les défenseurs des droits ne signalent pas l’agression à la police. 

Le 26 août 2020, alors qu’il travaillait au tribunal du district de Naogaon, au nord du pays, Shahanur a été attaqué « par un groupe de terroristes islamiques. Dès que j’ai quitté la salle d’audience et atteint la véranda, j’ai été soudainement attaqué avec l’intention manifeste de m’enlever et de me tuer. »

Des avocats et clercs d’avocats le sauvent in extremis des terroristes. Il en ressort traumatisé, avec de graves blessures sous l’œil gauche, sur le front et le reste du corps, nécessitant son hospitalisation. Une situation qui conforte d’autant plus Shahanur à s’engager pour les droits humains.

« Je continuerai à défendre la justice, l’égalité et la protection des droits de l’homme pour tous, quels que soient les risques auxquels nous sommes confrontés », martèle-t-il à plusieurs reprises.

Lorsqu’il signale les incidents à la police, celle-ci refuse d’agir ou d’enquêter. « Pour l’agression survenue en 2020, j’ai pu déposer plainte et deux des agresseurs ont été appréhendés. Ils ont ensuite été libérés sous caution et l’enquête n’a pas permis d’arrêter les autres criminels impliqués. La police a même présenté un rapport d’enquête erroné contre trois des auteurs de l’attentat, les déchargeant à tort. » 

« En octobre 2022, ma cousine transgenre et moi-même avons été détenus de force par un groupe d’individus à Kolabazar, dans le district de Naogaon. Ils m’ont menacé de mort si je ne retirais pas la plainte déposée contre Jahurul Islam et mes agresseurs de 2020. Malgré ces défis et ces menaces, je n’ai pas obtenu justice et je continue à me battre pour que les responsables rendent des comptes et pour que moi-même et d’autres personnes soient protégés. »

Des menaces et un harcèlement continu, même s’il n’est plus au pays. : « le 11 juillet 2023, un sous-inspecteur de la Special Branch of Police (SB) de Badalgachhi, Naogaon, s’est rendu à mon domicile au Bangladesh. Il a cherché à obtenir des informations détaillées sur moi et ma famille, et m’a demandé des renseignements personnels. »

Il a également interrogé son cousin sur son travail, « lié à l’établissement des droits des LGBTQI+ et sur mon plaidoyer pour la décriminalisation de l’homosexualité au Bangladesh. »

De plus, le 21 juin 2023, « un utilisateur nommé “Mon Day” sur Facebook a lancé une campagne vicieuse contre moi, sur un groupe Facebook extrémiste islamique appelé “Caravan”.

« Cette campagne visait à m’expulser du Bangladesh. Ils m’ont qualifié d’ennemi de l’Islam et en m’accusant à tort de mettre en œuvre un programme occidental visant à légitimer l’homosexualité. Ils ont également demandé l’interdiction de JusticeMakers Bangladesh, une organisation que j’ai fondée. »

JusticeMakers, la voix des Bangladais oubliés

Avec un groupe d’avocats et de jeunes travailleurs sociaux jeunes, Shahanur Islam fonde JusticeMakers Bangladesh en 2010, après avoir reçu la bourse de l’organisation International Bridges to Justice (IBJ), en Suisse.

Leur ONG se consacre à la justice, la réhabilitation et le développement communautaire, en mettant l’accent sur « la protection et la promotion des droits humains », explique le lauréat. Ils vont jusqu’à représenter les victimes au tribunal et les accompagner dans leur plainte.

« Nous nous engageons à respecter les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les dispositions fondamentales de la Constitution du Bangladesh. Nous fournissons aussi une assistance humanitaire aux Bangladais victimes de violations et de discriminations. »

JusticeMakers défend des « victimes d’exécutions extrajudiciaires, de tortures, de violences organisées et de disparitions, ainsi que des personnes confrontées à la violence et à la discrimination, y compris les femmes et les enfants. »

« Malgré les défis et les dangers auxquels je suis confronté, les moments de réussite et le fait de savoir que je fais la différence dans la vie de quelqu’un en valent la peine. Voir les sourires sur les visages de ceux dont les droits ont été défendus, et savoir qu’ils peuvent désormais vivre dans la dignité et la liberté, est vraiment gratifiant. »

L’organisation, aujourd’hui basée en France, a également pour objectif de « contribuer à la défense, à la promotion, à l’éducation, à la protection et à la réalisation des droits de l’homme, en garantissant l’égalité pour tous les individus, peu importe leur race, sexe, orientation sexuelle ou religieuse, caste ou classe sociale. »

« Nous donnons aussi accès aux services de soutien existants pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les immigrés d’origine bangladaise vivant en France », précise Shahanur.

« Nos experts juridiques leur fourniront des connaissances sur la législation existante, les droits constitutionnels et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. »

Ils communiquent par la même occasion les affaires pénales bangladaises à l’internationale, afin de « sensibiliser l’opinion publique et faire pression pour la résolution des affaires. »

Ils remuent jusqu’aux plus hautes institutions et juridictions internationales qu’ils mobilisent, n’hésitant pas à planifier des meetings, séminaires et formations. Shahanur et JusticeMakers ne compte pas s’arrêter là : ils comptent « publier prochainement un bulletin mensuel sur l’état des violations au Bangladesh”, ainsi que “des documents de recherches et de livres. »

« Nous maintiendrons des relations étroites et une coopération avec d’autres organisations de défense des droits humains, des ambassades, des associations locales d’avocats, de médecins, des associations de journalistes et d’autres professionnels. » Enfin, « une ligne téléphonique d’urgence » sera mise en place au Bangladesh pour toute personne concernée. 

Initiative Marianne, « opportunité inestimable » pour JusticeMakers

Des étapes qui n’auraient pu être atteintes sans sa participation à l’Initiative Marianne, véritable incubateur pour les défenseurs des droits. Shahanur se sent « extrêmement chanceux et honoré » d’être lauréat de la promotion 2023.

« Cette reconnaissance a eu un impact significatif sur mon travail en tant que défenseur des droits », clame-t-il. Son ONG a obtenu plus de visibilité et atteint « un public plus large. » Il parle d’une « opportunité inestimable » au sein du programme, qui lui a permis d’avoir un « plus grand impact positif. »

« Le fait d’être reconnu comme lauréat valide mon dévouement et mon impact dans la promotion des droits de l’homme », nous explique l’avocat. « Cela a renforcé ma crédibilité, attirant le soutien, le partenariat et la collaboration d’individus et d’organisations qui partagent cet engagement commun. »

Il a pu par la même occasion développer ses compétences en plaidoyer et d’approfondir ses connaissances en droit international. En résumé, « l’attention et le soutien internationaux suscités par l’Initiative Marianne ont contribué à ma sécurité et à mon bien-être dans l’accomplissement de mon travail. »

Vaillant, Shahanur n’est pas découragé par les violences ou la masse vertigineuse de travail : il sait à quel point la communauté LGBTQI+ est marginalisée dans son pays, et qu’il s’agit bien trop souvent de vie ou de mort.

Crédits photo : Jon Southcoasting, Shahanur Islam.

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Farhad Shamo Roto, Ézidi « apatride dans mon propre pays »

Toujours accompagné de son fidèle sourire aux lèvres, Farhad Shamo Roto respire la joie de vivre. Lauréat 2023 de l’Initiative Marianne et fondateur de l’association « Voice of Ézidis », Farhad aide aujourd’hui les réfugiés Ukrainiens à trouver un foyer d’accueil. Des montagnes du Sinjar à l’Elysée, Farhad n’a cessé de se battre pour son peuple et les droits humains. Rencontre avec le défenseur des droits pour l’Œil de la Maison des Journalistes.

Malgré les épreuves et obstacles, le quasi trentenaire Ézidi continue de tracer sa route avec une énergie folle. Il a fait de sa communauté sa vocation, ou plutôt la liberté de son peuple.

Minorité réprimée en Irak, les Ézidis craignent que leur histoire et culture ne disparaissent avec les génocides.

Un peuple millénaire harcelé et massacré

Ézidis et non Yézidi, comme le veut l’erreur internationale. Car le terme « Yézidi » est incorrect pour la communauté concernée : à travers cette appellation se cache une manipulation politique, afin de catégoriser les Ézidis en tant que groupe terroriste.

« Le mot Ézidi est la bonne version. Il date des époques sumérienne et babylonienne et est dérivé de Khuday Ez Dam, qui signifie « J’ai été créé par Dieu », nous confie Farhad.

« Mais au cours des dernières décennies, les érudits et les médias ont associé les Ezidis à Yazid Bin Mawia, le deuxième calife du califat omeyyade qui s’était opposé au prophète Mahomet. »

Un usage qui coûtera très cher au peuple Ezidi, car des conflits très anciens entre Yazid Bin Mawia et Mahomet divisent toujours l’Irak.

« Nous ne devrions donc laisser personne nous associer à un tel conflit qui n’a pas de fin. Nous sommes issus d’une communauté remontant aux anciennes civilisations mésopotamiennes. C’est pourquoi j’écris notre nom en tant qu’Ezidi et j’encourage les autres à faire de même. »

« Je suis né en 1994, dans un village du nord de l’Iraq, dans la région de Sinjar. Nous étions une famille de fermiers qui cultivait l’ail, et notre seule source de lumière était celle du jour. »

« J’ai été un des premiers de mon village à accéder à l’école sous le régime de Saddam Hussein, et j’ai même obtenu mon diplôme avec mention. »

Etant un Ézidi et considéré comme indigène, Farhad a été longtemps victimes d’harcèlement et de brimades de la part de ses camarades.

Sa communauté connaissait et connait toujours des vagues de violences extrêmes de la part du reste de la population.

Les Ézidis pratiquent en effet une religion non-musulmane, ont leur propre langue et disposent d’une culture spécifique.

Sous le commandement de Saddam Hussein, le gouvernement a tenté d’assimiler les Ézidis, notamment en leur faisant abandonner leurs us et coutumes et en les convertissant de force à l’Islam.

Les groupes terroristes islamiques, eux, prônaient leur disparition totale.

« Les pleurs des mères ne quitteront jamais mon esprit »

Un échec suivi d’une violente répression à partir de 2014. « L’Etat Islamique nous a harcelés, torturés, puis a eu recours aux massacres et génocide, reconnu par l’ONU en tant que tel. Petit, je vivais dans des montagnes isolées, mais nous entendions parler des massacres en permanence. »

Du 3 au 15 août 2014, les Ézidis plongent au fond de l’enfer. L’Etat islamique décide de procéder à une purge ethnique, coûtant la vie à 5 000 personnes au minimum, et conduisant à l’exil de plus de 300 000 Ézidis. Plus de 5 000 femmes ont également été enlevées et vendues comme esclaves sexuelles.

Des chiffres qui ne cessent de grimper au fur et à mesure des langues qui se délient et des recherches indépendantes.

« J’étais un sans-abri, un apatride dans mon propre pays », témoigne avec émotion Farhad, qui était alors en première année à l’université où il étudiait la biologie.

Impossible de retourner dans son village natal, même aujourd’hui. « Ma famille et moi-même n’avons survécu que par miracle. »

« Nous étions piégés, l’unique voie de sortie était dans les montagnes, dans un corridor traversant la Syrie avant de remonter vers l’Irak. Nous nous sommes retrouvés dans des camps de déplacés internes. »

Ces camps, mis en place par l’ONU au début du génocide, restent un enfer pour les réfugiés. « J’y ai vécu 3 ans et demi avec ma famille. »

« Beaucoup de réfugiés se suicidaient, nous étions terrorisés et perdus. J’ai vécu cette expérience comme des années de prison. Les hurlements et pleurs des mères ne quitteront jamais mon esprit. »

Impossible pour autant que Farhad de rester cloîtré dans sa prison : le jeune homme s’active, monte un réseau pour aider les nouveaux arrivants au fil des années à s’installer, et met sur pied avec des camarades un millier de tentes.

« Je m’étais lancé dans la biologie car mon village avait besoin de personnes compétentes en soins médicaux. » Sans aide extérieure, les déplacés doivent se procurer leurs denrées alimentaires et autres fournitures.

« Je n’avais pas le choix, je devais régulièrement traverser la frontière pour ramener à manger à ma famille. Et pour pléthore de volontaires, il s’agissait d’un aller sans retour. »

« L’Etat Islamique nous bombardait et nous tirait dessus lorsque ses membres nous apercevaient. Toutes ces expériences ne m’ont donné que plus envie de dédier ma vie aux autres. »

La Drôme, surprenant havre de paix pour les Ézidis

Au bout de trois longues années, une lumière d’espoir jaillit au fond du tunnel. L’un des oncles de Farhad est alors le garde du corps d’un diplomate positionné en France, et négocie depuis août 2014 la venue de son neveu.

Son oncle y a échappé de peu lui-même, et parviendra à extraire Farhad et ses parents du pays. « Des groupes de volontaires dans la Drôme acceptent de nous accueillir chez eux, mais obtenir notre visa nous prend un an. En 2017, nous nous envolons alors pour la France. »

Il atterrit avec sa famille à Grane, non loin de Valence. Grâce à des organisations telles Val de Drôme Accueil Réfugiés, des familles entières peuvent fuir le génocide et savourer la paix.

Plus de 80 familles sont ainsi hébergées dans le département depuis 2015. Aujourd’hui, la France accueille plus de 10 000 Ézidis sur son territoire.

Après quelques mois dans la Drôme, Farhad s’installe à Lyon pour quatre semaines. Il saisit l’opportunité de se rendre sur Paris en 2018, grâce à un service civique jusqu’en 2019.

Il y fait la rencontre de Mario Mažić, co-fondateur de l’ONG « Youth Initiative for Human Rights in Croatia » et enregistre en 2019 son association « Voice of Ézidis » (VOE) dans la capitale française.

Paris lui permet par ailleurs de faire grandir VOE, chose qu’il ne pouvait pas faire dans la Drôme.

Pourtant en activité depuis plusieurs années, il avait par le passé tenter d’enregistrer VOE en Iraq, sans succès : il devait changer le nom de l’organisation, ce qui revenait à lui faire perdre son essence-même.

Mais sous le manteau, en Iraq comme en France, Farhad Shamo Roto soulève des montagnes pour aider ses compatriotes. « J’ai travaillé sur de nombreux cas très divers », explique-t-il le regard au loin, se remémorant le passé.

« J’ai fourni des conseils juridiques, en aidant les survivants installés en France à remplir leurs papiers et à s’intégrer, j’ai organisé de nombreux événements pour lier les communautés françaises et Ézidis en France. »

« Nous nous sommes mobilisés pour aider la communauté durant la pandémie, j’ai parfois été un support financier… » Enumère-t-il. Au total, plus de 500 familles bénéficient de son aide, même durant la pandémie.

Mario Mažić, avec qui il garde un lien fort, l’appelle par une belle après-midi de juin 2020 pour lui parler du programme initié par la fondation Obama, appelé « European Leaders. »

Selon Farhad, « Mario était persuadé que je pouvais faire partie du programme. J’ai donc passé une interview et j’ai été sélectionné. »

European Leaders et Initiative Marianne, le tournant international

Fort de ses expériences, d’un master Relations Internationales à l’HEIP et de sa volonté inarrêtable, Farhad est sélectionné pour participer au « Leaders Programs » en 2020, pour une durée de six mois.

Celui-ci a pour objectif « d’inspirer, de responsabiliser et de mettre en relation » des activistes et défenseur.es des droits des quatre coins du globe, à l’instar de l’Initiative Marianne.

Le premier stage a été un « très bon entraînement en défense des droits » pour Farhad, qui souhaite développer son organisation VOE à l’internationale, et qui lui a permis de solidifier son carnet d’adresses.

« Ce programme a été un véritable tournant pour moi. Les autres participants font partie de ma famille maintenant, nous nous serrons vraiment les coudes ! »

Il y rencontre le Biélorusse Nick Antipov, défenseur des droits LGBTQ+. Les deux hommes sympathisent et gardent contact, animés par la même passion pour l’humain.

Ravi de son expérience, Farhad se mobilise pour trouver un stage similaire : il finit par être sélectionné pour la promotion 2023 de l’Initiative Marianne, où il a postulé en décembre 2022.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.

Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétence et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
   
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.

Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

« J’ai pu participer à l’Initiative grâce à des référents qui ont appuyé ma candidature », précise le jeune homme.

« Pendant six mois, j’ai encore mieux développé mes compétences en défense des droits, gestion d’association, agrandi mon réseau d’institutions et ONG nationales et internationales. Au final, l’Initiative se poursuit bien au-delà des six mois. »

La guerre en Ukraine, triste écho à sa vie

Lorsque l’invasion de l’Ukraine est déclarée par la Russie le 24 février 2022, Farhad et son ami Nick sont effondrés. Co-fondateur du projet anti-discrimination MAKEOUT, Nick Antipov est bien renseigné sur les questions d’exil et de migration forcée.

Les deux s’interrogent : comment venir en aide aux milliers d’Ukrainiens qui seront bientôt obligés de se déplacer loin du conflit ?

Se souvenant du système d’accueil dans la Drôme, où des familles françaises hébergent des Ézidis, Farhad mobilise avec l’aide de son ami la société civile. Objectif, trouver des foyers pour les familles et civils ukrainiens au plus vite.

En quelques jours, l’association ICanHelp est montée : le site internet enregistre des centaines de visites par jour, et comptabilise autant de demandes. Aujourd’hui, plus de 13 000 hôtes ont ouverts leur porte.

L’interface permet en effet aux Ukrainiens de se signaler et aux hôtes, de proposer leur domicile comme refuge. Nick et Farhad se chargent de la mise en relation.

« Très vite, nous sommes devenus le lien entre les deux parties en France, nous avons reçu énormément de soutien. L’Union européenne, le Canada, l’Allemagne, la Turquie se sont joints au programme. Un Français a même hébergé 20 familles à lui seul ! »

Toujours très attaché à son travail pour la cause Ézidie, Farhad continue d’aider les réfugiés de sa minorité en France.

Il est actuellement en collaboration avec l’ONU afin de protéger son peuple en Irak, où ils ne bénéficient d’aucun statut.

« L’ONU nous permet d’être entendu et d’avoir une voix au chapitre de nos vies », qu’il espère seront bientôt « paisibles. »

Le mois prochain soufflera le triste anniversaire des neuf ans du génocide. Farhad organise des commémorations en France avec une vingtaine d’autres associations Ézidies. Ces dernières ont par ailleurs lancé un appel à l’Irak pour la reconstruction de la région de Sinjar, leur maison natale.

Crédit photo : Marcus Wiechmann.

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Tamilla Imanova : « Il était impossible que le peuple russe se taise »

À seulement 26 ans, Tamilla jouit déjà d’un brillant parcours humanitaire et professionnel. Diplômée en droit de l’une des meilleures universités de Moscou, la jeune Russe a fait ses armes en tant qu’avocate dans l’organisation Memorial Human Rights Defence Center, située dans la capitale. Lauréate 2023 de l’Initiative Marianne, Tamilla Imanova revient pour l’Œil sur la défense des droits de l’Homme en Russie, et sur l’impact de l’activisme sur la guerre en Ukraine.

Rencontre.

Une vie pour les droits de l’Homme et les libertés publiques

La défense des droits de l’Homme n’était pourtant pas son premier choix de carrière. À 16 ans, lors d’un échange scolaire aux Etats-Unis à Rio Vista au Texas en 2013, elle découvre un niveau de vie inconnu pour elle jusqu’alors, qu’elle aimerait ramener dans sa ville natale de Russie.

« Les gens vivaient mieux que nous. Les enfants pouvaient conduire à 16 ans, ils avaient des ordinateurs modernes à l’école (nous en avions aussi mais des anciens), une meilleure éducation et les professeurs étaient respectueux », énumère-t-elle avec nostalgie.

« En Russie, les professeurs te manquent très souvent de respect, de même que le gouvernement ne te respectera pas en tant que citoyen. » Une réflexion nourrie aussi par ses loisirs tels les cours de tennis et le club d’échecs, faisant naître peu à peu une vocation en elle.

La jeune femme, solaire, se souvient qu’elle ne souhaitait pas devenir avocate lors de sa première année de droit en 2015, mais qu’elle a toujours voulu aider les autres. Lors d’une recherche de stage, elle découvre le Memorial, qui lui inspire très rapidement son futur professionnel.

Memorial-International est une ONG historique créée à la dissolution du bloc soviétique en 1989, permettant de documenter l’oppression soviétique, particulièrement durant la période stalinienne.

En 1993, une autre ONG voit le jour : le Centre des Droits Humains “Memorial”, pour protéger les citoyens Russes de la répression actuelle.  « Les deux organisations sont amies et échangent régulièrement. » Le prix Nobel a par ailleurs été attribué aux deux branches, en reconnaissance de leur travail passé et actuel.

Tamilla intègre le Memorial en tant qu’avocate stagiaire en 2019, sur recommandation de ses professeurs. Elle apprécie énormément le travail accompli, loin des codes stricts de l’université. « Je voulais revenir au plus vite, dès l’obtention de mon diplôme », explique-t-elle d’un ton enjoué au micro.

« Je dis souvent qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre moi et le Memorial », plaisante la défenseure. « Une histoire d’amour qui dure depuis quatre ans ! »

Avant l’invasion de l’Ukraine, son travail consistait à représenter des citoyens des régions reculées du pays, comme pour des affaires de violences conjugales, de torture ou de violences policières avec son équipe. Les droits de l’Homme et la défense des libertés publiques sont les fondements de l’organisation.

Dans des régions comme le Daghestan, la tradition prévaut sur le droit, ce qu’elle tentait de changer. Génie dans son domaine, elle remporte son premier procès devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2022 concernant des violences domestiques, une grande fierté pour elle.

« La plupart du temps, la Russie payait les amendes de la CEDH. Mais parfois, les arrêts de la Cour amenaient à une nouvelle législation russe concernant les droits de l’Homme. »

Les dossiers du Memorial sont souvent envoyés à la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque la Russie leur dénie la justice, ce qui attire l’ire du Kremlin.

Le Memorial, prix Nobel de la paix 2022 et épine dans le pied du Kremlin

En 2021, le gouvernement russe s’attaque au Memorial, qu’il compte bien dissoudre grâce à la loi sur l’influence occidentale et les agents de l’étranger. Travaillant avec nombre d’acteurs européens, le Memorial avait été labélisé agent de l’étranger depuis 2014, car il avait dénoncé le conflit en Crimée, et ses membres encore libres risquent toujours la prison.

« En Russie, tout se passe de manière légale mais la loi peut rapidement être détournée » par le gouvernement. Depuis cette année, vous pouvez être caractérisé d’agent de l’étranger sans pour autant recevoir de subventions de l’extérieur.

« N’importe qui pouvait être considéré comme agent de l’étranger, que l’on travaille pour une association ou non. Le simple fait d’utiliser Facebook pouvait vous incriminer, la loi demeure très floue », détaille Tamilla.

Les 28 et 29 décembre 2021, la Cour Suprême et le tribunal de Moscou ordonne la dissolution des deux ONG, décision unanimement condamnée par le Conseil de l’Europe et à l’international.

Aujourd’hui, elles ont été contraintes à l’exil, malgré la demande de suspension de la dissolution par la CEDH. « Nous avons rendu notre combat public sur Telegram, Instagram, Twitter et VKontakte en informant le public de notre dissolution, mais cela n’a pas arrêté le gouvernement. »

Une décision choquante pour les équipes du Memorial, qui tentent néanmoins d’envisager l’avenir : fallait-il délocaliser l’ONG, ou bien en monter une nouvelle ? Devaient-ils braver l’interdiction et continuer de travailler en secret en Russie ? Avant même de pouvoir prendre une décision, les équipes observent avec catastrophe Vladimir Poutine envahir l’Ukraine le 24 février 2022.

« Très vite, ils ont commencé à arrêter toute personne qui critiquait la guerre. Il était impossible pour des ONG de protection des droits de l’Homme comme la nôtre de rester silencieuse », affirme avec force Tamilla. « Il était impossible que le peuple russe se taise. En février et mars 2022, il ne se passait pas un jour sans que les citoyens ne manifestent. »

Et si aujourd’hui cette contestation est moins médiatisée, des manifestations contre la guerre sont toujours programmées en Russie. « Nous n’avons donc pas changé nos positions, et avons pris la décision de fonder un nouvel organisme : le Memorial HRDC, Human Rights Defence Center. Nous n’avons pas le droit de travailler avec notre organisation initiale, mais une nouvelle sous un nom légèrement différent ne pose pas problème. » Pour l’instant.

Certains de ses collègues décident de quitter la Russie et d’opérer depuis l’étranger, faisant toujours face à de possibles procédures judiciaires. À l’instar de Bakhrom Khamroyev, condamné à 14 ans de prison en mai 2023 pour « terrorisme et traîtrise. »

Sa faute ? Avoir fourni des conseils juridiques à un groupe islamique que le gouvernement a classé comme terroriste, bien qu’aucun de ses membres n’ait commis d’acte de violence.

Initiative Marianne, incubateur de tous les projets

Le co-président du Memorial, Oleg Orlov, grand militant des droits et libertés en Russie, avait décidé de rester sur place. Le 8 juin dernier, il a été jugé pour avoir « discrédité l’armée » lors d’une interview avec Mediapart, où il a affirmé que la Russie était désormais « fasciste. »

Après plusieurs amendes, il encourt aujourd’hui l’emprisonnement. « Nous avons couvert les deux premières audiences du procès, et nous attendons vivement celle du 21 juillet », nous explique Tamilla, l’expression déterminée. « Nous n’avons pas réellement d’espoir, mais il reste très courageux et nous maintient dans la bonne direction. »

« J’ai moi-même quitté la Russie en avril 2022 pour la Pologne, qui m’a fourni un visa humanitaire. Cette année, ils m’ont donné un permis de résidence temporaire, ils ont été très accueillants. » Ses collègues lui ont également permis de participer à l’Initiative Marianne en lui laissant du temps en-dehors du travail.

Une photo de Marina Merkulova.
Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.

Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétence et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
   
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.

Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Rentrer en Russie pour finir en prison

« Je ne retournerai pas en Russie pour l’instant, c’est bien trop dangereux pour moi. Il suffit de chercher mon nom sur Google pour voir mes actions contre l’invasion de l’Ukraine et mes positions sur les droits de l’Homme. » Des positions qui pourraient lui valoir la prison, comme son travail avec les minorités ethniques musulmanes qu’elle continue de défendre, ainsi que la recherche et l’accompagnement juridique des Ukrainiens détenus sur le sol russe.

« Ce que j’ai le plus apprécié avec l’Initiative Marianne a été de pouvoir travailler non seulement avec 14 personnes issues de nationalités variées, mais aussi de domaines différents. C’était la première fois que je rencontrais des défenseur.es des droits de divers secteurs. » Des rencontres qui ont conduit à un changement dans son développement personnel et professionnel.

« J’ai découvert le travail d’activistes, journalistes et politiciens étranger au mien, mais servant pourtant la même cause. Nous partageons notre travail et souhaitons rester en contact avec tout le monde. » Aujourd’hui, Tamilla compte étendre le réseau Alumni des lauréats et rencontrer la promotion 2022. « J’ai aussi poussé deux amis à candidater pour 2024 », confie-t-elle avec un rire discret.

« J’espère pouvoir commencer le mentoring dès le début du programme en 2024, et non quelques semaines après. » Grâce à son permis de résidence temporaire polonais, Tamilla est libre de se déplacer dans l’espace Schengen, ce qui lui permettra de continuer plus sereinement son travail pour le Memorial et l’ONU.

Une équipe du Memorial est par ailleurs entièrement dédiée à l’accompagnement des Russes qui refusent d’être mobilisés en Ukraine. Beaucoup ont été enlevés puis emprisonnés, « ou bien on leur lave le cerveau et on leur promet la prison pour qu’ils aillent au front », détaille Tamilla.

« Nous avons un bot Telegram où les civils peuvent nous écrire, et nous sélectionnons nos cas. Ce n’est pas très sûr comme système, mais de nombreux de Russes sont sur Telegram. Nous possédons également une hotline qui est très utilisée. »

« Nous travaillons avec un rapporteur spécial de l’ONU sur la situation en Russie, la Bulgare Mariana Katzarova, à qui nous fournissons nos preuves d’abus de pouvoir du Kremlin. Nous comptons aussi élargir nos équipes juridiques », annonce fièrement Tamilla, point découragée par la quantité de travail.

« A force de travailler sur l’invasion, nous avons même développé de solides compétences sur la juridiction et législation militaires russes », précise-t-elle toujours en souriant. De quoi bâtir une expérience hors du commun à un jeune âge, que l’Initiative Marianne a mis à l’honneur cette année.

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Taher Hijazi : « on ne pouvait pas sortir sous peine d’arrestation ou de mort » en Syrie

Agé d’une trentaine d’années, Taher Hijazi est un défenseur des droits syrien, dont le combat remonte à plus de dix ans. Très assidu, Taher est arrivé à la Maison des journalistes avec de nombreux documents, ayant déjà préparé ses déclarations. Si ses mains tremblent par moment, la fermeté de sa voix ne trompe personne : il connaît l’importance de son travail pour la Syrie et le reste du monde, à savoir la lutte contre l’utilisation des armes chimiques sur la population ou en temps de guerre.

Pour comprendre sa vocation, il nous faut remonter à mars 2011, début du Printemps arabe en Syrie. Taher étudie alors le droit à l’Université de Damas, et participe à des manifestations pacifiques avec son entourage pour un « changement démocratique » dans son pays. « Mais le régime d’Al-Assad a rebondi en choisissant l’oppression, les arrestations et disparitions forcées », explique Taher d’un ton neutre. « Plusieurs de mes collègues ont été arrêtés. Nous avons été torturés et emprisonnés », témoigne-t-il en pesant ses mots.

En Syrie, des disparitions forcées non résolues depuis 12 ans

Il participe alors à la documentation des violences pour le Centre de documentation des violations en Syrie, ONG fondée par son amie et avocate Razan Zaitouneh. « J’ai listé les arrestations, pris des photos des victimes, recueilli des témoignages » à partir de 2013, où « la révolution s’est transformée en guerre. »

« Le régime Assad a utilisé des armes pour bombarder ma ville dans la région de Ghouta », comme le gaz sarin et la chlorine, pourtant interdits. « J’ai été blessé plusieurs fois par le gaz, surtout au massacre de la Ghouta orientale, le 21 août 2013. Je suis resté trois jours chez moi avec mon visage qui me semblait brûlé, j’étais épuisé et je vomissais constamment. »

Taher s’interrompt un instant, reclasse ses papiers déjà bien ordonnés, puis reprend : « fin 2013, un groupe islamique a enlevé tous mes collègues du bureau du Centre de Documentation des violations. C’était mes amis et jusqu’à ce jour, nous n’avons plus aucune nouvelle. » Le 9 décembre 2013, Razan Zaitouneh est portée disparue. Le défenseur fixe le vide quelques secondes, comme s’il se remémorait les évènements.

Il explique avoir continué son travail seul jusqu’en 2015, alors qu’Al-Assad assiège sa ville durant de longues années. « On ne pouvait pas sortir sous peine d’arrestation voire de mort », confie Taher. « J’ai été blessé à la tête par des éclats d’obus lors d’un bombardement en 2015. »

Il s’agissait d’une « bombe à vide », une arme thermobarique très puissante. Son utilisation « contre des cibles militaires » n’est pas explicitement interdite par les conventions internationales. Mais user de bombes à vide sur des civils demeure une violation des traités de l’utilisation des armes dans un conflit, sans pour autant être spécifiquement prohibées.

« Mon frère a été torturé à mort par le régime en 2014 et mon père a été tué dans une frappe aérienne russe en 2018. Trois autres de mes frères ont été arrêtés par un groupe islamique. Ma famille est le parfait exemple de la guerre en Syrie », relate-t-il en tenant son stylo rouge, un petit sourire vaincu aux lèvres. Mais malgré les morts, Taher ne s’arrête pas et continue de documenter les attaques.

La France, un nouveau front pour Taher Hijazi

« De 2014 à 2018, j’ai été menacé par un groupe islamique. En 2018, j’ai fui avec ma famille vers le nord de la Syrie. » Grâce à l’aide de Reporters Sans Frontières, Taher, sa femme et son fils parviennent en France à partir de juin 2019. Il obtient le statut de réfugié en mars 2020, à l’époque du premier confinement – une époque très difficile à vivre pour lui.

Bien qu’il soit réfugié de guerre dans un pays qu’il ne connaît pas, Taher demeure actif et témoigne contre un groupe islamique en 2019 et en mars 2021, lorsque le tribunal de Paris est saisi pour l’utilisation des armes chimiques en Syrie. S’il reste témoin en 2019, il se constitue partie civile en 2021.

« En août 2020, j’ai emménagé dans le Puy-en-Velay, j’étais très isolé. J’ai voulu continuer mes études et apprendre le français, mais je ne pouvais pas », se désole-t-il en se remémorant la chambre exigüe qu’on lui avait prêtée. 

Deux ans plus tard, il découvre l’Initiative Marianne et candidate en septembre 2022, persuadé qu’il ne sera pas retenu. « Je pensais ne pas avoir les compétences mais l’Initiative Marianne m’a choisi, j’ai donc bien fait d’avoir candidaté ! » Un autre sourire, heureux cette fois-ci, fleurit à nouveau sur son visage, alors qu’il explique avoir été « choqué » de cette bonne nouvelle. En novembre, l’Initiative est lancée.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron,  l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.

Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétence et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.                

Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.

Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Il bénéficie alors de plusieurs formations, notamment sur la gestion associative et de projets, sur la prise de parole en public, de communication non violente et gestion des conflits… Il participe également à des cours de politique à Sciences Po, centré sur le Proche et Moyen-Orient. « J’ai également visité des associations et organisations comme le Conseil de l’Europe, le Parlement européen ou encore la Cour européenne des Droits de l’Homme. »

Il obtient de nombreux contacts et soutiens d’organisations nationales et internationales, qu’il n’aurait pu avoir sans l’Initiative Marianne. De quoi lui redonner de l’espoir ou tout du moins, de la force pour sa lutte. « C’était le plus important je pense, ainsi que toutes les formations auxquelles j’ai assisté. »

Taher Hijazi en manifestation à Paris.

L’abandon total de la communauté internationale

En avril 2022, Taher donne naissance à l’association « Paths of Justice » avec un groupe d’activistes syriens. Elle vise à « promouvoir une culture des droits de l’Homme et plaider en faveur de la responsabilité, en veillant à ce que l’impunité ne soit pas tolérée. »

Elle fournit également « diverses formes d’assistance aux victimes de violations » de ces droits, ainsi qu’elle permet « d’autonomiser et accroître la conscience juridique de la société en Syrie et au sein de la diaspora. » Grâce à Paths of Justice, les bénéficiaires peuvent se voir offrir « une formation spécialisée sur la sensibilisation juridique aux lois nationales, la documentation pénale et les lois de la guerre. »

Taher ne s’arrête pas là et en août 2022, il fonde « avec un groupe de survivants l’Association of Victims of Chemical Weapons, comprenant un groupe Facebook pour les victimes des armes chimiques avec plusieurs objectifs, notamment intensifier les efforts pour documenter l’utilisation et pour garantir tous les droits des victimes de ces armes. » Il est « crucial » pour lui de soutenir et d’appuyer les efforts déployés pour interdire l’utilisation des armes chimiques dans le monde.

« Aucune avancée, aucun effort international n’a été fourni pour obtenir justice en Syrie », affirme-t-il en posant ses mains à plat sur la table. « La Russie a utilisé son droit de véto au Conseil de sécurité sur les questions de l’utilisation des armes chimiques interdites. La situation de mon pays est très compliquée aujourd’hui, avec la présence russe, iranienne, turque, états-unienne… » Aujourd’hui, la Syrie ne connait pas « de guerre locale, elle s’est répandue bien au-delà des frontières. Et tant que le régime Al-Assad restera au pouvoir, il n’y aura aucune justice. »

Aujourd’hui, après l’Initiative Marianne, Taher souhaite « améliorer le projet de mon association et je veux travailler avec tous les acteurs que j’ai rencontré pendant le programme, afin de trouver de bonnes suggestions pour soutenir les victimes syriennes. »

Crédits photos : Taher Hijazi

Maud Baheng Daizey

“The persecution never stops” : in Cuba, journalists muzzled by power

Members of the House of Journalists since early January 2023, Cuban couple Laura Seco Pacheco and Wimar Verdecia Fuentes have lost none of their verve. They are determined to fight for freedom of the press and freedom of expression in Cuba, and have agreed to tell us all about the censorship they have faced on the island. 

Laura (29 years old) and Wimar (35 years old) had never visited France until their arrival on December 9, 2022. During our interview, Wimar didn’t hesitate to grab a marker to write down his thoughts on the whiteboard at his disposal. Laura, a journalist since 2018, worked for the governmental newspaper Vanguardia at first, and she wrote articles about diverse topics, mainly cultural. 

The time I spent at Vanguardia was due to my social service, which is compulsory in the state media after graduation,” she explains. She stayed there for three years. During this time, she developed a strong desire for independence. She ended up joining the media El Toque in January 2022, for the love of independent and free information.

Over 1,000 political prisoners in Cuba

According to the Cuban constitution, independent media is prohibited in the country. In September 2022, government pressure was such that El Toque experienced a wave of forced resignations. 

In an article from the same month, the media outlet explains that “scenarios of interrogation and blackmail, as well as the use of travel regulations to several of our colleagues residing in Cuba, meant that by September 9, 2022, the number of resignations of members of our team had risen to 16.” 

Faced with constant and serious threats, Laura eventually gave up “the possibility of working in any other independent journalism platform in Cuba.” Those who wish to continue working are forced to do so from abroad, at the risk of imprisonment, without access to government sources and information. 

“As far as I know, journalist Lázaro Yuri Valle Roca is in prison today,” says Laura. “The prosecutor’s office has charged him with the alleged crimes of continuous enemy propaganda and resistance. But there are at least 1,000 political prisoners at the moment. Disappearances and detentions lasting several days are commonplace in Cuba.”

“Many are not politicians, most are accused of committing common crimes. They are considered political prisoners because of the charges brought against them: corruption or espionage, for example.” Whether political, social, economic or sporting, the El Toque team was keen to cover every event in Cuban society, much to the chagrin of the government.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

With the sharp point of his pencil, cartoonist and illustrator Wimar Verdecia Fuentes has been denouncing and challenging the Cuban regime for years, notably for El Toque. 

Wimar, a member of the independent press since 2018, first began his career as an illustrator. Not without pride, he confided to MDJ’s microphone that he was one of the first to introduce political cartooning to Cuba’s new independent media: his cartoons were published in the Xel2 supplement, owned by El Toque. 

Since September 2022, he has been part of the “Cartoon Movement“, and has already drawn on international (the war in Ukraine), sporting (the European Cup) and societal (weapons in the USA) subjects. “Cartoon Movement” is an online platform for cartoonists from all over the world to publish their work and gain greater visibility.

Wimar was also managing editor of Xel2. His resignation prompted the editorial team to close the Xel2 site, much to his dismay.

Little by little, their work at el Toque aroused the ire of the Cuban government. The newspaper became the state’s main target, as the population became increasingly interested in Wimar’s drawings and the articles by journalists like Laura.

Faced with this disturbing popularity, the Cuban government tightened its grip on the press. Between 2020 and 2021, war is declared. 

The exchange rate, a weapon of Cuban freedom of expression 

The newspaper published the informal exchange rate between the dollar and the Cuban peso, leading many people to use this rate as a guide for their transactions, in a country where the economy is heavily dollarized,” Wimar tells us. 

After this publication, El Toque became very popular with the public, with the same rate being displayed all over the country. The government then estimated that 120 pesos equaled one US dollar (unlike our rate), which caused prices to soar with speculation. They then blamed journalists. But the people were not fooled; the government knew it had lost credibility with a large proportion of Cubans. It nevertheless maintained its official discourse for those who still had faith in its claims, but it lost the hegemony of communication thanks to the independent media.”

From there, Wimar and Laura’s lives were turned upside down. “The persecution never stops. Until September 2022, I had no problem being an independent journalist. But at the end of August 2022, the authorities targeted all el Toque contributors in Cuba and other independent journalists and political activists.

One morning, “they came to get Wimar by car and took him away for three hours to threaten him. They did the same to me the next day, with the same threats. They tried to dissuade us from continuing our work.”

After that, they broadcast the video on national television accusing us of being mercenaries in the pay of the United States, editing the video so that people would think we were working for a foreign government, in order to bring about regime change in Cuba and destabilize the country. This type of accusation is particularly used against journalists and political activists.” 

Fortunately, the newspaper is entirely digital and a large proportion of its journalists are based abroad, allowing it to keep rolling.

Because of my cartoons denouncing the abuses of power, I suffered persecution and interrogation,” confides Wimar. “They forced me to quit my job too, telling me I risked ten years in prison if I refused. With the Xel2 supplement, we were able to bypass the censorship through Xel2 to which graphic humor has been subjected for over 60 years, particularly in the official state media.” Simply publishing “articles that stepped outside the government agenda exposing the government, was a slap in the face to the censors,” says Laura with a valiant smile.

We rekindled a taste for this type of journalism and other media began to follow, opening up a place for cartooning in the independent media. The government couldn’t let such freedom grow.” 

“Some journalists can’t or don’t know how to leave the island”

For the cartoonist, “the Cuban government even pursues left-wing media that defend socialism. Even the simplest communication initiative from outside the Communist Party is considered suspect and can lead to persecution. There is no left-wing government in Cuba, it’s a bureaucratic oligarchy where power is in the hands of a few people close to the Castro family.”  

“As for the economy, it’s in the hands of a conglomerate of military companies called GAESA. There is no separation of powers in Cuba, everything is controlled by the Party. This generates a context with no legal guarantees for anyone considered a dissident.”

If the two journalists managed to escape, it was thanks to the international network Cartoon for Peace and RSF. “After our forced resignations, Wimar asked Cartoon Movement for help, and they put him in touch with Cartooning for Peace. They helped us get our visas and set up in Paris. France has a history of freedom of expression, and I think they helped us protect these values,” says Laura, who came to know France through its ideals of equality and freedom.

A very discreet power

Ideals to which the journalist couple and the Cuban people have aspired for years. “While Cuba remains very discreet about its actions and the way it silences its population, it has become increasingly complicated for the government to hide its human rights violations with the advent of the Internet. Five years ago, we didn’t know what was going on in terms of activism, even when Laura worked for a government newspaper. The Internet has been a real lever for press freedom.”

While they have managed to escape the dictatorship, this is not the case for the majority of their colleagues, from whom they try to get news. “Some journalists have decided to stay but are still under threat, but they don’t want to leave the country where they were born. There have to be journalists in Cuba, especially independent ones, and others don’t know how to leave the country. Or still others prefer to remain anonymous to protect themselves.” 

Cuba has now become too dangerous for them to work in peace, so they continue their fight from France and the Maison des Journalistes. For the time being, Laura collaborates from time to time with El Toque and Wimar for “La Joven Cuba”, where he draws a humorous column every Sunday. 

But they can’t receive support online, “the Cuban people are very afraid because many depend on their work with the government or fear reprisals. There’s a law in Cuba that allows you to fine or imprison someone for giving their opinion on social networks or making fun of the government, so no one dares say anything.” A phenomenon far from discouraging them in their fight, which they know is necessary and inescapable.

By Maud Baheng Daizey. Translation by Andrea Petitjean.