Géorgie. Dans un contexte de grave crise démocratique, la liberté de la presse en danger

Depuis fin novembre 2024, les Géorgiens manifestent quotidiennement pour la démocratie et l’adhésion de leur pays au sein de l’Union Européenne. Confrontés aujourd’hui à une répression croissante menaçant leurs droits et la liberté de la presse, ils appellent la communauté internationale à agir.

[publié le 11/08/2025]

Géorgie

Depuis l’annonce de la suspension du processus d’intégration de la Géorgie à l’Union Européenne survenue le 28 novembre 2024, des manifestations quotidiennes ont lieu dans le pays. La population exhorte le parti au pouvoir, Rêve géorgien, à cesser de restreindre les libertés civiles et à revenir sur ce que beaucoup considèrent comme une orientation pro-russe, après l’adoption de nouvelles lois.

Cependant, cette opposition civile s’est heurtée à une répression et à des intimidations croissantes, notamment à l’encontre des journalistes couvrant les manifestations et faisant leur travail. L’Union Européenne a appelé à plusieurs reprises le gouvernement à renoncer à sa politique autocratique. Elle a aussi préparé des sanctions à l’encontre du gouvernement ainsi que des conséquences en matière de visas si ces mesures ne sont pas prises. 

Un climat de plus en plus hostile pour les journalistes

La répression touche l’ensemble de la société géorgienne, mais elle affecte particulièrement les journalistes indépendants, qui sont pris pour cible en raison de leurs critiques à l’égard du gouvernement et de leur couverture des manifestations de grande ampleur. Ils doivent faire face à de nombreux défis dans le cadre de leur travail quotidien. Entre menaces sur leur sécurité physique et numérique, poursuites pénales, sanctions financières et d’autres attaques contre les médias, il leur est de plus en plus difficile d’accomplir leur mission.

La loi FARA (loi sur les agents étrangers) en est un exemple, surnommée « loi russe » par les manifestants. Elle causera d’importantes difficultés aux organes de presse fonctionnant grâce à des financements étrangers, entre autres.

Mariam Nikuradze, rédactrice en chef de OC Media (journal en ligne du Caucase publiant en anglais) en a subi les conséquences. Dans un article publié sur Voxeurop, elle raconte avoir reçu des amendes totalisant presque 6 400 € pour avoir prétendument bloqué la voie publique, alors qu’elle portait clairement son badge de presse et appareil photo indiquant qu’elle était au travail.

Nino, une étudiante à Tbilissi (prénom changé pour des raisons de sécurité; ndlr) ayant participé à plusieurs reprises aux manifestations pro-européennes, alerte également sur cette situation. Elle souligne comment des milliers de personnes ont été condamnées à des amendes répressives (allant jusqu’à 60 000 à 100 000 GEL, soit l’équivalent de 20 000 à 32 000 EUR), et comment des organisations ont été contraintes de fermer en raison de pressions et d’un manque de financement.

Une autre journaliste au cœur de cette répression est Mzia Amaghlobeli, fondatrice des chaînes indépendantes Netgazeti et Batumelebi. Arrêtée le 12 janvier pour avoir collé un autocollant sur un mur appelant à la grève, puis à nouveau placée en détention après sa libération, accusée d’avoir giflé un policier – son cas est considéré par beaucoup comme étant motivé par des raisons politiques.

Son procès pour la deuxième infraction (pour laquelle elle risque jusqu’à sept ans de prison) a débuté le 1er août et s’est achevé le 4 août. Tout au long du procès, elle a clamé son innocence et dénoncé les mauvais traitements qu’elle avait subis pendant sa détention. Le verdict final devait être rendu le jour même, mais il a été reporté au 6 août. Ce jour-là, il a été annoncé qu’elle avait été condamnée à deux ans de prison, après que les charges retenues contre elle aient été requalifiées de « agression contre un agent de police » en « résistance, menaces ou recours à la violence contre un agent chargé du maintien de l’ordre public ».

Léla Lashkhi, journaliste géorgienne résidant en France, estime que cet incarcération cible clairement la profession : « elle envoie un signal fort aux autres journalistes : couvrir des sujets sensibles ou critiques vis-à-vis des autorités peut entraîner des représailles judiciaires ». Selon elle, c’est « un indicateur d’une tendance inquiétante à instrumentaliser les institutions pour restreindre la liberté de la presse ».

Ces mesures prises à l’encontre des journalistes s’inscrivent dans une stratégie croissante du gouvernement visant à étouffer les critiques et à maintenir sa légitimité face aux accusations de fraude électorale. Plusieurs nouvelles lois ont récemment été signées ou mises en œuvre, créant ainsi une base juridique pour ces restrictions. De nouvelles contraintes à la liberté d’expression et à la couverture des procès ont été annoncées dans des lois promulguées le 23 juin. Enfin, des chaînes indépendantes telles que Formula TV et TV Pirveli ont été poursuivies par le gouvernement pour avoir utilisé des termes qui lui déplaisait, tels que « gouvernement illégitime » et « prisonniers du régime ».

Cette absence de cadre juridique pour protéger les journalistes conduit également à une augmentation du nombre d’agressions physiques à leur encontre, que la police ignore ou auxquelles elle participe. Au cours de la période allant de novembre à décembre 2024 (lorsque les manifestations étaient à leur apogée), plus de 100 incidents de ce type ont été enregistrés (selon un rapport de la fondation Justice for Journalists), et aucune enquête n’a été ouverte.

Les journalistes et militants étrangers résidant en Géorgie se voient également de plus en plus souvent refuser l’entrée dans le pays à leur retour, sans qu’aucune raison officielle ne leur soit donnée. Depuis le début des manifestations, cela est arrivé à au moins cinq journalistes, dont récemment au photojournaliste français Hicham El Bouhmidi.

Les réactions internationales

En réponse à ce tournant anti-démocratique, l’Union Européenne a appelé le parti Rêve géorgien a mettre fin au « recul des principes démocratiques », et a envisagé de suspendre le régime de libéralisation des visas, en place depuis 2017, selon les citoyens du pays peuvent voyager sans visa dans l’espace Schengen pour des séjours courts. Lashkhi salue également ces actions en faveur de la liberté en Géorgie, mais rappelle l’importance des actions ciblées, estimant que les déclarations « restent principalement symboliques et manquent souvent de leviers concrets ». 

Nino estime que cette éventuelle suspension pourrait être utilisée par le gouvernement pour « renforcer davantage les discours anti-européens » et qu’elle constituerait également la perte d’un « important outil de soft power que l’UE pourrait utiliser pour se connecter avec la population ordinaire et la jeunesse géorgienne ».

Elle souligne cependant que la jeunesse et les manifestants géorgiens restent déterminés, motivés et créatifs, incarnant « l’esprit géorgien de résistance, de lutte pour la liberté et de croyance en un avenir meilleur ». Enfin, elle incite Bruxelles à demander des comptes au régime et à contrer sa propagande, ainsi qu’à soutenir la société civile sur le terrain – selon elle, cela sera crucial pour apporter une victoire aux manifestants.

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