Journalisme en langues minoritaires : préserver la culture, affronter la censure

Le journalisme en langues minoritaires est un levier essentiel pour préserver les cultures et les identités locales. Pourtant, face à la censure, aux pressions politiques et à la précarité des moyens, son avenir demeure incertain.

[publié le 23/09/2025 par la rédaction]

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© Capture d’écran – “Les langues régionales françaises, un trésor national” FRANCE 24, 26/08/2021

Par définition, une langue minoritaire est une langue parlée par une minorité nationale, ethnique ou linguistique, généralement distincte de la langue officielle de l’État. Citons par exemple le basque en France et en Espagne, ou le kurde dans plusieurs pays (Irak, Turquie, Syrie, etc.). Les communautés qui parlent ces langues rencontrent souvent des difficultés pour les préserver et les transmettre aux jeunes générations. Cependant, le fait de disposer d’un journalisme dans ces langues et de le diffuser a permis de contrer ce phénomène.

Pourquoi est-il important de pouvoir préserver sa langue maternelle à travers le journalisme ?

Le journalisme en langues minoritaires touche généralement un public plus restreint que le journalisme traditionnel dans la langue majoritaire. Cependant, il gagne de plus en plus en popularité ces derniers temps, en particulier auprès des jeunes souhaitant préserver leur culture. Selon la chercheuse irlandaise Ruth Lysaght, il permet de se « refamiliariser » avec la langue, c’est-à-dire le processus par lequel une langue précédemment oubliée redevient courante.

De plus, dans les sociétés multilingues et multiculturelles d’aujourd’hui, les langues minoritaires diffusées par le journalisme contribuent au développement d’une identité culturelle et sociétale pour ces communautés. Elles se rapprochent grâce à un moyen d’expression et un espace communs.

Dans le guide intitulé Droits linguistiques des minorités linguistiques : guide pratique pour la mise en œuvre, publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), l’importance de permettre aux minorités de s’exprimer librement dans leur propre langue est soulignée, que ce soit à la radio, à la télévision ou dans les écrits. Ces langues doivent bénéficier de la même visibilité et de la même accessibilité que les langues majoritaires.

Comment le journalisme donne une voix aux ethnies minoritaires

Malgré des ressources souvent limitées, les médias en langues minoritaires jouent un rôle essentiel dans la normalisation linguistique, le développement du vocabulaire et l’adaptation numérique, comme l’ont déterminé les chercheurs Jakob Volgger et Marc Röggla dans une étude.

Berria, seul quotidien publié entièrement en langue basque, témoigne de l’importance de la préservation de cette langue auprès de tous les publics.

La télévision dans les langues minoritaires est également un moyen remarquable de faire connaître ces langues à un public plus large, même à ceux qui ne les parlent pas. Ainsi, ces langues sont « démystifiées » et popularisées autrement que dans un contexte politique (auquel elles sont souvent associées) (Ruth Lysaght, L’image des langues minoritaires à travers les médias contemporains).

Cette popularisation permet également la création d’emplois liés à ces langues, démontrant ainsi aux jeunes de ces communautés que la préservation de leur langue leur permettra non seulement de se rapprocher de leurs pairs, mais également de vivre de leur culture. 

Les difficultés du journalisme en langue minoritaire

Cependant, malgré son essor croissant, le journalisme en langues minoritaires rencontre encore de nombreuses difficultés. L’une de ces difficultés concerne le domaine financier, car les médias en langues minoritaires sont souvent de taille beaucoup plus modeste que les médias grand public et ne disposent pas des mêmes ressources. Ainsi, dans les négociations générales relatives au secteur des médias, ils sont souvent exclus et risquent d’être perdus en raison de la concurrence avec d’autres entreprises et d’être acquis par de plus grands conglomérates.

Simon Suleymani, journaliste kurde de Turquie exilé en France, a personnellement connu ces difficultés et restrictions au cours de sa carrière. Malgré la pression exercée par les autorités et les contraintes professionnelles liées à l’interdiction de publier en turc, il a personnellement choisi de mener sa carrière en kurde, car elle représente « sa véritable langue, celle qui portait ses pensées et ses émotions« . 

Cependant, en Turquie, exercer le journalisme en kurde représente un risque permanent. Les journaux publiés dans cette langue sont régulièrement confisqués, les journalistes régulièrement arrêtés. Lui-même a été emprisonné pendant seize mois en raison de son travail.

Malgré ces nombreux risques et persécutions, il a choisi de poursuivre son travail, car pour lui, la possibilité de publier et de s’exprimer dans sa langue maternelle « est la condition essentielle pour qu’un peuple puisse exprimer sa voix authentique« .

Le droit international et les conventions : une protection limitée pour le journalisme en langues minoritaires

Les droits linguistiques des minorités sont notamment définis dans la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques. De manière globale, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les questions relatives aux minorités a déclaré en 2017 que les droits linguistiques désignaient « des droits de l’homme qui ont un impact sur l’utilisation des langues ou les préférences linguistiques des autorités gouvernementales, des individus et de toute autre entité« .

L’article 2 de la déclaration citée ci-dessus stipule que les minorités ont le droit d’utiliser leur propre langue, en public et en privé, sans discrimination ni ingérence. L’article 4 de la même déclaration mentionne également que les États doivent prendre des mesures pour permettre aux minorités d’exprimer et de développer correctement leur(s) langue(s) (maternelle(s)), y compris la possibilité de recevoir une éducation dans cette langue.

Enfin, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a publié en octobre 2003 les Lignes directrices relatives à l’utilisation des langues minoritaires dans les médias de radiodiffusion. Dans ses « Principes généraux », elle souligne l’importance de la liberté d’expression, de la diversité culturelle et linguistique, de la protection de l’identité et de la non-discrimination, notamment en ce qui concerne l’utilisation des langues minoritaires.

Aux points 12, 15 et 16, elle souligne également la nécessité pour l’État de garantir un accès significatif (pour les médias minoritaires) aux fréquences, à la radiodiffusion et à la programmation télévisuelle. Un financement public adéquat devrait également leur être accordé afin de leur garantir l’égalité des chances avec les médias plus développés.

Il est toutefois important de rappeler que, malgré l’existence d’un certain nombre de cadres juridiques dans le domaine des langues minoritaires, ceux-ci sont rarement contraignants sur le plan légal, et les organisations internationales et les États ont encore beaucoup de progrès à accomplir dans ces domaines pour améliorer la situation.

Simon Suleymani rappelle que « les langues ne sont pas de simples outils de communication, mais les fondements mêmes de l’existence d’un peuple« . Ainsi, il est important pour la communauté internationale d’aider à la création de fondements indépendants, de programmes de soutien et de protection aux journalistes travaillant en langues minoritaires.

Les unions et organismes telles que l’Union Européenne et l’UNESCO doivent s’engager davantage afin d’exercer une pression réelle sur les Etats répressifs, car « chaque mot interdit est une perte pour le patrimoine commun de l’humanité« . Préserver ces petites langues par le biais du journalisme, c’est à la fois sauver un peuple, et « enrichir le monde entier« , selon ce dernier.

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