Portrait. Walid Bourouis, contre vents et marées.

Après avoir traversé trois décennies de bouleversements politiques dans son pays, le journaliste Tunisien Walid Bourouis poursuit son combat pour une presse libre. Réfugié en France, il incarne une génération de journalistes déterminés à défendre leur métier malgré la censure, les menaces et l’exil.

[Par Laura Saint-Sauveur, Publié le 3/12/2025]

Quand Walid Bourouis se raconte, on comprend vite qu’il ne parle pas seulement de lui : il retrace un pan entier de l’histoire récente de la Tunisie. Ce journaliste francophone de 41 ans a traversé trois époques politiques : la dictature de Ben Ali, l’espoir démocratique post-2011 puis la dérive autoritaire de Kaïs Saïed. Chacune d’elles a profondément façonné son rapport au métier.

Aujourd’hui en exil en France, accueilli à la Maison des journalistes depuis 2023, il continue de défendre la presse tunisienne avec la conviction tranquille de ceux qui n’ont jamais cessé de croire en leur rôle.

Né en Tunisie, Walid Bourouis est formé à l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information (IPSI). Puis il poursuit ses études par un master en sciences politiques, avant de débuter, en 2009, comme rédacteur en chef du journal francophone Le Quotidien. Le pays vit alors sous un régime où l’information est strictement contrôlée.

Lorsque la révolution éclate en janvier 2011, il observe le basculement de l’intérieur. Quelques mois plus tard, il rejoint Cactus Prod, l’une des plus importantes sociétés audiovisuelles tunisiennes où il restera près de douze ans. Il y explore tous les terrains : communication culturelle, conseil stratégique, production radiophonique, accompagnement de projets parlementaires en partenariat avec le National Democratic Institute. Une trajectoire riche, qui lui donne une vision panoramique du paysage médiatique tunisien.

Son parcours est intimement mêlé à la situation de la presse en Tunisie. Il évoque le régime de Ben Ali, avant 2011, « la période des intouchables », marquée par un climat de peur et de surveillance permanente. Les journaux d’opposition paraissaient avec des mois de retard, l’autocensure était omniprésente et l’accès à Internet restreint. « On ne pouvait pas aller sur Youtube ni Facebook. Le régime verrouillait tout. Facebook a même été interdit entre 2008 et 2009 », se souvient-il. Un souvenir encore vif tant ces années ont laissé des traces dans toute une génération de journalistes.

La révolution du 14 janvier 2011 ouvre pourtant une brèche. La presse tunisienne découvre une liberté nouvelle : des médias émergent, les rédactions se déploient, les débats s’animent. La Tunisie atteint rapidement la 69ᵉ place du classement mondial de la liberté de la presse. « C’était une aubaine, résume-t-il. Une période de reconstruction après des années de dictature. » C’est dans ce moment d’effervescence que Walid s’engage pleinement dans le syndicalisme. S’il était adhérent du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) depuis ses années d’études, l’injustice du licenciement de deux proches en 2011 le pousse à franchir un cap. Il devient président de section syndicale, participe au bureau exécutif, forme les journalistes aux négociations sociales et contribue à la création de la première convention collective du secteur.

Mais cette dynamique démocratique ne résiste pas au tournant de 2021. Le 25 juillet, le président Kaïs Saïed suspend le parlement et concentre les pouvoirs. Pour Walid, c’est « un retour à la case départ ». Les arrestations se multiplient. La loi 54 Tunisienne décrète : « 5 ans de prisons et 50 000 dinars d’amende pour la diffusion d’informations jugées fausses ». La Tunisie dégringole dans le classement international à la 129ᵉ place en 2025. « C’est presque pire qu’avant 2011 », confie Walid.

Malgré la fragilisation de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) équivalent de l’Arcom en France, la non-application de la convention collective et l’affaiblissement des institutions indépendantes, Walid poursuit son engagement. « Je milite pour les générations à venir. Le travail des anciens nous a servi ; le nôtre servira aux autres », dit-il, attaché à cette continuité militante.

Menacé d’une peine de 10 à 15 ans d’emprisonnement pour non-respect du décret de loi 54 en Tunisie, en proie au harcèlement, victime de menaces et d’intimidations, il part pour la France en 2023. Un départ qu’il décrit comme « le prix de l’expérience » et qui n’a pas brisé l’élan son engagement. À la Maison des journalistes, il participe au programme Renvoyé Spécial, intervient dans les établissements scolaires et œuvre pour l’éducation aux médias et à l’information. Pour lui, l’enjeu est clair : il faut « éveiller l’esprit critique » des jeunes et préparer les citoyens de demain.

Face aux mutations technologiques, il refuse le catastrophisme. « Les valeurs ne changeront pas, la déontologie non plus. L’IA n’est qu’un outil, à nous de la maîtriser », affirme-t-il. Pour lui, le cœur du métier reste le terrain, la vérification, la recherche, la mise en contexte. « Le journaliste est un gardien du temple : celui de la liberté d’expression. »

A terme Walid souhaite revenir chez lui. « Dans dix ans, je me vois dans mon pays », dit-il sans hésiter. Il reste convaincu que le régime actuel finira par s’effondrer. En attendant, il se dit reconnaissant envers la France, mais tourné vers la Tunisie, qu’il n’a quittée qu’à contre-cœur.

« Journaliste un jour, journaliste toujours » : une phrase qui, pour lui, n’a rien d’une formule. C’est la boussole d’une vie, guidée par une idée simple et tenace : sans presse libre, il n’y a pas de liberté.

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Laura Saint-Sauveur

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