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Informer dans un environnement hostile

[Par Hicham MANSOURI]

Comment informer dans des pays totalitaires avec des dérives autoritaires et des dirigeants autocrates ? Tel a été le sujet traité, dimanche dernier, dans le cadre de l’évènement « Le Monde Festival ». Les directeurs et rédacteurs en chefs de trois journaux (Russie, Pologne et Algérie) ont apporté leurs témoignages et points de vue dans une rencontre animée par Sylvie Kauffmann, éditorialiste et ancienne directrice de la rédaction du Monde.

Sylvie Kauffmann, Jaroslaw Kurski, Evguenia Albats et Omar Belhouchet Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Sylvie Kauffmann, Jaroslaw Kurski, Yevguenia Albats et Omar Belhouchet
Crédits : Lisa Viola Rossi

Quelles sont les conditions de travail dans vos pays ?

L'hebdomadaire Gazeta Wyborcza Source : nexto.pl

L’hebdomadaire Gazeta Wyborcza
Source : nexto.pl

Jaroslaw Kurski, directeur de Gazeta Wyborcza en Pologne

« En Pologne, les médias publics ont été transformés en outil de la propagande »

En Pologne, il n’existe pas une réelle séparation des pouvoirs. Il n’y a que le pouvoir exécutif. Les médias publics ont été transformés en outil de la propagande. C’est le ministre du Trésor qui désigne les chefs de la télévision publique. En décembre dernier, 50 journalistes ont été virés. Les outils de répression contre l’opposition sont les renseignements et les médias publics. On peut filmer un opposant et diffuser ses images dans la télévision. Il est accusé par les médias avant d’être accusé par la justice.

Yevgenia Albats, rédactrice en chef de l’hebdomadaire indépendant Novoye Vremya en Russie

« Poutine a besoin d’informations pour éviter les erreurs du passé »

Je suis rédactrice en chef d’un magazine qui avait été créé par Staline en 1943 comme outil de propagande du régime communiste puis pour le KGB. A partir de 2007, nos anciens propriétaires ont totalement remodelé le magazine pour devenir  assez similaire à Newsweek. Ce n’est pas facile en Russie.  Il y a une semaine,  je suis allée interviewer l’un des plus anciens politiques. Je lui ai demandé « pourquoi vous ne parlez qu’à des journalistes que vous payez ?».  Il m’a répondu « car  vous représentez un magazine ennemi ! ». C’est la première fois, depuis la chute de l’Union soviétique, qu’on me dit une chose pareille !

J’ai vécu l’époque soviétique,  je sais que les choses étaient pires. Il ne reste que deux magazines indépendants, une chaîne de télé indépendante et une station radio. Le reste est détenu par le pouvoir ou par les sociétés de l’État.

La démocratie a besoin d’informations et d’analyses pour éviter les erreurs de la bureaucratie soviétique. Poutine en a aussi besoin pour éviter les erreurs du passé.

Omar Belhouchet, directeur du journal algérien El Watan

El Watan a été créé par un groupe de journalistes en 1990. Jusqu’à cette date,  il n’y avait que les journaux de l’État. Nous sortions de l’Union soviétique et du Parti unique. Les deux premières années ont été magnifiques. On a proposé aux lecteurs un autre journalisme en s’inspirant de l’expérience du journal Le Monde. Malheureusement, les choses ont tourné rapidement au drame. Avec la victoire du FIS (Front Islamique du Salut), plus de 100 journalistes ont été tués. C’était le plus grand nombre d’assassinats au monde. Après chaque enterrement, on faisait le serment de continuer.  On dit aux islamistes : on continue de travailler. Se battre pour vivre et contre le pouvoir. On est entre le marteau et l’enclume. Entre les islamistes et les militaires. On avait une vie semi-clandestine car il fallait changer d’appartement et de voiture. Mais tout cela a forgé en nous une résistance. La résistance au pouvoir et aux islamistes. Nous vivons aujourd’hui un véritable enfer avec la bureaucratie de l’État qui veut museler le journalisme et empêcher les points de vue divergents. Le pouvoir a compris que jeter en prison des journalistes est contre-productif, surtout avec l’appui de l’opinion publique et la presse internationale.  Aujourd’hui, il joue sur les questions économiques et financières. On a eu près de 200 procès. L’objectif c’est que les journalistes passent beaucoup de temps dans les tribunaux pour se fatiguer et surtout pour se décourager. Avec Al Khabar, notre journal est privé de la publicité publique et institutionnelle qui est monopolisée par l’Etat. Depuis 1994, le pouvoir a osé franchir le pas en interdisant aux entreprises publiques, via les menaces du fisc, d’acheter des espaces publicitaires dans ces deux journaux. Il y a une guerre continue menée contre les médias libres qui veulent proposer un journalisme de qualité.

Comment faites-vous pour informer dans ces contraintes tout en évitant les sanctions ? Faites-vous de l’autocensure spontanée?

Le journal indépendant Novoye Vremya Source : 4imn.com

Le journal indépendant Novoye Vremya
Source : 4imn.com

Yevgenia Albats : Je ne crois pas aux lignes rouges. Jamais, jamais ! Il y avait beaucoup de censure à l’époque soviétique. J’ai maintenant 58 ans.  Il serait mieux pour moi de quitter le domaine du journalisme et d’aller enseigner. Il y a quelque chose qui est important à connaitre pour un journaliste d’investigation. Vous devez prendre une décision très simple : vous ne serez jamais riche dans votre vie. Vos amis vont arrêter de vous appeler. Mais les gens dans la rue vont vous reconnaître. Je ne vois pas comment un journalisme de qualité peut exister avec des lignes rouges. En début d’année, on a publié un dessin de Poutine où il dit “je n’ai pas d’argent”. On a reçu un avertissement d’un agent. Chaque semaine, même chaque seconde,  je ne comprends pas comment je reste encore en vie. Une amie journaliste a été assassinée. Chaque vendredi je me dis “ c’est super,  j’ai publié un autre journal”.

Pour la publicité en Russie, même les entreprises privées vous privent de la publicité car elles craignent que le Kremlin les soupçonne de soutenir l’opposition.

Omar Belhouchet : Il n’y a pas de lignes rouges à El Watan. Plusieurs journalistes ont été assassinés par les islamistes. On a donc une responsabilité lourde. Les autorités ne nous aiment pas car on dépasse ces lignes rouges, comme sur la santé du président par exemple (rires). On a fait campagne contre un prochain mandat du président. Le régime a fait appel à un expert, qui a passé 10 ans au Maroc pour étudier comment le Makhzen a cassé les grands journaux, afin d’appliquer cela en Algérie. La police politique doit disparaître. Nos agents ont été formés au KGB. [En s’adressant à Yevgenia  Albats]. Chez vous, à cause de vous (rires). A cause de la politique économique on risque de devenir comme le Venezuela. Nous importons tout car cela permet une surfacturation et une corruption. Le niveau d’importation est exagéré : 10 millions de dollars par an. Nous importons du matériel soviétique qui est parfois obsolète.

La force de notre journal est ce que les journalistes ont fait sur le terrain à l’époque où ça allait mal. Je fais allusion au terrorisme. Les femmes journalistes sont très courageuses. 2 à 4 sur 5 ont été volontaires à cette époque pour aller sur le terrain.

Les débats à la rédaction sont très houleux. Trancher c’est écouter tout le monde.

Jaroslaw Kurski : On a déjà annoncé la nationalisation des médias en imposant un seuil de capital minimum.

La censure est surtout financière. On va vous étouffer financièrement. Depuis octobre on assiste à une chute des ventes de publicité.  Mais chez la presse de la droite, elle a augmenté à 200 % !

Comment faites-vous pour survivre financièrement?

Le quotidien El Watan Source : journal-algerien.com

Le quotidien El Watan
Source : journal-algerien.com

Omar Belhouchet : Nous avons appliqué un programme de restriction au sein de l’entreprise. On achète du papier à moindre qualité. Nous survivons également grâce au soutien de nos lecteurs. Le prix du journal à augmenté sans que cela n’affecte le nombre de lecteurs. Nous vendons chaque jour près de 130. 000 exemplaires.

Quel est votre lectorat ?

Omar Belhouchet : Notre journal est considéré comme un journal élitiste. On a fait le choix de faire un journal sérieux. Nos lecteurs sont des enseignants, des médecins, des ingénieurs…

Yevgenia  Albats : Nos meilleures ventes sont à l’extérieur de Moscou où habitent les bureaucrates. Ce sont des personnes plutôt aisées. Ils comprennent que les affaires ne peuvent pas trop espérer en contrôle direct.

 

En Algérie, la gestion des cultes est dans l’impasse

[Par Larbi GRAÏNE]

Algérien d’origine kabyle mais de confession chrétienne, Slimane Bouhafs a été condamné par la Justice algérienne à 5 ans de prison ferme pour « atteinte à l’islam et au prophète Mohamed ». Ces accusations sont basées sur des messages qu’il aurait postés sur Facebook. Ses avocats ont fait appel et le verdict est attendu pour le 6 septembre prochain.

Slimane Bouhafs (Source : siwel.info)

Slimane Bouhafs
(Source : siwel.info)

Ad ṣelliɣ af nbbi lmexttar taqbaylit teswa kter (je traduis du berbère (1), je prie sur le Prophète élu (Mahomet) mais la kabylité est d’un meilleur prix.) (2) Ce blasphème prononcé par un thaumaturge kabyle du XIXe siècle, Cheikh Mohand-ou-Lhoussin, illustre parfaitement la philosophie qui imprègne l’islam kabyle sous l’ère du maraboutisme et du confrérisme. L’islam est alors compris comme une religion de tolérance et de pardon, qui de par cette qualité ne saurait absorber le code de l’honneur adopté en pays kabyle. Mais sous l’impulsion du réformisme musulman d’origine levantine, né en réaction à l’expansionnisme colonial, le mouvement national algérien a combattu d’une manière opiniâtre l’islam traditionnel. Pourtant, la période ayant précédé le réformisme a été jalonnée par de hauts faits d’armes sous la conduite de grands marabouts. Mais, le récit national, très lacunaire sur ce point, attribue la résistance à autre chose que le maraboutisme. Si la mémoire de l’Emir Abdelkader est officiellement célébrée et honorée, on fait tout pour faire oublier ses origines maraboutiques. (3) Ce qui est mis en avant c’est son côté guerrier et chevaleresque et sa stature d’homme d’Etat. (4) De même, on éprouve de la gêne quand il s’agit d’évoquer la révolte kabyle de 1871 à laquelle avait participé le chef de l’ordre confrérique Rahmaniyya, le cheikh Aheddad. En outre, l’évocation de l’insurrection des Ouled Sidi Cheikh, puissante famille maraboutique du Sud-Oranais, est encore perçue comme problématique du fait qu’elle fait référence à une tribu de marabouts. La volonté d’occulter l’islam traditionnel a été imposée au FLN par les Ulémas. L’historiographie algérienne, d’ailleurs, fait débuter l’histoire de l’Algérie le  1er novembre 1954, soit au moment du déclenchement de la guerre d’indépendance. L’Algérie indépendante a, ensuite adopté l’islam comme « religion d’Etat ». Cette formulation est une pure abstraction, car l’Etat y prétend connaître ce qu’est l’islam. Ce dernier n’ayant pas de clergé, il va s’en accaparer pour fabriquer une religion artificielle expurgée de toute spiritualité. Ce qui fera office de clergé est une espèce de cléricature fonctionnarisée disséminée dans les rouages administratifs de l’Etat. Un ministère des Affaires religieuses est requis pour moduler la religion, désormais propriété de l’Etat, et assurer la police des cultes autres que musulmans. C’est alors qu’on assistera à la naissance d’un marketing islamique radiophonique et télévisuel, dont la finalité est de scénariser les rituels religieux.

Alors que l’islam traditionnel s’appuie sur les zaouïas et les écoles coraniques, le néo-islam se développera sur les pupitres d’écoliers, les universités et autres instituts spécialisés, sur les ondes de la radio, de la télévision, les séminaires de la pensée islamique animés par de doctes messieurs rappelés de l’Orient. L’islam est forcé de se couler dans le moule de la République une et indivisible, et gommer toutes ses aspérités jusqu’à devenir une matière irrémédiablement lisse. Le prêche hebdomadaire télévisé sert de modèle pour des milliers de mosquées que compte le pays qui répète à l’envi le discours des imams souvent dépourvus de culture générale. Sans s’attarder sur le drame qui va éclater durant les années 1990, il convient de signaler l’émergence depuis le début des années 2000 d’une nouvelle communauté religieuse extérieure à l’islam : les convertis au christianisme dont Slimane Bouhafs, 49 ans, en est un bel exemple. Sortis du giron du mouvement évangélique, leur nombre qui n’est pas encore estimé en l’absence d’enquêtes officielles ou officieuses, semble tout de même important en Kabylie. D’après des recoupements personnels, dans cette région berbérophone, le mouvement évangélique est en constante progression. Pour l’instant on n’en connait pas la raison précise. Est-ce une réaction au déni identitaire ? aux restrictions des libertés ? Je pense qu’on ne tardera pas à le savoir.

Les convertis au christianisme, une nouvelle donne

Quoi qu’il en soit, l’irruption des convertis sur la scène nationale algérienne est une nouvelle donnée importante. Certes, une tentative d’évangélisation des Algériens durant la colonisation a eu lieu sous l’instigation du Cardinal de Lavigerie, mais elle s’est globalement soldée par un échec. Le peu de convertis qu’avait pu former cette campagne, ont, dès l’indépendance du pays, rejoint la France. Les personnages les plus connus de cette communauté chrétienne aujourd’hui disparue, sont les membres de la famille Amrouche : Jean, Taos et Fadhma, tous écrivains qui ont fait de la revendication de la berbérité l’un de leur leitmotiv. En dehors de cet épisode, l’Algérie n’a pas connu de communauté chrétienne établie sur son sol. Sans remonter à l’Eglise d’Afrique et à Saint-Augustin, on peut trouver trace d’une très petite communauté chrétienne au temps de la dynastie berbéro-musulmane des Hammadides. Mais elle sera décimée au XIIe siècle sous les Almohades.

Le berbère devient officiel, mais la Kabylie continue d’entretenir son particularisme

En gros, la Kabylie est la région d’Algérie la moins infectée par l’islam bureaucratisé de l’Etat. Elle y a échappé grâce au mouvement culturel berbère et à la forte émigration vers l’Europe que connait la région depuis le début du XXe siècle. Avec l’affaire Bouhafs le gouvernement algérien se retrouve dans l’impasse. Si son illégitimité le pousse à rechercher le soutien des populations les plus travaillées par l’islam étatique, il échoue cependant dans sa tentative de mettre un frein aux campagnes d’évangélisation. Force est d’observer que sa loi sur le culte autre que musulman, qu’il a fait adopter en 2006 n’a pas eu l’effet escompté. Pis, la chape de plomb islamiste que les autorités font peser sur le pays est en train de créer une fissure entre la Kabylie et le reste de l’Algérie. Alors qu’il n’y a pas longtemps, la revendication kabyle se limitait à la langue, elle s’ouvre maintenant à la revendication d’un territoire.

Militants du mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK) (Source: Algerie1.com)

Militants du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK)
(Source: Algerie1.com)

Le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) est en train de se tailler des fiefs dans certaines localités de cette région, lesquelles entendent ne pas se laisser soumettre à la morale publique imposée dans le pays et à la police des mœurs qui sévit à l’effet d’interdire la consommation d’alcool, les loisirs, etc.Le MAK est en possession d’un projet politique qui ne souffre d’aucune ambiguïté. Il veut l’indépendance de cette région et il possède une politique claire envers les convertis auxquels il promet, – s’il venait à asseoir l’Etat kabyle – un régime de laïcité. En revanche, n’ayant aucun projet politique, en face l’Etat algérien navigue à vue. Actuellement il est occupé à gérer la maladie du chef de l’Etat dont il se plait, suivant un programme savamment orchestré, à en exhiber à la face du monde, l’image horrifiante.

 

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(1) Le berbère (tamazight) a été promu en février 2016 langue officielle en Algérie à côté de l’Arabe.

(2) Mouloud Mammeri, Inna-yas Ccix Muḥend ( Cheikh Mohand a dit), à compte d’auteur, Alger, 1990.

(3) Que cela soit dit en passant, Abdelkader dans son exil à Damas en Syrie, a sauvé des centaines de Chrétiens d’un massacre certain.

(4) D’une certaine manière le nationalisme algérien a repris à son compte le portrait d’Abdelkader tel qu’il a été élaboré par la France coloniale, qui insiste sur les traits nobles et aristocratiques de l’homme par comparaison avec ses comtes et marquis.

 
 
 

Du bikini au burkini: la métamorphose d’un maillot de bain sous la mondialisation

[Par Larbi GRAÏNE]

C’est dans les années 30 du siècle dernier, en Europe, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires.

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris (Source : galeriejoseph.com)

Affiche de l’exposition de la galerie Joseph Froissart à Paris
(Source : galeriejoseph.com)

L’affaire du Burkini m’a poussé à réfléchir sur la question de savoir si le maillot de bain ou la tenue de plage, était connu, de par le passé, dans le monde musulman. Il semblerait que non. Les chroniques concernant un pays comme l’Algérie, évoquent pour la période précoloniale des baignades en mer où les hommes et les femmes s’y relayaient – comme au Hammam – à des horaires différents. Cependant, ces sorties à la plage n’avaient aucunement un caractère massif et routinier qu’on leur connait aujourd’hui. Elles concernaient plutôt les riverains qui y allaient en période de canicule. Mais ces chroniques restent muettes sur le type d’habit qu’on portait pour s’immerger dans l’eau. On peut imaginer que les femmes, malgré la permission qui leur est accordée, endossaient par pudeur d’amples robes et sarouels pour faire face à tout imprévu qui les mettrait en présence de l’élément masculin. Ou peut-être que les activités de baignades étaient tellement codifiées que les femmes devaient se sentir suffisamment à l’aise pour enfiler quelque tissu de leur fantaisie. Il n’empêche, contrairement à ce qu’on peut en penser, le maillot de bain « chrétien » n’a pas une grande histoire par rapport à celui des pays du Sud. Il apparaît au moment de la révolution industrielle du XIXe siècle. Comme le football, le maillot de bain est originaire de l’Angleterre alors en proie à un boom industriel sans précédent. Il se diffuse, ensuite, sur les côtes de la Normandie, en France, propulsé par l’essor du transport ferroviaire. Dès 1820, les plages sont fréquentées surtout par la bourgeoisie et l’aristocratie anglaises ou françaises, permettant le développement des stations balnéaires. Beaucoup y viennent sur recommandation de leur médecin pour soigner telle ou telle maladie, calmer une nervosité ou une douleur. La tenue de plage dont le souvenir a disparu aujourd’hui, consistait en une robe en laine portée indifféremment par les hommes et les femmes. S’il semble dégager un caractère prude, cet habit a été célébré par les vers de Charles Cros :

La robe de laine a des tons d’ivoire
Encadrant le buste, et puis, les guipures
Ornent le teint clair et les lignes pures,
Le rire à qui tout sceptique doit croire

C’est pendant cette époque qu’une nouvelle catégorie de voyageurs voit le jour. On les appelle « touristes ». Ces derniers parcourent les pays étrangers par curiosité et oisiveté. Cette définition péjorative va évoluer au fil du temps avant de se fixer dans son acception actuelle.
C’est dans les années 30 du siècle dernier, que la mode du maillot de bain va atteindre son apogée. Ayant remarqué que les femmes relevaient leur tenue pour mieux bronzer, le Français Louis Réard inventa en 1946 le bikini. Il donna à sa création un nom emprunté à un îlot du Pacifique Sud où les Etats-Unis procédaient alors à des essais nucléaires. Le bikini rime donc avec bombe. Le chanteur algérien d’expression kabyle, Idir, qui évoque dans l’une de ses chansons la femme-bombe, ne se doutait pas que cette représentation de la féminité est partagée de part et d’autre de la Méditerranée…
Ce rapide aperçu sur les conditions d’apparition du maillot de bain permet de mettre en évidence ceci : c’est que le bikini a fait oublier qu’il n’est que la réplique féminine de la tenue de plage masculine, qui est apparue en même temps que lui. En tant que tenue de plage, réservée spécialement à cet effet, le maillot de bain n’avait pas d’existence avant 1820 et sa diffusion massive ne devait devenir effective qu’à partir du moment où la législation sur le travail adoptera le principe des congés payés. D’où la notion de loisir qui va en découler.
C’est le salariat qui va fabriquer le « désir des rivages ». A partir du XXe siècle, le gros des troupes du salariat, formé par les classes moyenne et ouvrière, déferle sur les plages. C’est ainsi que les séjours en bord de mer deviennent un phénomène social. Plus qu’un lieu de détente, la mer mute en un lieu de consommation. Désormais hôtels, commerces, bungalows, piscines, ports de plaisance s’égrènent tout le long des côtes.

La mondialisation

On a beaucoup parlé de la mondialisation. Concrètement ce qui me semble l’expliquer le mieux, c’est l’architecture des maisons. Partout dans le monde, à quelque exception près, qu’on soit dans des Etats à régime démocratique, dictatorial, islamique ou laïque, le modèle est, en gros, le même. Il est la copie conforme de celui de l’Occident. La structure du chez-soi recouvre un espace réparti entre la cuisine, la salle de bain, le salon et les chambres (il faut ajouter pour les classes privilégiées, le jardin, la buanderie, la véranda et le garage). Cet espace domestique est organisé de manière à recevoir toute la panoplie d’appareils et de meubles fabriqués par les grandes multinationales : la machine à laver, le frigidaire, la cuisinière, le lave-vaisselle, la chambre à coucher, la télévision, l’ordinateur, le climatiseur, etc. En l’espace de quelques décennies, des millions de gens ont changé leur manière de s’asseoir, de manger, de faire leur toilette et même l’amour, désormais prescrit par la télévision satellitaire. Des maisons traditionnelles, voire des villages entiers ont été rasés par leurs propres occupants afin d’y faire édifier en leurs lieux et places des constructions conformes au schéma européen. De nos jours, les familles se prélassent sur des fauteuils autour du petit écran alors que leurs aînés ont grandi sur des nattes ou des tapis. En Algérie (j’évoque ce pays fréquemment car c’est celui que je connais le mieux), un seul meuble paraît avoir été détourné de sa fonction première. Je fais allusion ici à la bibliothèque. En effet, en dehors de la classe aisée, on la garnit généralement de bibelots et de porcelaine. J’y vois là, le résultat d’un bricolage de l’Etat-nation algérien qui, via l’école, signifie (en accord avec la mondialisation) qu’on peut se passer des livres dès lors qu’on importe tout ce dont on a besoin pour vivre décemment.
Cela dit, l’habit le plus répandu en Algérie, voire dans un nombre incalculable de pays dans le monde, n’est ni le burnous, ni la djellaba, ni la gandoura, mais bel et bien le blue-jean américain. Généralement quand des journalistes étrangers débarquent en Algérie, surtout, les confrères français, ce qu’ils remarquent en premier est le voile féminin. Un objet qu’ils ont d’abord découvert chez eux.

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel ( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Femmes algériennes défilant à Oran en haïk pour réclamer la réhabilitation du voile traditionnel
( Source: cdn.liberte-algerie.com )

Pour eux, les jambes de millions d’Algériennes moulées dans des blue-jeans trop serrés ne sont pas dignes d’intérêt. Un certain orientalisme y sévit encore, vaille que vaille, alors que l’ancien monde s’est écroulé comme un château de cartes. Hormis la barbe et le costume de l’islamiste invétéré, sous la mondialisation, on ne trouve plus sur quoi disserter. Le monde s’est tragiquement rétréci. Finie l’époque où l’on commentait le blanc immaculé du burnous d’Abdelkader, le turban d’El-Mokrani et le caftan des odalisques recluses dans les demeures d’Alger. A vrai dire l’histoire de l’habillement est à écrire. La mondialisation mène la guerre contre les habits traditionnels, les langues et les dialectes, les cultures et les monnaies locales. On ne compte plus les parlers menacés d’extinction.

La naissance du burkini

Le burkini porté par une musulmane ( Source : wikimedia.org )

Le burkini porté par une musulmane
( Source : wikimedia.org )

Il ne fait aucun doute que le burkini est un habit moderne.
D’inspiration islamique il se veut comme une alternative au bikini. Cette nouvelle offre d’habillement intervient après une première expérience du voile islamique qui se voulait comme un substitut du voile traditionnel (dont la forme et les couleurs, la taille et la manière de le porter, diffère suivant les pays et les cultures). En Algérie le hidjab a pris la place du haïk. Le hidjab n’étant lui-même que la forme islamique mondialisée.
Le progrès de la mondialisation qui a balayé costumes et coutumes, fit donc le lit de l’islam mondialisé qui a vite imposé les siens. Le marketing islamique s’appuie sur une technique très simple pour promouvoir ses produits. Il doit procéder à la halalisation de l’objet occidental dont il cherche à s’approprier le concept. Dans le fond le burkini ne s’oppose pas au bikini. En France, il est l’indice probant que les masses « musulmanes », en tant que partie prenante du salariat français, se coulent dans le moule de la mondialisation occidentale. Que cherche ce burkini si ce n’est à ramener et à faire traîner les corps des femmes « musulmanes » sur le bord des plages ? à les faire profiter du bien-être de la mer et à les soumettre à la loi de la consommation et du marché, quand bien même si cela soit sous le label islamique ? Sa finalité, fondamentalement, est la même que le bikini. Peut-être que l’horreur et le dégoût que ce maillot de bain inspire à certains « occidentaux » découlent-t-ils de sa ressemblance scandaleuse avec le modèle qu’il veut insidieusement cloner en faisant mine de s’en écarter ? Cette intention ne se lit-t-elle pas jusque dans son nom ? Décidément, le choc des civilisations n’aura pas lieu, car c’est vers l’uniformité que le monde est en train de cheminer. Le bilan du port du hidjab en Algérie durant ces dernières années, peut faire apparaître qu’il a plus participé au mouvement de la mondialisation qu’il s’en extrait.

Nonobstant ses accointances avec l’islam politique, qui empêche sa lisibilité, le hidjab est en réalité un voile-leurre qui légitime le travail féminin et qui permet aux jeunes filles de conduire des voitures, de faire du commerce et d’exercer le métier de journaliste. Une des percées spectaculaires du voile est d’avoir justement réussi à recouvrir la tête de très nombreuses journalistes présentatrices de journaux télévisés. Jamais les femmes salariées n’ont-elles été aussi nombreuses, puisqu’elles se sont même taillé la part du lion dans des secteurs stratégiques comme la Santé et l’Education nationale. Je ne dirais pas que c’est grâce au voile. Le voile n’est qu’un instrument de la mondialisation islamique, elle-même pendant de la mondialisation occidentale. Ce sont les évolutions en cours dans les sociétés musulmanes qui sont en train de changer les choses. L’arrivée des femmes (fussent-elles voilées) sur le marché du travail en constitue la pierre angulaire. Il est permis de supposer qu’à brève ou longue échéance, la question de l’obsolescence du voile, est appelée à être posée sur la place publique.Les cultures issues de l’islam auront alors à faire face à l’obstacle qui se dresse sur la voie de leur sécularisation : casser le tabou de la virginité dont le voile est le symbole.(1)
L’idée de s’affranchir de cet obstacle qui, pour l’instant, leur paraît quelque chose de monstrueux, pourrait bien trouver dans les transformations en cours les conditions de sa transcription dans l’action.

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(1) Cf. Malek Chebel, L’esprit de sérail. Mythes et pratiques sexuels au Maghreb, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », Paris, 2003. 

Algérie : quand la presse oublie la langue de Molière

[Par Mourad HAMMAMI]

Comme disait un écrivain, «  on a voulu arabiser même les oliviers ». L’arabisation était en marche et le lit arabo islamiste bien préparé. C’est le mal principal de l’Algérie dont le système en place se nourrit. Il en est de même avec la presse. On est ainsi passé d’une presse majoritairement francophone à une presse arabophone à tendance propagandiste.

Par Mourad HAMMAMI Parmi les réformes désastreuses pour l’Algérie, on compte celle de l’école. En effet, on est passé d’une école plus ou moins neutre, respectable et républicaine à un système fondamentale, qui semble être une école idéologique dédiée à la propagande panarabisme. Les Algériens lisent des journaux nationaux (Source : www.npr.org)

Les Algériens lisent des journaux nationaux (Source : www.npr.org)

Évidemment il y a lieu de citer certains organes de presse arabophones qui sont connus pour leur professionnalisme et leurs défenses des valeurs de la démocratie et de l’éthique. Mais ces organes se retrouvent esseulés et préoccupés par leur survie, sanctionnés et aussi menacés.

Les autres journaux arabophones (à l’exemple d’Echerouk et d’Ennahar) ont constamment eu le vent en poupe. Ce soutien est du tout d’abord à la loi arbitraire de répartition de la manne publicitaire de l’ANEP (Agence Nationale d’Edition et de la Publicité); mais aussi de l’indulgence dont ces organes ont bénéficié malgré leurs dérapages.

Ces journaux puisent également leur force dans l’Algérie arabisée à coup de force, quitte à tout faire pour effacer le français. Cette langue, ouverte sur le monde et considérée comme butin de guerre, a été quasi effacée en Algérie d’une façon programmée. Hormis la Kabylie, où le français perdure, en Algérie la langue de Molière se fait rare. Ces derniers temps en Kabylie, les journaux arabophones ont surpassé les journaux francophones en terme de vente. L’arabisation gagne du terrain et aujourd’hui, rares sont les jeunes de moins de trente ans capables de lire et de comprendre un journal en français.

En plus de la langue, ces journaux usent d’une stratégie redoutable : peu de place pour l’objectivité, la rationalité. La majeure partie des lecteurs consomme l’information, se laisse aspirer et siphonner en jouant sur sa sensibilité identitaire, religieuse et de son manque d’expérience dans le monde de la presse.

L’un des bastion de lutte de l’opposition au système est la région de Kabylie, et ainsi ces journaux cultivent sans cesse un sentiment de haine et d’anti-kabyle: les leaders et les organisations de cette région sont attaquées à la moindre occasion et les populations attirées vers une ligne politique désastreuse.

Une marche contre la répression à Alger, 3 mai 2001 (Source : www.themilitant.com)

Une marche contre la répression à Alger, 3 mai 2001 (Source : www.themilitant.com)

Depuis 2012, ces organes de presse ont créé des chaines de télévision offshore : elles sont accréditées en Algérie, mais leur siège social se trouve dans d’autres pays. Auparavant, seulement BRTV et BEUR TV fonctionnaient de cette méthode. Mais Echerouk, en 2012, a ouvert la brèche pour cette technique de télévision offshore et depuis, c’est la ruée vers l’or. On compte une dizaine de chaines télévisées privées en Algérie et aucune d’entre elles n’est officiellement algérienne.

Ennahar et Echerouk ne se contenteraient plus de la propagande écrite et avec ce moyen lourd ils s’adonnent à la propagande audiovisuelle.

Connu pour être subventionné, le journal Ennahar est connu pour être un journal de la police. Les lecteurs sont séduits  par la multitude d’informations et de faits divers qu’il fournit. Le secret réside dans l’alimentation de ces journaux par les services de renseignements algériens, connus sous le nom des RG. En lisant ces faits divers on comprendra vite que c’est la traduction directe des PV et des rapports des différents commissariats d’Algérie. Mais dans ces journaux on retrouve rarement des reportages ou des articles d’analyse, de réflexion. Dans ces faits divers ou de l’info de proximité de ces journaux, je retrouve parfois des infos de ma région d’où j’étais correspondant. Parfois je suis surpris de lire une info rapportée par l’un de ces journaux. Le plus souvent se sont des informations tenues secrètes par la police et que l’on ne découvre qu’en consultant les rapports des services de sécurité. Parfois aussi je trouve un article sur un fait que je connais et dont j’ai consacré aussi un article. Souvent les faits sont défigurés pour des raisons politiques. Par exemple, je me demande comment un journaliste indépendant pourrait être au courant que la villa de l’ex-président de la république Ahmed ben Bella a été cambriolée et que deux pistolet ont été dérobés ? Il est clair que ces organes de presse bénéficient des moyens de l’Etat. Ils sont appuyés par un important clan de politiques, de militaires et de services secrets. Un clan qui manœuvre pour une Algérie orientalisée et prônant l’idéologie panarabisme.
Ces entreprises n’ont pas uniquement porté atteinte à l’image de la presse mais au-delà.
Ce complot commence à porter ses fruits et atteindre ses objectifs.

L’Algérie qui était l’un des pays les plus ouverts, les plus occidentalisés, se retrouve de nos jours relégué en arrière. L’islamisme prend de l’ampleur, les valeurs du progrès sont de plus en plus diabolisées. L’Algérie régresse et tout mouvement important à venir pourra faire plonger le pays dans le chaos et l’instabilité.

Algérie : El Watan, symbole de contre-pouvoirs

[Par Elyse NGABIRE]

Malgré toute la pression, censure, etc. exercée contre la presse algérienne dans des contextes politiques contraignants, « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl montre le combat quotidien des journalistes pour défendre leur liberté et celle du peuple.

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Michel David et Larbi Graïne

Mardi, 2 février à l’Espace Saint-Michel, à Paris. Le film « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl est projeté devant un public varié de journalistes, écrivains, réalisateurs, etc. « Contre-pouvoirs » nous transporte dans une rédaction bien particulière : celle du grand journal algérien El Watan. L’ambiance conviviale qui règne lors des différentes conférences de rédaction de ce journal : une remarque par-là du directeur de publication sur un article, défense de son sujet par ici du journaliste-auteur. Et après, ce sont des discutions qui s’en suivent entre collègues qui n’ont certainement pas les mêmes sensibilités ou convictions politiques.
2Dans un climat ouvert, tolérant et démocratique, aucun sujet n’est tabou : de la politique à l’économie, de la justice à la société, etc. tout est commenté, analysé à bâton rompu et sans faux-fuyant avec un esprit collégial. Parfois, le respect du deadline est problématique et le secrétaire de rédaction doit jouer son rôle de rappeler à chaque fois que de besoin. Le bruit de l’imprimerie juste dans les enceintes d’El Watan est devenu la routine et n’empêche pas aux journalistes, rédacteurs, directeurs, etc. de se concentrer sur leur travail.
Le film a été tourné au moment précis de l’histoire politique algérienne : la réélection de Bouteflika pour son quatrième mandat. Et le titre de La Une d’un numéro d’El Watan sorti à cette époque ne s’empêche pas de titrer : « Bouteflika élu dans un fauteuil ».
5Le droit, dit-on, s’arrache, il ne se donne pas. El Watan a donc très bien compris qu’il doit se battre pour sa liberté et son indépendance. Les armes de cette « guerre », explique Larbi Graïne, journaliste algérien de la MDJ, ne sont autres que les enquêtes fouillées que le grand journal algérien mène, des reportages sur le factuel, etc. ; bref, l’exercice du métier de journalisme avec un professionnalisme inattaquable.
En outre, poursuit Michel David de Zeugma Films, distributeur de ce film, l’autonomie financière permet aux journalistes d’El Watan, d’être encore plus indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics.
Signalons qu’El Watan fait un tirage de 130 mille exemplaires. Il a son propre imprimerie et prochainement, il va déménager dans son bâtiment qu’il vient de construire avec ses propres moyens financiers.
Et le film « Contre-pouvoirs » a été dédié aux 120 journalistes algériens assassinés durant la décennie noire des régimes militaires dictatoriaux.



Hollande : « Le Mali est un exemple d’espoir pour la lutte et le développement »

[Par Mourad HAMMAMI]

Une conférence sur le développement du Mali a eu lieu ce jeudi au siège de l’OCDE à Paris. La conférence s’est ouverte avec le discours du président malien Brahim Boacar Kaïta qui a insisté sur la nécessité d’aider le Mali à aller de l’avant.

(Photo crédit : Mourad Hammami)

(Photo crédit : Mourad Hammami)

Pour sa part, le Président François Hollande a présenté son allocution en relation avec le développement du Mali, l’étape suivante, après trois ans de guerre contre le terrorisme.
Selon Hollande, dès le début de la crise la France avait pris ses responsabilités en venant en aide au Mali qui était sur le point de s’effondrer. En plus de la France d’autres pays ont été mobilisés pour sauver le pays et des engagements de trois milliards de dollars ont été pris pour lui venir en aide. La plupart de ces engagements financiers a été respecté.
François Hollande a salué le rôle clef de l’Algérie dans le règlement de la crise malienne. A défaut du président algérien, c’est le ministre des affaires étrangères Lamamra qui était présent en compagnie de l’ambassadeur d’Algérie en France.

La Grande Mosquée de Djenné (Mali) est le plus grand bâtiment en briques de boue (source : bbc.com)

La Grande Mosquée de Djenné (Mali) est le plus grand bâtiment en briques de boue (source : bbc.com)

Selon Hollande, le Mali est un exemple d’espoir. Ce qui était possible au Mali peut l’être ailleurs.
La France va engager dans les trois prochaines années une aide de 360 millions d’euros au développement du Mali. Selon le Président français, d’autres aides peuvent être débloquées, mais il a aussi souligné le rôle que peut jouer la diaspora malienne en France pour participer et contribuer au développement du Mali à travers leurs épargnes.
Cette conférence était aussi pour François Hollande une occasion de faire un lien à la fois entre le terrorisme islamiste, les migrants et le réchauffement climatique.
Pour les migrants, selon lui les pays d’Afrique et du Moyen-Orient sont ceux qui accueillent le plus de migrants. De ce fait il faut aider les pays qui en souffrent pour susciter la paix et le développement durable. De ce fait pour le Président français, le climat, les migrants, le sous-développement et l’islamisme sont des maux qui se nourrissent entre eux et ont des liens directs, d’où la nécessité de les combattre tous à la fois avec cohérence.
Dans cet ordre d’idées, il a évoqué la conférence sur le climat qui aura lieu en novembre à Paris.
Enfin, Hollande a conclu par cette expression envers le président du Mali : « Monsieur le Président, vous pouvez être fier. Apres trois ans de guerre, le Mali est sur le chemin du développement. A travers vous, c’est un message d’espoir que nous voulons envoyer pour tous les autres pays qui sont dans les ténèbres. »

 

La transition est-elle possible en Algérie ?

[Par Larbi GRAÏNE]

Un air de fin de règne souffle actuellement en Algérie. L’indice le plus spectaculaire en a été la « rébellion » des policiers qui, outre qu’ils ont demandé la tête de leur chef – le général Abdelghani Hamel – ont osé manifester devant la présidence de la République et déranger ainsi la quiétude d’un chef d’Etat grabataire quoique fraîchement reconduit pour un quatrième mandat.

des centaines de policiers ont manifesté devant la présidence à El Mouradia mais aussi à Oran et Constantine (source : maglor.fr)

des centaines de policiers ont manifesté devant la présidence à El Mouradia mais aussi à Oran et Constantine (source : maglor.fr)

 

Abdelghani Hamel (source : impact24.info)

Abdelghani Hamel (source : impact24.info)

On susurre que le chef de la police était bien placé pour succéder à Abdelaziz Bouteflika dont le maintien au pouvoir répond au souci d’empêcher un déséquilibre qui aurait mis à rude épreuve le système de la distribution de la rente. Bouteflika n’incarnerait qu’un consensus temporaire en attendant que se dégage un compromis entre les différentes factions au pouvoir. Mais le compromis en question n’a pu se concrétiser sur le terrain, puisque le général Hamel s’est heurté semble-t-il à l’hostilité des services secrets, le DRS dirigé par Mohamed Mediene dit Tewfik. En cette mi-octobre 2014, les policiers en colère n’ont pas trouvé mieux que de hurler sous les murs du palais présidentiel « Hamel Dégage ! » reprenant ainsi à leur compte un slogan cher aux masses insurgées du printemps dit arabe.
Bien entendu dans cette partie qui se joue à ciel ouvert, les masses « laborieuses » en sont absentes. On joue à la révolution en l’absence d’un peuple, pourtant un des plus bouillonnants de la rive sud de la Méditerranée. Dix ans de guerre civile ont brisé ses ressorts et l’ont fait douter de lui-même jusqu’au point où les hommes politiques ont été réduits au rôle peu envieux des Cassandre.

 

Trucage des urnes, fondement du système
Passé maître dans le trucage des urnes, le pouvoir algérien s’est arrangé pour mettre en place toutes les institutions censées représenter le peuple dont il a brimé la voix. Les deux chambres du parlement servent à alimenter les journaux télévisés en images dont la force incantatoire fige la démocratie en rangées ordonnées d’élus levant ou s’abstenant de lever la main. Comme tous les pays qui singent les démocraties occidentales, l’Algérie s’est dotée d’un parlement uniquement pour donner la réplique aux Etats qui véritablement en possèdent un. Il faut bien que le président d’un parlement étranger soit reçu par son homologue algérien. Si la France ou la Suisse a son assemblée, l’Algérie devrait en avoir la sienne.
Quant au président de la République, il faut reconnaître que lui-même n’échappe pas à la logique qui préside à la fabrication des assemblées élues. C’est l’armée qui lui donne mandat pour gouverner, et c’est à elle seule et non au peuple qu’il doit rendre des comptes.

 
L’armée, faiseuse de rois
En vertu de cette règle qui date de l’indépendance, l’armée est devenue la faiseuse de rois. Il en résulte ce fait que depuis plus d’un quart de siècle c’est elle qui dirige en sous main les gouvernements successifs mais sous des dehors civils, même si parfois elle n’y parvient que très difficilement. Né juste au lendemain de l’indépendance, le premier mouvement d’opposition, le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed, a dû prendre les armes contre l’Armée nationale populaire (ANP) dépêchée en Kabylie par les autorités. La confrontation qui a fait plus de 400 morts dans les rangs du FFS, devait néanmoins précipiter en 1965 la chute d’Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, qui fut déposé par le Colonel Houari Boumediene, alors chef d’Etat-major de l’armée. Par cet acte Boumediene anticipait sur la reconnaissance du FFS que Ben Bella était sur le point d’avaliser. Cela étant, l’armée d’aujourd’hui n’est plus ce qu’elle était en 1962 : un rassemblement de maquisards au sortir d’une guerre atroce dirigée contre l’occupant étranger. Le rassemblement de maquisards a cédé la place à une bureaucratie militaire ayant développé des connexions intensives avec la bourgeoisie d’affaires dont elle a investi les valeurs en tant que classe dominante. L’histoire de ce « complexe militaro-industriel » est émaillée de tueries massives : répression des émeutes d’octobre de 1988 (plus de 400 morts), guerre contre la rébellion islamiste des années 1990 (plus de 100 000 morts) et répression des émeutes de Kabylie à partir de 2001 (plus de 120 morts).

 

Après le « qui tue qui ? » c’est le « qui dirige l’Algérie ? »
En l’absence de démocratie et lors même que des tendances séparatistes commencent à s’exprimer en Kabylie, voire dans la vallée du Mzab, la « réélection » d’Abdelaziz Bouteflika pour la quatrième fois consécutive, n’a tenu compte ni du bon sens ni d’aucun paramètre ayant un lien avec une quelconque fonction sociale, ou du moins avec une fonction consensuelle si infime soit-elle. Les généraux de l’armée ont tellement usé et abusé de la manipulation, et excellé dans l’action psychologique visant à neutraliser les populations, qu’ils ont fini par être pris par leur propre piège. Ils sont les seuls à ne pas se rendre compte que l’Algérie n’a pas de président de la République !

Abdelmalek Sellal (source : lepointeco.com)

Abdelmalek Sellal (source : lepointeco.com)

Pourtant les activités du premier ministre, Abdelmalek Sellal ont tendance à consacrer sur la scène diplomatique l’effacement du chef de l’Etat. Le premier ministre, qui prend des décisions au nom de Bouteflika, n’est en fait que le mandataire d’un président lui-même mandataire ayant reçu ses prérogatives de l’armée. Encouragés par le délitement de la société, les décideurs militaires en sont arrivés à faire usage cette fois-ci d’un déguisement inopérant qui consiste à faire accroire que le maintien d’un vieillard agonisant à son poste est un choix découlant de la souveraineté populaire. Les décideurs doivent se sentir tellement forts qu’il leur avait paru inutile de cacher par quelque artifice dont ils ont le secret leur entreprise de cooptation de la personne sur laquelle ils ont jeté leur dévolu. Du coup ils ont brutalement rendu visible et démaquillé leur imposture électorale, déconstruisant ainsi leur propre stratagème. La question redondante « Qui dirige l’Algérie ? » est désormais sur toutes les lèvres des journalistes des médias internationaux et le nom du général chargé du DRS a fait le tour du monde.
Le régime algérien est au pied du mur. Pour reprendre l’expression d’un journal londonien « le pouvoir algérien est un géant qui a peur de son ombre ». L’aspiration au changement n’a d’égale que la férocité de la confrontation qui met aux prises les différents clans de l’armée.

 

L’an II de l’opposition algérienne

Conférence de la CNLTD : Congrès inédit de l'opposition (source : algerie360com)

Conférence de la CNLTD : Congrès inédit de l’opposition (source : algerie360com)

La réélection de Bouteflika fut durement ressentie par l’opposition, toutes tendances confondues. Ce qui va l’inciter à se fédérer au sein d’une coordination nationale pour la transition et les libertés démocratiques (CNTLD) dont l’activisme sera couronné par un événement majeur : l’organisation au mois de juin 2014 à Zeralda, à l’ouest d’Alger, de la première conférence pour les libertés et la transition démocratique en Algérie. Ainsi la CNTLD a réussi à réunir les laïcs et les islamistes dont des ex dirigeants du parti du Front islamique du salut, FIS (interdit).
Ayant regroupé également d’anciens chefs de gouvernements passés à l’opposition, la conférence de Zeralda a appelé au « respect du cadre républicain de l’État algérien », à « rendre civil le régime politique et éloigner l’institution militaire et sécuritaire des conflits politiques ». Si les partis politiques semblent avoir mûri en acceptant de s’asseoir à la table de négociation et faire l’effort de surmonter leurs divergences, il n’en demeure pas moins que leur audience a considérablement reculé au cours de ces dernières années sous l’effet conjugué de la guerre civile et de l’autoritarisme du règne de Bouteflika. Laminés autant que les populations qui avaient constitué leur vivier, les partis ont du mal à promouvoir la chose politique. Cela dit, depuis le lancement de la CNTLD, qui, s’il a accentué l’isolement du pouvoir, n’a pas pour autant permis d’impulser une dynamique de changement. Chacune des deux parties, opposition et pouvoir, sont restées campées sur leur position respective jusqu’au moment où un intrus est venu chambouler cet échiquier. Cet intrus n’est autre que le FFS dont on a déjà parlé.

Aït Ahmed (source : algerie1com)

Aït Ahmed (source : algerie1com)

Légalisé en 1989 à la faveur de l’instauration du multipartisme, le parti d’Aït Ahmed, en sortant de la clandestinité a, tôt défendu l’idée selon laquelle l’implication des islamistes du FIS dans la vie politique est de nature à leur ôter le voile de sacralité dont ils sont entourés. Mais l’armée ne l’entendait pas de cette oreille. En janvier 1992, elle procédait à l’arrêt des élections législatives, les premières qui aient été organisées sous le multipartisme, mais remportées par le FIS. A l’époque il n’y avait pas encore l’expérience tunisienne qui eût pu démontrer- pour peu qu’il y ait une société civile – que les islamistes peuvent être délogés avec leur tapis de prière. L’incurie des islamistes maghrébins est proverbiale, elle n’a d’égale que leur inaptitude à concevoir le monde dans sa réalité et à préconiser des solutions en matière de gouvernance étatique. Brandi pendant longtemps par les décideurs militaires pour justifier leur politique d’éradication, l’alibi du danger islamiste devient aujourd’hui relativement obsolète aussi bien au niveau interne qu’externe. Bien qu’ayant participé à la conférence de l’opposition de Zeralda, le FFS est passé, fin octobre 2014, à la vitesse supérieure en appelant à une autre conférence, baptisée « conférence du consensus » qu’il compte organiser sous sa propre supervision. La nouveauté réside dans le fait que le pouvoir en place est invité à y participer. Le but assigné à la conférence du consensus est d’organiser une période de transition « inspirée des modèles internationaux de consensus» expérimentés (notamment en Espagne et en Amérique du sud) à l’issue de laquelle le pouvoir actuel est sommé de faire ses valises et transmettre le témoin selon un agenda négocié et ce, « sans manifestation de rue, ni violence ». Il est à noter que le FFS reconnait que les modèles de consensus ayant été mis en œuvre ici et là ont été l’émanation des pouvoirs en place soulignant que l’originalité de sa démarche tient en ceci que c’est un parti politique qui en est l’initiateur.
Comme il fallait s’y attendre les principaux animateurs de la coordination, soit le Mouvement de la société pour la paix (MSP), le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le parti Jil Djadid et l’ancien chef de gouvernement Ahmed Benbitour) tombent des nues et crient au complot. Cette initiative a été jugée à juste titre comme une option concurrente au sommet de Zeralda. Il n’empêche, le doyen des partis d’opposition invoque une recommandation de son dernier congrès qui serait antérieure à la création de la CNTLD. Le laïc Mohcine Belabbas, président du RCD insiste sur la non clarté du projet du FFS et l’accuse de vouloir torpiller l’action entamée par la CNTLD. L’islamiste Abderrezak Makri, président du MSP, quant à lui, fulmine en soulignant que « le problème ne réside pas dans l’opposition, c’est du côté du pouvoir que le FFS devrait voir ». Et de s’interroger sur « l’identité » de la partie du pouvoir que la formation d’Aït Ahmed compte ramener à la table de négociation. Makri ne cache pas son inquiétude de voir le FFS louper le « pouvoir réel ».

Abdelaziz Rahabi (source : algerie360com)

Abdelaziz Rahabi (source : algerie360com)

Mais la critique la plus fondée a été avancée par Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la communication qui reproche au FFS d’organiser un événement qui aurait dû échoir au pouvoir.
Toujours est-il qu’on a assisté alors à quelque chose d’insolite : pour emporter l’adhésion du plus grand nombre, le FFS connu pour son aversion à l’égard des faux partis et de la fausse opposition qu’il n’a eu de cesse de dénoncer, s’est livré cette fois-ci à un exercice dont il est peu coutumier, en allant taper à la porte ( mises à part quelques organisations de la société civile, formations politiques et syndicales et personnalités d’importance) d’une noria de partis-éprouvettes proches du DRS et du parti de l’administration, le Front de libération nationale (FLN), qui ont tous paradoxalement fait bon accueil à son initiative. Tout porte donc à croire que le DRS et la présidence de la République n’ont pas l’intention de s’opposer à la tenue de la conférence en question.

 

Différence entre la CNTLD et la conférence du consensus
Il saute aux yeux que les deux approches proposées pour résorber la crise algérienne présentent des différences tant au niveau du fond que de la forme. Au niveau du fond, la CNTLD dénie tout rôle à l’armée pour mener la transition tandis que la conférence à laquelle appelle le FFS est une « feuille vierge qu’il faudrait remplir » autrement dit, la feuille de route qui sortirait de la conférence est à noircir avec l’ensemble des participants, y compris le gouvernement. Au niveau de la forme, la CNTLD n’a pas jugé utile d’associer le pouvoir aux discussions, se contentant uniquement de réunir l’opposition. C’est tout le contraire de ce que prône le parti d’Aït Ahmed qui insiste sur la nécessité d’impliquer l’Exécutif.

 

Pour conclure
Tout compte fait, les arguments présentés par la CNTLD pour disqualifier la conférence du consensus paraissent fondées qu’en partie. Certes l’initiative du FFS est trop risquée, – ce que ses détracteurs certainement ne sont pas sans ignorer, mais tout de même elle reste intéressante à plus d’un titre. Au vu de la tournure qu’ont pris les événements, il est presque assuré que la conférence du consensus aura lieu, même si on peut s’attendre peut-être à quelques absences qui ne devraient pas peser beaucoup. On peut s’interroger en revanche sur la marge de manœuvre de l’opposition, qui plus est, elle est appelée à négocier avec le DRS par fausse classe politique interposée. Au cas où les exigences de démocratisation qui y seront immanquablement exprimées, paraîtraient aux yeux des décideurs impossibles à satisfaire, ces derniers auront alors la partie facile pour provoquer les défections nécessaires à l’effet de saborder la conférence. Car dans tout ce qui va se jouer, l’un des principaux protagonistes, le pouvoir en l’occurrence, n’a fait jusque là montre d’aucune volonté politique allant dans le sens d’une véritable ouverture politique. Toute prédiction étant difficile à faire, le mieux est de laisser l’expérience se produire…