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France-Algérie, 14 juillet ou l’ambiguïté historique

[Par Larbi GRAÏNE]

La France célèbre cette année sa fête nationale du 14 juillet en y associant pour la première fois l’Algérie. Si les autorités françaises justifient la présence de son ex colonie en raison de la participation de 173.000 de ses combattants à la première guerre mondiale, il n’en demeure pas moins que la fête française croise d’autres séquences de l’histoire algérienne.
Instituée en 1880, cette fête fait référence d’abord à la prise de la Bastille qui marque l’abolition de la monarchie absolue (14 juillet 1789), ensuite au jour moins bien connu d’union nationale, appelé aussi Fête de la Fédération (14 juillet 1790).

Charles Thévenin (1764-1838), La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ-de- Mars. © Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Charles Thévenin (1764-1838), La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ-de- Mars.
© Musée Carnavalet/ Roger-Viollet

Quand la fête du 14 juillet est instituée sous la IIIe République, l’occupation de l’Algérie par la France bouclait presque jour pour jour sa 50e année. C’est le 5 juillet 1830, que le Dey Hussein signait le traité de capitulation d’Alger, après que le corps expéditionnaire français eut parvenu à mettre en pièces ses troupes. 130 ans plus tard, l’Algérie devenue indépendante, gomme d’un revers de la main le souvenir de la capitulation en instaurant le 5 juillet, comme fête de l’indépendance lors même qu’une autre date pouvait bien être retenue pour marquer l’événement, à savoir le 19 mars 1962, date du cessez- le-feu.

Rencontre entre les communards parisiens et les insurgés kabyles

Mais pour l’histoire, c’est trop loin de la France et de l’Algérie, qu’une poignée d’Algériens vont entendre parler de la révolution française.

Dans une France du XIXe siècle en proie à de nombreuses convulsions politiques en lien avec les changements de régime qu’aggravent les ambitions liées à la conquête d’un nouvel empire colonial, les hommes et les femmes sont poussés sur le chemin de l’exil quand ils ne sont pas déportés dans de très lointains pays, souvent insulaires. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les bagnes coloniaux appelés à abriter une foultitude de proscrits politiques et de droits communs. Victor Hugo lui même fit les frais du coup d’Etat de « Napoléon le Petit », ce qui le contraindra à l’exil. L’œuvre de cet écrivain s’en ressentira d’ailleurs. Il dressera du reste des portraits saisissants des opposants au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. Un peu plus tard, le 18 mars 1871 éclate l’insurrection de Paris, que l’historiographie désigne sous le nom de la Commune. Au même moment (le 16 mars 1871) une autre insurrection se déclare en Algérie sous l’impulsion des Kabyles conduits par Mohand Amokrane, (cheikh el Mokrani) et le cheikh Aheddad. Si les insurgés parisiens instaurent le gouvernement du peuple face à une classe dirigeante bourgeoise défaillante, les insurgés kabyles engagent, quant à eux, une grande bataille contre le pouvoir colonial. Les deux événements se rejoignaient quant au fond. Car c’est de la libération des peuples respectifs qu’il s’agit. La Commune a duré un peu plus de deux mois et s’est soldée par 7500 morts environ parmi les communards et des milliers de prisonniers. De l’autre côté de la Méditerranée, l’insurrection kabyle qui a duré plus longtemps (près de 10 mois) fut particulièrement meurtrière même si les sources sont restées muettes sur le nombre de morts. L’on sait par contre que l’armée d’occupation était composée de près de 86 000 hommes. La défaite de la Commune de Paris avait permis du reste à l’armée d’Afrique de reprendre les choses en main. Après la répression sanglante de l’insurrection algérienne, plus de 120 hommes kabyles furent déportés à l’autre bout du monde dans l’archipel du Pacifique sud : la Nouvelle-Calédonie, devenue territoire français depuis une vingtaine d’années.

Les déportés kabyles [Photo tirée de iisg.nl]

Les déportés kabyles [Photo tirée de iisg.nl]

C’est là que les Kabyles vont croiser les communards déportés. Grande figure féminine de la Commune de Paris, Louise Michel, qui côtoya les Kabyles les décrit comme « des Orientaux (…) simples et bons et d’une grande justice (…) [qui] ne comprenaient rien à la façon dont on avait agi avec eux ». Cela dit, s’il fut d’une portée extraordinaire, le mouvement du 14 juillet, n’en reste pas moins un idéal en construction. C’est dire que son avenir dépend de sa capacité à s’expurger de son ambiguïté historique.

 

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La Kabylie est-elle encore algérienne ?

[Par Larbi GRAÏNE]

Photo par Nolasco promenade.en.kabylie.over-blog.com

Photo par Nolasco promenade.en.kabylie.over-blog.com

Dans leur analyse de l’évolution de la situation politique en Algérie, la plupart des observateurs et autres spécialistes qui tentent de décrypter la réalité de ce pays ignorent ou feignent d’ignorer pour des raisons idéologiques, sans doute, l’importance de la poussée du mouvement nationalitaire en Kabylie sous l’impulsion du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), un parti qui s’est doté, avant même qu’il en vienne à prêcher le séparatisme, d’une instance exécutive : le gouvernement provisoire kabyle (GPK) que dirige en exil Ferhat Mehenni. Seules la reconduction d’un président invalide dont on se plait à donner en spectacle la maladie et l’attitude des différentes factions de l’armée vis-à-vis de cette reconduction semblent ainsi retenir l’attention de la plupart des analystes. Et pourtant un événement majeur vient de se produire en ce 27 avril 2014, à la veille même où Bouteflika devait prêter serment sur un fauteuil roulant et déclamer un passage renouvelant son engagement à défendre l’unité nationale. Des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Tizi-Ouzou la capitale de la Kabylie pour réclamer l’autodétermination pour le pays kabyle. Ainsi les manifestants ont brandi des pancartes en faveur du GPK et du MAK et ont crié à tue-tête leur refus que Bouteflika soit leur président. Cette manifestation qui a drainé une foule des grands jours, a été organisée également pour protester contre la répression de la marche traditionnelle célébrant le Printemps berbère du 20 avril 1980 à laquelle a appelé une semaine auparavant ce même MAK ainsi que quelques anciennes figures du moribond Mouvement culturel berbère (MCB)

Qui est derrière le MAK ?
Pour certains bons esprits, la réponse est toute trouvée, cette organisation séparatiste ne peut être que l’œuvre de la CIA, des services secrets israéliens ou français car il n’est pas aisé de nommer l’innommable dans un pays nourri à un nationalisme hanté par une guerre traumatique qui a mis fin à 130 ans d’occupation française. On a affaire à un pays non seulement nourri au nationalisme mais aussi aux fantasmes du néocolonialisme qui rejettent la responsabilité à l’ancien colonisateur, le hizb fransa, (parti de la France), souvent assimilé aux Berbères.
S’il y a bien une entité en Algérie qui soit très dépendante de l’étranger c’est bien la bourgeoisie parasitaire, appelée aussi compradore. Organiquement liée aux multinationales, cette bourgeoisie s’occupe uniquement de l’importation de produits finis, n’ayant à proposer aucune production, ni postes d’emploi (1). Dans les entreprises pétrolières du Sud, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA) totalement inféodée aux pontes du système, s’interdit toute incursion à l’effet de syndiquer les travailleurs. Cette bourgeoisie des containers fait fructifier ses affaires en faisant des placements à l’étranger généralement concentrés dans l’immobilier. (Quelques noms nous sont connus : Cherif Rahmani, Abdelmoumène Khalifa, Chakib Khelil et Amar Saadani). Généralement ce sont les représentants civils de la bourgeoisie compradore, qui sont ainsi donnés en pâture aux médias. Le noyau dur formé par pantouflage, terme qui désigne en France « la situation trouvée dans le secteur privé par un militaire ou un fonctionnaire issu de l’Ecole polytechnique » est quasi invisible. Le scandale de la corruption qui a éclaboussé la compagnie des hydrocarbures, Sonatrach, donne un aperçu sur les ramifications internationales du dépeçage de l’économie algérienne. Italie, France, Hong Kong, Luxembourg, Syrie, Canada, Singapour, Emirat Arabes Unis, Liban, Suisse, et nous en oublions. Enfin summum de la décrépitude de l’Etat, l’affaire de Tinguentourine dont la conséquence immédiate est la rupture du pacte avec les puissances étrangères qui jusqu’ici concédaient aux autorités militaires algériennes une certaine compétence quant à lutter contre le terrorisme international. Après cet épisode sanglant dans lequel des ressortissants étrangers laissèrent leur peau, il fut procédé à la restructuration du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) dirigé par Mohamed Mediene alias Toufik.

Octobre 88, la fausse ouverture.
Depuis les émeutes d’Octobre de 1988, auxquelles on fait remonter l’ouverture démocratique qui en fait n’en a jamais été une, l’économie algérienne subit une libéralisation sauvage qui a eu pour effet de démanteler le tissu industriel de l’Algérie. Survivant en partie grâce à l’émigration interne, la Kabylie, région montagneuse mais densément peuplée, s’il en est, accuse plus que les autres régions du pays, les contrecoups du néolibéralisme mondial. Si pendant la guerre civile la région fut en gros épargnée par le terrorisme, il n’en demeure pas moins que les autorités ont soigneusement évité un conflit ouvert avec les berbéristes du moment que ces dernières s’occupaient de livrer une guerre sans merci aux islamistes radicaux. Se déployer sur deux fronts en même temps, eût été improductif pour le pouvoir qui a donc tout fait pour que la Kabylie reste dans le calme. A cette époque le RCD avait fait le choix de s’allier avec l’armée, pensant ainsi sauver l’identité berbère et contrer l’islamisme. Le Front des forces socialistes ( FFS ) quant à lui, avait cherché à réduire l’islamisme, en s’attaquant au clan de l’armée qui a ordonné l’arrêt des élections de 1992. Mais après dix années de guerre civile, la bourgeoisie parasitaire épaulée par sa police politique a poursuivi le pillage des richesses du pays sous le label de la réconciliation nationale avec les terroristes dont elle confia la mise en œuvre à celui qu’elle vient de porter au pouvoir : Abdelaziz Bouteflika (avril 1999). Pour autant la recomposition du pouvoir en place n’apporte guère la stabilité souhaitée au pays. Deux ans après l’élection de Bouteflika, les signes d’essoufflement apparaissent. La convoitise du pétrole que ravive l’envolée des cours, alimente la tension entre les factions de la bourgeoisie compradore pour le contrôle des leviers du pouvoir. C’est la Kabylie qui devait en payer le prix. En avril 2001, à la veille de la traditionnelle commémoration du Printemps berbère, la gendarmerie tire à balle réelle sur des jeunes, déclenchant ainsi l’insurrection qui devait aboutir à l’expulsion du pays kabyle des brigades de gendarmerie et à la promotion du tamazight (le berbère) en langue nationale. Le conflit qui dura jusqu’en 2003 causa, en plus de dégâts matériels importants, plus de 100 morts et des milliers de blessés parmi la population locale, des adolescents pour la plupart. La Kabylie sembla alors rentrer dans une dissidence larvée avec le pouvoir central. Le mouvement fut inédit de par sa durée, son fonctionnement et son action qui culmina en une marche à Alger la plus importante qu’ait jamais connue, la capitale.

Les âarouch ou le discrédit des partis kabyles.
C’est dans ce contexte qu’avait surgi le MAK d’abord sous la dénomination de Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie, même si sa naissance fut couverte par le vacarme d’une rébellion massivement encadrée par les âarouch, une organisation se réclamant de la tradition tribale berbère. Ceux-ci tirent leur originalité de ce qu’ils prônent une militance moderne tout en prétendant s’inspirer de la coutume des ancêtres. D’aucuns y ont vu à tort un mouvement régressif.
L’affront fait par la gendarmerie à la population locale suscita chez elle un désir de se retrouver unie sous un pouvoir régional. C’est ainsi que les âarouch avaient pu résoudre, du moins pour un temps la contradiction entre le FFS et le RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), deux partis à base principalement kabyle qui ont pris depuis 1989 coutume de se disputer la représentativité de la Kabylie, lors même qu’ils ont vocation à être des partis nationaux. La compétition entre les deux formations kabyles a eu pour effet de neutraliser la marche vers l’avant de la Kabylie. Ayant compris cela, les âarouch ont, dès leur irruption sur la scène politique algérienne, jeté l’exclusive sur le système partisan local. Il va sans dire que les deux formations ne se remettront jamais de cette confrontation avec ce mouvement. Du reste il s’ensuivra une querelle tripolaire (âarouch-RCD-FFS) qui devait subrepticement conduire à la consumation des énergies locales, chacun affaiblissant l’autre jusqu’à l’effondrement. Souvenons-nous des locales de 2002 rejetées par les âarouch, boycottées par le RCD et jouées par le FFS. Du reste les animateurs au sein des âarouch, ont réussi en 2005 à obtenir la révocation des « indu-élus » après qu’ils eurent mené des tractations avec le gouvernement d’Ahmed Ouyahia. Aussi des élections partielles furent-elles organisées pour renouveler la composante des collectivités locales. C’est ainsi que le FFS a vu ses élus remettre leur mandat avant de les mener à leur terme. Trainés dans la boue, les partis kabyles ont connu à l’issue de cet épisode trouble un réel discrédit.

Printemps berbère contre Printemps arabe.
Les changements sociaux internationaux et nationaux ont toujours pesé sur l’organisation de la protestation en Kabylie. Pour faire pression sur le pouvoir, un parti comme le FFS, a maintes fois, recouru aux tribunes internationales ayant émergé après la chute du mur de Berlin. Le rôle de l’Union européenne et celui de plus en plus accru des Etats-Unis en tant que superpuissance, furent tenus en compte par la direction du doyen des partis de l’opposition. Le parti d’Aït Ahmed avait fait sensation en adressant, en mai 2001, en pleine ascension des âarouch en Kabylie, un mémorandum « pour une transition démocratique » au Président de la république et « aux généraux décideurs ».  Mais la Kabylie, voire l’Algérie a souvent pâti de l’imprévisibilité des événements internationaux. Alors que le régime algérien semblait pendant l’insurrection des âarouch faire l’objet d’une étroite surveillance internationale, rien ne laissait présager à ce moment-là qu’un événement considérable allait ébranler le monde occidental. Le 11 septembre 2001, Al-Qaïda attaquait les deux tours de New York, d’où du reste, il va en résulter brutalement ce fait qu’au nom de la lutte contre le terrorisme international, les Etats-Unis doivent reconsidérer leurs relations avec les dictatures du monde entier. Ce qui va dorénavant importer le plus pour l’ogre américain, c’est moins la promotion de la démocratie et le développement dans le monde, relégués désormais aux calendes grecques, que leur propre sécurité. C’est ainsi qu’Alger a été intégré dans le système de défense américain du Sahel. (2)
L’idée de revendiquer le droit à l’autodétermination pour la Kabylie a germé en plein de ce qu’on appelle le Printemps arabe. La chute de Hosni Moubarak, la décomposition de la Libye dont l’effondrement du régime a été accéléré par les frappes de l’OTAN, et l’explosion de la revendication amazighe (berbère) qui s’en est suivie au Djebel Nefoussa, l’officialisation de tamazight au Maroc après les grandes manifestations du mouvement du 20 février, la crise touarègue au Mali, ont achevé de signifier le caractère artificiel du monde arabe. C’est au cours de son 2e congrès qui s’est déroulé en décembre 2011 à Bouzeguene, que le MAK a adopté une résolution faisant explicitement référence au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Le 4 octobre 2013, à l’issue d’une session de son conseil national à Aït Hamdoun (Bouira), le mouvement autonomiste annonce officiellement sa transformation en parti indépendantiste, réclamant l’autodétermination. Au demeurant, pour Ferhat Mehenni, le Printemps arabe, cristallise l’implosion de ce bric-à-brac appelé monde arabe, qui représente à ses yeux une mosaïque d’Etats postcoloniaux dont les frontières tracées par le colonialisme, sont à refaire.

Islamisme et stratégie du MAK.
Après avoir réduit politiquement le Front islamique du salut (FIS), la bourgeoisie compradore souffrant d’assises populaires, s’est alliée avec le courant soit disant modéré de l’islam politique. En même temps que s’ouvrait pour ce dernier les circuits de la prébende étatique, ce courant entreprit avec l’assistance du DRS de diffuser l’idéologie islamiste dans le pays. La réislamisation s’est traduite concrètement par la fermeture des bars et l’interdiction faite aux restaurants classés d’ouvrir pendant le ramadan, chose qui fut admise jusqu’à la fin des années 80. Les étrangers non musulmans, doivent se débrouiller pour manger. Ils n’ont d’autres choix s’ils sont riches que de se rabattre sur les hôtels de haut standing mais qui pratiquent à leur grand dam des prix prohibitifs.

Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle (missionfalestine.wordpress.com)

Ferhat Mehenni, président du Gouvernement provisoire kabyle (missionfalestine.wordpress.com)

Si pendant la guerre civile des maisons closes ont baissé rideau pour des raisons de sécurité, il n’y a pas eu depuis aucune qui n’ait été rouverte. C’est une réislamisation de bazar à en juger la forme qu’elle a prise : les boissons alcoolisées sont consommées dans des débits clandestins et la prostitution se pratique dans des maisons closes clandestines. En 2008, on dénombrait, selon l’avocate Benbrahem, citée par la presse, dans la seule ville d’Alger 8000 de ces maisons de rendez vous. Mais la courbe de consommation des boissons alcoolisées en Algérie ne faiblit pas, au contraire, elle est en constante évolution. Parallèlement les espaces culturels ont diminué comme une peau de chagrin. Les salles de cinéma ont été détournées de leur vocation tandis que des librairies ont baissé rideau lorsqu’elles n’ont pas cédé leurs rayonnages au livre religieux. Aussi l’ensemble des chaines de radio et les quatre chaines de la télévision d’Etat, s’astreignent-elles à interrompre leur programme à l’heure de la prière pour diffuser l’appel du muezzin. La promotion de la tenue vestimentaire féminine avec le hidjab, se fait officieusement. Dans les administrations publiques, sur les plateaux de télévision, le voile islamique se taille subrepticement la place de l’habit normatif et conventionnel. Les prises de paroles publiques se truffent de formules coraniques de type « Macha’ Allah, Hamdou- li- El-Allah » tandis que les mémoires et les thèses universitaires, souvent quasi nuls sur le plan du contenu scientifique, sont épigraphiées et clôturées par de longues citations tirées du Coran ou des dits du Prophète Mohamed. La police, parfois la gendarmerie, n’ont eu de cesse de leur côté tout au long de ces dix dernières années de jouer aux brigades des mœurs en se spécialisant dans la répression des personnes qui oseraient durant le ramadan rompre le jeûne avant l’heure prescrite.
Dans une nouvelle retentissante au long titre incisif et ironique « L’incroyable et inimaginable histoire de l’homme qui voulait prendre une bière à Alger » l’écrivain Mohamed Kacimi, peint avec une poignante réalité une société cataclysmique où « il suffit que le jour décline pour que la Blanche se transforme en gouffre ». Après une longue absence, un Algérois retourne chez lui et se met en quête des petits bistrots d’antan qui côtoyaient de petits havres culturels tels les cinémas et les librairies, où il pouvait trouver le meilleur de la littérature. Mais à sa surprise tous les lieux où il avait passé son adolescence ont disparu sous l’effet d’une désertification de l’esprit dont on peut deviner la cause au style allusif du narrateur « Vers dix sept heures, écrit-il, et avant que les milliers de minarets ne hurlent la prière du crépuscule, les rues se vident d’un coup des filles et des femmes, déjà toutes voilées et il ne reste, collés aux murs, qu’un magma d’hommes, barbus, moustachus, ou coiffés à l’iroquoise et dégoulinant de gel, fumant clope sur clope ».
Cette réislamisation rampante réactive la rengaine anti-berbère et polarise l’angoisse sur les fantasmes liés à la conquête arabe de la Berbérie. Souvent certains titres de presse que relaye la vox populi en pays arabophone, désigne la Kabylie comme un lieu de libéralité d’où la religion est absente. Les manœuvres de la bourgeoisie compradore qui a ses représentants jusqu’en Kabylie, confortent cette imagerie en alimentant les réseaux de drogue, de prostitution et de débits de boissons alcoolisés, accordés à titre de largesses à des magnats locaux, et ce, dans le but d’annihiler toute résistance au projet de dépersonnalisation de la région. Ainsi s’éclaire la double focalisation sur le mouvement évangéliste et les procès mettant en cause les non jeûneurs kabyles durant le mois de ramadan. A vrai dire le courant islamisant ne fait que reconduire le procédé dont historiquement ont usé les conquérants levantins pour arabiser les Amazighs. Ailleurs en Algérie où l’arabisation linguistique est accomplie, on ne cherche pas à savoir si l’on jeûne où si l’on se prostitue. « Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou » pour reprendre le titre de l’ouvrage de Salah Guemriche. Cet auteur qui a mené une enquête sur l’évangélisation, montre que celle-ci concerne l’ensemble du Maghreb et du Moyen-Orient. (3)
La riposte du MAK face à ces campagnes de culpabilisation des Kabyles marque une rupture avec la tradition politique des organisations kabyles. C’est à partir des valeurs laïques que ce parti entend défendre la pratique religieuse se refusant ainsi de se laisser entrainer dans le piège de vouloir concurrencer les islamistes sur leur propre terrain. Certes d’autres formations se sont réclamées de la laïcité mais elles n’ont pas osé aller au-delà du discours, ou de la posture qui consiste à laisser leurs militants exprimer individuellement leur solidarité envers les nouveaux convertis lors des rassemblements organisés en leur faveur. On évoque même le terme de « sécularisation » au lieu de la laïcité. Ce qui permet d’articuler celle-ci à une donnée sociohistorique kabyle, à savoir que les sociétés villageoises se sont depuis la nuit du temps prises en charge par elles-mêmes en dissociant les affaires de la cité de la religion. La sécularisation en Kabylie puise sa philosophie de la locution sententielle populaire « j’maa liman » (au nom de toutes les croyances). La laïcité décrirait plutôt la réalité européenne, qui renvoie à la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Au lieu du « nous avons le plus grand nombre de mosquées » ou du « nous nous abreuvons à l’islam de nos ancêtres », le MAK déclare respecter au nom de la laïcité, tous les citoyens kabyles qu’ils soient chrétiens, musulmans ou non croyants.

Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (Yawatani.com)

Hocine Aït Ahmed, président du Front des forces socialistes (Yawatani.com)

S’agissant du FFS et du RCD, en raison de l’accusation portée contre eux d’être des formations régionalistes cantonnées à la Kabylie, ils se sont bien gardés de franchir certaines lignes rouges quant à la défense des convertis. Il n’y a que le courant nationalitaire qui a pris explicitement fait et cause pour ces derniers. Au lendemain d’un raid mené en décembre 2009 contre des chrétiens kabyles par des adolescents à la Nouvelle-Ville de Tizi-Ouzou, le MAK, alors autonomiste, s’est fendu d’un communiqué pour déclarer que « c’est la rencontre de la Kabylie avec le christianisme qui poserait problème aux plus hautes autorités du pays, car renforçant l’occidentalophilie de celle-ci et son combat pour son autonomie régionale ». Les attaques contre les chrétiens sont jugées comme une incitation à susciter de la part des Kabyles des appels à davantage d’islamisation. La stratégie du MAK va consister alors à associer le combat pour l’affirmation de l’identité kabyle, – la kabylité-, avec la défense de la laïcité. A l’appel du mouvement autonomiste, des milliers de marcheurs ont défilé le 12 janvier 2010, à Tizi-Ouzou et Bejaïa pour fêter le nouvel an berbère et réclamer « l’autonomie régionale kabyle » et « dénoncer l’agression honteuse (contre les chrétiens, NDLR) et exprimer notre attachement à la liberté de culte ». Les autonomistes sont sortis renforcés des procès de convertis que ce soit à Aïn El Hammam ou à Larbâa Nath Irathen.
Face à la police des mœurs, encline à sévir contre des jeunes pour les contraindre à respecter l’observance du carême durant le mois de ramadan, le mouvement nationalitaire kabyle prône un déjeuner public de non jeûneurs à Tizi-Ouzou. On est au ramadan 2013, l’appel à défendre la liberté de conscience est entendu. Des centaines de personnes sont venues boire et casser la croûte sous les flash-photos. Une première dans le monde musulman. Tacticien à souhait, le MAK parvient toujours à sortir du lot même si l’action est initiée par des personnalités (dont son président) plutôt que par l’organisation elle-même. Sa visibilité est rendue possible grâce à son action durable sur le terrain, palpable du reste depuis plus d’une dizaine d’années au moins, laissant au RCD et au FFS le soin de ronger comme des os pourris, les élections législatives et municipales. La suite des événements montre que les tentatives répétées pour réislamiser la société kabyle n’ont pas eu l’effet escompté. Bien entendu les islamistes avec barbes et kamis sont présents en Kabylie, leur poids demeure cependant insignifiant. Mais il y a bel et bien un face-à-face entre berbérisme et islamisme, lequel a remplacé le clivage berbérisme-arabisme, qui dans le fond se rejoignent. Ce face-à-face se déroule à ciel ouvert. Ainsi après l’affront du carême rompu, l’ancien dirigeant du Front islamique du salut (FIS), Ali Belhadj, accompagné d’une assemblée de clercs, est venu sur les lieux mêmes où l’on avait quelques jours auparavant dénoncé l’inquisition de l’Etat, pour condamner les agissements des « impies ». Mais ce monsieur qui se présente en Kabylie en tant qu’islamiste ou missionnaire, est vu par les Kabyles comme un « Arabe ».

Le panberbérisme makiste.
On l’attendait moins sur le terrain du panberbérisme, et pourtant c’est la prouesse réalisée par le mouvement indépendantiste, lequel a réussi à convaincre Kameleddine Fekhar, défenseur de l’identité et de la culture mozabites, de la nécessité de revendiquer pour le Mzab, le droit à l’autonomie. Le 20 avril 2014, les deux hommes ont présidé un rassemblement sur le Parvis des droits de l’Homme à Paris, en présence de Yella Houha, fondateur du Mouvement autonomiste chaoui (MAC), une organisation moins bien connue. On le voit bien, s’étant libéré des contraintes dont sont hantés les partis « kabyles » à vocation nationale, le MAK est allé jusqu’à se déployer en dehors des limites territoriales qu’il s’était fixées. Au nom de la laïcité et de la solidarité berbère, il prend la défense de la minorité mozabite, adepte de l’islam ibadite et sur laquelle pèse un ethnocide d’autant plus dangereux qu’il est soutenu par la bourgeoisie parasitaire. Le MAK a adopté la même attitude par rapport au conflit qui oppose les touaregs (autre groupe berbère) à l’Etat malien et ce, en soutenant les rebelles du MNLA. Il devient clair que le courant indépendantiste en Kabylie caresse l’espoir de redessiner la carte géopolitique de l’Afrique du Nord.

Le MCB ou l’héritage maudit.
Il n’a pas échappé à certains le fait que le sigle MCB dont on n’entend plus parler depuis la fin des années 90, est réapparu cette année à l’occasion de la célébration du 20 avril. Un groupe d’anciens militants de ce mouvement a signé en effet un appel à une marche pour revendiquer l’officialisation de tamazight. Tout porte à croire que l’initiative avait pour motivation réelle de faire écran à la marche à laquelle avait appelée le MAK pour le même jour.

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Saïd Sadi, fondateur et ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (elwatan.com)

Le MCB est à l’origine un regroupement informel d’intellectuels militants dont l’action a trouvé un écho retentissant auprès de la masse de la population kabyle. L’université de Tizi-Ouzou, fut le fer de lance de ce mouvement qui devait soulever la question berbère en Algérie. Il fut le premier mouvement social d’importance après l’accession du pays à l’indépendance. Il révéla l’ampleur de l’adhésion populaire à la revendication de la culture amazighe. Le MCB est crédité d’être aussi l’une des premières nébuleuses politiques à être approchées par le pouvoir au lendemain des émeutes sanglantes d’octobre 1988. A en croire des sources proches de ce mouvement citées du reste par l’historien Alain Mahé, le général Larbi Belkhir, chef de cabinet de la présidence avait pris contact avec quelques personnalités du MCB dont Saïd Sadi, futur dirigeant du RCD, lequel avait fait entre 1978 et 1982 un passage dans le parti d’Aït Ahmed du temps de la clandestinité et Hachemi Naït Djoudi, qui deviendra, après sa légalisation secrétaire général du FFS entre 1989 et 1991. Toujours est-il que le MCB constitua un enjeu de taille au cœur de luttes, que ce soit pour la constitution du RCD ou la relance du FFS que la clandestinité avait réduit à une structure presque vide. Aussi ceux qui avaient convoqué les assises du MCB, – Saïd Sadi et ses amis – furent-ils en réalité ses fossoyeurs, car les fameuses assises qui se tinrent en février 1989 à Tizi-Ouzou, durent accoucher du RCD. Entre le nouveau parti et le FFS, ce sera désormais une course contre la montre en vue du contrôle du MCB, qui représente le seul cadre à même de procurer la légitimité politique en Kabylie. En janvier 1994, le RCD mis en place le « MCB-coordination nationale », ce qui poussa le MCB alors proche du FFS d’adopter l’appellation « MCB-commissions nationales ». Quand le mot d’ordre du boycott scolaire sera lancé à la rentrée scolaire 94-95, il se passera à peu près neuf mois avant que les autorités décident d’installer le Haut-commissariat à l’amazighité (HCA). Entre temps, Ferhat Mehenni, alors dirigeant du MCB-coordination nationale est poussé à la porte de sortie du fait d’un désaccord avec Saïd Sadi quant à la gestion du boycott. Au final si le HCA s’attèlera très vite à introduire la langue berbère dans le système éducatif algérien, il n’en absorbera pas moins une partie des militants du MCB. Nombre d’entre eux fourniront les effectifs enseignants, tandis que d’autres s’investiront dans des projets éditoriaux de livres berbères, ou dans le cinéma et la télévision d’expression amazighe. Le MCB soutient l’hypothèse que le peuple algérien est formé d’Arabophones et de Berbérophones mais qui dans la majorité sont d’origine berbère. Il plaide pour un statut national et officiel pour tamazight. L’Etat algérien a beau jeu de reprendre à son compte la formulation du MCB, à savoir que le peuple algérien est majoritairement berbère, (ce qui est vrai d’un point de vue scientifique), mais il ne l’en assortit pas moins de l’énoncé implicite qu’il faut s’en tenir aux apports de l’arabe et de l’islam. Tous les chefs d’Etat depuis Chadli Bendjedid ont concédé : « Nous sommes des Berbères que l’islam a arabisés ». Il s’ensuit que pour le pouvoir algérien les Algériens sont des Arabes et des musulmans. Si l’Etat insiste sur le fait que la composante berbère de l’identité algérienne est un patrimoine qui appartient à tous les Algériens, c’est pour empêcher une région ou une partie du peuple de se prévaloir du monopole de la berbérité. Justement le MAK met en pièces ce système conceptuel sur la berbérité en considérant le peuple algérien comme un peuple composé d’Arabes et de Berbères. Dans le peuple algérien, il ne s’y voit déjà plus. Le peuple kabyle est opposé au peuple arabe, les Mozabites, aux Châamba arabes, les Chaouis aux Arabes de l’Est, etc. C’est une vision qui découle d’une essentialisation de la race ou d’une ethnicisation à même de trouver un écho dans le régionalisme qui traverse la société algérienne. Mais cette conception a des conséquences dissolvantes pour l’Etat-nation. Le pouvoir central algérien aura maille à partir avec une revendication circonscrite à l’ancien territoire des Zouaouas (tribu Kabyle du Djurdjura) et à la partie occidentale de celui des Kotamas (tribu Kabyle des Babors), formant un ensemble très individualisé dont l’origine remonte au moins aux temps médiévaux.
Tout compte fait, la résurrection du MCB parait donc plus relever du mythe que d’une donnée concrète. Depuis le Printemps noir de 2001, la Kabylie entretient des rapports de véritable rupture avec l’Etat central. Le courant autonomiste n’aurait pu s’y ancrer s’il n’avait pas trouvé un terrain fertile. On peut dater les premières velléités autonomistes aux affrontements violents ayant suivi l’assassinat en 1998 du chanteur Matoub Lounès. Trois ans après, c’est au tour des âarouch d’entretenir une situation de violence permanente avec sa plate-forme d’El Kseur « scellée et non négociable ». Si ces derniers n’ont pas explicitement réclamé l’autonomie régionale, il n’en reste pas moins que dans les faits ils se sont conformés à son esprit. Ils ont exigé le départ de la gendarmerie, perçue comme une force d’occupation, comme ils ont « rejeté » toute élection qui se déroulerait sur le territoire de la Kabylie. Les évolutions en cours attestent de l’accentuation de la singularité kabyle. En plus de sa fête « nationale » qui est le 20 avril, la Kabylie sous l’impulsion du MAK célèbre depuis au moins quatre années le jour de l’an berbère qui correspond au 12 janvier. Des marches sont organisées pour marquer cet événement, ce qui encore détache la Kabylie du reste du pays. L’emblème algérien tend de plus en plus à s’effacer au profit du drapeau berbère, qu’on brandit dans les manifestations publiques et sur les gradins des stades quand joue la JSK (Jeunesse sportive de Kabylie), l’équipe fétiche de la région (4). Le mouvement séparatiste à vrai dire multiplie les occasions pour cristalliser la conscience identitaire collective, dès lors que la conscience ethnique renforce la conscience politique. De ce fait le pouvoir d’Alger est de plus en plus soumis à rude épreuve. Célébrée, la kabylité est adossée, outre à la laïcité, à l’occidentalisme qui prend ainsi le contre-pied de l’arabo-islamisme. Passons sur le fait que l’amitié avec Israël est exaltée. Point n’est donc besoin d’expliquer que l’adoption par les Kabyles des caractères latins pour transcrire le tamazight, contrairement à ce qui a été dit à ce sujet, n’est pas d’ordre purement technique mais bel et bien d’ordre idéologique.

De la question berbère à la question kabyle.
Mais les difficultés sont à venir. Le 20 avril de cette année a été entaché par la tuerie en Kabylie de soldats de l’armée nationale populaire. Ce qui augure de dérapages vers un conflit sécuritaire, ce qui est de nature à pousser le courant indépendantiste à entrer en concurrence avec le détenteur de la violence légitime. Le terrorisme en Kabylie opère depuis le Printemps noir, c’est-à-dire au moment où il s’était tu dans le reste de l’Algérie. C’est un fait connu que la bourgeoisie compradore est prompte à instrumentaliser le terrorisme pour criminaliser tout mouvement de contestation qui la met en danger.
Bientôt le pouvoir algérien sera appelé à répondre plus constamment à des actes qui passeront à ses yeux comme des actes de défiance à son égard. Le parti de Bouaziz Ait Chebib (n°1 du MAK) est sur le point de faire élire le drapeau kabyle. Les électeurs kabyles à travers une opération inédite sont conviés à choisir le drapeau de leur nation parmi plus de 80 spécimens. La proclamation du drapeau national kabyle est prévue le 14 juin prochain, à l’occasion baptisée « journée de la nation kabyle » en référence à la marche des âarouch de 2001 qui avait drainé plus de deux millions de manifestants à Alger.
En définitive la promotion de tamazight en langue nationale n’a pas réglé la question berbère en Algérie. Elle s’est même mutée en question kabyle. Avec le recul, on se rend compte que la constitutionnalisation en 2002 de cette langue fut une concession visant à désamorcer l’insurrection des âarouch et à maintenir en l’état le système politique en vigueur. L’Etat a fait le contraire de ce qu’il a laissé entendre. Il a régionalisé la langue berbère, en veillant à ce que son enseignement (toujours facultatif) ne déborde pas le pays kabyle et ne s’implante pas à Alger où pourtant il y a une forte demande sociale. L’Etat a, lui-même, fait le lit du MAK. Quand Mouloud Hamrouche dit que nous avons affaire à un pouvoir anti-national en faisant allusion aux trois compartiments qui le composent (DRS-présidence-les généraux) il insinue par là que la dislocation de l’Algérie n’est pas seulement un mythe.

Notes :

1. Nous distinguons la bourgeoisie compradore de la bourgeoisie industrieuse, productrice de richesses. Issad Rebrab, fait partie en Algérie de cette dernière même si au départ il a bénéficié d’un coup de pousse qui lui a permis de bénéficier d’un prêt bancaire. Lors des émeutes dites de « l’huile et du sucre » de janvier 2011, un bras de fer s’était engagé entre les deux bourgeoisies, il s’est soldé par la victoire de la compradore qui a fait revenir le gouvernement sur sa décision d’imposer un impôt aux importateurs ainsi qu’un contrôle draconien sur leur activité.

2. La presse algérienne a fait état d’un deal qui aurait été secrètement conclu en 2011 entre le pouvoir et le FFS au moment où les manifestations de rue se multipliaient à Alger dans la foulée du « printemps arabe ».Ce fut l’époque où l’on chassait les chefs d’Etat arabes tombés en disgrâce, et où déjà Zine El Abidine Ben Ali, Mouammar Khadafi et le raïs égyptien, Hosni Moubarak, avaient été déchus. Des ministres et des officiels algériens se sont alors empressés de déclarer à certains journaux que Bouteflika (bien avant qu’il ne soit terrassé par son AVC), n’envisageait nullement de briguer un quatrième mandat. Le pouvoir montrait des signes de faiblesse disait-on. L’ex premier secrétaire du FFS, Karim Tabbou qui avait été démis de ses fonctions à la veille des législatives de mai 2012, a relayé du reste, ces soupçons de contacts avec la présidence de la république notamment. Mais en octobre 2012, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait une résolution enjoignant aux pays ouest-africains de préciser leurs plans en vue d’une intervention militaire au Mali. Finalement le deal supposé entre le FFS et le pouvoir en place n’a pas vu de concrétisation sur le terrain, le parti d’Aït Ahmed n’ayant soutenu aucun candidat lors de la présidentielle de 2014, ni apporté une quelconque caution à la réélection de Bouteflika. Le FFS n’aurait-il pas une seconde fois été desservi par une conjoncture internationale défavorable, presque imputable à la même cause qui avait été à l’origine de l’échec de son mémorandum de 2001, à savoir l’impératif de lutter contre al-Qaïda ?

3. Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, Enquête sur les conversions en terre d’islam, Denoël, Paris, 2011.

4. A noter que le drapeau berbère actuellement usité en Kabylie est un drapeau panberbère. Formé de 3 bandes horizontales bleu, vert, jaune, avec au milieu, transcrite en rouge,  la lettre Z en tifinagh; il fut conçu vers les années 70 par l’Académie berbère fondée à Paris par le Kabyle Mohand Arab Bessaoud. En 1998 le Congrès mondial amazigh (CMA) l’a proclamé comme drapeau commun à tous les Berbères. Ce qui explique sa diffusion non seulement en Kabylie (et d’autres régions d’Algérie), mais aussi aux îles Canaries, au Maroc, en Tunisie, en Libye et chez les Touaregs du Mali.

Algérie, la présidentielle sous le scalpel à Paris

L’obsession du consensus ferait réélire Bouteflika selon des spécialistes

[Par Larbi GRAÏNE]  

 

Le président algérien  Abdelaziz Bouteflika. AFP PHOTO/FAROUK BATICHE

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika. AFP PHOTO/FAROUK BATICHE


 
L’élection présidentielle algérienne du 17 avril a été analysée au scalpel ce mercredi 2 avril à Paris lors d’une conférence-débat organisée par l’iReMMO (Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient)». Les trois co-animateurs de cette conférence sous l’intitulé «  Les enjeux des élections présidentielles algériennes », même s’ils ont divergé sur certains points, se sont toutefois accordés sur le fait que les « résultats du prochain scrutin sont connus d’avance ».
 
Akram Belkaid, journaliste et essayiste, spécialiste du monde arabe, a donné le ton sous sa double casquette de modérateur et de conférencier en avançant l’idée qu’« à priori les jeux sont faits même s’il y a beaucoup de théories qui circulent à Alger » avant de céder la parole à Farida Souiah, chercheuse à Sciences po Paris et chargée de cours à l’Université de Cergy Pontoise.  « Depuis l’annonce faite le 22 février 2014 par le Premier ministre Sellal concernant la candidature de Abdelaziz Bouteflika, l’état de santé de celui-ci a occupé et marqué les débats en Algérie, frappant ainsi de discrédit un système politique qui fonctionne avec un président invalide et inapte à assumer ses fonctions» fait observer d’emblée Farida Souiah. Elle s’est dit frappée en outre par le fait qu’on s’acharne « à faire des élections dont on connait les issues sans se soucier qu’elles soient démocratiques ». D’où son hypothèse fonctionnaliste selon laquelle les élections en Algérie n’ont pas pour vocation  de laisser le peuple disposer de son sort par la voie des urnes.
 
Election consensuelle
 
L’élection du 17 avril prochain explique-t-elle, est consensuelle, elle s’inscrit dans un rapport de continuité avec celles qui les ont précédées”. Souiah a remonté jusqu’à l’époque d’Ahmed Ben Bella, en passant par Houari Boumediene, Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual pour rappeler que toutes les élections qui avaient permis à ces hommes d’arriver au pouvoir, ont été consensuelles, et avaient été assorties de scores très élevés. « En Algérie, le consensus n’est pas une anomalie sociologique » analyse-t-elle.  Et d’ajouter que les scrutins qu’on y organise ne sont pas concurrentiels car les électeurs ne sont pas en mesure d’écarter les dirigeants qui leur sont proposés. « En un mot ce sont des élections dont les résultats sont connus d’avance » tranche-t-elle.  « On est dans un système de parti unique car le multipartisme adopté est un multipartisme « exclusionnaire », qui exclut les partis critiques et qui récupère les partis d’ornementation dans le but de crédibiliser le scrutin ».  Souiah fait remarquer du reste que sous le multipartisme les autres candidats en lice se sont vus attribuer des scores négligeables et que la crainte principale pour le régime reste l’abstention, ce qui le pousse à fournir des chiffres truqués. « Même si Wikileaks nous apprend rien, il a révélé que le taux de participation réel lors de l’élection de 2009 avait oscillé entre 25 et 30 % ». Et de noter  l’adoption de l’abstention comme comportement politique.  Alors quelle est la fonction des élections en Algérie ? Pour  Farida Souiah  « les élections peuvent servir de vanne de sécurité où on laisse s’exprimer l’opposition ainsi que les gens critiques,  mais non dans le but de changer l’ordre des choses ». Et d’ajouter elles peuvent aussi servir pour obtenir la légitimité internationale et la légitimité nationale en adoptant des processus populaires. « Ces élections note-elle nous révèlent le mécanisme de sélection des candidats ». Elle lance catégorique « si Bouteflika ne peut pas faire de discours, c’est que ce n’est pas lui qui gouverne ».
 
Evoquant les mouvements de protestation actuels, elle a laissé entendre qu’ils n’ont pas une grande portée. Pour elle, le mouvement Barakat est apparu dans certaines villes et s’est vu « reprocher de ne pas utiliser l’arabe et l’amazigh dans ses discours ». Le troisième intervenant, Nadji Safir, sociologue et consultant international spécialiste du Maghreb, a voulu se démarquer des analyses qui privilégient la prépondérance des mouvements sociaux sur les individus bien que ce qu’il a développé devait l’amener à une forme de contradiction.  « Ces élections ont un caractère tout à fait exceptionnel, si Bouteflika était en bonne santé, le scrutin aurait été banal, on est en présence d’un scrutin réellement exceptionnel qui fonctionne sur un mode virtuel où le Président candidat n’est pas en mesure de mener sa campagne électorale » a-t-il développé. Selon lui l’histoire n’est pas réductible aux mouvements sociaux, il faut prendre en compte la personnalité de Bouteflika.
 
Logiques rentières
 
Et d’énoncer « mon hypothèse, la voici : on ne peut comprendre ce qui se passe en Algérie si on ne parle pas des deux logiques qui travaillent la société, à savoir la rente historique (ou symbolique) et la rente économique ». « L’Algérie est devenue une économie caricaturale en ce sens que 98 % de ses exportations  proviennent des hydrocarbures. Le combat se déroule autour de la répartition des richesses. On est dans un système de « rentisation », Bouteflika lui-même est un rentier  à la fois historique et économique » décrypte-t-il. Pour lui la candidature de ce dernier « est le reflet d’un consensus rentier ».  «  Le comportement des hommes politiques a-t-il ajouté trahit leur inclination à la rente. Il a cité l’exemple de  Benflis, présenté comme principal rival du chef de l’Etat sortant, et qui, pendant la campagne électorale, aurait incité son public à ne pas croire les gens qui lui ont attribué l’intention, s’il venait à être élu président de la République, de faire rembourser  aux jeunes les prêts que leur a consenti l’Etat dans le cadre de l’ANSEJ.  Et Safir de relever qu’il y a en Algérie près de 10 000 émeutes par an, soit une émeute par heure non sans  mentionner que ces émeutes dans la majorité des cas n’appellent pas les dirigeants à rendre le tablier mais à respecter « le pacte rentier ». C’est-à-dire à fournir des logements, des routes, de l’électricité, etc.  Se référant à une étude internationale, qui établissait le baromètre des sociétés civiles, l’Algérie a-t-il dit s’était classée la dernière. Pour lui « les jeunes arrivent à vivre grâce à la solidarité familiale et à l’économie informelle. Selon son « estimation personnelle » il y aurait en Algérie, 5 millions de jeunes précarisés par rapport à l’emploi.  Toutefois il note « d’énormes transferts sociaux qui représentent 30 % du PIB ».
 
Faiblesse des mouvements sociaux
 
Revenant sur les protestations contre le 4e mandat de Bouteflika, Safir estime que les mouvements sociaux qui les portent n’ont pas d’ancrage « réel ». Pour lui « Barakat n’a pas réuni beaucoup de monde ». Néanmoins  il a estimé que les deux rentes (historique et économique) sont en train de s’épuiser. Dans le débat une voix s’est élevée « Qu’est ce que vous entendez par élection dont les résultats sont connus d’avance ? Est-ce que vous faites allusion à la victoire de Bouteflika ou de Benflis ? ». Akram Belkaid répond tout de go « le clan d’Ali Benflis est convaincu que l’élection est ouverte » Et d’enchainer « je crois que « Bouteflika n’accepterait jamais  de participer à une présidentielle dont il estime qu’il sortira le perdant ». Belkaid cite au passage, de l’air de dire qu’il n’y croyait pas trop, la thèse avancée par le sociologue Lahouari Addi, selon laquelle Bouteflika jouerait le rôle de lièvre lors de la prochaine joute.  Au monsieur qui demandait « qui gouverne l’Algérie ? », Nadji Safir a rétorqué mystérieusement en citant les paroles qu’aurait dites le Général de Gaule, à une personne « dont je préfère taire la question » : « vaste programme mon ami ! ».  Parlant de l’armée, Safir trouve qu’elle se caractérise par « une logique de corps ». Les retraités a-t-il dit gardent des liens très forts avec leurs camarades encore en fonction. Parfois ce sont les retraités qui s’expriment. Le Général Benhadid a pris la parole dans les médias au nom de ses camarades a-t-il rappelé.
 
L’autre question posée est celle se rapportant au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), parti qui vient d’opter pour le séparatisme après avoir revendiqué l’autonomie. Safir estime que « le MAK ne changera pas fondamentalement la donne ». Pour sa part, Akram Belkaid, trouve la revendication du MAK « choquante » tout en concédant qu’il peut « être entendu dans un contexte démocratique ». Il n’a pas caché sa crainte de voir  le pouvoir utiliser cette affaire  comme une carte de pression sur la société afin de se maintenir en place.  A la fin Safir, complétant sa thèse des deux logiques rentières, reconnait que le traumatisme laissé par la guerre civile des années 90 est un autre facteur démobilisant, qui empêche les mouvements sociaux à prendre pied.

 

 

 

T’es mal barré, p’tit frère blanc ! Et nous aussi !

[Par Djamaleddine BENCHENOUF]

 

Oui, t’es vraiment mal barré ! Et nous aussi ! Mais le pire est que tu ne le sais pas toi-même. T’as les yeux sur le guidon, ou plutôt sur l’écran qui te fourgue ton prêt-à-penser, ton prêt-à-bouffer, ton prêt-à-haïr, ce que doit être ta mode, tes idoles, tes émotions, et même tes boucs émissaires, en guise de soupape pour évacuer le trop plein qui pourrait faire péter le carcan où t’as laissé enfermer ton ciboulot.

om
Tu es là, la bouche ouverte, le regard hagard, les yeux rivés sur les images qui défilent, à absorber ta grosse portion de tartakon. T’es accroc, tu ne peux plus t’en passer ! T’as besoin de ta dose, que tu achètes sous des emballages divers et variés, télé, radio, journaux, internet. Les emballages foisonnent, ils pullulent, jusque dans ta boîte à lettres, dans ta boite mail, jusque dans tes sms.

 

T’es mal-barré mon gars ! Ta télé, ton téléphone, tes nippes, tes meubles, ta bagnole, et tout ce que tu as payé avec le salaire qu’on te consent, ils sont encore en bon état de fonctionnement, mais on te demande d’en changer, d’en acheter de nouveaux, dont on te dit qu’ils sont meilleurs, plus compétitifs, et tu fais ce qu’on te demande. Tu passes ton temps à courir après l’argent, pour pouvoir satisfaire ces étranges besoins qu’on t’inocule, tu travailles de plus en plus, et même que tu t’endettes, mais tu ne peux pas ne pas exécuter les ordres des magnétiseurs. Et eux, pour parer à toute velléité de ta part, ils font en sorte que tous tes bidules, et tous tes gadgets ne puissent pas fonctionner trop longtemps, même si tu le voulais. Alors ils les produisent de façon à ce qu’ils tombent en panne, et que pour les réparer ça te coûterait plus cher que d’en acheter d’autres tout neufs. Et tu marches ! Et même que tu applaudis à ton Président quand il te harangue de travailler plus pour gagner plus.

 

Tu pourrais travailler moins longtemps, prendre le temps de vraiment vivre, et consommer moins, sans que ça ne te rende moins heureux. Tu laisserais ainsi la place aux cohortes de chômeurs qui ne trouvent pas de boulot, et tu épargnerais un peu cette planète dont nous avons largement entamé le capital naturel. Mais malgré tes études, toute l’info que tu ingurgites par gros paquets, tu ne vois même pas qu’on a pillé les entrailles de la Terre, et pollué son atmosphère. Mais non ! Tu ne vois ni n’entends. Ce n’est pas de ta faute. T’as pas le choix, tu es sous contrôle, et on veut que tu détruises le monde où tu vis. Et tu fais ce qu’on te dit de faire.
T’es mal barré p’tit frère blanc ! Tu n’as besoin que d’une petite quantité de viande, ou même pas du tout, mais on t’en fait bouffer des quantités énormes, venues d’animaux qui sont élevés dans des conditions atroces. On t’empiffre de l’angoisse de pauvres bêtes qui sont bourrées aux hormones et aux antibiotiques, qui sont privées de l’affection et du lait de leurs mères, qu’on fait grossir dans des espaces confinés, où elles pataugent dans leurs excréments, parfois sans jamais voir la lumière du jour.

 

Et tu ne sais même pas ce que cet élevage intensif génère de souffrances. Ni ce que ton MacDo coûte à l’humanité entière. Pour nourrir ces milliards de pauvres bêtes, il faut leur faire consommer 7 kilos de céréales et 16000 litres d’eau pour obtenir un seul kilo de viande. Et tu ne sais pas que c’est autant de céréales et autant d’eau qui auraient pu nourrir et abreuver les milliards d’êtres humains qui crèvent la dalle, et qui crèvent de soif. Juste pour que tu puisses bouffer 100 kg de viande par an.

 

Et tu ne veux même pas savoir ce qu’est la souffrance de la pauvre oie qu’on gave, pour qu’elle te donne ce foie gras dont tu te délectes. Tu ne sais même pas que tu manges le foie d’une bête obèse, qui a souffert toute sa vie, trois fois par jour, pour te donner un organe malade.
Et t’es là, p’tit frère blanc, à courir dans tous les sens, rêvant de posséder mieux que les autres, de consommer mieux que les autres, de pouvoir parader, pétarader, mettre la marque de tes nippes en gros, sur ton dos, pour qu’on sache qui tu es, ce que tu peux te permettre !
Sur l’écran de tes plus beaux rêves, ce ne sont plus que carrosseries rutilantes, Rolex et black-berry. Tu es malheureux de ne pas pouvoir te les offrir. Et quand tu les as, tu les montres, tu les hisses au sommet de tes pathétiques illusions.

 

Ceux qui te formatent, qui modèlent ta matière grise, qui dessinent tes rêves en kit, ont presque fini par se lasser de tant de docilité. Ils ont tout essayé avec toi, et tu marches à tout. Comme un seul homme. Tu ne résistes à rien. Alors eux, pour s’amuser un peu, et varier le plaisir, ils se sont mis à essayer sur toi des trucs complètement hallucinants. Ils ont été au bout du bout de leur imagination la plus débridée, pour espérer te voir enfin te cabrer, un tout petit peu, pas trop, pour pouvoir eux-mêmes retrouver de l’enthousiasme pour ce qu’ils font, et inventer de nouvelles méthodes pour te re-domestiquer, mais peine perdue. Tu gobes tout !
Tu as quand même obéi, comme un vrai zombie, à leurs suggestions les plus hilarantes. Ils t’ont inventé des modes de clowns pour marchés à bestiaux, et tu les as adoptées dans l’enthousiasme le plus délirant. Ils t’ont demandé de porter des pantalons à mi-fesses, des cordes en guise de slip, des chaussures à lacets qui pendent, des casquettes improbables, des couleurs de cheveux fluo, de te faire mettre des seins en silicone, et tu as dépensé tout ce que tu avais pour te mettre aux normes décrétées. Ils n’en sont pas revenus eux-mêmes, de ta fièvre acheteuse, de ta malléabilité.
Ils t’ont demandé de te tatouer, de te mettre des boucles d’oreilles, des anneaux aux naseaux, et même des breloques sur le sexe. Tu l’as fait !

 

Ils t’ont dit de gribouillis que c’étaient des œuvres d’art, et tu t’es extasié. Ils t’ont ordonné de considérer du bruit comme le nec plus ultra de la musique, et tu as obtempéré, d’aller faire du tourisme dans des bateaux-ville, et tu as pris ton appareil photo pour t’immortaliser dans les grandes surfaces de la croisière de masse, pour bétail humain. Ils t’auraient suggéré de balancer ta mère dans la flotte que tu l’aurais fait.

 

Eux-mêmes, ces gens qui agitent tes ficelles, ne savent plus pourquoi ils font tout ça. Ils ont oublié, puis la machine s’est mise à tourner toute seule, ou presque. Eux-mêmes sont devenus des marionnettistes-automates, dont d’autres marionnettistes tirent les ficelles, dans une chaine infinie de manipulateurs qui manipulent des manipulateurs, qui manipulent des manipulateurs.

 

Ils savent confusément que cela leur donne le pouvoir sur toi, mais à la longue, ils ont acquis le sentiment qu’avoir le pouvoir sur toi, où sur les poulets de batterie qu’ils engraissent pour toi, c’est presque kif-kif.

 

Ils auraient voulu que tu résistes un peu, pour mettre du sel dans la fadeur de leur sale boulot. Mais la dose était trop forte, et il n’est plus possible de la réduire. Tu casserais la baraque. Tu ne te révolteras contre rien, contre aucune injustice, aucune oppression, pas même contre la destruction inexorable de ta propre planète, mais si jamais ils décidaient de te ramener à plus de conscience, parce qu’ils se rendent compte maintenant qu’ils sont allés trop loin, et qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont eux-mêmes assis, alors là tu te rebifferais.
Tu es devenu un esclave shooté à son propre esclavage. Un esclave accro à ses chaînes. Pas question pour toi de te libérer, ni même de te faire libérer malgré toi. Tu deviendrais incontrôlable. Alors, ils continuent ! Et même qu’ils multiplient ta dose, parce que celle que tu as ne te suffit plus, et parce qu’il faut l’augmenter chaque jour.

 

T’es mal barré p’tit frère blanc ! T’es mal barré ! Et nous aussi ! Et le comble du comble, et que non seulement tu ne mesures pas l’état déplorable où tu as été mis, mais qu’en plus, tu l’ériges en valeur suprême, et tu es révolté, oui, oui, révolté, au plus profond de toi, que les autres peuples n’aient pas pu se hisser au niveau de ta déchéance, à ce que tu crois être des valeurs suprêmes.

 

T’es mal barré, mon gars ! Paumé, halluciné, mais non moins béat d’admiration pour l’image que renvoie de toi-même ton miroir déformé. Tu ne sais même pas que tu n’es plus qu’un mouton carnivore, bouffeur de saloperies innommables, au milieu d’un troupeau qui a perdu le sens même de son humanité, qui a dilapidé l’héritage immémorial que ses ancêtres lui ont si généreusement légué, de valeurs créées de haute lutte, contre la barbarie, les instincts premiers, les penchants malsains. Tu t’es délesté, avec le sentiment que tu t’en es libéré, de ce qui faisait de toi le fruit d’une civilisation.

 

Tu n’as plus que mépris pour le mariage et la famille. Pour toi, il n’y a plus que les péquenots qui se marient, et les bobonnes qui font des gosses. Pourtant, tu es particulièrement indigné que quiconque puisse se poser des questions sur le mariage entre gens d’un même sexe, où l’adoption d’enfants par ces couples.

 

T’es mal barré, p’tit frère blanc ! Et nous aussi ! Tu prétends être un citoyen vigilant, et tu ne vois pas que même ton vote est orienté, qu’on te dit pour qui et pourquoi voter, que ta démocratie n’est qu’une grosse farce enrobée d’oripeaux fallacieux, que c’est l’argent, et seulement l’argent qui sert de trébuchet, pour décider qui sera ton représentant, et qui sera ton dirigeant.
Tu crois qu’ Internet est une libération, un pouvoir qui a échappé à ceux qui l’ont conçu et vulgarisé. Dans le meilleur des cas, quand ta conscience balbutie, et qu’elle parvient à émerger, le temps d’un battement de cils, des couches successives de cendres et de mensonges où elle a été ensevelie, tu crois qu’Internet sera le recours contre l’Empire qui te domine, contre sa presse, ses politiciens et ses banquiers. Peuchère ! Tu ne vois même pas qu’Internet n’a été inventé que pour t’attacher encore plus serré dans la toile où tu as été pris.

 

Maintenant, avec Internet, tout ce que tu émets de pensée, serait-ce un bêlement, est stocké dans l’espace qui t’a été personnellement aménagé. Tout ce qui te concerne, y compris ce que disent les gens de toi, est quelque part, archivé, agencé avec une technique imparable, en attendant d’être utilisé, si le besoin s’en fait sentir.

 

Il ne manque plus que de te marquer, de te mettre une puce électronique sous la peau, ou dans la tête, pour te pister, pour savoir même dans quel état de santé tu te trouves, et ça ne saura tarder. C’est déjà dans les tablettes.

 

Mal barré, p’tit frère blanc ! Mal barré ! Et nous aussi !

 

Tu te prétends humaniste, progressiste, altermondialiste, et tous ces trucs passés de mode, mais tu ne veux même pas entendre parler de ces milliards de gens qui sont marginalisés, dans leurs pauvres pays de là-bas, les noirs, les gris, les basanés, les bridés, les crève-la-dalle !
Tu as bien voulu qu’on te les importe, à un certain moment, pour qu’ils bâtissent ta maison, ton métro, tes routes, pour qu’ils vident tes ordures, faire les sales boulots dont tu ne veux pas.
Quand ils sont arrivés chez toi, tu les as parqués dans des cités à part, tu as mis la misère avec la misère, l’ignorance avec l’ignorance, dans des quartiers qui ne disposent que du minimum de mobiliers et de services urbains. Des quartiers sans boulot, sans considération, que tu fuis comme la peste. Que tu nommes Les Quartiers, ou Les Cités, comme du temps béni des colonies, quand on disait les Villages nègres.

 

Et si d’aventure un de ces esclaves d’esclaves s’aventure dans tes quartiers à toi, tu le toises de haut, comme s’il te polluait l’air que tu respires. Et lui, l’immigré, même s’il a pris ta nationalité, même s’il rase tes murs, même si lui aussi est devenu comme toi, drogué par vos maîtres communs, il se ressent un peu comme un privilégié, quand il pense à ceux de ses frères qu’il a laissé au bled, pourrir sur pied, dans une indicible misère. Sa plus grande joie, et sa seule satisfaction, est quand il rentre une fois l’an, au bled, pour écraser de sa superbe, et de son français à peu près châtié, et tout à fait châtré, ses anciens compatriotes et désormais blédards. Chacun a les indigènes qu’il peut !

 

Oui, au fond de lui il voudrait tellement que tu l’adoptes, que tu lui donnes un tout petit chouiya de respect. Il a tout essayé pour faire partie de ta société, pour être accepté, avoir un peu de considération, non pas de la part de tes propres maitres, mais de toi, parce qu’il pensait que lui et toi vous aviez un sort commun d’esclaves. Mais sa couleur de peau, sa religion, son accent, ses coutumes ancestrales, qu’il ne peut pas, du jour au lendemain, jeter par-dessus l’épaule, et surtout le conditionnement que tu as subi, pour l’exclure, le mépriser, et même le haïr, ont creusé un fossé infranchissable entre toi et lui. Au point où il n’a même pas la possibilité d’avoir un boulot comme toi, pour pouvoir, comme toi, entrer dans la logique de consommation de tes maitres et des siens. Il faut bien qu’il y ait des populations pour manger les restes des esclaves, pour recevoir leur aumône, porter leurs fripes, fouiller dans leurs poubelles.

 

Parmi ces damnés de chez Damné, certains ont tout fait pour forcer la chatière, la porte de la niche, resquiller le petit strapontin.

 

Ils ont occidentalisé leurs prénoms, voire même les noms de leurs ancêtres, ils se sont mis à parler votre langue avec leurs propres enfants, à adopter vos mœurs, à célébrer vos fêtes, à vous singer jusque dans vos mimiques, à mépriser leur propre communauté, parce que ça les rassurait, dans leurs efforts pathétiques de vous ressembler. Mais peine perdue. Ils sont restés à l’orée de votre estime, et ils se sont mis en dehors de leur communauté. Le cul sur deux chaises, ils sont là, ne sachant même plus qui ils sont.

 

D’autres, aigris, révoltés, la haine en bandoulière, ont cru ne pouvoir retrouver leur dignité qu’avec leur retour à une identité perdue. Ils ont alors adopté des attitudes ouvertement hostiles. Ils se sont rappelés qu’ils étaient musulmans, et ils ont cru que revenir à leur identité-source, c’était s’accoutrer comme des bédouins, se parfumer d’ambre synthétique, à faire tomber les mouches, c’était de décréter le djihad tous azimuts, entre taf de shit et prédication sur la façon d’entrer ou de sortir des toilettes.

 

Ces gens ont été une aubaine pour vos marionnettistes. Du pain bénit ! Ils ont été les meilleurs atouts, l’argument inespéré, pour attiser votre haine latente contre l’autre, ils ont été les épouvantails idéaux pour agiter les peurs, semer la confusion, entretenir un climat d’angoisse propice au contrôle des masses.

 

Et tu n’as pas d’idée, p’tit frère blanc, et on fait tout pour que tu ne le saches pas, jusqu’à chercher à te faire ingurgiter le concept de colonialisme positif, que si ces gens-là viennent chez toi, de plus en plus nombreux, c’est parce que ton pays a colonisé le leur, qu’il l’a vampirisé, qu’il a réduit ses populations à l’ignorance, à l’hébétude. Il a pompé leurs richesses, sans lesquelles vous n’auriez jamais atteint un tel niveau de prospérité, si tant est que votre succédané de paradis peut être qualifié de prospérité.

 

Et ce que tu feins d’ignorer, p’tit frère blanc, ou qui ne t’intéresse pas, c’est que même après la décolonisation , tes dirigeants ont tout fait, et souvent étouffé des crimes et des carnages, pour placer des despotes à leur solde, à la tête de ces pays, pour continuer à les exploiter, à les vider de leurs richesses. Et non seulement, ils protègent ces tyrans, mais ils vont jusqu’à tout faire pour empêcher que leurs peuples s’en libèrent.

 

Lorsqu’à la suite de circonstances extraordinaires, et tout à fait confidentielles, et pour cause, puisqu’elles cachent de bien sombres desseins, ils jouent aux sauveurs des peuples, en intervenant militairement pour abattre les régimes qu’ils ont eux-mêmes installés, et qui ne sont plus dans leurs bonnes grâces, souvent pour des raisons inavouables, il ne faut surtout pas douter que ce n’est certainement pas pour le bien de ces peuples opprimés qu’ils le font. Ça se saurait !

 

Aujourd’hui, si des milliards de gens du sud ne rêvent que d’émigrer dans vos paradis artificieux, ce n’est pas par plaisir masochiste de s’arracher à leurs familles, à la terre de leurs aïeux, de se jeter sur les routes amères de l’exil, de s’exposer aux brimades, au racisme, à l’exclusion.
C’est juste qu’ils n’ont pas le choix.

 

C’est juste parce qu’ils rêvent de ce qui est vraiment un eldorado pour eux, dans vos pays où les gens mangent à leur faim, où il y a de l’eau qui sort des robinets, où il y a de la lumière quand on appuie sur un bouton, où même les poubelles regorgent de nourriture qu’ils n’imaginaient même pas en rêve.

 

Pourtant, et c’est tout le problème, c’est de leurs malheureux pays, du moins en grosse partie, que vient cette prospérité de cet occident qui les attire comme des phalènes fascinés par la flamme qui leur brulera les ailes.

 

Le processus est enclenché. Il va aller crescendo désormais. Et il sera difficile de le contrôler. Parce que ces milliards de gens qui croupissent dans la misère et l’oppression, dans leur pays respectifs, ne rêvent que de venir dans cet occident de Cocagne. Ils n’ont plus le choix, puisqu’ils meurent de faim, de maladies d’un autre âge, d’une violence barbare. Vous aurez beau tout faire pour les en empêcher, ils déferleront sur vos pays, et rien ne les arrêtera. Parce que dans leur esprit c’est de l’enfer qu’ils vont s’échapper, pour rejoindre l’Eden. Les graves troubles qui menacent d’exploser un peu partout dans ces pays de misère vont accélérer et amplifier les flux migratoires. Bientôt, les clandestins ne se compteront plus.

 

Une solution existe pourtant, P’tit frère blanc, une solution juste, juste humaine. C’est que tes dirigeants et tes garde-chiourmes comprennent enfin que leur penchants esclavagistes vont maintenant se retourner contre eux, après avoir broyés des milliards et des générations entières d’êtres humains.

 

Ils ont pressuré ces pays pendant trop longtemps, ils les ont saignés à blanc.
Le temps est venu de laisser ces peuples profiter de leurs propres richesses, de ne plus soutenir leurs despotes, de ne plus encourager la grande corruption qui y fait rage, de ne plus pomper les cerveaux que ces pays ont formés au prix de grands sacrifices.
Le meilleur moyen, cher frère p’tit blanc, est que nos populations restent chez elles. Que tes dirigeants arrêtent de les exploiter, et d’imposer à leurs têtes vos caporaux, maréchaux de pacotille et autres présidents à vie.

 

Mais cela ne suffira pas ! Tes dirigeants ont profondément dévasté ces pays, mis à mal leurs équilibres vitaux. Ils leur ont maintenu trop longtemps la tête sous l’eau. Ils ne pourront pas s’en sortir tout seuls .
Il faudra les aider, construire avec eux des relations fraternelles, de peuples à peuples.

 

Le temps est peut-être venu, p’tit frère blanc, que non seulement tu secoues tes propres chaînes, mais aussi que tu demandes à tes dirigeants d’arrêter de nous pomper le sang, s’ils ne veulent pas que nous déferlions sur vos terres. Elle est bien gentille la Marine, d’agiter le bonnet phrygien, et de hurler haro sur le baudet, de nous tomber dessus à couilles rabattues, de chercher à tous nous bouter hors de ses terres. Mais qu’elle commence à regarder le passé de son pays dans les yeux, à faire la part des choses, à mesurer tout le mal qui nous a été fait, et si elle est douée de la plus petite conscience, à réfléchir aux moyens de réparer ce qui a fait de nous des mendiants qui toquent à la porte de ceux qui ne veulent pas de nous, après avoir construit leur maison avec nos deniers et notre sang.

 

Tes dirigeants, p’tit frère blanc, sont la cause première et essentielle de l’état dans lequel ces pays du sud se débattent.

 

En Algérie, aujourd’hui même, Hollande, Ayrault et Cie, en plus des nombreux requins qui fraient dans les eaux troubles du régime, sont partie prenante, voire complices, dans une farce de quatrième mandat pour un mourant, parce que non seulement son clan arrange leurs affaires, mais qu’en plus il sait glisser de belles enveloppes dans certaines poches.
A cause de cette grosse arnaque, où la France officielle joue un rôle très pesant, voire décisif, l’Algérie pourrait entrer dans une spirale de violence que je n’ose même pas imaginer. Une tragédie qui pourrait coûter très cher au peuple algérien, et pousser un grand nombre de gens à traverser la méditerranée.

 

Auquel cas, nous serions tous mal barrés ! Toi, comme nous !

 

J’espère que cette longue lettre que je te fais t’aura un peu sorti des vapes subliminales où tes garde-chiourmes t’enfoncent chaque jour, mais si ce n’est pas le cas, c’est que tu es vraiment mal barré frère p’tit blanc. Et nous aussi ! Nous surtout !

 

 

Algérie: Bruits de bottes et chuintements de babouches…

[Par Djamaleddine BENCHENOUF]

 

Un Président qui a fait trois mandats successifs, après un viol de la Constitution. Il a subi un grave accident cérébral, qui l’a privé de ses facultés cognitives, et même de son discernement. Tout a été fait pour ne pas cacher son état, pour que tout le monde le voit dans une situation pathétique. Il ne s’est pas publiquement exprimé depuis deux ans. Il ne reconnait même pas sa propre famille. Il est pourtant imposé au peuple algérien pour un quatrième mandat. Comme si une force tapie à l’ombre du pouvoir avait mis en place un bien étrange scénario.

 

Abdelaziz Bouteflika, président algérien (Crédits photo :  http://www.republicoftogo.com/)

Abdelaziz Bouteflika, président algérien (Crédits photo : http://www.republicoftogo.com/)

 

A y penser sérieusement, cette histoire de 4ème mandat de Bouteflika n’est pas seulement un incroyable  mépris pour tout un peuple, elle est surtout une démarche résolument suicidaire, de tout un régime, qui avait pourtant toute latitude pour faire élire qui il veut, comme cela a toujours été le cas depuis l’indépendance du pays.
Et je dirais même plus, que qualifier cette hallucinante initiative de suicidaire reste en déça de ce qui risque d’advenir à ce pays, de l’explosion à fragmentation qui pourrait en découler, si rien n’est entrepris pour y remédier de façon légale.

 

C’est pourquoi je reste dubitatif, face à cette annonce d’un 4eme mandat. On aurait voulu créer une situation, pour pouvoir recourir à un remède de cheval, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
C’est bien pour cela que des doutes lancinants me taraudent, et que j’en arrive presque à toucher du doigt le complot qui se dandine au pas de l’oie, dans ses gros rangers.
Si nous ne parvenions pas à voir la grosse farce, c’est qu’elle était cousue de haubans fluo. Elle était tellement évidente qu’elle en est devenue aveuglante. A plus forte raison que ceux qui sont censés éclairer notre lanterne ne jouent qu’à nous faire des tours de passe-passe.

 

Le clan présidentiel n’a pas le choix !

 

Oui, il ne fait pas de doute que le clan de Saïd Bouteflika, y compris certains parmi les pontes militaires qui fraient dans le marigot, n’a pas eu d’autre choix que de se jeter à l’eau, lesté d’une vieille locomotive qui ne sifflera plus jamais.
Oui, ce clan, ou pour être plus précis, cette mafiocratie, ne pouvait pas s’offrir le luxe, qu’elle aurait vraiment souhaité pourtant, de rendre la clé du coffre, et d’aller, tranquilou, jouir du fruit de ses fructueuses rapines !

 

Oui, il n’aurait pas demandé mieux, puisque le butin amassé est tellement prodigieux qu’il ne serait même pas entamé d’ici quatre ou cinq générations !
Leur gros problème était qu’ils étaient faits comme des rats, sans aucune autre issue pour se débiner en douce, que de tomber dans les griffes de tous ceux qui les attendent au tournant, une foule de fauves, sans compter tous leurs propres pique-assiettes, qui seront les premiers à leur tomber dessus, parce chez ces clients-là, c’est « le roi est mort, à mort ceux qui n’ont pas su garder son pouvoir ».

 

Le clan régnant sait, sans l’ombre d’un doute, que cette fois-ci ne sera pas une traversée dorée sur tranche, d’un désert climatisé. Il sait que ce sera une implacable mise à mort, qu’il sera jeté en pâture aux foules versatiles, et que les plus acharnés dans son lynchage seront ceux qui entrent en transes aujourd’hui, quand ils acclament le grand malade, l’homme dont nulle femme n’a enfanté de pareil. Ils le savent, parce qu’ils l’ont déjà éprouvé.

 

Charybde ?

 

La grande énigme est comment et pourquoi les patrons de l’armée ont accepté de soutenir ce clan dans une démarche aussi outrancière, de se mettre la même corde au cou, lestée de la même locomotive réformée ?

 

Deux hypothèses s’offrent à nous, sans place pour une quelconque autre.
La première est qu’ils ont été sommés, de marcher dans cette bien étrange martingale, perdante-perdante, et qu’ils n’ont pas la possibilité de refuser de se plier à l’injonction qui leur a été faite, parce que la main qui les agite pourrait leur couper le sifflet. Ils traînent trop de casseroles, et leurs secrets ne seront bien gardés que s’ils sont dociles et laborieux .

 

La seconde est qu’ils sont eux-mêmes derrière une toile d’araignée de soie, qu’ils tissent de leurs gros doigts de soudards, pour y prendre la mouche qui tape à toutes les vitres et finir de tout avoir entre leurs pattes venues.

 

Scylla ?

 

Dans la première hypothèse, cela voudrait dure que la force extra-nationale qui anime la scène a décidé de syrianniser l’Algérie, peut-être même de l’isoler du Sahara utile, et d’en jeter le Tell dans une logique d’éclatement. Cela voudrait dure que l’appétit venant en mangeant, une certaine stratégie économique, couplée à des visées hégémoniques de reconfiguration de la région, il aurait semblé très opportun, en les circonstances, de renouer avec un passé, qu’on croyait révolu, d’impérator, qui redessine les frontières de son empire, pour pouvoir mettre en place des tailles plus profitables à sa manne. Une Algérie avec un Sahara aussi riche, élagué d’un Nord de rois fainéants, même pas capables de gérer une épicerie. L’aubaine est tentante. Ça ne pouvait que donner des idées à des gloutons restés sur leur faim, malgré les ripailles qui leur ont été servies avec une servilité qui ne pouvait qu’appeler au mépris, puis à l’avidité sans frein.

 

Dans la seconde hypothèse, des généraux algériens, embusqués dans le clan présidentiel ont piégé celui-ci, pour l’encourager à lancer l’initiative d’un 4eme mandat, pour un homme incapable de prononcer une seule phrase audible et intelligible. Ils savaient que le clan jouait sa survie, et qu’il se laisserait tenter, pour sauver sa peau. Ainsi, ils installeraient un climat insurrectionnel, comme ils savent si bien le faire, qu’ils sauront attiser, avec l’art consommé de la manipulation qui est le leur.

 

Puis, ils feraient relayer par leurs caisses de résonance l’idée que seule l’armée pouvait désormais sortir le pays de cette inextricable écheveau. Et là, dans leur costume de sauveurs de la république, qu’ils auraient ressorti du placard, ils arriveraient dare-dare, montés sur leurs étincelants destriers russes de la 8eme Division blindée, pour quadriller le pays, et prodiguer leur bienfaisant arbitrage.

 

La martingale se transformerait alors en gagnant-gagnant, puisque non seulement ils pourraient évacuer des associés compromettants, mais que surtout, ils auraient barre sur la suite des événements. Il ne leur resterait plus qu’à désigner le futur président élu, comme ils l’ont toujours fait, et tout rentrerait dans l’ordre, sans qu’’ils soient inquiétés le moins du monde, pour un sac auquel ils ont pourtant très largement contribué.

 

Une société orpheline d’élites, truffée de garde-chiourmes !

 

Même la donne inconnue de l’islamisme, qui pourrait générer des effets pervers pour eux, ne pourrait que les conforter dans leur fine combine, puisque ils deviendraient encore plus indispensables, autant pour ceux qui poussent des cris d’orfraie dès qu’ils entendent un chuintement de babouches que pour ceux de l’autre côté de la mer qui ont déjà éprouvé avec satisfaction leur compétence de tueurs d’islamistes. Autant dire qu’un retour des islamistes à la faveur de troubles bien cadrés, ne ferait que servir les maîtres du jeu, quels qu’ils soient. Soit pour cautionner la présence de la junte sur le tableau de bord, soit pour accélérer un éventuel processus de chaos contrôlé.

 

Les appels à l’intervention de l’armée, lancés par des personnalités politiques algériennes, et le bouillonnement de la société dite civile contre cette perspective du 4eme mandat tombent pile-poil avec ce qui semble être une savante orchestration. La situation a atteint un tel niveau d’outrance que les appels au coup de force en sont devenus des recommandations de salut public.

 

La meilleure preuve en est que l’Algérie aurait très pu faire l’économie de toutes ces veillées d’armes, et de  toutes ces gesticulations politiciennes. Il aurait juste fallu exiger du Conseil Constitutionnel qu’il entérine les procédures d’empêchement, comme le lui préconise la constitution du pays. Mais cela aurait grippé la machine à renouveler, encore et toujours, la mainmise du même régime, sur le même pouvoir, depuis que le pays est indépendant. C’est bien pour cela, malgré l’état de santé plus que défaillant du président, et malgré une clameur publique qui confine à l’émeute, aucune personnalité politique n’a évoqué le cas de forfaiture commis par le Conseil Constitutionnel, qui semble avoir été dissuadé, par les mêmes, de faire ce que ses prérogatives lui commandent.

 

Dans une société qui se distingue par une totale absence d’élites intellectuelles, où les partis qui activent mangent tous au râtelier du régime, où les intellectuels sont aux abonnés absents, où le plus gros syndicat du pays est devenu une association de boustifailleurs, où la presse est perfusée en manne publicitaire selon son zèle, c’est le sahara politique. En l’espace de quinze années, le régime a dilapidé plus de 700 milliards de dollars, pour transformer le pays en un immense bazar, pour se ménager des alliés naturels par millions, pour quadriller le pays de forces sécuritaires pléthoriques, c’est le désert de la politique et du civisme. C’est la jingle en folie, et à chacun pour soi !

 

C’est bien pour cela que les marionnettistes jouent sur du velours.

 

La machine est lancée ! Plus rien ne l’arrêtera !

 

 

Journée internationale de la Femme : Du Maghreb à l’Occident

[Par Larbi GRAINE, journaliste algérien – larbigra @ gmail . com]

 

Cette année l’ONU célèbre le 8 mars, journée internationale de la femme sous le slogan de « l’égalité pour les femmes, c’est le progrès pour toutes et tous ».  Outre son aspect rituel – rappeler ce que l’Humanité tout entière doit à la  gente féminine- le 8 mars est aussi une halte pour évaluer à l’échelle du monde les progrès et les régressions en la matière. C’est forcément le temps des plaintes et des rapports mondiaux sur la question. Et souvent, ce sont les Etats, investis par leur rôle de mauvais pères qui prennent pour leur grade car la mondialisation n’est pas encore parvenue à imposer le même statut de la femme partout dans le monde.  La femme est plus ou moins libre selon les cultures. A cette occasion, on aime à se référer à diverses agences spécialisées, qu’elles soient des organisations humanitaires ou même des structures de police dont on s’évertue à citer les chiffres relatifs au nombre de femmes violentées par leur mari, de victimes du harcèlement sexuel, des mariages forcés, de mutilation génitale, etc.

Photo prise par le site : http://euro-mediterranee.blogspot.fr/

Photo prise par le site : http://euro-mediterranee.blogspot.fr/

 

La cause des femmes progresse

 

Dérogeons un peu à cette règle pour dire  que, la cause des femmes progresse, et que sous des dehors de reculade, se cachent parfois des percées notables.  D’ailleurs ces statistiques souvent sont rendues publiques afin de mettre au pilori un gouvernement jugé trop répressif envers sa population. L’Egypte par exemple a dégringolé dans le classement en termes de respect des droits des femmes, dès lors qu’on avait compté les femmes qui ont été battues sur la place Tahrir dans ce que les médias appellent le Printemps arabe. Ces statistiques omettent par exemple de faire allusion aux tueries d’hommes comme si les femmes étaient les seules concernées par la violence. Or, c’est connu, il faut du temps pour que le fruit d’une révolution soit cueilli. Retenons plutôt l’appropriation par les femmes égyptiennes de la place publique et des réseaux sociaux. Les organisations humanitaires ne sont pas les seules à manipuler les statistiques. Les gouvernements pour des raisons diamétralement opposées font de même. Ils en usent et abusent pour la consommation interne et aussi pour séduire les instances internationales. Nombre de pays (ils sont parait-il 87 aujourd’hui) ont souscrit au principe des quotas des femmes au niveau du Parlement.  Mais souvent ces pays qui se targuent d’avoir tel pourcentage de personnalités féminines dans leur représentation nationale, ont conservé les mêmes mœurs et coutumes, en se gardant d’apporter tout correctif à la matrice idéologique à l’origine de l’asservissement des femmes. Souvent le Parlement en question ne possède aucun pouvoir législatif. Du fait  d’institutions démocratiques de façade, la femme se retrouve alors prisonnière du même système. L’Algérie illustre bien ce cas.  Quand Abdelaziz Bouteflika projetait de briguer un nouveau mandat, il a engagé une révision constitutionnelle qui introduisait une  disposition faisant obligation de faire représenter les femmes par un  système de quotas qui, à terme parviendrait à la parité hommes-femmes. Or concomitamment à cette mesure qui donnait pleine satisfaction à l’Occident, le pays connaissait une vague d’islamisation sans précédent, car d’un autre côté, le régime était soucieux de satisfaire  l’opinion interne. Il faut dire que les progrès ne découlent presque jamais d’actes volontaristes ou délibérés. C’est l’évolution économique, la diffusion des nouvelles technologies, les progrès de la scolarisation, le salariat qui créent de nouveaux rapports de force dans la société. Un exemple : Vers 2005, le gouvernement algérien avait instruit les banques à l’effet d’accorder des crédits aux  salariés (hommes et femmes) justifiant d’un certain revenu pour l’achat de véhicules. Les femmes dont un nombre impressionnant de jeunes filles ont alors souscrit à cette formule. Quelques temps plus tard on allait assister à un phénomène jamais vu auparavant. Des jeunes filles à bord de leur voiture personnelle viennent klaxonner au bas des immeubles pour prendre leurs copines avant  de partir en promenade et ce, même en fin de journées. Or ce privilège n’était pas longtemps l’apanage des seuls garçons dont les pères tenaient à mettre à leur disposition leur propre voiture.

 

L’islam politique  a des racines plus profondes

 

L’œil occidental a tendance à percevoir l’islamisation de la société maghrébine comme un mouvement religieux stricto sensu alors qu’il plonge ses racines dans un fond socioculturel très ancien qui puise ses valeurs dans le système patriarcal. La féminité au Maghreb est associée du reste à des valeurs ancestrales faisant référence au code de l’honneur et au prestige du lignage.

 

Certes les révolutions et les guerres créent les conditions du dépassement de l’ordre établi. On l’a vu déjà, que ce soit pendant la guerre d’indépendance algérienne ou pendant la seconde guerre mondiale comment les femmes en Europe vont gagner leur liberté en se retrouvant investies par de nouveaux rôles. En Europe, ce mouvement préfigurera d’ailleurs la révolution sexuelle des années 60 qui fera tomber en désuétude le tabou de la virginité qui soit dit en passant est toujours en vigueur sous beaucoup de latitudes, notamment au Maghreb et au Moyen-Orient.

 

Dans ces sociétés qui pourfendent l’individualisme, sont exaltées les valeurs inhérents au  collectif et au communautaire, de sorte que même l’homme est pris dans les rets de l’oppression sociétale. Certes l’homme a tous les pouvoirs, mais il en a moins lorsque par exemple il est célibataire. Le contrôle sexuel étant de mise, les relations hors mariage sont interdites. Il en résulte que l’homme qui demeure dans le célibat, se sentira tout aussi dans la peau d’un être mineur que la femme. S’il possède un chez soi individuel, il devient un danger pour le voisinage qui se croit en devoir de le surveiller. Lorsque parlant de la construction de logements, le chef de l’Etat algérien s’écrie qu’il ne veut plus entendre parler de F1, il ne fait que se ranger à l’avis de la majorité conservatrice pour qui F1 rime avec studio et tout ce que cela peut invoquer comme déviation par rapport à la norme.

 

La femme-démon

 

Lorsque l’on pense femme au Maghreb, on pense diable. Passons sur la filiation biblique avec le péché originel, qui valut à Eve et à Adam d’être chassés du paradis. Du reste la fascination pour la femme démoniaque garde tout son sens au plus fort des soulèvements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. La révolution tunisienne, ce n’est pas uniquement la chute de Ben Ali mais également de son épouse Leila Trabelsi que les chroniques locales ont décrite comme la véritable instigatrice de toutes les conspirations contre le peuple tunisien. Suzanne Moubarak, épouse du raïs égyptien n’a pas échappé au même procès. Femmes manipulatrices, vicieuses et malicieuses, ces reines déchues avaient tenu en laisse leur mari ! Dans la même veine, quoique plus tempérée, les médias français notent « le sens politique » de Carla Bruni  dans l’affaire des extraits choisis des enregistrements de Nicolas Sarkozy. « Sarkozy et Carla Bruni, entre mépris du peuple et vulgarité ? » titre le site d’information le Plus, Le Nouvel observateur.

 

Au Maghreb la femme ne vaut que par la famille

 

Le chanteur Idir déclame que la femme est une « bombe ». Pour la désamorcer, il faut diluer son individualité, la dissoudre complètement dans la famille. Quand on parle de famille, ça passe mieux  car ça alimente un imaginaire de la procréation, où la femme est parée de ses vertus de mère nourricière dont le destin se confond avec celui de ses enfants et de son époux. Point donc de femmes en dehors de la famille. En Algérie, le ministère chargé de gérer les affaires de la femme est dénommé Ministère de la Solidarité nationale, de la Famille et de la condition de la femme. Au Maroc, son équivalent est dénommé Ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du développement social. Mais celui de Tunisie se mêle de sport ! Il est dénommé Ministère de la Jeunesse, du Sport, de la Femme et de la Famille. Signe tout de même que le pays de Habib Bourguiba a une longueur d’avance sur ses voisins, un secrétariat d’Etat chargé de la Femme et de la Famille a été nouvellement crée. En France c’est plus simple : le département ministériel chargé de la même fonction s’appelle Ministère des droits des Femmes.  La détentrice du portefeuille, Mme Najat Vallaud Belkacem, également porte-parole du gouvernement, passe pour être la ministre la plus populaire du gouvernement français.

 

Le voile, c’est la voile

 

Vu du dehors les régimes politiques du Tiers-monde paraissent être les principaux obstacles à  l’émancipation des femmes alors que les choses ne sont pas aussi simples. Les pesanteurs culturelles sont telles que les Etats sont obligés d’en tenir compte. Les polices politiques s’y maintiennent d’autant plus durablement qu’elles ont développé la capacité de compréhension du système patriarcal dans lequel elles se positionnent en tant que tutrices veillant au bien être général. Ces polices y trouvent donc un terreau fertile  pour exercer la tutelle sur des populations qu’elles jugent immatures pour prendre leur destin en main.

 

L’œil occidental du reste ne distingue guère le foulard kabyle ou la capuche oranaise du hidjab. Tout est amalgamé sous un générique exotique. Si les femmes conduisent et vont au travail et se marient  elles le font selon des critères relationnels très anciens. Le voile traditionnel, aujourd’hui quasi abandonné au profit du hidjab, était jadis porté par les citadines et était la marque de l’aristocratie. Toute femme habitant la campagne devait arborer le voile en venant en ville. On le constate aujourd’hui, le hidjab est devenu l’habit qui permet à la femme maghrébine d’aborder la modernité. (Encore qu’il faille faire une autre lecture du voile dans les diasporas).

 

Or cette fameuse preuve de religiosité qu’est le voile pour les Occidentaux (pourtant métaphore de l’hymen et de la chasteté. Passons sur ses ramifications chrétiennes) ; est devenu au Maghreb, l’alpha et l’oméga d’une évolution inéluctable qui se fait tout de même en sourdine. Tout y est permis pourvu qu’on mette le voile (la voile ?).

 

 

 

 

Maladie du Président Bouteflika : La faiseuse de reines, le FLN et les autres

[Par Larbi Graïne, journaliste algérien]
larbigra @ gmail . com

 

La maladie du président Abdelaziz Bouteflika a dominé l’actualité politique en Algérie tout au long de 2013. Devenue star politique, l’infirmité du chef de l’Etat devait très vite faire écran au scandale de corruption qui éclaboussa son gouvernement, et à l’attaque du site gazier de Tinguentourine, suite à l’enlisement du conflit touareg aux frontières sud de l’Algérie. A la tête du pays depuis 1999, Bouteflika briguera-t-il un 4e mandat ?

Président Abdelaziz Bouteflika / Par lefigaro.fr - Crédits Photo : -AFP

Le Président Abdelaziz Bouteflika / Par lefigaro.fr – Crédits Photo : -AFP

Telle est la question qui ne cessait d’alimenter les colonnes des journaux. Les experts en communication du régime ont tout fait pour soigner l’image du Président malade. Les rumeurs le donnant pour mort au moment où il était soigné à l’hôpital du Val-de-Grâce en France, ont contraint les décideurs algériens de mettre le chef de l’Etat sous les projecteurs des caméras de télévision. Soigneusement filtrées, les images qui ont été prises ont fait le tour du monde. Elles montrent pourtant un homme profondément hagard et affaibli. Bouteflika apparait en robe de chambre affalé sur un fauteuil en compagnie du Premier ministre Abdelmalek Sellal, et du chef d’Etat-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah. On est le 12 juin 2013 et le Président n’avait plus remis les pieds dans son palais d’El-Mouradia depuis 47 jours. Ses médecins évoquent dans un premier temps l’AIT (accident ischémique transitoire), en d’autres termes une attaque cérébrale légère avant de se raviser en pointant un mal plus grave : l’AVC ou accident vasculaire cérébral. Bouteflika ne regagnera le pays que le 16 juillet 2013 après 80 jours mais pour apparaitre de nouveau sur les écrans assis sur un fauteuil roulant, le visage livide et les yeux perdus. Sitôt arrivé au pays, l’on annonce que le Président va poursuivre une période de convalescence. Or il ne restait à Bouteflika moins d’une année pour terminer son mandat qui expire en avril 2014. Mais au vu de son état de santé qui ne cessait de se dégrader et dont tout le monde pouvait se rendre compte au fil d’apparitions aussi parcimonieuses qu’épisodiques à la télévision d’Etat, on commençait alors à émettre de sérieux doutes quant aux capacités de Bouteflika à gouverner le pays. Des voix se sont même élevées pour réclamer une élection présidentielle anticipée. Mais c’était sans compter sur les consignes que le pouvoir réel a fait passer au gouvernement en place.

 

Le FLN repêché pour jouer le baroudeur

 

Le Front de libération nationale (FLN) qui n’est pas un parti politique dans le vrai sens du terme mais un appareil inféodé au chef de l’Etat, lequel en est le président d’honneur dans un faux sursaut d’orgueil s’est ressaisi à la fin août 2013 en mettant fin à la crise de succession des chefs en élisant à sa tête par un tour de passe-passe dont lui seul a le secret, Amar Saadani, ex président de la chambre basse du parlement algérien. L’homme est réputé pour être un exécutant fidèle du plan de qui il reçoit ses ordres. Miné par une crise depuis l’avènement du multipartisme en 1989, le FLN s’est vu désigner ses secrétaires généraux et imprimer sa ligne de conduite par les pouvoirs successifs. Seul Abdelhamid Mehri bien que désigné par le Président Chadli Bendjedid a osé en son temps défier les généraux de l’armée en arrimant son parti à l’opposition. Mais Saadani se distingue par ses attaques- les premières du genre de la part d’un apparatchik dans les annales politiques algériennes- contre les services secrets, le fameux redoutable DRS, Département du renseignement et de la sécurité, dont le chef, le général Mohamed Lamine Mediène, alias Toufik était considéré jusqu’à récemment comme le véritable maître de l’Algérie. Faisant écho à Saadani, alors que Bouteflika, très fragilisé devenait de plus en plus invisible, le gouvernement annonce la restructuration des services du renseignement, lequel voit plusieurs de ses directions passer sous le contrôle de l’Etat-major. Dans le même temps des proches collaborateurs de Toufik sont limogés. Ce qui passait aux yeux de beaucoup comme un duel entre Bouteflika et Toufik n’a été que très rarement analysé sous l’angle de la reprise en main par l’Etat-major de l’armée des prérogatives qu’il avait perdues au moment où, en 1991, l’Algérie basculait dans la guerre civile. Le DRS, en fait, devait faire les frais de son incompétence à protéger un site aussi stratégique que celui de Tinguentourine où l’Algérie y avait laissé des plumes au niveau international.
Tout compte fait c’est un président fantomatique qui aborde l’année 2014, s’adressant aux Algériens par voie de communiqués, Bouteflika évite de plus en plus de se montrer à la télévision car on le dit incapable de parler, le moindre effort pouvant lui coûter ses dernières forces. Si la presse internationale relève le caractère spectral du candidat Bouteflika, c’est que quelque part l’image du malade hospitalisé s’est surimprimée sur le portrait officiel. Suprême ironie, la présidence se fendra d’un communiqué informant que le président sortant sera candidat à sa propre succession à la présidentielle du 17 avril prochain.

 

Un candidat en cache un autre

 

Si le DRS a été en principe rappelé à l’ordre il n’en demeure pas moins qu’on continue à user de ses méthodes. On peut du reste se demander si ce qui est en train de se profiler à travers la prochaine élection n’est pas une grosse manœuvre de manipulation de l’opinion visant à faire accroire que Bouteflika est réellement le favori alors qu’en réalité, il ne fait que de la figuration ? Le sociologue Lahouari Addi a montré une piste intéressante en évoquant la possibilité qu’Ali Benflis, ancien chef de gouvernement et candidat malheureux à la présidentielle de 2004 soit le véritable candidat de l’armée et que Bouteflika ne soit qu’un lièvre. Ayant à l’esprit la grosse campagne d’intoxication d’officines occultes qui lors de l’élection présidentielle de 2004 qui a permis au président sortant de briguer son second mandat, avaient savamment distillé des informations faisant état de la défaite de Bouteflika face à Benflis. A l’époque, des hommes politiques et des journalistes de renom avaient mordu à l’hameçon. Ces rumeurs devenaient d’autant plus vraisemblables qu’elles étaient relayées par des opposants. Animant un meeting dans une salle d’Oran, fief de Bouteflika, Saïd Sadi, alors président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et candidat à la présidentielle, s’est écrié sûr de lui « Je vous le dit Bouteflika ne passera pas ! ». On susurrait que Benflis avait le soutien du Général Mohamed Lamari alors chef d’Etat-major de l’armée. Au-delà de ce que ces faits peuvent suggérer comme proximité pouvant exister entre officines et « démocrates », cela peut éclairer l’attitude de Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement sous Chadli, qui aujourd’hui se refuse à descendre dans l’arène. Hamrouche qui ne s’est jamais laissé compter par la propagande des officines occultes, a conscience que les jeux sont déjà faits.

 

Qui de Bouteflika ou de Benflis sera élu ?

 

Grabataire bientôt de 77 ans, Bouteflika, issu de l’Ouest, est un candidat impossible, le quatrième mandat n’est qu’une chimère et l’armée le sait. Si en dépit de cela Bouteflika est réélu, c’est qu’on sait que ce n’est pas lui qui va gouverner le pays. Une révision de la constitution devrait doter l’Exécutif du poste de vice-président. On ne sera pas alors tenus d’organiser une nouvelle élection si le chef de l’Etat réélu viendrait à passer à trépas. Quant à Benflis, bientôt 70 ans issu de l’Est, dans la région de Batna d’où sont originaires les gradés de l’armée, il est réputé être une personnalité « molle ». Ce « fils de famille » qui fut, outre chef de gouvernement (limogé par Bouteflika en 2003), secrétaire général du FLN (démissionné par la Présidence), directeur de campagne électorale du candidat Abdelaziz Bouteflika, directeur de Cabinet de la Présidence, on pourrait se demander pourquoi il se présente à ces élections après tant de déconvenues. L’homme a observé le silence depuis 10 ans n’osant émettre aucune critique. Certainement, s’il figure parmi la liste des candidats à la magistrature suprême, c’est qu’on lui a demandé de le faire. Mais de quelque côté que penchera la balance, le président qui sortira des urnes, ne bénéficiera que d’un fragile consensus. Les généraux paraissent avoir paré au plus pressé, et jamais leur choix, n’a été aussi incertain. L’armée qu’on dit faiseuse de rois, n’est-elle pas en train de se muter en faiseuse de reines ?