Al-Assad a pendu mon ami créatif Bassel Khartabil

[Par Shiyar KHALEAL]
Traduit de l’arabe par Hicham MANSOURI, en collaboration avec Marie Angélique INGABIRE

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Bachar Al-Assad continue à émettre des décrets depuis son palais, situé dans le centre de Damas, en condamnant à mort les syriens. Malgré les meurtres et les destructions, les dirigeants du monde insistent sur le fait qu’Assad est le seul garant d’une solution politique en Syrie.
Oui, il continue à exécuter mes amis l’un après l’autre. Le plus récent fut Bassel Khartabil, (alias Bassel Al Safadi). Né le 22 mai 1981 à Damas, il était ingénieur et développeur de logiciels mondiaux et a été classé 9ème des penseurs les plus influents au monde en 2012 par le magazine américain Foreign Policy grâce à son insistance pour une révolution pacifique syrienne dans toute circonstance.

Sa femme, Nora Ghazi, a reçu la nouvelle de son exécution, deux ans après sa disparition de la prison centrale d’Adra. Elle a annoncé sa mort sur sa page personnelle Facebook avec les mots suivants:
« Il est difficile de trouver des mots alors que je suis sur le point d’annoncer, au nom de la famille de Bassel et de moi-même, la confirmation de l’exécution de mon mari Bassel Al Safadi, tué quelques jours après son enlèvement de la prison Alwakala en Octobre 2015.
Ceci est la fin qu’a méritée un héros comme lui.

Merci d’avoir tué mon amour.
J’étais la mariée de la révolution à cause de toi.
Et, à cause de toi, je suis devenue veuve.
C’est une perte pour la Syrie.
Et c’est la perte de la Palestine.
Ceci est ma patrie… quelle perte ! »

La nouvelle de l’exécution de Bassel, arrêté par les forces de sécurité syriennes le 15 mars 2012, soit quelques jours après son union avec l’avocate et la défenseuse des droits humains Noura Ghazi, fait partie des milliers de cas de meurtres quotidiens commis par Assad. C’est même ce dernier qui a libéré au cours des dernières années le leader islamiste Hassan Soufane qui dirigeait, au moment de l’exécution de Bassel, le groupe islamiste Ahrar Al Sham.

Bassel, le palestino-syrien, ex-directeur technique de la société Al-Aws Publishing et initiateur d’un projet en faveur de l’organisation Creative Commons en Syrie, est connu pour ses contributions aux différents projets dont Mozilla Firefox, Wikipedia, et de nombreux projets open-source. Il fut précurseur du service d’Internet lancé en Syrie et de la diffusion du savoir au large public syrien. Son dernier chef d’œuvre a été le travail sur une image tridimensionnelle de la ville antique de Palmyre détruite par Daesh.

La plupart des experts européens et américains expliquent son arrestation par son travail volontaire toujours non-violent. Il s’agit, par son élimination, de limiter l’accès des syriens aux communautés électroniques et réprimer la liberté d’expression en flagrante violation aux articles 9, 14 et 19 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Syrie en 1969.

J’ai fait la connaissance de Bassel avant la révolution syrienne, lorsqu’il est venu, en compagnie du directeur de Firefox Mozilla, développer des logiciels en Syrie.

Mais jamais je ne m’attendais à le rencontrer derrière les barreaux des prisons syriennes connues pour leur barbarie et cruauté. Je l’ai rencontré le 6 juin 2013 alors qu’on me transférait des geôles de la sécurité d’Al-Assad à la prison centrale d’Adra. Il était debout derrière les barreaux de la cellule N° 703. Je lui ai demandé :
– Vous êtes bien Bassel ?
– C’est Vous Shiyar ? Je vous attends depuis longtemps !

Depuis ce moment, et durant huit mois, j’ai fait la connaissance de Bassel – l’humain, l’artiste et le penseur. Il a été l’un des rares prisonniers que j’ai rencontrés en prison, ayant dans son corps le cœur d’un enfant. Il vous considérait comme un humain avant de s’attarder sur qui vous êtes et ce que vous faites.

Par la suite, j’ai pris connaissance des projets créatifs de Bassel y compris ceux dessinés en prison. Il m’a parlé de son projet de Palmyre. Il espérait être libéré afin de l’achever. Il dormait peu et écrivait trop : des idées mais aussi des poèmes à Noura qu’il a beaucoup aimé et avec laquelle il s’est marié officiellement derrière les barreaux pour manifester au monde entier que l’amour est plus fort que la répression.

La liberté a été sa seule préoccupation. Il a été contre toutes les opérations militaires menées dans le pays. En prison, il s’opposait à tuer les insectes dans nos cellules sombres. Il a mené plusieurs fois des grèves de la faim. Il écrivait chaque jour à sa femme en lui envoyant des poèmes. Il disait toujours que la liberté a un prix et qu’un jour nous sortirons pour vivre plus librement, malgré le fait qu’il était faussement accusé d’espionnage au profit d’un état ennemi, « Israël »,

Avec sa pensée, Bassel se promenait pour visiter les 10.000 détenus dans la prison d’Adra. Il aidait les nouveaux, les consolait et leur demandait de continuer d’aimer, car l’amour est plus fort que tous ces régimes dictatoriaux. Il était étroitement lié à sa bague de mariage. A chaque fois qu’on annonçait des transferts vers Sednaya, il enlevait sa bague et nous demandait de la remettre à sa femme. On voyait la peur sur son visage mais il continuait ses activités. Avec amour, il a gravé ses mots sur ses blocs-notes avec tous les objets qui tombaient sous sa main pour devenir un martyr. Un amour et des paroles qu’on continue à diffuser à travers les médias du monde entier.

En dépit de son incarcération, Bassel a remporté le Prix pour l’indice de 2013 sur la censure de la liberté numérique. Via Dana Trometer et John Phillips, qui ont reçu le prix à sa place, il a pu exprimer sa gratitude à toutes les victimes de la lutte pour la liberté d’expression.

En 2015, Bassel fut transféré dans un lieu inconnu. Nous ne savions pas que la destination était un nœud de pendaison qui allait entourer son cou juste parce qu’il était créateur d’un monde libre. Malgré toutes les campagnes internationales de soutien à ce prophète de l’amour et de la liberté, ni Assad ni personne d’autre ne s’est soucié. C’est ainsi qu’a été tué un de mes amis don j’espérais la contribution à la construction d’un Etat citoyen pour tous les syriens.

Bassel nous a quittés, nous laissant les mots de Martin Luther King disant que « personne ne peut monter sur votre dos tant que vous vous tenez droit ». Oui, ils ont tué Bassel devant les regards de tous les dirigeants du monde entier. Par cet assassinat, Al-Assad a envoyé un message disant « je suis le seul assassin de ce pays. Je tue les penseurs et les créatifs et je libère les islamistes qui transformeront la révolution syrienne à des crimes ».