Guatemala : la fin tragique du journal El Periódico

El Periódico, journal guatémaltèque fondé en 1996, a dû mettre la clé sous la porte avec l’emprisonnement de son fondateur, José Rubén Zamora, le 15 mai 2023. Il a signé le dernier édito du journal le même jour, qu’il a rédigé depuis sa cellule. Il y explique que les multiples procès intentés par l’Etat, également appelées “procédures-bâillon” ont tué son journal. Mais comment le quotidien le plus célèbre du Guatemala a-t-il pu disparaître en quelques mois ? Quel avenir pour la presse guatémaltèque ?

Six ans. C’est le nombre d’années que devra passer José Rubén Zamora en prison pour “blanchiment d’argent”, initialement accusé de « chantage et trafic d’influence » et condamné le 14 juin 2023. Zamora était incarcéré depuis près d’un an et encourait jusqu’à 40 ans de prison, requis par le parquet guatémaltèque, l’accusant d’être un véritable « maître-chanteur. »

Mais les 144 enquêtes ouvertes par le gouvernement sur les journalistes d’El Periódico depuis 2022 ont mis en lumière un objectif plus ambitieux des autorités : faire taire les acteurs de la presse, en particulier durant la période électorale.

Plus de 144 attaques en justice contre des journalistes 

El Periódico, habitué à dénoncer les mésactions du gouvernement depuis 26 ans, était dans le viseur des autorités depuis quelques années. Quotidien très prisé des Guatémaltèques et comptant près de 400 employés, El Periódico et ses journalistes ont souvent reçu des prix pour leurs enquêtes et révélations de scandales.

Mais depuis 2019 et l’arrivée des conservateurs au pouvoir, le journal était grandement menacé. Dès 2021, une enquête pour « conspiration » était ouverte contre José Zamora.

En avril 2022, le choc a foudroyé la presse guatémaltèque : José Zamora a été arrêté par les autorités pour à la suite de la révélation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président candidat à sa réélection, Alejandro Giammattei. Incarcéré en août 2022, José Zamora attendra huit mois de plus avant son procès, débuté en janvier 2023. 

De nombreuses ONG et associations de défense de la presse ont réclamé alors sa libération, dénonçant un harcèlement judiciaire inédit à son encontre. Un timing pointé du doigt par les associations de défense des droits civiques et de la presse, notamment le Comité de Protection des Journalistes (CPJ).

L’ONG avait expliqué dans un communiqué du 15 mai 2023 que ces multiples procédures étaient « le résultat du harcèlement judiciaire et financier de l’administration présidentielle d’Alejandro Giammattei contre le fondateur du média, José Rubén Zamora, et ses journalistes pour leurs reportages critiques sur la corruption. » Le CPJ a également appelé à la libération immédiate du fondateur. 

José Zamora saluant les journalistes durant son procès, le 14 juin 2023. ©Johan Ordonez

José Zamora a lui-même signalé des « persécutions politiques », alors que trois de ses avocats avaient été emprisonnés en avril dernier. Le quotidien El Periódico a finalement été interdit de publication en mai 2023 et plusieurs dizaines de ses journalistes ont été sous le coup d’enquêtes judiciaires voire de procès pour « obstruction » et « désinformation », après avoir publié la nouvelle de l’incarcération du patron du quotidien.  

Pas de doute pour Reporters sans frontières, les accusations « fallacieuses » à l’encontre de Zamora étaient dues à un « harcèlement judiciaire » intense. Un acharnement qui avait concordé avec la réélection du président Alejandro Giammattei. Il avait en effet été réélu le 25 août 2023, dix jours après la condamnation de José Zamora. Son rival à la présidentielle Carlos Pineda, connu pour sa politique anti-corruption, avait été écarté des élections par le Tribunal Supérieur Electoral en mai 2023, le laissant sans véritable adversaire

La famille de Zamora ainsi que de nombreux journalistes du journal ont dû fuir le Guatemala de peur de finir également en prison. Les abondantes amendes infligées au journal ont fini par avoir raison de ce dernier en plus de l’interdiction de publication, signant sa liquidation. 

Les procédures-bâillons, arme redoutable contre la presse

L’Œil avait déjà évoqué les procédures-bâillons, nuisant gravement à la liberté de la presse, dans un précédent sujet pour alerter sur ce phénomène de plus en plus courant. Car depuis quelques années, des individus et de grands groupes usent des procédures abusives (ou infondées) pour faire taire les journalistes. 

Affaire la plus emblématique, le cas de la maltaise Daphné Caruana Galizia, journaliste d’investigation aguerrie et fondatrice du site d’information Running Commentary. Elle est connue pour avoir enquêté et exposé des affaires de corruption au sein du gouvernement maltais. De nombreux scandales mettaient en cause le Premier ministre de l’époque, Joseph Muscat, ainsi que l’entourage de ce dernier, provoquant l’ire de la population. Elle faisait l’objet de plus de 40 procédures judiciaires pour diffamation avant sa mort, « nourrissant un climat d’impunité favorisant son assassinat » selon des magistrats maltais.

Victime du même mécanisme, le journal El Periódico ne sera plus jamais lu par ses millions de lecteurs quotidiens. Depuis sa prison, José Rubén Zamora a écrit son dernier édito le 15 juin dernier. « L’Etat nous a tué », y affirmait-il. 

« Pendant toutes ces années, bien que nous ayons dû faire face à d’innombrables intimidations, agressions et harcèlements constants de la part des pouvoirs en place, “El Periódico” s’est efforcé d’offrir à ses lecteurs les meilleures informations pour comprendre la société et le monde dans lequel nous vivons. »

José Zamora a également évoqué les « 30 ans d’un combat infatigable contre la corruption, l’impunité, le narcotrafic, les abus de pouvoir, le terrorisme d’État et la misère », soufflés par les manigances judiciaires du gouvernement. « Mais ils ne nous feront pas taire ! » avait conclu l’homme.

Une véritable catastrophe pour les défenseurs des droits et des ONG, qui ont multiplié les prises de parole pour exprimer leur inquiétude. « C’est une menace pour toute la presse nationale. Ici au Guatemala, les opinions critiques ou le journalisme d’investigation sérieux ne seront pas autorisés à être publiés », avait expliqué le rapporteur de l’ONU Frank La Rue. « La fermeture du journal représente toujours un revers pour la liberté de la presse et fondamentalement pour la démocratie. »

Pour soutenir la demande de libération de José Rubén Zamora, cliquez ici.

Crédits photos : Johan Ordonez, El Periodico.

Maud Baheng Daizey