Mortaza Behboudi, reporter de guerre : “tous les médias doivent s’assurer que les pigistes sont en sécurité”

Emprisonné plus de 280 jours dans de multiples prisons de la capitale afghane, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi est de retour en France. Innocenté sur les accusations d’espionnage qui le visaient, il a été libéré le 18 octobre 2023 après 10 mois de prison. Ancien journaliste de la MDJ, il  livre un retour d’expérience pour l’Œil à destination des jeunes reporters de guerre.

La nécessité d’une meilleure prise en charge des reporters 

Dans notre article précédent, nous avions évoqué les conditions de détention de Mortaza à Kaboul, ainsi que l’isolement des journalistes sur les zones de conflit. Ces derniers sont souvent livrés à eux-mêmes sur le terrain, sans assurance ou protection d’un média.

« En tant que journaliste indépendant, j’ai été sur plusieurs terrains difficiles : pays en guerre, camps de réfugiés » où il a côtoyé de nombreux confrères et consœurs pigistes. « Ils sont très précaires car ils n’ont pas d’assurance. Nous avons des commandes avec des médias, mais pas forcément de contrat », ce qui exclut une protection. 

« Très souvent, notre bulletin de salaire est notre contrat. Avant cela, sur le terrain, nous devons avancer les frais et notre matériel. Il faut alors travailler pour plusieurs médias afin de couvrir nos frais sur place : logement, transports, fixeur… Il est capital d’avoir plusieurs commandes pour partager les frais entre les médias, car aucun ne prendra l’intégralité en charge. »

Pour obtenir sa libération, rédactions, associations et proches remuent ciel et terre durant des mois. Le journaliste a pu compter sur sa femme Aleksandra, dont les immenses efforts ont fini par payer. « Aleksandra était en contact permanent avec les rédactions françaises. Lorsque je n’ai plus donné signe de vie, elle a appelé tous les médias avec lesquels je travaillais à l’époque, ainsi que RSF. »

Car « lorsqu’un journaliste est arrêté, c’est la rédaction pour laquelle il travaillait à ce moment-là qu’il faut contacter, et non tous les médias pour lesquels il effectue des commandes. Mais sans assurance, il est très difficile de s’équiper et de se protéger. »

Mais tous les journaux français ne disposent pas des mêmes moyens ni de la même expérience du front. Ainsi, France 24 a mis en place une formation « reportage zone dangereuse »,  en partenariat avec l’INA. Sous l’égide du directeur de la sûreté à France Médias Monde, Jean-Christophe Gérard, les journalistes et techniciens de reportage apprennent à évaluer les risques sur le terrain, et s’entraînent aux techniques de premiers secours et de protection. D’une durée de six jours, la formation a pour objectif de « réduire les risques, mieux organiser ses déplacements » et développer un comportement adapté « en cas d’enlèvement ou d’arrestation arbitraire. »

« Les grands médias comme France Télévisions peuvent et savent en permanence où nous sommes. Les autres journaux en revanche ne nous suivent pas forcément, et ne disposent pas tous d’une équipe de sécurité. Mais ils sont aussi moins spécialisés dans le reportage de guerre », tempère Mortaza, pour qui des mesures s’imposent néanmoins. 

Il est en effet indispensable que « tous les médias s’assurent que le ou la pigiste est en sécurité », peu importe leur taille. « Le journaliste devrait signer son contrat avant de partir, les risques sont bien trop grands sans. Nous partons généralement avec notre propre matériel et nous ne possédons pas tous des gilets pare-balles ou des casques. » 

Nombreux sont les journalistes qui empruntent du matériel à RSF pour assurer leur protection. « Il faut aussi que les médias généralisent la surveillance de notre IME, notre numéro d’identification mobile, qui permet de connaître notre position GPS en temps réel. »

« Vous ne pouvez pas connaître le terrain sans les journalistes locaux »

Toutes ces informations et mesures de sécurité, Mortaza les a intégrées au fil de son expérience sur le terrain. Mais depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, des centaines de jeunes reporters peu ou prou expérimentés se sont précipités pour couvrir l’actualité du front. Ils se sont très vite retrouvés démunis pour une grande partie d’entre eux, s’étant lancés dans l’aventure sans l’aval d’une rédaction et sans équipement de protection.

« Aujourd’hui, les jeunes reporters doivent en faire plus pour leur sécurité. Premièrement, il est vital de trouver un bon fixeur. Si je veux aller faire un reportage sur les Houthis au Yémen, c’est lui qui dénichera des Houthis à interviewer, qui planifiera les trajets, organisera les rencontres… Il faut lui vouer une entière confiance », explique le journaliste. 

« Deuxièmement, lorsqu’on part sur de tels terrains, il faut lire et communiquer avec les médias et journalistes locaux. Vous ne pouvez pas apprendre à connaître le terrain sans eux », tranche Mortaza d’un ton ferme. Grâce à ces journalistes, les étrangers savent ainsi où aller, quelles zones éviter et quel angle choisir pour leur reportage. 

« Soyez connectés avec eux et votre fixeur, ces échanges sont primordiaux. » Cela peut permettre d’éviter de terribles erreurs, comme ramener du matériel interdit (un drone, une caméra spéciale…) sur une zone sensible et se faire arrêter. « Enfin, il faut également avoir bien étudié le pays en amont, surtout si l’on veut faire un reportage de qualité. Le travail journalistique réside dans l’étude du terrain et le temps passé dessus, dans les rencontres avec la population locale afin de rendre compte de leur réalité. Quand un pays est en conflit, ce dernier a besoin de ses journalistes, c’est d’abord à eux de travailler sur leur pays natal. »

Si Mortaza ne tient plus à raconter en détail sa longue épreuve dans les geôles de Kaboul, il demeure toutefois très attaché à sa vocation : le journalisme. Pour lui, un seul mot d’ordre, aller de l’avant. « Les talibans m’ont interdit d’aller dans les manifestations » où il avait l’habitude d’interroger les Afghans, « mais pas de travailler avec les médias étrangers. Je me vois continuer de faire des reportages dans mon pays, notamment pour parler de la crise humanitaire. Je veux continuer de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. » Un courage sans faille pour un reporter d’exception.

Maud Baheng Daizey