Aujourd’hui, les violations des droits humains persistent en Guinée. Les arrestations arbitraires, les kidnapping, la répression des médias et des mouvements sociaux politiques, ainsi que l’impunité pour les crimes passés, soulignent la nécessité d’une vigilance accrue de la part de la communauté internationale et des organisations de défense des droits humains. Etat des lieux depuis la prise du nouveau pouvoir en 2021.
[Par Mamadou Bhoye Bah, publié le 14/05/2025]

Qui défend la liberté de la presse en Guinée lorsque des journalistes engagés, des acteurs de la société civile et politique sont kidnappés, menacés, emprisonnés et/ou tués ? Personne.
Depuis le 5 septembre 2021, date à laquelle le pays est tombé à nouveau dans le coup d’État du colonel, devenu général Mamadi Doumbouya, la Guinée est plongée dans la tragédie des violations flagrantes des droits humains. La presse libre est à la fois castrée, muselée, menacée en permanence, tuée ou vilipendée. Oui, les acteurs de la liberté de la presse sont les premières victimes de ce régime militaire.
Ces hommes et femmes ne sont pas seulement des numéros ou des corps sans tombes que nous ne retrouverons jamais. Nous souhaitons rappeler quelques noms des victimes et quelques uns des combats menés pour offrir aux guinéens la vérité.
En effet, la plupart des médias crédibles ont été fermés dès la prise de pouvoir de la junte militaire.
Comme cela ne suffisait pas, les putschistes font la chasse aux sorcières. Oui, les sorcières sont des journalistes en Guinée. Or, pour terroriser les sorcières, les méthodes de répression sont de plus en plus subtiles et imposent la loi du silence à tout un pays.
Le kidnapping de Habib Marouane Camara
C’est le cas de Habib Marouane Camara, un journaliste connu pour son franc-parler, qui a été enlevé par des hommes non identifiés appartenant aux forces de sécurité de la Guinée. En effet, les kidnappeurs étaient habillés en tenues militaires connues du public guinéen.
C’est l’uniforme des forces spéciales de gendarmerie dont est issu le général Mamadi Doumbouya. Selon les presses guinéennes et étrangères, c’est ce 3 décembre 2024 que le journaliste Habib Marouane Camara, administrateur général du site d’informations Le Révélateur 224, a été enlevé en pleine rue, de nuit, par des gendarmes en tenue.
Il se rendait à un rendez-vous professionnel avec un homme d’affaires guinéen proche du pouvoir, Kerfala CAMARA KPC. Depuis lors, il n’a plus donné signe de vie.
Le jeune journaliste activiste Sally Bilaly Sow, fondateur du site Guineecheck.org a pour sa part échappé de justesse à une tentative d’enlèvement. Selon le journaliste, c’est au “petit matin” (aux alentours de 4h45), que des personnes non identifiées ont fait irruption dans sa concession familiale. “Après avoir défoncé une porte, ils ont pénétré le grand salon. Espéraient-ils que je m’y trouve ou que j’y habite ? Ne savaient-ils pas exactement où j’habite ?”, s’interroge Sally Bilaly sur sa page Facebook avant de préciser: “Aucun objet n’a été emporté et aucune personne n’a non plus été touchée.”
Pendant ce temps, plusieurs acteurs politiques et de la société civile sont victimes des mêmes pratiques. C’est le cas de Oumar Sylla alias Foniké Mangué, et de Mamadou Billo Bah, tous les deux acteurs majeurs de la société civile guinéenne qui n’ont plus donné signe de vie depuis le 9 juillet 2024.
Le procès en appel de l’opposant guinéen, président du Mouvement démocratique libéral (MoDeL) se poursuit sous des infractions non constituées selon l’accusé et la partie civile dénonce un procès politique pour éteindre toutes les voix dissidentes du régime militaire guinéen.
Au même moment, beaucoup des journalistes sont exilés à cause de leurs engagements, de dénonciations ou d’enquêtes sur la gestion opaque et l’envie du pouvoir militaire de se maintenir à la tête de la Guinée le plus longtemps possible.
Répressions des droits en Guinée dans ces dernières années.
Depuis la prise de pouvoir par la junte militaire du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) en septembre 2021, les restrictions sur la liberté de la presse se sont intensifiées. En mai 2024, le gouvernement a ordonné la fermeture de plusieurs médias privés majeurs, dont Espace TV, Fréquence Médias et Djoma Médias, invoquant des violations des cahiers des charges.
Cette décision a été largement perçue comme une tentative de museler les voix critiques et a suscité des condamnations de la part d’organisations internationales telles que Reporters sans frontières.
Le 24 janvier 2024, lors d’une manifestation à Conakry, plusieurs journalistes ont été arrêtés, comme ce fut le cas du syndicaliste Sékou Jamal Pendessa.
Violations des droits fondamentaux
La situation des droits humains en Guinée continue de susciter de vives préoccupations, notamment en ce qui concerne les atteintes aux libertés fondamentales telles que la liberté d’expression, d’association et de réunion.
En mars 2025, la Cour de justice de la CEDEAO a condamné l’État guinéen pour violation des droits fondamentaux des citoyens guinéens, ordonnant leur indemnisation.
Cette décision souligne les manquements persistants de la Guinée à ses obligations en matière de droits de l’homme. De plus, des cas de disparitions forcées ont été signalés, en juillet 2024, et des défenseurs des droits humains ont été arrêtés et détenus au centre de détention de l’île de Kassa, sans communication officielle sur leur sort, suscitant l’inquiétude des Nations Unies.
Mouvements sociaux et politiques
Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), un mouvement citoyen opposé à la modification de la Constitution en 2019, continue de faire face à une répression sévère.
Dans la même lancée, les autorités guinéennes ont suspendu et dissous une vingtaine de partis politiques parmi lesquels le RPG, le parti de l’ancien président Alpha Condé.
Massacres et impunité
Le procès du massacre du 28 septembre 2009, au cours duquel au moins 157 personnes ont été tuées et 109 femmes violées lors d’un rassemblement de l’opposition à Conakry, a eu lieu depuis 2022. Par ailleurs, lors de la finale d’un tournoi de foot à N’zérékoré, alors que la situation a dégénéré après un penalty contesté, la police a eu recours à l’usage de gaz lacrymogènes, entrainant un mouvement de foule vers la sortie du stade.
Cet évènement a causé la mort de 56 personnes. Cela vient s’ajouter aux évènements de 2012 à Zogota, où six personnes ont été tuées par des forces de sécurité lors de manifestation contre une entreprise minière.
Tous ces crimes restent impunis. En l’absence d’application des décisions de justice de la CEDEAO, les victimes de Zogota avaient porté plainte devant le tribunal judiciaire de Paris en août 2024.
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