Afin de s’opposer au régime de Bachar Al Assad, une guerre civile, marquée par de profondes répressions, éclate en Syrie en 2011. Des puissances étrangères, telles que la Russie, y prennent part. Le pays se trouve massivement détruit et de nombreuses personnes perdent la vie. Dans ce pays où les libertés de presse ont longtemps été restreintes, Khaled Khalaf, journaliste syrien, quitte en 2017, son pays en quête de sécurité. Il revient, pour l’œil de la MDJ, sur sa dure intégration en France. Actuellemen Khaled Khalaf est résident à la Maison des journalistes dans le cadre de sa participation au programme Voix en Exil.
[Par Mélanie Cruz et Coraline Pillard, publié le 04/07/2025]

Où avez-vous grandi ? Comment était la vie là-bas ?
J’ai grandi en Syrie, au nord, près des frontières avec la Turquie. La justice ne se retrouvait pas dans les rues, les écoles, les médias ou encore les tribunaux. La liberté d’expression était absente. Très tôt, j’ai compris qu’il y avait des voix qu’on empêchait de s’exprimer et des vérités qu’on voulait cacher. La vérité était confisquée, contrôlée et réécrite. Les médias officiels ne reflétaient jamais la réalité que je voyais autour de moi. Le régime était plus qu’autoritaire. Hafez El Assad en était à la tête des années 1970 jusque dans les années 2000, puis son fils, Bachar El Assad, avait pris le relais. Heureusement, son régime est tombé à la fin de cette année 2024.
Pourquoi avez-vous choisi d’être journaliste ? Quels types de sujets traitez-vous ?
Le journalisme me tient beaucoup à cœur. En Syrie, faire triompher la vérité est très compliqué, à cause du monopole exercé par le gouvernement. L’accès à l’information est difficilement accessible. Être journaliste a du mérite et permet d’informer les gens pour chercher la vérité. Ainsi, de 2005 à 2009, j’ai étudié à l’université de Damas. Par la suite, j’ai entamé un master en journalisme et communication. Pour ma part, je traitais principalement des sujets politiques, géopolitiques et sociétaux. Je me concentre principalement sur mon pays.
Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter votre pays ?
L’environnement était dangereux, que ce soit pour les journalistes, mais aussi pour toute la population. Le moment charnière a été en 2016, lorsque j’ai quitté mon pays, la Syrie. J’ai dû abandonner mon travail, ma terre et mes repères pour rester fidèle à mes valeurs. C’était douloureux, mais nécessaire. De nombreux journalistes étaient arrêtés. Des bombardements russes avaient lieu à l’époque. Les journalistes étaient vraiment ciblés par le gouvernement. Les répressions se manifestaient principalement par l’interdiction de publier. J’ai deux enfants : une fille et un garçon. Nous avons traversé les frontières ensemble, vers la Turquie, où l’on est resté quelques mois. Après, j’ai déposé une demande de visa, avec l’aide de Reporters sans frontières, auprès de l’ambassade de France. Puis nous sommes venus ici, en France.
Vous aviez dit précédemment que l’environnement était hostile. Comment étaient les conditions des journalistes en Syrie ?
En Syrie, les conditions étaient particulièrement hostiles au journalisme. Les ressources étaient faibles, tout comme l’accès à l’information. La liberté d’expression est absente et la plupart des médias sont contrôlés par l’Etat. Être journaliste signifiait souvent répéter ce que le pouvoir voulait entendre. En France, c’est bien différent. La liberté d’expression et d’information y est garantie, avec une grande diversité de médias. Nous espérons que le journalisme va évoluer, mais rien n’est sûr pour le moment. Après la chute de Bachar El Assad et la mise en place du nouveau gouvernement, nous étions convaincus que le pire était déjà derrière nous. Depuis, davantage de médias et de journalistes peuvent entrer dans le pays.
Avez-vous connu des freins une fois en France ?
En Europe, les réfugiés, principalement ceux venant du Moyen-Orient et de l’Afrique, sont victimes de préjugés. Leur culture est considérée comme “mauvaise”. Mais, en tant que journaliste réfugié, nous avons des privilèges. Bien sûr, arriver dans un nouveau pays n’est jamais simple. La langue constitue un des principaux freins. De prime abord, je travaillais dans la presse écrite. Cependant, une fois en France, un niveau très avancé en français était requis. Je me suis donc quelque peu éloigné de mon métier. A mon arrivée, je ne parlais pas un mot de français. J’ai donc travaillé, en autonomie, à partir d’Internet, de Youtube ou d’autres applications. Puis j’ai discuté avec des Français, et très vite, on s’améliore.
Vous faites partie de la deuxième promotion de Voix en exil. Que cela vous apporte-t-il ?
Voix en exil m’a apporté pleins de choses. J’ai, toutefois, été étonné car je n’habite pas à Paris. J’étais loin de toutes les activités journalistiques et médiatiques. Très peu de mes collègues se trouvent autour de moi. Mes connexions étaient donc limitées. Avec ce programme, j’ai l’opportunité de rencontrer des confrères venant des quatre coins de la planète. Cela me permet également de me rapprocher de mon domaine de prédilection, au travers de petits ateliers ou de petites formations.
Comment la Maison des journalistes vous a-t-elle aidé ?
La Maison des journalistes apporte un grand soutien en matière d’hébergement. De mon côté, je ne suis pas hébergé à Paris au quotidien. Mais pour le projet Voix en exil, cela était une aide précieuse. La MDJ nous procure une aide administrative essentielle, en accompagnant nos démarches. Même si nous n’avons pas besoin d’accompagnement, savoir que nous ne sommes pas seuls est rassurant. Des sorties culturelles sont également organisées, facilitant l’intégration.
Pensez-vous retourner dans votre pays ?
Pour le moment, non. Mais un jour peut-être. Peu de temps s’est écoulé depuis la chute de Bachar El Assad. Aujourd’hui, notre pays est en train de renaître, comme un enfant qu’on élève. Pour obtenir des résultats différents, il faut agir, veiller sur nos valeurs et nos droits et construire un pays où nos enfants ne seront pas obligés de l’abandonner. Mais il est préférable d’attendre que la situation se stabilise.
Quels sont vos projets actuellement ?
Mon projet est toujours d’informer l’audience, de donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas, de mettre en lumière des réalités ignorées ou marginalisées. Je souhaite que l’audience retienne qu’au-delà des conflits et des clichés, il existe des voix, des initiatives, des luttes pacifiques et créatives qui méritent d’être écoutées. Mon but est d’éveiller la curiosité, de susciter une réflexion critique, et d’encourager une information plus humaine, plus nuancée, plus proche du terrain, loin des clichés et des stéréotypes. En France, j’ai travaillé sur la situation des réfugiés. J’ai réalisé une série documentaire sur la transmission des souvenirs. Elle porte sur les réfugiés arrivés en France après les années 2010. Leur cas est très différent des migrants venus précédemment. Nous avons donc fait des reportages, avec les familles, afin de savoir comment se transmettent les souvenirs. Y a-t-il des choses à transmettre absolument ? Ou au contraire, d’autres à omettre ?
Un dernier mot…
Je voudrais que l’audience comprenne que chaque histoire compte, même celles qui semblent invisibles ou oubliées. Au-delà des reportages traditionnels, il est essentiel de soutenir les voix marginalisées et de donner une place aux récits qui façonnent vraiment notre monde. J’invite à réfléchir à la manière dont nous consommons l’information : sommes-nous prêts à écouter des histoires qui ne correspondent pas aux narratifs habituels ? Et surtout, comment pouvons-nous, ensemble, contribuer à rendre ces voix plus fortes et plus visibles ?
LE PROJET. Lancé par CFI, la Maison des journalistes (MDJ), SINGA et Reporters sans frontières (RSF), Voix en Exil est un nouveau projet de soutien et d’accompagnement là Paris de journalistes et médias en exil, soutenu par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, afin de faire de la France l’une des principales terres d’accueil des journalistes en exil.
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