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TRIBUNE. Au Bangladesh, une liberté réduite pour les partis d’opposition 

A moins de quatre mois des élections législatives bangladaises, l’étau se resserre autour des partis d’opposition. Pourtant, la démocratie est une pratique ouverte. Grâce à elle, la liberté individuelle des personnes s’épanouit. La démocratie ne se développe pas à travers des chaînes. 

Il n’y a pas d’alternative au système démocratique pour le développement de l’État, de la société et de l’esprit individuel. La démocratie signifie que les citoyens de l’État peuvent s’exprimer et mener leurs activités sans crainte, sans activités qui ne portent pas atteinte à l’indépendance et à la souveraineté de l’État.  

Le gouvernement et les forces de l’État ne pourront pas créer d’obstacles aux réunions et aux rassemblements. À l’instar d’autres pays démocratiques dans le monde, la Constitution du Bangladesh garantit également ce droit au peuple. 

Par exemple, l’article 37 de la Constitution de notre pays stipule clairement que « tout citoyen a le droit de se réunir pacifiquement et sans armes et de participer à des réunions et des processions publiques, sous réserve des restrictions raisonnables imposées par la loi dans l’intérêt de l’ordre public ou de la santé publique. » Un droit que le gouvernement bafoue régulièrement.

Aujourd’hui, la classe dirigeante du Bangladesh (composée du président Mohammad Shahabuddin et de la Première ministre Sheikh Hasina, tous deux membres de la Ligue Awami) jouit d’un pouvoir reclus et dictatorial qui ressemble beaucoup à celui de la Corée du Nord. 

Comme la Corée du Nord, la famille dirigeante de notre pays veut obliger chaque citoyen à faire preuve d’une loyauté totale envers le dirigeant au pouvoir. Au contraire, le gouvernement ne tarde pas à mettre des bâtons dans les roues de la loi sur les TIC, les Technologies de l’Information et de la Communication.

 

Fondée en 1949, la Ligue Awami est un parti politique bangladais qui joué un rôle prépondérant dans l’indépendance du Bangladesh en 1971. Au pouvoir jusqu’en 1975, elle a été évincée du pouvoir par un coup d’Etat militaire. Mais à la fin des années 1980, la Ligue s’allie avec d’autres partis (notamment le BNP, le Bangladesh National Party) de l’opposition du pouvoir en place jusqu’à la démission du président, le général Ershad en 1990.

Depuis, la Ligue n’a cessé d’être en concurrence dans les urnes avec le BNP, jusqu’à s’imposer aux élections en 2008, 2014 et 2018. Aujourd’hui, la Ligue a le plus de sièges au Parlement et domine la vie politique du pays.

Plus de 500 arrestations politiques

Dans un communiqué de presse envoyé aux médias le 14 novembre 2022, l’organisation de défense des droits humains Ain O Salish Kendra (ASK, ou le Centre de droit et de justice en anglais) a déclaré que le droit de réunion pacifique et d’association est reconnu dans la Constitution du Bangladesh (article 37). Ce droit est également inscrit dans divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). 

Mais cela n’empêche pas les autorités et la police bangladaises de ruser pour empêcher ou interrompre les rassemblements. Dernier évènement en date, l’alerte à la bombe du 8 novembre 2022. La police avais mis en scène un drame à la bombe, car une bombe a été trouvée dans le bureau du BNP. Mais des journalistes avaient vu des images de vidéosurveillance montrant la scène de la police transportant la bombe dans un sac blanc.

Ce n’est pas le comportement d’un État démocratique civilisé. Cependant, sous prétexte d’empêcher le BNP de tenir un rassemblement à Nayapaltan, capitale régionale de Dhaka, la police a bloqué la route pendant quatre jours et a créé elle-même des souffrances publiques.

En effet, le parti d’opposition BNP voulait organiser un rassemblement à Nayapaltan, le gouvernement lui a laissé la localisation du mémorial de Suhrawardy Udyan pour le 10 décembre 2022. Le gouvernement a assorti de 26 conditions à la tenue du rassemblement, telle que : mise en place de caméra haute résolution pour l’occasion, interdiction des micros et projecteurs, interdiction des caricatures et des discours anti-étatiques… Des conditions qui ne sont en aucun cas applicables à une assemblée démocratique.

Ce jour-là, les dirigeants du parti se sont réunis au bureau du parti avant le rassemblement. Cela fait partie des pratiques démocratiques d’un parti. Mais le gouvernement a créé un environnement anarchique avec les forces de police de l’État. Il a tué une personne par des tirs aveugles, tiré et blessé de nombreux militants et arrêté environ 500 militants qu’il a envoyés en prison et qu’il a maintenus en prison en déposant de fausses plaintes contre eux.

En outre, le secrétaire général du parti, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, et le membre du comité permanent, Mirza Abbas, ont été arrêtés et maintenus en prison. De plus, des émeutes ont eu lieu dans les bureaux du parti.

Le 29 juillet 2023, le BNP a organisé un programme de sit-in dans différentes localités de Dhaka, où des affrontements avec la police ont eu lieu à certains endroits. Près de 800 personnes ont été arrêtées, membres du BNP et civils confondus. 

Auparavant, il y a eu des incidents de blocage de certaines villes pour des rassemblements en appelant à une grève des transports publics sur les instructions du gouvernement pour empêcher le rassemblement de personnes dans les rassemblements départementaux du BNP.  

Il est triste mais vrai qu’au Bangladesh, l’exercice de ce droit est de plus en plus limité. Les partis politiques ou les citoyens ordinaires doivent faire face à diverses difficultés. Les allégations de violation de ces droits, d’attaque, d’incitation à la violence, de harcèlement et d’arrestation de diverses manières à l’encontre de la police et de l’administration, des travailleurs ou des partisans des partis gouvernementaux s’intensifient. 

L’Occident aux côtés des manifestants bangladais

Selon Asker, l’article 144 du code de procédure pénale a été invoqué 945 fois dans différentes régions du pays au cours du siècle dernier. Il permet à des magistrats d’interdire certaines actions aux citoyens pour protéger la Nation, comme les emprisonner par précaution ou interdire les réunions publiques de plus de quatre citoyens.

Les diplomates étrangers à Dhaka sont également catégoriques sur le droit de réunion pacifique. Le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion, Clément Voule, a exprimé son inquiétude quant à la situation politique actuelle au Bangladesh. Il a déclaré que depuis juillet 2022, les attaques et l’usage de la force meurtrière contre les manifestations pacifiques au Bangladesh ont fait des morts.

J’observe attentivement les événements au Bangladesh. Les autorités bangladaises doivent garantir le droit de réunion pacifique. Dans le même temps, il convient d’éviter le recours à une force excessive contre les manifestants.

Gwyn Lewis, coordinateur résident des Nations unies à Dhaka, a exhorté le Bangladesh à respecter ses engagements envers les Nations unies en tant qu’État membre de l’organisation, en lui rappelant son engagement en faveur de la liberté d’expression, de la liberté des médias et de la liberté de réunion pacifique.

De son côté, l’ambassadeur des États-Unis à Dacca, Peter Haas, s’est dit préoccupé par les morts et les blessés survenus lors du rassemblement du BNP à Nayapaltan. Il a appelé tout le monde à respecter l’État de droit et à s’abstenir de toute violence, de tout harcèlement et de toute intimidation.

À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme le 10 décembre, les 15 missions diplomatiques de Dhaka ont insisté sur le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Il s’agit des missions de l’Union européenne, du Canada, de l’Australie, du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie, du Japon, de la Suède et de la Suisse.

Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, s’est dit préoccupé par la répression des rassemblements pacifiques des partis d’opposition au Bangladesh. « Nous appelons tous les partis politiques à respecter l’État de droit et à s’abstenir de toute violence, de tout harcèlement et de toute intimidation. »

Nous pouvons donc dire que pour développer la démocratie, les gens doivent être impliqués. Dans un État démocratique, le pouvoir de décision appartient uniquement au peuple. En contournant le peuple, en le trompant, en supprimant sa voix libre, en renforçant les piliers de la dictature par l’emprisonnement, la tyrannie, l’oppression et la torture, on détruit les piliers de la démocratie. 

Elle détruit les fondements de l’égalité, de la liberté et des droits constitutionnels. Mais le principal slogan d’un État démocratique est d’établir des libertés civiles. C’était la principale motivation de notre guerre de libération. Mais aujourd’hui, les citoyens de ce pays sont à mille lieues de cette motivation.

Crédits photo : ©AFP – JIBON AHMED, Ligue Awami.

Jamil Ahmed

Initiative Marianne 2023 : la Maison des journalistes aux côtés des défenseurs des droits

Ce lundi 13 février 2023, la MDJ a accueilli l’Initiative Marianne, à l’occasion d’une table ronde. Fondée par l’Elysée en 2021, l’Initiative Marianne a pour vocation d’aider et soutenir des défenseurs des droits du monde entier à construire leur projet. Les 12 lauréats 2023 ont ainsi pu rencontrer les journalistes de la MDJ, afin d’échanger expériences et perspectives.

Leur particularité ? Faire partie des lauréats 2023 de l’initiative. Bahreïn, Bangladesh, Cameroun, Russie, Ouganda, ou encore Venezuela, les quatre coins du monde sont représentés. Ils sont avocats, directeurs d’un institut des droits de l’Homme, fondateurs d’associations, d’agence de publicité ou encore d’ONG, interprètes pour les instituts de l’ONU, consultants en environnement, et sont de fervents défenseurs des droits.

La directrice de la MDJ Darline Cothière effectue la visite aux défenseurs des droits.

Les journalistes Niaz Abdullah (Irak), Noorwali Khpalwak (Afghanistan), Nadiia Ivanova (Ukraine), Manar Rachwani (Syrie), Laura Seco Pacheco, Wimar Verdecia Fuentes (Cuba), Alhussein Sano (Guinée Konakry) et Elyaas Ehsas (Afghanistan) étaient présents pour échanger autour d’une table ronde avec les lauréats. Au programme, les droits de l’Homme, de presse et d’expression dans les différents pays représentés.

De nombreux partenaires permettent à l’Initiative Marianne de pérenniser sa mission : le ministère des Affaires étrangères favorisant les candidats en France pour six mois, avec le groupe SOS, l’Agence Française de Développement et la Plateforme des droits de l’Homme. Une fois par mois, les lauréats visitent un organisme, association ou institut français pour la protection des droits de l’Homme afin de faire évoluer leur projet.
Les lauréats 2023 de l’Initiative Marianne discutent et débattent avec les journalistes de la MDJ.

La guerre en Ukraine a occupé une certaine place sur la table, évoquée par des défenseurs de droits russes : Tamilla Ivanova, seulement âgée de 23 ans, défendait le droit de manifester et de se rassembler à Moscou, et enquêtait sur les disparitions inexpliquées en Tchétchénie lorsqu’elle a dû quitter le pays au début de la guerre. Des amis activistes avaient été emprisonnés à l’aube du conflit pour s’être exprimés contre l’invasion russe, la poussant alors à s’exiler.

La question des indigènes a également été soulevée à travers les interventions de Virginia Roque Aguilar, activiste environnementale du Salvador et persécutée par le président actuel, ainsi que du Colombien Eliecer Aras, indigène de la Sierra menacé de mort. Originaire du nord de la Colombie, Eliecer Aras a été témoin des politiques d’extermination des peuples indigènes menées par les milices paramilitaires, et dont son frère a été la malheureuse victime.

Recevant toujours des menaces de mort depuis la Colombie, il s’était réfugié un temps en Espagne avant de participer à l’Initiative. Aujourd’hui, Eliecer Aras travaille pour l’Organisation des victimes d’Etat en plus d’être bénévole pour la Croix Rouge.

Le Pérou a également été évoqué avec la défenseure péruvienne Karin Anchelia Jesusi, une femme courageuse se donnant corps et âme pour le peuple et les indigènes de son pays. Elle a expliqué accompagner depuis une quinzaine d’années des femmes ayant subi une stérilisation forcée (politique mise en place par l’Etat), alors que le pays traverse une crise économique et politique considérable.

Karin Anchelia Jesusi a tenu à rappeler qu’environ 60 personnes autochtones sont mortes dans les dernières manifestations, sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte, faute d’intérêt du gouvernement. Une violation des droits de l’Homme que la Péruvienne a dénoncé et mis en lumière.

Estelle Lobe, activiste camerounaise de l’environnement et protection des populations locales, aide de son côté à protéger les autochtones vivant dans les espaces forestiers (dévastés par les groupes industriels). Elle a enquêté et exposé depuis plusieurs années « la chaîne de corruption de la zone forestière du bassin du Congo », tout en étant cofondatrice d’une ONG.

Cette dernière s’est fixée pour objectif la protection des déplacés internes et des migrants environnementaux d’Afrique. Autour de la table, Estelle Lobe a rappelé la gravité de la situation des libertés au Cameroun, et du muselage extrême des journalistes dans le pays, évoquant l’affaire du journaliste Martinez Zogo, assassiné en janvier 2023. Le collègue d’Estelle Lobe, originaire du Gabon mais travaillant dans le bassin du Congo, s’était fait tirer dessus il y a quelques semaines et est toujours persécuté à l’heure actuelle. Il a pu s’enfuir du pays depuis, gardant secret sa localisation précise.

La Maison des journalistes et l’Initiative Marianne aux termes d’une rencontre enrichissante. Une photo d’Alhussein Sano.

Maud Baheng Daizey

PORTRAIT. Meiirbek, journaliste kazakh exilé : «Continuer à écrire, c’est les protéger»

Meiirbek est né en 1984 en Chine mais a émigré, dès ses 22 ans, au Kazakhstan. Là-bas, il était ingénieur dans une entreprise pétrolière. Rien ne le destinait vraiment à s’engager dans une lutte pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. Et pourtant, en 2018, plusieurs de ses proches disparaissent un à un : l’un de ses professeurs, quelques collègues… Très vite, il comprend que ces derniers ont été emmenés dans des camps de concentration chinois.

  •   Par Clémence Papion, étudiante en Master de Droit International Public et Ange Fabre, étudiant en Droit et Science politique, stagiaires à la Maison des journalistes. 

Lorsque Meiirbek comprend que ses proches disparus sont déportés en camp de concentration, il décide  de s’engager dans la lutte pour révéler les agissements des autorités chinoises . Il rejoint donc une association pour la défense des droits humains au Kazakhstan : Atajurt Kazakh Human Rights. En son sein, il a participé à faire connaître des victimes, mais aussi des familles de victimes sans nouvelles d’un de leurs proches.

En 2019, le responsable de l’association est arrêté. « Le gouvernement kazakhe a des relations très proches avec le gouvernement chinois ». Allant encore plus loin dans la répression, les forces de l’ordre kazakhes ferment les bureaux de l’association et prennent tous les ordinateurs. Pour continuer à se faire entendre, tout en essayant d’éviter de se faire emprisonné comme son responsable, Meiirbek décide de créer un compte sur plusieurs réseaux sociaux sous une fausse identité. « J’ai créé un compte qui s’appelait Erkin Azat, Erkin, en turc ça veut dire liberté, et Azat, en persança veut aussi dire liberté ». Même les collègues de Meiirbek ne sont pas dans la confidence : « Je n’aime pas le dire aux autres. Si je le fais, peut-être que le gouvernement kazakhe le saura, et après ils me chercheront. On ne sait jamais qui travaille pour qui. »

Ce compte lui a été plus qu’utile. « Au sein de l’association, après avoir interviewé des victimes, on a contacté des médias, notamment au Kazakhstan. Mais ils n’en voulaient pas, ils ne veulent pas se mêler de ce qui touche à la Chine. Le gouvernement contrôle les médias au Kazakhstan. Toutes les infos que nous recevons ont été triées. » Des médias ont commencé à s’intéresser aux histoires qu’il racontait, aux témoignages qu’il relayait. « C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à recevoir des menaces, aussi bien par le gouvernement Kazakhe que par le gouvernement chinois. J’ai reçu des messages sur Messenger qui disaient « Votre responsable a été arrêté, le prochain sur la liste, c’est vous. Attention » ».

Le responsable de Meiirbek est finalement libéré au bout de quelques mois, après la pression importante  d’Amnesty International par le biais d’une pétition. Se sentant encore en danger, ce dernier émigre aux États-Unis. De son côté, Meiirbek continue sa lutte au Kazakhstan.

Afin de mieux comprendre le contexte de persécution des minorités ethnique au Xinjiang, Meiirbek nous explique la situation. « Xi Jinping est élu en 2012. C’est un dictateur. Lors de sa deuxième année de mandat, il commence à arrêter ses opposants politiques. C’est là que des camps ont commencé à être créés, en 2016 donc. À partir de septembre 2018, il a commencé à arrêter non seulement les opposants politiques, mais également plusieurs minorités présentes en Chine telles que les Ouïghours ou les Kazakhs. Pourquoi ? Pour créer une unité chinoise, une population totalement homogène, sans différence. Dans ces camps il faut parler chinois, aucune autre langue n’est acceptée. Comme excuse à ces arrestations, Xi Jinping évoque le terrorisme. Mais tous ceux que je connais qui ont été enfermés dans ces camps n’étaient pas des terroristes, le problème c’est leur appartenance ethnique.»

Grâce aux interviews qu’il a menées, Meiirbek sait que les personnes enfermées dans ces camps sont soumises à du travail forcé entre 10 et 12h par jour. « Surtout de la couture, et il faut aller vite. Il y a un quota de vêtements à produire par jour, et s’il n’est pas atteint, le salaire est réduit. Cette histoire de salaire, c’est pour faire beau sur le papier, mais chaque excuse est bonne pour le réduire : un retard, une couture de travers, un rythme trop lent. Si bien qu’à la fin du mois, le salaire est réduit à néant et ils ne reçoivent rien. »

Outre ces informations sur le travail forcé, Meiirbek a découvert des pratiques impensables visant à limiter le plus possible l’accroissement des minorités. Au fil des interviews, ce qui s’apparentait à de simples vaccins pour éviter les maladies au sein des camps, s’est finalement révélé être une campagne de stérilisation de masse. « C’est vraiment un génocide, on cherche à mettre définitivement fin à une ethnie, une population. Le pire, c’est que si une femme arrive dans le camp alors qu’elle est enceinte, même de sept ou huit mois, ils lui font subir un avortement. »

C’est avec beaucoup de force que Meiirbek nous raconte ces histoires qui font désormais parties de lui. Révolté par ce qui se passait autour de lui, il mène une lutte sans relâche, mettant sa propre liberté en péril. Alors que les menaces deviennent de plus en plus importantes, Meiirbek établit un contact avec plusieurs associations et médias français, ainsi qu’avec l’Ambassade de France au Kazakhstan. Grâce à leur aide précieuse, il a pu se réfugier en France où Amnesty International, France 24 et l’AFP l’ont directement dirigé et mis en contact avec la Maison des Journalistes. Au mois de mai 2019, Meiirbek en devient résident. Le choix de la France est comme une évidence pour lui : « En Belgique, on parle français au sein des enceintes de l’Union Européenne. En Suisse, on parle français au sein des enceintes de l’Organisation des Nations Unies. Donc je pense que le français est important pour moi, pour continuer mon travail, c’est pourquoi j’ai choisi la France. »

Ici, Meiirbek compte bien continuer sa lutte pour les Droits de l’Homme. « Je participe à beaucoup de manifestations, d’ailleurs j’ai encore été menacé en juin 2020 par un individu qui devait être proche du gouvernement chinois, dans la rue, comme ça. Il m’a posé beaucoup de questions. Heureusement, lorsque j’ai reçu ma carte de citoyenneté, la préfecture m’avait donné un numéro où appeler si j’avais un jour besoin d’aide. Je les ai appelés et le préfet de police l’a fait arrêter, mais il a fui. » Cette lutte, il ne la consacre pas seulement aux répressions menées par le gouvernement chinois. Il s’intéresse à toutes sortes de débats. Il explique de manière posée et réfléchie « Au Kazakhstan au début, nous avions pas mal de libertés. On avait Skype, Facebook, mais maintenant c’est devenu plus dur. Petit à petit l’étau se resserre sans qu’on s’en rende compte. Une telle répression, ça ne se fait pas d’un coup. Alors quand j’ai entendu parler de la loi Sécurité Globale en France, je me suis dit qu’il fallait manifester, pour empêcher le développement d’un processus de limitation des libertés. Donc je soutiens les droits de l’Homme pour tout le monde, même français et européens ».

Meiirbek interviewé en marge d’une manifestation, à Paris

Devant tant de détermination et d’engagement se pose la question des menaces subies par la famille. Les parents de Meiirbek, ainsi que deux de ses frères vivent au Kazakhstan, « Pour eux tout va bien ». Mais un de ses frères et sa sœur, eux, vivent en Chine. « Lorsque le gouvernement chinois a découvert l’identité d’Erkin Azat, c’est-à-dire moi, ils sont allés les voir et les ont menacé. Ils savaient que j’étais hors de portée alors ils leur ont dit que si jamais je continuais de rédiger des articles, c’est eux qui seraient enfermés. Mais je ne céderai pas. Continuer à écrire, c’est les protéger, car ainsi tout le monde est au courant. Si je me taisais, c’est là que ça deviendrait dangereux pour eux, et pour toutes les minorités. C’est ce qu’ils cherchent, étouffer le sujet. »

Lorsqu’on lui demande s’il pense que la situation pourra un jour s’améliorer en Chine, il apparaît mitigé. « Vous savez, la répression est de plus en plus grande. Toute excuse est bonne pour emprisonner quelqu’un : avoir dit As-Salam Aleykoum, être rentré dans une mosquée, avoir posé des questions aux forces de l’ordre lorsqu’on ne comprend pas pourquoi on fait l’objet d’un contrôle… Désormais, même les Han chinois peuvent être emprisonnés. Ils sont pourtant la population majoritaire au Xinjiang, région où les camps se sont développés.». D’un autre côté, il est certain que le fait que le sujet de l’enfermement des Ouïghours se développe au sein de la communauté internationale est une bonne chose. « Moi j’ai encore des contacts en Chine, et ils m’indiquent que la situation s’améliore un peu. Si on continue d’en parler, la pression s’intensifiera pour la Chine et elle sera obligée de ralentir cette politique de répression ».

Après deux ans de vie à la Maison des Journalistes, Meiirbek a désormais son propre logement en région parisienne. Motivé, il tient à perfectionner son français afin de pouvoir demander la nationalité française, pays qu’il qualifie comme sa “troisième patrie”. A ce sujet, il souhaite nous lire un texte qu’il a rédigé : « Qu’est-ce que la France m’a donné ? », un poème en hommage au pays qui lui a offert l’asile. Une fois la nationalité acquise, il souhaite intégrer une formation de journalisme. « Je suis citoyen-journaliste moi, je n’ai pour l’instant aucun diplôme en la matière. Mais c’est dans cette voie que je veux poursuivre ».

D’autres articles 

Toujours moins de zones “sûres” dans le monde pour les journalistes

La liberté de la presse a continué de se dégrader dans de nombreux pays et les zones “sûres” pour les journalistes se raréfient, affirme Reporter sans frontières dans son rapport 2019. Une hostilité croissante à l’égard d’une profession. Selon son rapport 2019 sur la liberté de la presse dans le monde, Reporters sans frontières dresse un bilan accablant: “La haine des journalistes a dégénéré en violence”, prévient l’association, laquelle souligne que les passages à l’acte sont “plus graves et plus fréquents”.

Sur la carte du monde, seulement 24% des 180 pays et territoires étudiés affichent une situation “bonne” ou “plutôt bonne” pour la liberté de la presse, contre 26% en 2018.

L’ONG, qui établit ce classement annuel en relevant les violences commises contre les journalistes et en rassemblant les analyses de journalistes, juristes, et chercheurs du monde entier, constate “un accroissement des dangers et, de ce fait, un niveau de peur inédit dans certains endroits” parmi les journalistes.

Attaque en Afghanistan où 4 journalistes ont été tués.

Le harcèlement, les menaces de mort, les arrestations arbitraires, font de plus en plus partie des “risques du métier”.

En Afrique, la République Démocratique du Congo ne montre pas l’exemple

La liberté de la presse à l’heure des grands changements en Afrique Subsaharienne.

L’Afrique subsaharienne n’échappe pas à la nouvelle dégradation mondiale de la liberté de la presse. La haine des journalistes, les attaques contre les reporters d’investigation, la censure, notamment sur internet et les réseaux sociaux, les pressions économiques et judiciaires contribuent à affaiblir la production d’une information libre, indépendante et de qualité sur un continent où la liberté de la presse a connu d’importantes en 2018 mais plutôt pas le cas pour la RDC.

En République Démocratique du Congo (154ème au monde comme l’année dernière 2018), un climat toujours plus hostile, véhiculé par l’actuelle gouvernement dirigé par le président Félix Antoine Tshisekedi s’est installé.

“Jamais les journalistes congolais n’avaient fait l’objet d’autant de menaces de mort”, et jamais non plus ils n’avaient “autant sollicité d’entreprises privées pour assurer leur sécurité” souligne RSF, alors que il y a eu alternance dans ce pays il y a pas longtemps.

Il y a deux semaines, plus de 80 journalistes et 4 employées d’une chaîne de télévision privée émettant à partir de Kinshasa (capital de la RDC) ont été violemment agressés et arrêtés pour avoir exigé de meilleures conditions de vie et dénoncé les entraves qu’ils subissent lors de leurs reportages sur terrain par des hommes en uniforme : la police, l’armée, les gardes républicaine communément appelé Bana Mura etc… Sans oublier les autorités politico-administratives.

Ces 80 journalistes et 4 employées ont tous été arrêtés et embarqués dans le jeep pendant leur seeting dans la capitale. Or il y a pas longtemps lors de la visite officielle du nouveau chef de l’État Félix Tshisekedi aux États-Unis d’Amérique, lors d’une conférence ouverte, il avait lui-même déclaré clairement qu’il va “déboulonner le système dictatorial installé dans le pays pendant plusieurs années… Et respecter la presse comme le 4ème pouvoir au monde!”

Mais ce que nous vivons c’est bien d’ autres que la continuité du système et l’impunité de droit de l’homme ; affirme Pierre Bordney assistant manager Desk- Afrique RSF.

La plus part des médias y sont contrôlés par le service de l’ANR (Agence Nationale de Renseignements), les derniers correspondant clandestins en exile sont “pourchassés sans relâche” condamne RSF.

Les journalistes africains sont soumis à des nombreuses formes d’intimidation et de pressions, et à un harcèlement judiciaire croissant. Si l’Europe demeure le continent qui garantit le mieux la liberté de la presse, les journalistes d’investigation y sont, plus que jamais, entravés dans leur travail.

Vers l’oubli total des Droits de l’Homme en Egypte ?

Amendements constitutionnels : un pas décisif vers l’oubli total des droits de l’homme en Egypte ?

Le 3 février 2019, le parlement égyptien a proposé une série d’amendements constitutionnels qui implique une extension du mandat de la présidence, une extension du rôle de l’armée dans l’État et une nouvelle diminution de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Après deux mois de travail sur la version finale de ces amendements constitutionnels, les deux dernières étapes s’approchent : le vote final du Parlement et le référendum populaire. C’est dans ce contexte que surgissent des débats autour des implications de ce changement potentiel et, surtout, de son impact concret sur les déjà fortement négligés Droits de l’Homme en Egypte.

Dans une déclaration publique le 8 avril, Amnesty International a exhorté le Parlement égyptien à rejeter les amendements constitutionnels proposés, en raison de leurs “conséquences dévastatrices pour les droits humains”.

Les amendements proposés à la Constitution représentent sans aucun doute une étape cruciale de l’histoire de l’Égypte à plusieurs niveaux.

Le tournant historique de l’Egypte n’aura pas lieu

Naturellement, de nombreuses questions se posent concernant l’avenir des Droits de l’Homme, telles que la liberté d’expression à une époque où, plus que jamais, elles sont déjà outrageusement négligées. Classée au 161ème rang dans World Press Freedom Index 2018 de Reporters Sans Frontières, l’Égypte sous l’actuel président Abdel Fattah el-Sisi souffre d’une répression déplorable de la liberté d’expression qui prend une multiplicité de formes.

Outre les arrestations arbitraires de militants, de journalistes, de blogueurs, d’artistes, d’écrivains, de chercheurs, l’État exerce un contrôle draconien qui laisse peu ou pas de place aux voix divergentes.

De nombreuses organisations de défense des Droits de l’Homme dénoncent sans cesse le scénario actuel en rendant compte des innombrables pratiques des États qui menacent les Droits de l’Homme. Entre autres, un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR) révèle qu’au cours des onze premiers mois de 2018, au moins 32 personnes ont été exécutées et 581 condamnées à mort.

Dans de telles circonstances, on pourrait considérer ces amendements constitutionnels comme une simple réaffirmation de la politique actuelle de l’État qui ne respecte pas les Droits de l’Homme.

Cependant, la portée de ces amendements constitutionnels est considérable et ses implications sont profondes.

Changements juridiques visant à renforcer le pouvoir de l’État

Parmi les principales modifications proposées, l’article 140 amendé prolongerait le mandat présidentiel de quatre à six ans. Grâce à un mécanisme stratégique qui “remet à zéro” l’horloge du mandat du président en exercice, al-Sisi sera ainsi autorisé à rester légalement au pouvoir jusqu’en 2034.

L’exécutif exercera également un contrôle croissant sur le pouvoir judiciaire, portant atteinte à son indépendance.

En outre, le rôle politique des militaires sera élargi en vertu de l’article 2000 modifié, qui responsabilise les forces armées pour “maintenir la constitution et la démocratie, préserver les éléments fondamentaux de l’État et sa nature civile, en plus des réalisations de la population et des droits et libertés individuels”.

Manifestement, le langage des amendements proposés suggère une consolidation du pouvoir présidentiel et militaire, supprimant définitivement les dernières traces libérales de la Constitution de 2014.

De nombreuses organisations de défense des Droits de l’Homme ont exprimé leurs préoccupations quant à l’avenir du pays si ces modifications devaient être approuvées.

Distinctement, le Projet pour la démocratie au Moyen-Orient (POMED) met en garde contre un mouvement alarmant “vers une dictature personnaliste sous le contrôle d’al-Sisi“. “Pire que Moubarak“: vers un contrôle total et incontestable de l’Etat !

Cette déclaration publique émane de Magdalena Mughrabi, directrice adjointe du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord à Amnesty International, soulignant que ces amendements “donneraient à Abdel Fattah al-Sisi et aux forces de sécurité toute latitude pour continuer à abuser de leurs pouvoirs et à réprimer la dissidence pacifique pour les années à venir“, cela aide à comprendre les enjeux de cette proposition.

Tout en perpétuant le contrôle étouffant qui caractérise l’Égypte d’aujourd’hui, la possibilité de contester politiquement ou juridiquement le pouvoir indiscutable du gouvernement disparaîtra avec la constitution modifiée.

Comme l’a souligné Baudouin Long, chercheur associé au CEDEJ (Centre d’études économiques et de documentation économiques, juridiques et sociales) du Caire, lors d’une conférence publique tenue à Paris le 3 avril, l’idée d’un changement substantiel et d’une consolidation du pouvoir grâce à des instruments juridiques tels que la Constitution était déjà conçue à l’époque de Moubarak.

Maintenant, al-Sisi se révèle concrètement déterminé à s’engager dans cette voie, ce qui a amené certains analystes à considérer le gouvernement d’al-Sisi comme le régime le plus répressif de l’histoire égyptienne moderne.

Dans un article pour Foreign Policy intitulé “Worse than Mubarak”, la directrice adjointe de la recherche de POMED, Amy Hawthorne, et le directeur adjoint de la politique, Andrew Miller, comparent les deux régimes et suggèrent que, grâce à l’institutionnalisation de son système politique, “al-Sisi apporte une nouvelle forme de totalitarisme en Egypte”.

Les voix de l’opposition égyptienne ne cèdent pas

Alors que les rues égyptiennes commencent à s’emplir de banderoles “Vote yes” en préparation du référendum hautement probable prévu du 19 au 24 avril selon le journal basé à Al Akhbar, des voix de dissidence s’élèvent.

Outre l’opposition remarquablement exprimée par le parti démocrate socialiste égyptien, le parti Karama, le parti conservateur, le parti de Tagammu et le parti de la réforme et du développement, des personnalités égyptiennes telles que les acteurs primés Amr Waked et Khaled Abol Naga condamnent les amendements proposés.

En dépit de l’état de répression actuel –et qui dégénérera probablement dans un avenir imminent- tous les Égyptiens ne sont pas prêts à cesser de s’exprimer librement et d’exercer le droit primordial de permettre aux individus de faire entendre leur voix et leurs opinions, ce pour quoi ils se sont battus pendant la Révolution 2011.

Les graffitis sur les murs du quartier de Zamalek capturés par la journaliste Francesca Cicardi, basée au Caire, sont un exemple de cette résistance acharnée au nom de la liberté d’expression et du respect des droits de l’homme.