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Afrique – Kenya et Malawi annulent le résultat des présidentielles

Pour cause de fraude électorale, la Cour suprême du Kenya a pris la décision osée, le 1er septembre 2017, d’invalider le résultat de la présidentielle, organisée un mois auparavant. Une première en Afrique! A son tour, le Malawi vient de sauter le pas. Intrépide, la Cour constitutionnelle de ce petit pays d’Afrique australe s’est autorisée d’annuler, ce 3 février 2020, le résultat de la présidentielle effectuée en mai 2019. Pour le même motif que celui qui avait dicté le renvoi du vote au Kenya.

Comme à l’accoutumée, c’est le président sortant, Peter Mutharika, qui l’a emporté avec 38% des suffrages devant son principal opposant Lazaru Chakwera. 

L’annulation de l’élection présidentielle au Kenya

Victoire biaisée, a aussitôt crié l’opposition, qui a protesté et manifesté sans relâche dans les rues de la capitale, Lilongwe. Et à travers elle, les provinces du pays.

Obligée de revoir sa copie, et placée devant certaines évidences sur la fraude, la Cour constitutionnelle a simplement annulé le scrutin. Elle en a requis un nouveau dans 150 jours. Poser des tels actes judiciaires, en Afrique, où la dictature se cache derrière les démocraties tordues, n’est pas du tout anodin.

A titre d’exemple, c’est dans une auto blindée que les juges se sont rendus au siège de l’institution, à Lilongwe. Aidés en cela par une partie de l’armée malawite, dite «progressiste».

Est-ce là des signes donnés pour briser la glace ? Devra-t-on s’attendre à une réaction en chaîne ? Questions pertienentes, la réponse sera au cas par cas.  

Kenya: rivalité ethnique et enrichissement personnel

La réponse à celles-ci est d’autant plus difficile que la dictature, en Afrique, est multiforme. Au Kenya, elle est principalement assise sur la rivalité ethnique entre les Luo et les Kikuyu, dont leurs deux leaders respectifs (Odinga pour les Luo et Kenyatta pour les Kikuyu) se servent de la politique pour assurer leur puissance économique. De fait, ils sont les deux Kényans les plus riches, pour leur gloire personnelle, mais également pour le bien-être de leur communauté. On a donc assisté à un «arrangement à l’amiable», en sourdine, entre les deux leaders, pour leurs intérêts bien compris, lesquels auraient été mis à mal à travers une confortation ethnique menée de front.

Par conséquent, Odinga a «boycotté» la deuxième manche d’élections, organisées plus tard.

Malawi: un équilibre pour la paix sociale

Tel n’est pas le cas au Malawi, où c’est une partie de l’armée qui mène la barque pro-démocratique. L’armée, selon toute vraisemblance, serait divisée et l’arrêt de la Cour constitutionnelle, après le scrutin prévu dans 150 jours, ne donne aucune assurance qu’il sera accepté de bonne grâce par tous. Surtout par la partie recalée de Mutharika. Quel serait le rôle que pourrait éventuellement jouer l’autre fraction de l’armée restée silencieuse ? Est-elle pour la démocratie ou pour la survie de l’ancien régime ? Difficile à prévoir !

https://twitter.com/mgettoh_254/status/1224317178939351040

Qu’on se souvienne de la Gambie de l’ex-dictateur Yahya Jammeh, en 2017. Il aura fallu l’intervention des militaires de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest pour le résoudre à quitter le pouvoir.

Quoi qu’il en soit, la justice dans ces deux pays est sortie du bois. Elle a donné la mesure des problèmes qui vont surgir et la nature des solutions qui y seraient apportées. Elles sont largement différentes, selon chaque pays. C’est au cas par cas. Ce qui fait dire que l’instauration de la démocratie, d’une manière ou d’autre, avancera à pas de tortue, voire d’escargot.

Par Jean-Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France

D’autres articles sur l’Afrique

Makaila Nguebla: un journaliste tchadien devant la justice française

Ancien résident de la Maison des Journalistes, Makaila Nguebla doit comparaître devant la justice française le 17 septembre prochain. Son tort? Avoir diffusé un article dénonçant les dérives financières et le clientélisme d’Abbas Tolli, neveu du président tchadien Idriss Deby et actuel gouverneur de la banque des états de l’Afrique centrale.

Des publications remettant en cause Abbas Tolli et ses agissements, il en existe beaucoup. Mais c’est cet article, “Tchad : le décrété gouverneur Abbas Tolli”, qui est dans la ligne de mire du neveu du président tchadien.


«On vous taxe de délinquant pour avoir publié un article»


En diffusant l’article sur son blog Makaila.fr, son rédacteur en chef, Makaila Nguebla, s’est attiré les foudres de l’homme d’affaires, lui valant ainsi une comparution devant la justice française le 17 septembre 2019.

Rédigée le 10 novembre 2017 par un anonyme, la publication incrimine Abbas Tolli d’avoir accumulé de l’argent, et d’avoir ainsi contribué au pillage de l’état tchadien. L’écrit dénonce également les pratiques de clientélisme du gouverneur de la banque des états de l’Afrique centrale qui «a déjà débarqué les DG (directeur général) de la Banque de l’Habitat pour mettre son cousin un certain Hassaballah et à la CBT pour mettre un certain Ali Timan» selon l’auteur.

Abbas Tolli aurait aussi fait du favoritisme en ayant pris «des Congolais et des centrafricains comme ses secrétaires». Pour Makaila, ces abus «devaient être révélés à l’opinion publique tchadienne».

Son blog étant l’un des sites les plus lus du Tchad, le journaliste «{se devait} de relayer l’information». Makaila pensait aussi que son statut de réfugié politique le protégerait d’une quelconque menace…

Malgré la diffusion d’un droit de réponse, demandé par l’entourage d’Abbas Tolli, Makaila reçoit le 20 décembre 2017 une mise en demeure de la part de l’avocat de Monsieur Tolli: Makaila a 48 heures pour retirer l’article de son blog. «Si je retire l’article, cela veut dire que je retire également le droit de réponse» rétorque le journaliste.

Bien que les deux écrits aient été retirés en temps et en heure, Makaila Nguebla est tout de même convoqué le 28 novembre 2018 à la Brigade de Répression de la Délinquance contre la personne. Le journaliste est entendu pour la première fois par un officier de la police: il est auditionné en «qualité de suspect» pour «diffamation publique envers particulier», et risque une amende.

La situation le dépasse: «On vous taxe de délinquant pour avoir publié un article».

Makaila Nguebla participe régulièrement à l’opérationRenvoyé Spécial en partenariat avec le CLEMI

L’affaire s’étend au-delà des murs de la Brigade de Répression de la Délinquance. Le 3 juin 2019, Makaila est entendu par un juge des instructions au Tribunal de grande instance de Paris. Aux accusations de «diffamation publique envers particulier» qui pesaient déjà contre lui, viennent s’ajouter des accusations «d’injure publique envers particuliers».

Mme Mylène Huguet, la Vice-présidente chargée de l’Instruction, ordonne le renvoi de l’affaire devant le tribunal correctionnel. Déterminé à rétablir la vérité des faits et à faire valoir ses droits de journaliste, Makaila a constitué sa défense. Pour plaider sa cause, il a fait appel à William Bourdon, avocat spécialisé, entre autres, dans le droit de la presse et de l’édition, et grand défenseur des droits de l’Homme.

Parallèlement, la Maison des journalistes soutient elle aussi le journaliste: à travers une attestation de témoignage, elle a fait état de la moralité de Makaila, de ses engagements journalistiques et a rappelé le contexte politique de son pays.

Si le journaliste tchadien semble «plutôt confiant» face à sa convocation devant le tribunal correctionnel, le 17 septembre prochain, l’ampleur que prend cette affaire suscite son incompréhension et lui laisse un goût amer: «Saisir la justice française pour attaquer en justice un journaliste réfugié politique, il y a de quoi s’interroger sur la motivation réelle de cette poursuite… Ca ressemble à de l’acharnement». 

Les confessions du braqueur Rédoine Faid évadé de prison

[PORTRAIT] La réussite de sa cavale, il la doit en partie aux flics de la BRB qui, à son avis, décident carrément d’être aveugle en sous-estimant les mecs de la Cité. “S’ils avaient mis en place une petite surveillance, ils auraient pu m’attraper. Pour eux, le voyou ne peut-être qu’un gaulois, passer par la centrale. Cela ne peut pas être le Rédoine de Creil. Cet algérien de banlieue de merde. A leurs yeux, on est de la racaille”.

La justice camerounaise ébranlée par l’ONU dans l’affaire Marafa

[Par René DASSIÉ]

Le Groupe de Travail de l’ONU qui s’est penché sur la détention arbitraire de l’ancien ministre camerounais de l’Intérieurdemande sa libération immédiate. La Rapporteuse de l’ONU sur l’indépendance de la justice et des avocats va également être saisie. C’est la première fois que le gouvernement camerounais est obligé de présenter sa défense devant cet organe onusien de justice.

Au sujet de l’affaire Marafa Hamidou Yaya qu’il a eu à examiner, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire « se réjouit de la coopération du gouvernement camerounais qui a su répondre aux allégations dans les délais impartis ».

Cette mention dans l’avis rendu en avril par l’organe onusien et communiqué aux autorités camerounaises à la fin du mois dernier n’est pas anodine. Devant les Nations Unis, le Cameroun s’est âprement battu, pour prouver qu’il n’avait pas violé les droits de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MINATD), à un procès équitable.

(Source : Agence Ecofin)

Marafa Hamidou Yaya (Source : Agence Ecofin)

Une démarche inédite. Dans les précédentes affaires soumises à l’attention des juristes onusiens, Yaoundé avait en effet brillé par son silence, obligeant le Groupe de travail à rendre des décisions par défaut.

Ce fut le cas notamment pour les Franco-camerounais Michel Thierry Atangana et Lydienne Eyoum, tous deux finalement libérés à la faveur d’un décret du président Paul Biya. Interpellé par le Groupe de travail lorsqu’il examinait leurs requêtes respectives, le gouvernement camerounais n’avait pas jugé utile de répondre.

Le cas Marafa est donc symbolique : c’est en totale connaissance des arguments des deux parties que les juristes onusiens ont tranché. L’État du Cameroun a fait face à un véritable procès mené selon le principe judiciaire du contradictoire, à l’ONU. La lecture de la décision des juristes internationaux qui composent le Groupe de travail permet de relever qu’il s’est battu avec détermination. Avant de perdre : le Groupe de travail a tranché en faveur l’ancien ministre et demande sa libération.

Le gouvernement camerounais a demandé un délai pour préparer sa réponse

De fait, c’est en juin de l’année dernière que le Pr Ndiva Kofele kale, un des avocats Marafa Hamidou Yaya saisit le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’Onu, pour le compte de son client.

C’est à dire au moment où l’ancien ministre entame sa quatrième année de détention, dans une caserne militaire du Secrétariat d’Etat à la Défense de Yaoundé.

Au petit matin du 22 septembre 2012, il avait été condamné à 25 ans de prison pour « complicité intellectuelle » de détournement de deniers publics. Il a toujours clamé son innocence dans cette affaire née de l’achat manqué au début des années 2000, d’un avion pour les déplacements du président camerounais. En mai dernier, lors d’un procès expéditif, la Cour suprême de Yaoundé a ramené sa peine à 20 ans de prison. Pour la communauté internationale, il est un prisonnier politique.

Dans sa requête au Groupe de travail sur la détention arbitraire, l’avocat de l’ancien ministre explique que les droits de son client à un procès équitable ont été régulièrement violés tout au long de la procédure qui a conduit à sa condamnation. Il soutient que les vraies motivations de son incarcération sont politiques, et découlent du dévoilement de son ambition présidentielle.

Lorsque le 1er juillet 2015, le Groupe de travail invite le gouvernement camerounais à répondre à ces accusations, celui-ci réagit promptement. Moins d’une semaine après, Yaoundé demande un délai supplémentaire de soixante jours, pour préparer sa réponse. Celle-ci parviendra finalement à l’organe onusien le 30 septembre.

(Source : cameroon web news)

(Source : cameroon web news)

Une délibération longue et difficile

 Les pièces de dossier fournies par les deux parties aux juristes de l’Onu sont très volumineux : elles dépassent le millier de pages. Ce qui oblige les experts à prolonger leur période de leur délibération. Il leur faudra six mois, de novembre 2015 à avril 2016, pour examiner l’ensemble des éléments et trancher.

Leur verdict est sans appel : Marafa Hamidou Yaya a été victime d’abus judiciaires et sa détention est arbitraire.

« La conclusion du Groupe de travail est limpide : M. Yaya a été victime d’une violation extrêmement grave de son droit à un procès équitable rendant nulles mais aussi non avenues les procédures engagées contre lui », écrivent les experts onusien.

L’indépendance de la justice camerounaise en question

Pour le Professeur Ndiva Kofele Kale, cette conclusion met en doute l’indépendance de la justice camerounaise dans l’affaire Marafa.

« Les six éminents juristes qui composent le Groupe de travail avaient devant eux les mêmes documents que le Ministère Public qui avait mis en accusation Marafa ; les juges de la Haute Cour du Mfoundi qui l’ont déclaré coupable et les honorables juges de notre Cour suprême qui ont confirmé le jugement de première instance (…) Pourtant après avoir examiner le mêmes preuves, le panel des juristes du Groupe de Travail est arrivé à la conclusion opposée ! Comment se fait-il que nos magistrats se soient trompés ? », s’interroge-t-il, dans un communiqué.

Paul Biya, président du Cameroun (Source : étudiant-ados)

Paul Biya, président du Cameroun (Source : étudiant-ados)

Dans son avis, le Groupe de travail a écrit que le gouvernement camerounais a « l’obligation » de « mettre fin » à la détention de Marafa Hamidou Yaya, et « d’accorder à la victime une réparation appropriée ». Il a aussi signalé qu’il allait saisir la Rapporteuse de l’Onu sur l’indépendance des juges et des avocats, pour toute action appropriée.

« Dans tous les cas, cela ne donne pas une bonne image du système judiciaire camerounais vu que cette saisine met maintenant en doute son indépendance et impartialité tant vantées », commente l’avocat.

« La décision du Groupe de Travail innocente mon client et confirme ce qu’il a toujours dit, c’est à dire qu’il est innocent de toutes les accusations portées contre lui », conclut-il.

Le gouvernement camerounais n’a pas commenté l’avis.

Le Groupe de travail qui l’a enjoint à libérer sans délai l’ancien ministre a indiqué que s’il le souhaitait, il pourrait engager « un nouveau procès où tous ses droits devront être entièrement respectés, pourvu que le Ministère public ait des raisons valables de le poursuivre ».

 

 

Afrique : l’heure de la justice a-t-elle sonné ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

L’heure de la justice, en Afrique, contre les crimes impunis, a-t-elle sonné ? Les deux procès qui viennent de s’y dérouler semblent l’indiquer. Le 30 mai, à Dakar, au Sénégal, c’est Hissène Habré, l’ancien président du Tchad, qui était devant les juges, tandis que le 31 mai, à Abidjan, en Côte d’Ivoire, ce fut le tour de Simone, l’épouse de l’ancien président Laurent Gbagbo. Lui-même retenu à la Cour pénale internationale (CPI), à la Haye, aux Pays-Bas.
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Pourquoi il faudra lire, « Revenge porn », de Nathalie Koah, quand il sera autorisé à sortir

[Par René DASSIE]

Le livre expose un cas d’école de l’insécurité judiciaire qui règne au Cameroun.

« Revenge porn *», un livre autobiographique dans lequel Nathalie Koah, une jeune Camerounaise accuse son ex-amant, le footballeur international Samuel Eto’o d’avoir diffusé ses photos intimes sur internet, ne sortira pas officiellement le jeudi 18 février comme annoncée.

(Source : Éditions du Moment)

(Source : Éditions du Moment)

En cause, un blocage judiciaire. Dans une vidéo postée sur sa page Facebook il y a deux jours, l’auteure, ex-employée de Camerco-co, la compagnie aérienne nationale camerounaise déclarait que celui-ci avait obtenu du juge français des référés la suspension de la vente de l’ouvrage sur le territoire hexagonale. Elle expliquait que le juge avait décidé de prendre du temps pour examiner en profondeur le contenu du livre, avait-elle expliqué.

Lundi, un communiqué de l’entourage professionnel de Mme Koah indiquait déjà que Samuel Eto’o, sociétaire depuis l’année dernière du club turc Antalyaspor avait assigné l’éditeur, les Éditions du Moment, en référé, pour atteinte « à l’intimité et à la vie privée. » Il demandait l’interdiction de l’ouvrage à la vente.

L’ex-capitaine des Lions indomptables, l’équipe nationale du Cameroun, a donc provisoirement eu gain de cause.

 

 

 

Samuel Eto'o (Source : AFP)

Samuel Eto’o (Source : AFP)

Le livre de la jeune Camerounaise n’aura donc pas connu en France le même sort que celui de la nageuse Laure Manaudou, qui s’inscrit dans le même registre.

Le précédent Manaudou

Il y a deux ans en effet, la championne de natation au palmarès impressionnant – 96 médailles et sept records du monde- publiait «  Entre les lignes » son autobiographie, dans laquelle elle accusait son ex-petit ami, le nageur Pierre Henri, d’avoir diffusé quelques années plus tôt sur le web ses photos intimes.

Niant les faits, celui-ci avait assigné Mme Manaudou en citation directe devant le tribunal correctionnel de Marseille, pour « grave atteinte à son intégrité morale ». Il avait réclamé 500.000 euros de dommages et intérêts.

Le livre n’avait cependant pas été interdit.

Le revenge porn, un mal récurrent d’Internet 

« Revenge Porn » mérite pourtant d’être lu. Certains critiques lui reprochent son manque de recherche stylistique. D’autres n’y voient que la sombre vengeance d’une femme qui a profondément été meurtrie de voir sa nudité exposée aux yeux du monde. Les plus déterminés, fans du talentueux footballeur ont même évoqué l’effet néfaste d’un tel livre sur l’image du Cameroun, pays d’origine des deux protagonistes, pour soutenir son interdiction.

Des arguments qui n’entament en rien la pertinence du récit, lequel, au-delà des souffrances personnelles de son auteure, révèle l’insécurité judiciaire qui règne dans la société camerounaise gangrenée par la corruption.

On pourrait même objecter à la décharge de Mme Koah que le style linéaire pour lequel elle a opté, son dédain d’une saturation de la narration par une description compliquée des paysages et des décors sied bien au style du témoignage.

Nathalie Koah (Source : Twitter)

Nathalie Koah (Source : Twitter)

 

« Revenge Porn » se lit comme le procès verbal tout juste amélioré d’une déposition judiciaire ou comme une longue confidence recueillie dans un confessionnal. Nathalie Koah ne juge pas. Elle vide son cœur. Les adeptes du voyeurisme pourraient bien se délecter de l’évocation de la sexualité débridée du richissime footballeur exposée par son ex-maitresse. Mais ce faisant, ils passeraient à côté de l’essentiel.

Le livre évoque certes de manière elliptique les scènes de sexe à plusieurs au cours desquelles Samuel Eto’o aurait partagé Mme Koah avec ses amis. Il raconte aussi le jeu de cache-cache avec l’épouse du footballeur souvent invitée dans le même environnement que la maîtresse et les pressions que M. Eto’o aurait exercées sur la narratrice pour qu’elle réalise et lui rapporte des clichés compromettants de son concurrent supposé, le chanteur de Rumba Fally Ipupa.

Ce n’est toutefois pas tout cela qui a poussé l’auteure à prendre la plume. Nathalie Koah était consentante pour les partouzes, et appréciait bien les cadeaux luxueux dont son amant la couvrait et les séjours qu’il lui offrait dans de somptueux palaces. Bien plus, elle avait décidé de mettre un terme à cette vie tumultueuse, en quittant le footballeur. Lequel n’a pas ménagé ses moyens pour se venger.

(Source : AFP)

(Source : AFP)

Victor Hugo a écrit dans Les Contemplations : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »

Dans la société camerounaise qui offre peu d’opportunité aux jeunes et où l’argent, détenu par le petit nombre est roi, n’importe quelle jeune femme aurait pu se retrouver à la place de Nathalie Koah, et subir les humiliations auxquelles elle a été exposée.

La justice camerounaise muselée par l’argent et les paillettes

Mais surtout, « Revenge porn » offre un témoignage poignant de l’insécurité judiciaire qui règne dans une société camerounaise gangrenée par la corruption, où la justice s’adjuge au plus offrant.

On lit ainsi qu’après l’avoir soumise à d’atroces pressions pour récupérer, inélégance suprême, tous les cadeaux de valeur qu’il lui avait offerts, l’amant de Mme Koah a fait usage de son carnet d’adresse pour la jeter en cellule. Cueillie un matin au sortir d’une boite de nuit, elle est ainsi conduite dans un commissariat où elle s’entend dire qu’elle est poursuivi pour escroquerie.

Tout l’interrogatoire consistera à faire pression sur elle pour qu’elle rembourse les cadeaux, que son amant milliardaire a chiffrés à 200 millions de francs CFA.

Pour l’extirper de sa cellule infecte au bout de trois jours de supplice, son entourage devra également recourir à « une relation haut placée », laquelle emmène le procureur à infléchir sa position et à reconnaître qu’il s’agissait d’une affaire civile dans laquelle « la loi ne prévoit ni mandat d’arrêt, ni garde à vue ».

« L’affaire Eto’o-Koah cache sans doute des milliers de cas similaires aux conséquences sûrement bien plus dévastatrices. En m’endormant enfin après deux nuits blanches ou presque, je pense au scandale quotidien vécu par ces femmes sans titres, esclaves d’un patriarcat archaïque et de la corruption ordinaire, qui n’ont pas la chance que j’ai eue», écrit Mme koah en fin de son ouvrage.

 

* Revenge porn – Foot, Sexe, argent. Le témoignage de l’ex de Samuel Eto’o, édition du Moment.