Ce lundi 9 octobre au Théâtre du Châtelet, les anciens journalistes du Journal du Dimanche se sont réunis en collectif et ont organisé la « Nuit de l’indépendance pour une presse libre » après l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête de l’hebdomadaire.
Il y avait foule ce lundi 9 octobre à l’entrée du Théâtre du Châtelet, dans le 1ᵉʳ arrondissement de Paris à 20h30. Et pour cause : les anciens journalistes du JDD étaient à l’honneur. Après une grève de 40 jours pour défendre leur indépendance suite à l’arrivée de Geoffroy Lejeune, ancien de Valeurs Actuelles les « ex » du Journal du Dimanche se sont regroupés pour proposer la « Nuit de l’indépendance pour une presse libre ». Au programme de ces plus de deux heures de spectacle engagé : des prestations entre autre de Flavien Berger, Lison Daniel, Sara Forever, des apparitions d’humoristes tels que Nicole Ferroni, Guillaume Meurice ou encore François Morel, mais aussi des débats avec des politiques de tous bords, animés par Julia Cagé et le streameur Jean Massiet.
« Combattre la montée de l’extrêmedroite au quotidien et défendre la liberté et l’indépendance de la presse ». Les mots sont lâchés lors du discours d’introduction d’Olivier Py, directeur du Théâtre du Châtelet. Tel un mot d’ordre, les artistes ont enchaîné leurs prestations sur scène. Lecture de textes de George Orwell, chants, danses, anecdotes… Chaque performance livrait un message ferme sur la situation actuelle de la presse, comme cette lecture puissante de Nicolas Mathieu qui revenait notamment sur la garde à vue de 39 heures d’Ariane Lavrilleux, journaliste à Disclose.
Les journalistes du JDD acclamés
L’un des moments forts de cet événement était indéniablement l’apparition des journalistes du Journal du Dimanche, acclamés par le public. Après être revenus sur la désormais longue grève de la rédaction, les anciens journalistes ont profité de cette « Nuit de l’indépendance » pour dévoiler une nouvelle association, créée collectivement : « Article 34 ». Ce nom fait explicitement référence à l’article éponyme de la Constitution qui définit la loi et délimite son domaine. Dans sa mise à jour de 2008, ce texte garantit « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Présente sur scène avec les quelques 90 ex’ du JDD, Juliette Demey, co-présidente de ce grand collectif a expliqué que cette association en cours de développement servira entre autres au « lobbying auprès de l’ensemble des politiques pour mieux protéger les journalistes ».
Sur scène, les anciens journalistes du JDD ont dévoilé les contours de leur nouvelle association, « Article 34 »
Plus original, le collectif a indiqué avoir créé un site, article34.org, sur lequel sera publié le lundi 16 octobre le Journal du lundi, réalisé à l’occasion de cette Nuit de l’indépendance. « Une manière pour nous de garder une trace de cet événement exceptionnel, de le partager avec ceux qui n’ont pas pu y assister et de prolonger les débats au-delà de cette Nuit particulière », précise le groupe sur le site web de l’association.
Des politiques chahutés
Pour montrer qu’il existe d’autres solutions au sein de différents médias, le streameur Jean Massiet a accueilli sur scène quatre journalistes qui appartiennent à des bureaux de SDJ (société de journalistes) qui ont un droit de vote sur le directeur de leur rédaction : Libération, le Monde, les Echos et Médiapart. Chacun d’entre eux a pu décrire son mode de fonctionnement. Aux Echos par exemple, la rédaction a rejeté le 28 septembre dernier le nom de François Vidal soumis par LVMH, leur actionnaire, afin de prendre la tête du quotidien spécialisé en économie.
« On a conscience que le texte arrive après la longue bataille menée par le JDD. Eux- mêmes nous l’ont dit. Mais on veut agir pour éviter que cette situation puisse se reproduire dans d’autres médias », explique Violette Spillebout. Des sifflets et des exclamations viennent perturber les échanges : « C’est honteux d’inviter Renaissance ! », s’exclame un spectateur. « À bas le 49.3 ! », lance un autre.
Sur scène, les anciens journalistes du JDD ont dévoilé les contours de leur nouvelle association, « Article 34 »
Cette « Nuit de l’indépendance pour une presse libre » s’est conclue par un morceau de batterie interprété par Léonie Pernet, dont le refrain « Y’en a marre ! » peut être perçu comme un message subliminal de lassitude de l’état actuel de la presse, à l’heure où s’ouvrent les États généraux de l’information.
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2023/10/IMG_3520-2-1-scaled.jpg?fit=2560%2C1920&ssl=119202560Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2023-10-11 13:18:082023-10-11 13:18:10"Faire du lobbying pour mieux protéger les journalistes" : les ex' du JDD présentent "Article 34", leur nouvelle association
À seulement 26 ans, Tamilla jouit déjà d’un brillant parcours humanitaire et professionnel. Diplômée en droit de l’une des meilleures universités de Moscou, la jeune Russe a fait ses armes en tant qu’avocate dans l’organisation Memorial Human Rights Defence Center, située dans la capitale.Lauréate 2023 de l’Initiative Marianne, Tamilla Imanova revient pour l’Œil sur la défense des droits de l’Homme en Russie, et sur l’impact de l’activisme sur la guerre en Ukraine.
Rencontre.
Une vie pour les droits de l’Homme et les libertés publiques
La défense des droits de l’Homme n’était pourtant pas son premier choix de carrière. À 16 ans, lors d’un échange scolaire aux Etats-Unis à Rio Vista au Texas en 2013, elle découvre un niveau de vie inconnu pour elle jusqu’alors, qu’elle aimerait ramener dans sa ville natale de Russie.
« Les gens vivaient mieux que nous. Les enfants pouvaient conduire à 16 ans, ils avaient des ordinateurs modernes à l’école (nous en avions aussi mais des anciens), une meilleure éducation et les professeurs étaient respectueux », énumère-t-elle avec nostalgie.
« En Russie, les professeurs te manquent très souvent de respect, de même que le gouvernement ne te respectera pas en tant que citoyen. » Une réflexion nourrie aussi par ses loisirs tels les cours de tennis et le club d’échecs, faisant naître peu à peu une vocation en elle.
La jeune femme, solaire, se souvient qu’elle ne souhaitait pas devenir avocate lors de sa première année de droit en 2015, mais qu’elle a toujours voulu aider les autres. Lors d’une recherche de stage, elle découvre le Memorial, qui lui inspire très rapidement son futur professionnel.
Memorial-International est une ONG historique créée à la dissolution du bloc soviétique en 1989, permettant de documenter l’oppression soviétique, particulièrement durant la période stalinienne.
En 1993, une autre ONG voit le jour : le Centre des Droits Humains “Memorial”, pour protéger les citoyens Russes de la répression actuelle. « Les deux organisations sont amies et échangent régulièrement. » Le prix Nobel a par ailleurs été attribué aux deux branches, en reconnaissance de leur travail passé et actuel.
Tamilla intègre le Memorial en tant qu’avocate stagiaire en 2019, sur recommandation de ses professeurs. Elle apprécie énormément le travail accompli, loin des codes stricts de l’université. « Je voulais revenir au plus vite, dès l’obtention de mon diplôme », explique-t-elle d’un ton enjoué au micro.
« Je dis souvent qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre moi et le Memorial », plaisante la défenseure. « Une histoire d’amour qui dure depuis quatre ans ! »
Avant l’invasion de l’Ukraine, son travail consistait à représenter des citoyens des régions reculées du pays, comme pour des affaires de violences conjugales, de torture ou de violences policières avec son équipe. Les droits de l’Homme et la défense des libertés publiques sont les fondements de l’organisation.
Dans des régions comme le Daghestan, la tradition prévaut sur le droit, ce qu’elle tentait de changer. Génie dans son domaine, elle remporte son premier procès devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme en 2022 concernant des violences domestiques, une grande fierté pour elle.
« La plupart du temps, la Russie payait les amendes de la CEDH. Mais parfois, les arrêts de la Cour amenaient à une nouvelle législation russe concernant les droits de l’Homme. »
Les dossiers du Memorial sont souvent envoyés à la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsque la Russie leur dénie la justice, ce qui attire l’ire du Kremlin.
Le Memorial, prix Nobel de la paix 2022 et épine dans le pied du Kremlin
En 2021, le gouvernement russe s’attaque au Memorial, qu’il compte bien dissoudre grâce à la loi sur l’influence occidentale et les agents de l’étranger. Travaillant avec nombre d’acteurs européens, le Memorial avait été labélisé agent de l’étranger depuis 2014, car il avait dénoncé le conflit en Crimée, et ses membres encore libres risquent toujours la prison.
« En Russie, tout se passe de manière légale mais la loi peut rapidement être détournée » par le gouvernement. Depuis cette année, vous pouvez être caractérisé d’agent de l’étranger sans pour autant recevoir de subventions de l’extérieur.
« N’importe qui pouvait être considéré comme agent de l’étranger, que l’on travaille pour une association ou non. Le simple fait d’utiliser Facebook pouvait vous incriminer, la loi demeure très floue », détaille Tamilla.
Les 28 et 29 décembre 2021, la Cour Suprême et le tribunal de Moscou ordonne la dissolution des deux ONG, décision unanimement condamnée par le Conseil de l’Europe et à l’international.
Aujourd’hui, elles ont été contraintes à l’exil, malgré la demande de suspension de la dissolution par la CEDH. « Nous avons rendu notre combat public sur Telegram, Instagram, Twitter et VKontakte en informant le public de notre dissolution, mais cela n’a pas arrêté le gouvernement. »
Une décision choquante pour les équipes du Memorial, qui tentent néanmoins d’envisager l’avenir : fallait-il délocaliser l’ONG, ou bien en monter une nouvelle ? Devaient-ils braver l’interdiction et continuer de travailler en secret en Russie ? Avant même de pouvoir prendre une décision, les équipes observent avec catastrophe Vladimir Poutine envahir l’Ukraine le 24 février 2022.
« Très vite, ils ont commencé à arrêter toute personne qui critiquait la guerre. Il était impossible pour des ONG de protection des droits de l’Homme comme la nôtre de rester silencieuse », affirme avec force Tamilla. « Il était impossible que le peuple russe se taise. En février et mars 2022, il ne se passait pas un jour sans que les citoyens ne manifestent. »
Et si aujourd’hui cette contestation est moins médiatisée, des manifestations contre la guerre sont toujours programmées en Russie. « Nous n’avons donc pas changé nos positions, et avons pris la décision de fonder un nouvel organisme : le Memorial HRDC, Human Rights Defence Center. Nous n’avons pas le droit de travailler avec notre organisation initiale, mais une nouvelle sous un nom légèrement différent ne pose pas problème. » Pour l’instant.
Certains de ses collègues décident de quitter la Russie et d’opérer depuis l’étranger, faisant toujours face à de possibles procédures judiciaires. À l’instar de Bakhrom Khamroyev, condamné à 14 ans de prison en mai 2023 pour « terrorisme et traîtrise. »
Sa faute ? Avoir fourni des conseils juridiques à un groupe islamique que le gouvernement a classé comme terroriste, bien qu’aucun de ses membres n’ait commis d’acte de violence.
Initiative Marianne, incubateur de tous les projets
Le co-président du Memorial, Oleg Orlov, grand militant des droits et libertés en Russie, avait décidé de rester sur place. Le 8 juin dernier, il a été jugé pour avoir « discrédité l’armée » lors d’une interview avec Mediapart, où il a affirmé que la Russie était désormais « fasciste. »
Après plusieurs amendes, il encourt aujourd’hui l’emprisonnement. « Nous avons couvert les deux premières audiences du procès, et nous attendons vivement celle du 21 juillet », nous explique Tamilla, l’expression déterminée. « Nous n’avons pas réellement d’espoir, mais il reste très courageux et nous maintient dans la bonne direction. »
« J’ai moi-même quitté la Russie en avril 2022 pour la Pologne, qui m’a fourni un visa humanitaire. Cette année, ils m’ont donné un permis de résidence temporaire, ils ont été très accueillants. » Ses collègues lui ont également permis de participer à l’Initiative Marianne en lui laissant du temps en-dehors du travail.
Une photo de Marina Merkulova.
Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.
Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétence et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.
Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.
Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.
Rentrer en Russie pour finir en prison
« Je ne retournerai pas en Russie pour l’instant, c’est bien trop dangereux pour moi. Il suffit de chercher mon nom sur Google pour voir mes actions contre l’invasion de l’Ukraine et mes positions sur les droits de l’Homme. » Des positions qui pourraient lui valoir la prison, comme son travail avec les minorités ethniques musulmanes qu’elle continue de défendre, ainsi que la recherche et l’accompagnement juridique des Ukrainiens détenus sur le sol russe.
« Ce que j’ai le plus apprécié avec l’Initiative Marianne a été de pouvoir travailler non seulement avec 14 personnes issues de nationalités variées, mais aussi de domaines différents. C’était la première fois que je rencontrais des défenseur.es des droits de divers secteurs. » Des rencontres qui ont conduit à un changement dans son développement personnel et professionnel.
« J’ai découvert le travail d’activistes, journalistes et politiciens étranger au mien, mais servant pourtant la même cause. Nous partageons notre travail et souhaitons rester en contact avec tout le monde. » Aujourd’hui, Tamilla compte étendre le réseau Alumni des lauréats et rencontrer la promotion 2022. « J’ai aussi poussé deux amis à candidater pour 2024 », confie-t-elle avec un rire discret.
« J’espère pouvoir commencer le mentoring dès le début du programme en 2024, et non quelques semaines après. » Grâce à son permis de résidence temporaire polonais, Tamilla est libre de se déplacer dans l’espace Schengen, ce qui lui permettra de continuer plus sereinement son travail pour le Memorial et l’ONU.
Une équipe du Memorial est par ailleurs entièrement dédiée à l’accompagnement des Russes qui refusent d’être mobilisés en Ukraine. Beaucoup ont été enlevés puis emprisonnés, « ou bien on leur lave le cerveau et on leur promet la prison pour qu’ils aillent au front », détaille Tamilla.
« Nous avons un bot Telegram où les civils peuvent nous écrire, et nous sélectionnons nos cas. Ce n’est pas très sûr comme système, mais de nombreux de Russes sont sur Telegram. Nous possédons également une hotline qui est très utilisée. »
« Nous travaillons avec un rapporteur spécial de l’ONU sur la situation en Russie, la Bulgare Mariana Katzarova, à qui nous fournissons nos preuves d’abus de pouvoir du Kremlin. Nous comptons aussi élargir nos équipes juridiques », annonce fièrement Tamilla, point découragée par la quantité de travail.
« A force de travailler sur l’invasion, nous avons même développé de solides compétences sur la juridiction et législation militaires russes », précise-t-elle toujours en souriant. De quoi bâtir une expérience hors du commun à un jeune âge, que l’Initiative Marianne a mis à l’honneur cette année.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2023/07/3X012888-1-scaled.jpg?fit=2560%2C1707&ssl=117072560Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2023-07-24 10:31:082023-07-24 10:31:11PORTRAIT. Tamilla Imanova : « Il était impossible que le peuple russe se taise »
Mardi 16 mai 2023, les unités de sécurité tunisienne ont arrêté deux étudiants Youssef Chalbi et Dhia Nasseur, après la publication sur les réseaux sociaux d’une chanson satirique qu’ils ont réalisée, critiquant la police. Un troisième étudiant a réussi à s’échapper.
Selon Imen Souissi, avocate des deux étudiants, la justice leur reproche d’avoir « porté atteinte à autrui via les réseaux sociaux » et d’avoir « attribué des faits inexacts à un agent public » et s’ils sont déclarés coupable, ils peuvent encourir une peine de prison jusqu’à 4 ans.
La défenseuse des droits, a également indiqué que l’arrestation ne fait pas suite à une plainte, et qu’il s’agit d’une décision prise de la part d’un agent de police, due à la popularité de la vidéo.
Une comparution a été fixée le mardi 23 mai devant le tribunal de Nabeul, des avocats se sont portés volontaires pour défendre les deux étudiants au nom de la liberté d’expression. Selon L’avocate Imen Souissi, « aucun juge ou policier n’a le droit de juger une œuvre d’art, sauf si elle incite à la haine ».
Une satire contre les arrestations arbitraires
L’antenne régionale de la LTDH (Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme) de Nabeul, a dénoncé dans une déclaration, l’arrestation des deux étudiants et a demandé leur libération immédiate et inconditionnelle, considérant qu’il s’agit d’un acte contre la liberté d’expression et d’un contrôle de la création, qu’on ne peut pas évaluer. Sauf de la part d’un critique d’art spécialisé.
La LTDH considère l’arrestation, arbitraire, et ne respecte pas les droits et les libertés, et a appelé les organisations civiles à la participation à une manifestation, mardi 23 mai. Date de l’audience au tribunal.
Dans leur vidéo, les trois jeunes ont critiqué d’une manière satirique la police et ses pratiques, notamment, comment les agents s’introduisent chez les citoyens sans mandat, et les soumet à un dépistage de drogue, afin de justifier les arrestations arbitraires.
Cette incarcération témoigne de la situation des droits de l’Homme qui se dégrade de plus en plus en Tunisie, à cause des multiples condamnations de la part des forces de l’ordre, des manifestants depuis l’annonce du président tunisien Kaïs Saïed de la procédure 25 juillet 2021. Cette formalité réduisant les libertés au sein du pays, inquiète autant les tunisiens que la communauté internationale.
En Tunisie, une dizaine de journalistes et d’opposants au président, ont été condamnés suite à leur expression du désaccord avec les politiques du gouvernement.
Les militants politiques continuent à faire opposition à Kaïs Saïed, malgré l’arrestation de plusieurs membres et leaders.
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2023/06/IMGBN97195arrestation.jpg?fit=840%2C488&ssl=1488840Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2023-06-12 13:27:232023-06-14 14:00:54La poursuite des restrictions contre la liberté en Tunisie : arrestation de deux étudiants pour une chanson satirique
Ce lundi 13 février 2023, la MDJ a accueilli l’Initiative Marianne, à l’occasion d’une table ronde. Fondée par l’Elysée en 2021, l’Initiative Marianne a pour vocation d’aider et soutenir des défenseurs des droits du monde entier à construire leur projet. Les 12 lauréats 2023 ont ainsi pu rencontrer les journalistes de la MDJ, afin d’échanger expériences et perspectives.
Leur particularité ? Faire partie des lauréats 2023 de l’initiative. Bahreïn, Bangladesh, Cameroun, Russie, Ouganda, ou encore Venezuela, les quatre coins du monde sont représentés. Ils sont avocats, directeurs d’un institut des droits de l’Homme, fondateurs d’associations, d’agence de publicité ou encore d’ONG, interprètes pour les instituts de l’ONU, consultants en environnement, et sont de fervents défenseurs des droits.
La directrice de la MDJ Darline Cothière effectue la visite aux défenseurs des droits.
Les journalistes Niaz Abdullah (Irak), Noorwali Khpalwak (Afghanistan), Nadiia Ivanova (Ukraine), Manar Rachwani (Syrie), Laura Seco Pacheco, Wimar Verdecia Fuentes (Cuba), Alhussein Sano (Guinée Konakry) et Elyaas Ehsas (Afghanistan) étaient présents pour échanger autour d’une table ronde avec les lauréats. Au programme, les droits de l’Homme, de presse et d’expression dans les différents pays représentés.
De nombreux partenaires permettent à l’Initiative Marianne de pérenniser sa mission : le ministère des Affaires étrangères favorisant les candidats en France pour six mois, avec le groupe SOS, l’Agence Française de Développement et la Plateforme des droits de l’Homme. Une fois par mois, les lauréats visitent un organisme, association ou institut français pour la protection des droits de l’Homme afin de faire évoluer leur projet.
Les lauréats 2023 de l’Initiative Marianne discutent et débattent avec les journalistes de la MDJ.
La guerre en Ukraine a occupé une certaine place sur la table, évoquée par des défenseurs de droits russes : Tamilla Ivanova, seulement âgée de 23 ans, défendait le droit de manifester et de se rassembler à Moscou, et enquêtait sur les disparitions inexpliquées en Tchétchénie lorsqu’elle a dû quitter le pays au début de la guerre. Des amis activistes avaient été emprisonnés à l’aube du conflit pour s’être exprimés contre l’invasion russe, la poussant alors à s’exiler.
La question des indigènes a également été soulevée à travers les interventions de Virginia Roque Aguilar, activiste environnementale du Salvador et persécutée par le président actuel, ainsi que du Colombien Eliecer Aras, indigène de la Sierra menacé de mort. Originaire du nord de la Colombie, Eliecer Aras a été témoin des politiques d’extermination des peuples indigènes menées par les milices paramilitaires, et dont son frère a été la malheureuse victime.
Recevant toujours des menaces de mort depuis la Colombie, il s’était réfugié un temps en Espagne avant de participer à l’Initiative. Aujourd’hui, Eliecer Aras travaille pour l’Organisation des victimes d’Etat en plus d’être bénévole pour la Croix Rouge.
Le Pérou a également été évoqué avec la défenseure péruvienne Karin Anchelia Jesusi, une femme courageuse se donnant corps et âme pour le peuple et les indigènes de son pays. Elle a expliqué accompagner depuis une quinzaine d’années des femmes ayant subi une stérilisation forcée (politique mise en place par l’Etat), alors que le pays traverse une crise économique et politique considérable.
Karin Anchelia Jesusi a tenu à rappeler qu’environ 60 personnes autochtones sont mortes dans les dernières manifestations, sans qu’aucune enquête n’ait été ouverte, faute d’intérêt du gouvernement. Une violation des droits de l’Homme que la Péruvienne a dénoncé et mis en lumière.
Estelle Lobe, activiste camerounaise de l’environnement et protection des populations locales, aide de son côté à protéger les autochtones vivant dans les espaces forestiers (dévastés par les groupes industriels). Elle a enquêté et exposé depuis plusieurs années « la chaîne de corruption de la zone forestière du bassin du Congo », tout en étant cofondatrice d’une ONG.
Cette dernière s’est fixée pour objectif la protection des déplacés internes et des migrants environnementaux d’Afrique. Autour de la table, Estelle Lobe a rappelé la gravité de la situation des libertés au Cameroun, et du muselage extrême des journalistes dans le pays, évoquant l’affaire du journaliste Martinez Zogo, assassiné en janvier 2023. Le collègue d’Estelle Lobe, originaire du Gabon mais travaillant dans le bassin du Congo, s’était fait tirer dessus il y a quelques semaines et est toujours persécuté à l’heure actuelle. Il a pu s’enfuir du pays depuis, gardant secret sa localisation précise.
La Maison des journalistes et l’Initiative Marianne aux termes d’une rencontre enrichissante. Une photo d’Alhussein Sano.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2023/02/PHOTO-2023-02-14-10-16-49.jpg?fit=1984%2C1120&ssl=111201984Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2023-02-14 11:40:202023-03-14 09:37:20Initiative Marianne 2023 : la Maison des journalistes aux côtés des défenseurs des droits
Ce vendredi 2 décembre, la Maison des Journalistes a accueilli la conférence de presse de l’Institut Européen Ouïghour, la veille de la marche contre le génocide Ouïghour à Paris. La présidente de l’Institut Dilnur Reyhan, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, le député Europe-Ecologie les Verts Yannick Jadot ainsi que la vice-présidente de l’Assemblée nationale Valérie Rabault (PS) sont venus soutenir la cause et s’exprimer au micro de la MDJ sur leurs prochaines actions législatives.
Après l’incendie d’un immeuble d’Urumti en Chine qui a fait 10 morts parmi la communauté ouïghoure, les Ouïghours en France ont voulu afficher leur soutien en organisant une grande marche contre le génocide samedi 3 décembre 2022, partant de Bastille. La marche avait pour objectif de rendre hommage aux victimes de l’incendie, apporter un soutien aux manifestations chinoises, ainsi que dénoncer l’inaction européenne et internationale face aux problématiques ouïghoures. « Cela fait plus de cinq ans » que le génocide se perpètre au su et vu de toute la communauté internationale, alors que « l’Europe peut faire peur aux gouvernements dictatoriaux. Jusqu’à quand va-t-elle rester amie avec ce régime totalitaire et génocidaire ? » s’est interrogée Dilnur Reyhan, aux côtés de Yannick Jadot, Valérie Rabault et Raphaël Glucksmann.
La Maison des journalistes, refuge pour les journalistes Ouïghours
Dilnur Reyhan, une femme énergique et à la voix claire, n’a pas mâché ses mots. Elle a assuré que « la politique sanitaire actuelle contribue à l’éradication des Ouïghours. La méthode génocidaire prend des formes différentes : ils meurent de maladie, de famine, de censure… L’incendie d’Urumqi en est la preuve. » Dilnur Reyhan certifie en outre qu’il y a eu non pas 10 mais 44 morts dans cet incendie, d’après des informations publiées par des membres de la communauté sur les réseaux sociaux chinois Yokou et WeChat, effacées depuis. La version officielle aurait été diluée pour ne pas plus provoquer la colère du peuple et l’indignation internationale.
Une manifestante Ouïghoure.
L’incendie n’est que la goutte qui fait déborder le vase. Depuis quatre mois, la région du Xinjiang où vivent la plupart des Ouïghours est sujette à un confinement des plus stricts, où les immeubles sont condamnés pour empêcher les citoyens de sortir et s’enfuir. Ils y meurent de faim et de manque de soins. Le drame d’Urumti « n’est ni plus ni moins que la suite de la politique génocidaire menée contre les Ouïghours », a affirmé Dilnur Reyhan. En Chine, les manifestations contre les strictes politiques sanitaires du gouvernement ont permis de faire souffler un vent nouveau sur les revendications ouïghoures, déjà un peu plus prises au sérieux en Chine qu’il y a quelques années. « Nous assistons à une prise de conscience des Chinois quant au sort de notre communauté, alors que depuis cinq ans le peuple était totalement indifférent à notre sort. » Quelques journalistes d’origine ouïghoure sont également hébergés à la Maison des journalistes, dédiée depuis 20 ans à l’accompagnement et le logement d’informateurs réfugiés du monde entier. « Une maison d’utilité publique et indispensable », saluera Dilnur Reyhan à la fin de la conférence de presse.
Marcher pour dénoncer
Pour l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, la lutte ne doit certainement pas s’arrêter là alors que les Chinois font entendre leur besoin de liberté. « C’est notre devoir de rappeler que ces crimes ne sont pas anecdotiques et à mettre sous le tapis », a-t-il martelé. Autrement, la France et la communauté internationale « seront complices de ces crimes. »
De gauche à droite : Yannick Jadot (EELV), Valérie Rabault (PS), Raphaël Glucksmann (S&D) et Dilnur Reyhan.
Selon le député du groupe Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, il demeure impératif que « toutes les démocraties dénoncent le régime chinois et expriment leur solidarité envers les détenus ouïghours dans les camps, ceux morts brûlés vifs dans l’immeuble d’Urumti », ainsi que « soutenir les jeunes Chinois qui se soulèvent aujourd’hui en descendant nous-mêmes dans la rue. » Un soutien clairement affiché par les centaines de citoyens français sur la place de la Bastille samedi 3 décembre. Raphaël Glucksmann a indiqué au micro de la Maison des journalistes qu’il était fondamental « de se retrouver ensemble en France et dans les rues, aux côtés des Chinois qui se démènent contre le régime. » Il a dénoté que « pour la première fois, les Han (NDLR : ethnie majoritaire et historique chinoise) sont solidaires des Ouïghours dans leurs manifestations. »
« En tant qu’européen, nous connaissons leurs intérêts. Nous nous devons désormais, en tant qu’êtres humains, d’être solidaires des autres. » Pour ce faire, l’eurodéputé a appelé au bannissement des produits issus de l’esclavage et à la surveillance des multinationales en relation avec des usines et entreprises chinoises, qui pourraient profiter de l’asservissement de la minorité musulmane pour produire à bas-coût.
Des avancées législatives françaises et européennes
Les deux députés et la vice-présidente se sont succédé par la suite au micro de la Maison des journalistes pour détailler leurs actions et engagements envers les Ouïghours depuis plusieurs années. Valérie Rabault a tenu à rappeler la création d’un groupe d’études ouïghoures, fondé à l’Assemblée nationale au sein de la NUPES fin novembre.
Ce groupe d’études ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des députés de gauche, les Insoumis s’étant abstenu de voter une résolution reconnaissant le génocide ouïghour par la Chine fin janvier 2022 (à l’inverse de la majorité de l’Assemblée). Valérie Rabault compte bien « remettre la question ouïghoure au cœur de l’actualité parlementaire », notamment par le biais du groupe d’études. Pour la vice-présidente de l’Assemblée, « défendre les Ouïghours, c’est défendre les démocraties qui se fragilisent à chaque fois qu’elles s’assoient sur les droits de l’Homme. »
Le député Yannick Jadot a quant à lui dénoncé la politique sanitaire et totalitaire chinoise, arguant qu’il ne s’agissait plus « d’une stratégie de confinement mais d’enfermement, de séquestration. » Il s’exprime depuis des années sur le génocide aux côtés de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, l’un des premiers en France à dénoncer les exactions chinoises et les marques se fournissant dans les entreprises employant de force des Ouïghours. « La naïveté n’existe pas en politique, cela s’appelle de la cupidité ou du cynisme », a-t-il proclamé en parcourant la salle du regard. Il a ensuite pointé du doigt la responsabilité d’autres politiciens français, n’hésitant pas à qualifier l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin « d’agent du Parti Communiste Chinois en France, nous plaçant dans des rapports de dépendance vis-à-vis de la Chine. »
L’ancien Premier ministre est connu pour avoir bâti une forte relation avec le gouvernement chinois notamment dans les domaines commercial et entrepreneurial, ayant reçu la « médaille de l’Amitié » des mains du président Xi Jinping et participant régulièrement à des émissions télévisées chinoises. Yannick Jadot évoque les camps d’internement dans le Xinjiang en tant que « camps de concentration et d’esclavage », assurant que les droits humains des Ouïghours ne sont absolument pas respectés.
Le député européen Raphaël Glucksmann en a également profité pour rappeler que deux textes législatifs seront prochainement discutés au Parlement européen, portant sur l’asservissement des Ouïghours. Le premier aura pour objectif l’instauration d’un « devoir de vigilance » de la part des entreprises en Europe, espérant « mettre fin à l’impunité des grands groupes » se fournissant dans les camps de concentration et travail forcé. Le second pourrait quant à lui prendre la forme d’une norme européenne pour interdire les produits nés de l’esclavage ouïghour sur le sol de l’Union, avec un renvoi systématique des produits visés. Encore faudra-t-il que le Parlement européen vote en faveur desdits textes.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/12/PHOTO-2022-12-06-12-11-02.jpg?fit=1024%2C768&ssl=17681024Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-12-06 11:41:262022-12-06 11:55:38La Maison des journalistes aux côtés de l'Institut Européen Ouïghour
Alors que la Chine est classée 177 sur 180 dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontière (RSF), la presse de la région administrative spéciale de Hong Kong a elle, pendant longtemps, bénéficié de son système libéral. Mais depuis la rétrocession en 1997, la donne a drastiquement changé. Hong Kong a chuté de la 18e place en 2002 à la 73e cette année. Les manifestations se déroulant depuis 3 mois à Hong Kong pourraient annoncer un tournant décisif pour le futur de la presse.
Grâce au “un pays, deux systèmes”, Hong Kong a longtemps accueilli les grandes agences de presse étrangère (AFP, Reuters pour ne citer qu’eux). Les réseaux Internet ne souffrent pas non plus du Grand Firewall chinois : des sites comme Google ou Facebook sont accessibles sans compromis. Mais derrière cette façade, la presse subit depuis les années 2000 de graves attaques de son voisin communiste.
En juillet 2018, on comptait à Hong Kong 78 quotidiens de presse, pour la majorité en langues chinoise ou anglaise. Ils cohabitent depuis toujours, à l’image de la société hongkongaise, une grande variété d’opinions dans la presse. Le grand clivage politique étant la relation avec la Chine, entre les médias dit pro-démocrates (Apple Daily, Passion Times) et les médias pro-chinois (Sing Pao Daily News, The Standard, Sing Tao Daily). Cependant, les sensibilités de ces médias varient également sur les questions politiques, libérales, internationales ou sociales.
En parallèle, deux journaux sont contrôlés par Pékin via le Bureau de liaison à Hong Kong (Wen Wei Po, Ta Kung Pao). Ces quotidiens diffusent la vision officielle de l’actualité mondiale et nationale du Parti communiste chinois (PCC), mais selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, ils sont considérés aux yeux des Hongkongais comme les journaux les moins crédibles.
Des journaux hongkongais déjà sous influence chinoise
Fin 2015, le rachat du South China Morning Post (SCMP), le quotidien anglophone le plus important de Hong Kong par le groupe Alibaba (plateforme de vente Chinois) a mis en lumière la fragilité de l’indépendance des médias.
Depuis, le journal a été à plusieurs reprises accusé de collaboration avec les autorités chinoises. En juillet 2015, Zhao Wei est arrêtée et retenue prisonnière pour “incitation à la subversion du pouvoir de l’État”.
Un an après cette avocate et activiste des droits de l’Homme en Chine sort de prison mais reste sous le coup d’une importante surveillance. Au moment de sa libération, le SCMP publie alors les confessions de la jeune avocate qui explique “réaliser d’avoir emprunté un chemin dangereux et souhaite se repentir. Je ne suis plus la même personne.”
Ni son avocat, ni son mari n’avait pu obtenir le droit de s’entretenir avec elle depuis son incarcération.
Même histoire pour Gui Minhai, écrivain suédois d’origine chinoise qui travaillait pour la librairie hongkongaise Causeway Bay Books. Entre octobre et décembre 2015, cinq employés sont enlevés, dont Gui Minhai, kidnappé lors d’un voyage en Thaïlande. Début 2016, les cinq libraires réapparaissent à la télévision nationale. Ils confessent plusieurs délits, expriment leurs regrets puis purgent leurs peines. Gui Minhai est le dernier des cinq libraires à être libéré en octobre 2017 mais il est interdit de sortie de territoire.
Quelques mois plus tard, nouveau rebondissement, Gui Minhai retourne en prison. Prétextant une visite médicale, des diplomates suédois auraient tenté de l’extraire du pays mais les autorités chinoises l’ont intercepté avant.
C’est à ce moment que le journal hongkongais South China Morning Post intervient.
Dans un article publié en février 2018, le bouquiniste hongkongais réapparaît dénonçant une machination de la Suède qui l’aurait piégé. “J’ai honte de mon comportement. J’ai commis beaucoup d’erreurs (…) Je souhaite à ma famille une vie heureuse. Ne vous inquiétez pas pour moi.” “J’aimerais désormais rester vivre en Chine. (…) Je souhaite que le gouvernement suédois cesse de me contacter et arrête de dramatiser mon cas.”
C’est la seconde confession de Gui Minhai mais celle-ci ne convainc pas sa fille, Angela Gui, plus que la première. Depuis 2015, elle dénonce sa détention comme politique et exige le retour de son père.
En avril, Tammy Tam, rédactrice en chef du SCMP lui répondait dans un éditorial : “Nous vous assurons catégoriquement que nous n’avons pas collaboré avec les autorités chinoises. (…) En tant que journalistes, nous faisons couramment face à des décisions difficiles. Ici, nous avons dû choisir entre interviewer votre père dans ce cadre contrôlé ou ne rien faire.”
Mais cette déclaration d’indépendance de la rédactrice en chef sonne faux alors qu’en 2015, 6 mois avant le rachat du journal, quatre éditorialistes du SCMP, connus pour leur opposition au régime chinois, étaient forcés de quitter la rédaction.
Dans un éditorial, le Asia Sentinel (journal où travaille également Philip Bowring, un des éditorialistes écartés du SCMP) soupçonnait déjà le Bureau de liaison à Hong Kong, souvent taxé d’être un organe d’influence chinois, d’être derrière ces évictions.
Les confessions forcées, un “classique” des médias chinois
Les confessions publiques comme celles qu’on fait Zhao Wei et Gui Minhai sont très répandues dans les médias chinois, elles sont réalisées en collaboration avec les autorités et diffusées aux heures de grande écoute de la télévision publique chinoise.
En réalité, ces confessions sont produites sous la menace et représentent une des nombreuses pratiques utilisées par le régime pour tisser la toile de sa propagande. Celles-ci n’ont jamais fait illusion à Hong Kong ou à l’international et visent majoritairement le public chinois sensible à la propagande du PCC.
Mais voir apparaître ce type de pratique propagandiste à Hong Kong, dans un média pourtant censé être indépendant du pouvoir, semble indiquer que la Chine continentale a déjà commencé à reprendre la main sur la presse hongkongaise.
Dans un article pour la revue Made in China en novembre 2018, Magnus Fiskesjö, anthropologue et ami de Gui Minhai estimait la réputation du journal définitivement ternie: “Ces récentes affaires montrent que le South Chinia Morning Post [depuis son rachat par Alibaba] ne peut désormais plus être considéré comme une organisation de presse indépendante.”
Une opinion qui semble partagée par les Hongkongais, alors même que le journal était auparavant perçu comme le quotidien le plus sérieux de la presse. Selon un sondage de l’Université chinoise de Hong Kong, le SCMP est le journal qui a le plus perdu en crédibilité entre 2003 et 2016.
Un nouveau journalisme d’opposition
En réponse à la pression chinoise grandissante, de nouveaux médias web au financement alternatif sont apparus avec une ligne radicalement opposée à la rétrocession de Hong Kong.
Né dans le sillage de la Révolution des parapluies de 2014, Hong Kong Free Press (HKFP) est un journal web anglophone.
Ce média fonctionne par donation, selon un modèle non lucratif et affiche une transparence sur ses finances. Sa couverture alternative des manifestations de 2019 diffère du reste de la profession, les journalistes filment les rassemblements et affrontements au côté des manifestants.
FactWire est une agence de presse bilingue apparue en 2016. Elle se concentre sur l’investigation des affaires nationales et fonctionne sur un modèle économique similaire à HKFP. Sa première enquête exposa les graves défauts de qualité des rames de métros hongkongaises importés de Chine continentale. Depuis le début des manifestations, FactWire couvre les cas de violences policières en recoupant le déroulé des événements grâce aux dizaines de vidéos disponibles sur la toile.
Face à une influence chinoise de plus en plus présente, ces nouveaux médias entendent peser sur le marché de l’information hongkongaise en mettant en avant la liberté d’expression, la démocratie et les droits de l’Homme contre le système chinois. Un climat de peur entretenu par des attaques contre les journalistes.
Des journalistes pro-démocratie pris pour cible
Kevin Lau au club des correspondants internationaux de Hong Kong le 9 mai 2015
“On m’a souvent demandé ces deux dernières années si la presse à Hong Kong était en danger. Maintenant, je crois que la réponse est claire comme de l’eau de roche. Elle l’est.”
Le Ming Pao est un des plus gros journaux de la presse hongkongaise, de tendance plutôt libérale et en faveur de l’ouverture vers Pékin. En 2014, le journal participait à une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) sur les paradis fiscaux mis en place par le gouvernement de Xi Jinping et le PCC [Parti Communiste Chinois].
Le 26 février 2014, Kevin Lau, rédacteur en chef au Ming Pao est attaqué au couteau alors qu’il sortait de sa voiture. Deux hommes appartenant aux triades hongkongaises lui infligent de multiples blessures au dos et aux jambes.
Pour la sphère politique, aucun lien ne peut être établi entre l’attaque de Kevin Lau et une atteinte à la liberté de la presse. Mais le Ming Pao, rejoint par toute la profession journalistique, dénoncent alors cette attaque comme un crime contre la liberté de la presse.
Mais cette attaque rejoint la liste grandissante des violences contre les journalistes depuis la fin des années 90.
En 1996, le journaliste Leung Tin-Wai se fait mutiler au hachoir dans son bureau de travail.
En 1997, Albert Cheng, journaliste de radio se fait poignarder dans le parking de son lieu de travail.
Chen Ping éditeur du magazine iSun Affairs subit un passage à tabac en 2013
Deux jours plus tard le patron de l’Apple Daily, Jimmy Lai, retrouve une machette et une hache en guise d’avertissement à son domicile vandalisé.
Tous partagent une opinion opposée à la rétrocession de Hong Kong.
La rétrocession de Hong Kong en 1997 a porté un grand coup au journalisme hongkongais et les affaires d’ingérence se sont succédées. Face aux pressions chinoises, le modèle libéral hongkongais ne semble pas capable de protéger la liberté de sa presse et tend au contraire, sous la pression, à collaborer avec Pékin. Reste la société hongkongaise, qui elle, après 14 semaines de mobilisation, ne semble pas l’entendre de cette oreille.
Une présence massive sur les réseaux sociaux et un important retour du journalisme citoyen
Si la situation pour la presse semble s’assombrir à Hong Kong, la mobilisation elle ne semble pas diminuer.
Dans Le Temps du débat sur France Culture, Eric Sautedé, analyste politique basé à Hong Kong, évoque un soutien populaire de près de 80% et une mobilisation de 25% des citoyens (pour une population de 7,4 millions).
“Be Water”: slogan phare de la mobilisation
Dans ce contexte, le mouvement a développé une présence d’une importance sans précédent sur les réseaux sociaux.
Suivant le modèle du réseau de journalisme citoyen Indymedia en Europe et Amérique du Nord (ensemble de médias citoyens locales de tendance de gauche radicale), In-Media version hongkongaise s’est développé à Hong Kong de façon collaborative depuis 2004.
Alors que le journalisme citoyen à connu un fort déclin en Occident au profit des réseaux sociaux, In-Media a continuer à fonctionner au gré des mobilisation contre la gouvernance chinoise.
Le site de In-Media connaît depuis le début des manifestations des pics d’affluence (classé 82.000e début juin, inmediahk.net est aujourd’hui 38.000e mondial selon les statistiques de trafic Web Alexa) tandis que la page Facebook compte elle plus de 560.000 abonnés.
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https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2019/02/maroc-conference.-v2.jpg?fit=899%2C327&ssl=1327899Guillaume Luerhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgGuillaume Luer2019-02-19 14:09:172019-02-20 10:13:10Ingérence et attaque marocaine en plein Paris : des militants et des journalistes menacés
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