Sécurité des journalistes, vers un durcissement de la législation

Par Larbi GRAÏNE

Reporters Sans Frontières (RSF) préconise la nomination d’un rapporteur spécial de l’ONU sur la sécurité des journalistes à l’effet de lutter contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes a indiqué (hier 5 mai) Christophe Deloire, le secrétaire général de cette ONG qui s’exprimait lors d’une conférence internationale sur la liberté de la presse organisée au siège de l’Unesco à Paris et ce, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse.

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Une journée déclinée cette année sous le thème de « La liberté des médias pour un avenir meilleur : contribuer à l’agenda de développement post-2015 ». Une véritable prise de conscience de la nécessité de protéger les journalistes des assassinats semble être ainsi engagée. L’année 2012 a été particulièrement meurtrière pour la profession. Et pour cause, 89 journalistes ont été assassinés. Un funèbre record depuis 1995, année où RSF a commencé à faire état de son classement annuel. A retenir aussi cet autre chiffre macabre : 450 journalistes ont été tués en six ans. Il est vrai que l’assassinat de deux journalistes français au Mali, achève de signifier que nul journaliste n’est à l’abri d’une élimination physique tragique. Christophe Deloire a annoncé en outre que l’organisation qu’il dirige œuvre pour la modification de l’article 8 du Statut de la Cour pénale internationale relatif aux crimes de guerre, dans le sens de l’élargir aux journalistes car a-t-il expliqué c’est le droit à l’information qui est atteint. Désormais le « fait de lancer des attaques délibérées contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé » sera passible de sévères sanctions. RSF envisage également en plus d’introduire dans le corpus de la charte internationale des Droits de l’Homme des observations générales relatives aux journalistes, la mise en place d’une représentation locale au niveau du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies, à qui serait donnée mandat de traiter les dossiers de journalistes menacés. Répondant à une question de L’Œil de l’Exilé de savoir s’il y a possibilité d’inclure le critère du degré de syndicalisation des journalistes quant à l’établissement par RSF du classement annuel relatif à la liberté d’expression dans le monde, Christophe Deloire, tout en relevant la « pertinence » de la problématique, a indiqué que le classement se fait sur la base de 120 questions.

La situation n’est pas idyllique en Algérie
Evoquant la situation de la presse en Algérie, le secrétaire général de RSF, n’a pas manqué de noter la 121e place affecté à ce pays en 2014 avant de faire observer que « la situation des journalistes en Algérie n’est pas idyllique ». Ernest Sagaga, responsable du département des droits de l’Homme et de la sécurité au sein de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), que nous avons rencontré en marge de la conférence, abonde dans le même sens. Selon lui « la situation de la presse au Maghreb est précaire et difficile ». La représentation de la FIJ à Alger a fermé sa porte et le Syndicat national des journalistes (SNJ) n’est pas fonctionnel » a-t-il reconnu. Et de conclure que seule la mobilisation des journalistes algériens est à même d’imposer le changement.

AlJazeera dans la tourmente
De son côté, Mostefa Souag, directeur d’AlJazeera Media Network a dressé un véritable réquisitoire contre l’Egypte qu’il a présentée comme un « modèle d’oppression contre les gens des médias ». Il a évoqué le cas des journalistes d’AlJazeera jetés en prison par la Justice du Caire. « L’un d’eux a fait 100 jours de grève de la faim, on l’a fait sortir de sa cellule pour le faire passer devant le juge un 3 mai (journée mondiale de la presse, NDLR) » a-t-il fulminé. Et d’ajouter « en fin de compte, son procès a été reporté de 45 jours et le journaliste est retourné en prison. Le juge n’a pas trouvé mieux que de lui souhaiter une bonne journée de la presse ». Pour Mostefa Souag « la lutte contre le terrorisme ne peut être un alibi pour terroriser tout le monde ».

La déclaration de Paris
Notons que la conférence internationale se poursuit aujourd’hui (6 mai 2014) pour son deuxième jour. Hier à l’issue de la première journée, les participants à la conférence ont adopté la déclaration de Paris dans laquelle ils appellent le Groupe de travail ouvert de l’ONU sur les objectifs de développement durable à « intégrer pleinement, dans les documents adéquats les questions de la liberté de la presse, de l’indépendance des médias, de l’accès à l’information, tel que proposé par le rapport du Panel de haut niveau de l’ONU, et d’inclure ces préoccupations dans l’élaboration des objectifs et des indicateurs de gouvernance et de développement ». S’adressant aux Etats membres de l’Unesco, les auteurs de la déclaration ont demandé entre autres à ce que ceux-ci s’assurent « que les crimes commis à l’encontre des journalistes feront l’objet d’enquêtes et de poursuites indépendantes, rapides et efficaces, que les condamnations de la Directrice générale (de l’Unesco NDLR) lors de meurtres commis envers les journalistes, auront pour résultat une réponse exhaustive et rapide sur la poursuite des investigations judiciaires, tels que décidé par le Programme international pour le développement de la communication de l’Unesco (PIDC) ». En outre la déclaration interpellent également les journalistes, les associations professionnelles, les médias, les intermédiaires de l’Internet et les praticiens de médias sociaux afin de « participer au débat sur la liberté d’expression et le développement et à soutenir le Plan d’Action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité grâce à des questions conjointes ou complémentaires, et améliorer la coopération ».

Le témoignage de Makaila

Le célèbre blogueur tchadien Makaila Nguebla, qui a trouvé refuge à la Maison des journalistes (MDJ) de Paris, est monté hier à la tribune de l’Unesco pour témoigner sur les réalités amères des pratiques autoritaires des régimes africains à l’endroit des blogueurs et des journalistes. Après avoir fui son pays, le Tchad, Makaila se retrouve dans une terrible cavale. Partout où il était arrivé, il avait été traqué car les actes de persécution émanant de l’Etat d’origine n’ont pas de frontières. Pourfendeur du président tchadien Idriss Déby Itno, ce militant racé des droits de l’Homme est fiché comme un malfrat chez les polices africaines. Tour à tour le Sénégal, la Tunisie l’expulse, avant qu’il atterrisse en Espagne. Mais c’est finalement la France qui, la première, lui accorde l’asile politique.