«Nous aurons toujours Paris»

[Par Jesús ZÚŇIGA, journaliste cubain]

Traduit de l’espagnol au français par Marta Alvarez Izquierdo
Article original en espagnol Zuniga_es

Marine Le Pen, leader du Front National, lors de la victoire aux européennes

La leader du Front National, Marine Le Pen, vue comme nouvelle Jeanne D’Arc, lors de la victoire aux européennes (frontnational27.com)

C’est confirmé. En France, les élections européennes ont été un véritable séisme politique. Il ne s’agit pas d’une vague bleue ou rose, mais plutôt d’un véritable tsunami bleu Marine qui, ce dimanche, est passé au dessus des principaux partis politiques traditionnels de la Vème République en France, et du Président François Hollande en particulier qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, a déçu presque tout le monde.

Avec 24,85% des voix selon les chiffres définitifs du Ministère de l’intérieur français, la victoire du Front National (le parti d’extrême droite) lors des élections européennes qui viennent d’avoir lieu fait du FN le premier parti politique de France ainsi que le grand vainqueur de ces élections à dimension européenne.

Même si la victoire du parti d’extrême droite de Marine Le Pen n’est pas une surprise puisque différents sondages d’opinion publique l’avaient anticipée depuis plusieurs semaines, son ampleur est surprenante et devient un avertissement, encore un pour François Hollande dont la gestion du pays n’est approuvée que par 11% des français. Il est aujourd’hui le Président le plus impopulaire de la Vème République, conséquence de ses médiocres démarches économiques (malgré ses promesses), mais aussi dû à un taux de chômage élevé pour les standards nationaux : 10,2%. Le déclin du mode de vie français et l’avancée de l’extrême droite, allant jusqu’à se placer en première force politique pour la première fois dans l’histoire, ce n’est pas une mince affaire.

La France est un des six pays fondateurs de l’Union Européenne. Il s’agit de la quatrième puissance économique du G-8 après les Etats-Unis, le Japon, l’Allemagne, ou de la cinquième si l’on tient compte de la Chine. Avec 68 millions d’habitants, elle représente seulement 1% de la population de la planète, mais elle détient 3,1% du PIB mondial. Il s’agit du troisième pays récepteur d’investissements étrangers, le deuxième fournisseur de services, le deuxième exportateur de produits agricoles et agroalimentaires, la quatrième puissance commerciale (quatrième exportateur et cinquième importateur), et elle occupe la cinquième place en ce qui concerne la production industrielle. C’est, de plus, la première destination touristique du monde. Et pourtant, la crise économique, politique et culturelle que subit le pays a poussé ses habitants à « s’asseoir sur le divan » : les français voient comment leur fameuse qualité de vie s’évanouit, une véritable histoire de succès social difficilement comparable. Dans une société dans laquelle on conçoit le débat public comme un des « beaux arts », la désaffection politique s’enracine.

En France, de la même façon que dans le reste de l’Europe, les populismes recueillent les fruits du mécontentement, du chômage grimpant, et des conséquences d’une effrayante crise économique qui a laissé derrière elle beaucoup de victimes et provoquée le divorce entre les hommes politiques et les citoyens.

Marine Le Pen, probablement la politicienne avec le plus d’habileté pour percevoir les ressentis de la rue, a pris le relais du FN en 2011, et a depuis constamment recyclé le discours populiste d’extrême droite du parti, en arrivant même à le rendre acceptable pour l’extrême gauche, en plagiant même certains fameux intellectuels anti-globalisations qui ne partagent pas les thèses du Front National. Résultat : Essor incontrôlable du FN et effondrement du Parti socialiste (13,98% des voix).

Non seulement elle est un des leaders politiques les plus appréciés par ses compatriotes, mais en plus, Marine Le Pen et le FN détiennent en ce moment 14 mairies et 71 départements en France. « Il y a six ans, on pensait qu’on était mort » déclarait-elle sur BFMTV le dimanche 25 mai. On estime que 38% de ses électeurs appartiennent à la classe ouvrière, et même si cela semble incroyable, ils sont en train de gagner des sympathisants parmi les français issus de l’immigration, surtout des jeunes, d’après les résultats que le parti a eu à Marseille et dans le nord. Et ceci est dangereux car la recette économique et sociale de Marine Le Pen pour « sauver » la France est de freiner l’immigration, mettre en place le protectionnisme et abandonner l’euro et l’Union Européenne.
En pensant à 2017, le véritable objectif de madame Le Pen, certains pensent déjà qu’une répétition de l’épisode de 2002 afin d’empêcher la victoire du FN ne serait pas insensée, même si sa performance lors des élections du dimanche 25 mai n’a provoquée aucune réaction collective en France.

Si la classe politique européenne et française ne réagit pas, même si la droite conservatrice et la gauche social-démocrate sont toujours majoritaires à Bruxelles, Marine le Pen démentira Bogart dans « Casablanca » : « Nous aurons toujours Paris ». Et si cela se produit, comme il dit à Bergman : « On le regrettera, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas demain, mais bientôt, et pour toujours. ».

En fin de comptes, la France a toujours été un laboratoire de l’avenir. Pour le bien et pour le mal.