Législatives en Algérie : Abdelkader et le degré zéro de la politique

Les lendemains de la débâcle électorale du 12 juin passé sont cruels pour les généraux algériens. Le désaveu populaire envers le régime militaire est on ne peut plus éloquent.

Même le rafistolage des chiffres n’a pu cacher le fait que les « vainqueurs » des législatives (le Front de libération national – FLN, islamistes-maison et le Rassemblement national démocratique RND réunis) sont d’un poids politique infiniment infinitésimal, et pour tout dire : nul. C’est cette nullité paroxystique que le chef de l’État entend assumer. Ainsi, d’une manière officielle, Monsieur Abdelmadjid Tebboune a fait savoir, le jour même de la tenue du scrutin que le taux de participation ne l’intéressait pas. Autrement dit, les élections seront validées dussent-elles provoquer des fous rires. Un simple calcul basé sur les résultats définitifs publiés dans le Journal officiel, donne les pourcentages suivants : Le FLN qui soi-disant a remporté les élections, n’a pu décrocher que 1.18% des voix, les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (HMS), 0.85% et le Rassemblement national démocratique (RND), 0.81 %.

Bienvenu dans le monde à l’envers ! On a un pouvoir schizophrène qui, lui-même, met à nu la démocratie de façade. C’est la folie du pouvoir, une maladie dont seul Tebboune serait, dit-on, atteint. Dans un pamphlet publié sur sa page Facebook, Noureddine Boukrouh, ex ministre de Bouteflika a suggéré que le chef de l’État devrait être interné dans un asile psychiatrique. Sous le titre « Ce fou de Tebboune », le post a terriblement fait sensation sur les réseaux sociaux.

Connu pour être proche des services de renseignements-aile de l’ex DRS [Département du renseignement et de la sécurité], cet ex ministre n’a pas été inquiété alors que des activistes du Hirak ont été jetés en prison pour moins que rien. Mon propos n’est pas de souhaiter la prison aux politiques ou d’exiger des sanctions à leur encontre, ce serait une atteinte à la liberté d’expression. Toujours est-il que ce n’est pas Boukrouh qui va être emprisonné mais Nordine Aït Hamouda. Tout porte à croire que l’opération a été montée dans le cadre d’une guerre des services. Aït Hamouda aurait été attiré sur le plateau de Hayat TV dans un guet-apens. Ex député, Aït Hamouda est le fils du colonel Amirouche, maquisard kabyle tué par l’armée française, célèbre dans toute l’Algérie. Les hirakistes, des quatre coins du pays se réclament d’ailleurs de lui. L’un de leur slogan est « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière ». Acquis aux idées d’un courant berbériste non consensuel, on aurait fait dire, haut et fort, à Aït Hamouda, ce qu’on pressentait qu’il serait capable de dire dans un débat à forte portée idéologique : l’Histoire en l’occurrence. C’est, du reste, avec fougue qu’il dénonça comme « traîtres » Houari Boumediene, ancien chef de l’État, Messali Hadj, le père du nationalisme algérien et l’émir Abdelkader, icône de la résistance algérienne à l’occupation française lors de ses débuts. Toutes ces personnalités vitupérées par Aït Hamouda appartiennent au courant arabo-islamiste. Arrêté et mis sous mandat de dépôt, le fils du colonel Amirouche est accusé d’ « atteinte aux symboles de l’État et de la révolution », « atteinte à un ancien président de la République », « atteinte à l’unité nationale », « incitation à la haine et discrimination raciale ». Toutes les voix sensées ont appelé à la libération de l’ex député arguant que l’affaire devrait être recadrée par les historiens. Oubliés donc les projectiles tirés sur Tebboune. Ainsi, ce dernier est gommé par un ancien chef d’État. A défaut de débattre des problèmes du présent, les Algériens sont ainsi conviés à s’occuper du passé.Il est utile de souligner que ce n’est pas la première fois qu’une personnalité historique est la cible de calomnies. Sous Bouteflika, Messali Hadj a été également dénoncé comme « traître » par un ex chef d’un parti berbériste. Plus près de nous, en 2020, c’est Abane Ramdane, un des principaux dirigeants du FLN historique, qui a fait l’objet d’une accusation de traîtrise de la part d’un fonctionnaire arabophone exerçant au niveau de l’administration de la wilaya (département) de M’sila. En outre, de son vivant, Ben Bella avait estimé que le congrès de la Soummam, qui devait organiser la révolution algérienne et dont Abane fut l’architecte, avait été une « trahison ». Dirigeant d’origine kabyle, partisan de l’éviction des militaires de la scène politique, Abane a été également célébré par les hirakistes qui se sont reconnus dans son combat.

Le débat sur l’histoire : un débat culturel

Force est de constater que ce débat sur l’Histoire renvoie à un conflit culturel dont les protagonistes ne sont autres que les élites politiques arabistes et berbéristes. Chacun de ces deux camps voit dans l’histoire de l’Algérie une histoire habitée par une succession de traîtres quoique différents selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre. Aussi, depuis la présence romaine, la figure de la traîtrise est toujours liée à un ancien colonisateur. c’est pourquoi d’aucuns diront que l’aguellid (roi) Massinissa fut le « chien » de Rome. L’historien et anthropologue Alain Mahé a bien cerné le problème lorsqu’il écrit que « la singularité de ces affrontements culturels [entre militants arabistes et militants berbéristes] réside dans le fait que les militants d’une cause ne parviennent à flétrir la cause adverse qu’en faisant intervenir un élément tiers, en l’occurrence un conquérant ou un colonisateur. [1]». Le discours historique des berbéristes « conduit implicitement à l’équation : arabe = colonisé, mais il en va de même dans les représentations qu’entretiennent les populations arabophones sur l’identité berbère.[2] » Mais ces derniers propos sont à relativiser vu que le Hirak qui est lui même un phénomène culturel, a fait évoluer les choses.

Un déluge de répression

Tout ce tintamarre fait autour de l’émir Abdelkader survient sur fond d’un déluge de répression visant les marches, les partis, les associations, les militants du Hirak, du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et les autonomistes. L’Algérie n’est pas loin d’atteindre 400 prisonniers politiques. Même Fethi Gheras, chef de file du MDS, héritier du communisme algérien, s’est vu arrêté à son domicile. Cette opération spectaculaire vise à semer la terreur dans la population. Ce n’est pas que le multipartisme soit menacé, c’est qu’il n’existe pas. Mêmes divisés en pro et anti-Tebboune, les généraux algériens, semblent penser qu’ils sont en mesure de réduire le Hirak et neutraliser le MAK en Kabylie, et ce, peut-être en favorisant les autonomistes avant de se retourner contre eux. L’accusation de terrorisme qui vise le mouvement indépendantiste ne peut s’expliquer pour le moment que de cette façon.

[1] Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Bouchene, Paris, 2001, pp. 478-479.

[2] Ibid.

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Journaliste algérien établi en France

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RD Congo-Rwanda, à l’heure de vérité biaisée

Une information remplace vite une autre. Si vite. Il n’en sera pas ainsi du désir commun des présidents rwandais Paul Kagame et congolais Félix Tshisekedi de « tourner la page » d’un passé lourd de sang versé, de cris des femmes violées, de vies à jamais détruites. Par dizaines de milliers.

Un passé qui dure près d’un quart de siècle. Au détriment des populations congolaises, humiliées. Un passé qui demeure une vraie plaie à vif dans leur mémoire collective. Un tel passé ne s’efface pas d’un revers de main.

Les deux présidents s’exprimaient ainsi à Gisenyi au Rwanda et à Goma au Congo, respectivement vendredi 25 et samedi 26 juin 2021.

On ne peut commenter avec justesse cette information, sans la ramener, en gros, autant dans son cadre contextuel historique que dans celui des agendas politiques, « cachés », de chacun des deux hommes.

Car, il n’existe pas de vérité politique, toute nue, sans un sens biaisé. Le sociologue Max Weber ne dit pas autre chose, dans son ouvrage « Le savant et le politique », quand il affirme que les « vertus politiques ne sont pas compatibles avec les vertus scientifiques ». C’est que, ici, on peut mentir, là-bas, on cherche la vérité.

Les relations exécrables entre Kigali et Kinshasa commencent, masquées, en 1996. Le président Pasteur Bizimungu, le prédécesseur de Kagame, appelle alors à la convocation d’une deuxième Conférence internationale de Berlin, afin de revoir les frontières de l’Afrique. Allusion faite à l’est de la RD Congo, qui appartiendrait au Rwanda. Il s’agit là d’un irrédentisme manifeste (réclamation d’annexion des territoires), proche de la provocation.

Politique de « petits pas »

En dépit de tout, les présidents rwandais Kagame, l’ougandais Museveni et le rebelle congolais Laurent Kabila se joignent, pour mettre à bas, militairement, le régime dictatorial de Mobutu, visiblement détesté par les Américains. 

En mai 1997, Kinshasa tombe, mais une année après, les violons ne s’accordent plus entre partenaires, dont chacun a un agenda caché. Le Rwandais dans son projet d’extension territoriale, ainsi que la subtilisation des minerais précieux, l’Ougandais plus pour cette deuxième préoccupation et le Congolais pour un règne libéré du joug, surtout, du partenaire rwandais. Pour ce faire, il les congédie tous sans ménagement, en juillet 1998.

La situation fait des vagues, surtout du côté rwandais. A Kigali, où on croyait être en mesure de longtemps manipuler Laurent Kabila, pour mener à bon port leur projet d’annexion par une politique de « petits pas », il leur fallait imaginer une autre stratégie. Ils en vinrent ainsi à l’idée d’allumer le feu dans les deux provinces du Kivu, partie qui les intéresse. Avec l’espoir de parvenir à long terme à l’annexion de ce territoire, par voie référendaire. Le cardinal Ambongo, archevêque catholique de Kinshasa, l’atteste, après y avoir effectué une visite pastorale.

Le président rwandais s’était-il déjà départi de ce projet, pour inaugurer aujourd’hui une ère nouvelle d’harmonie dans les relations entre les deux pays ? Pas si sûr. La posture du président congolais, elle, est des plus simples à analyser. Arrivé au pouvoir par fraude électorale, sous la supervision indirecte de Kagame, c’est l’homme-lige au pouvoir de Kigali. En béni-oui-oui.

« Tournons la page », ont-ils dit. Vérité biaisée ! Car, Tshisekedi possède aussi son agenda caché. Celui de berner son peuple, en attente du vote en 2023. 

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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De l’usage de la politique dégénérative en Algérie

Le président Abdelmadjid Tebboune s’est révélé une version améliorée d’Abdelaziz Bouteflika. Tout comme son prédécesseur, il est l’incarnation biologique d’un système politique frappé de paralysie.

Imposé par le commandement militaire dont les principaux représentants sont des gérontocrates, Tebboune perpétue l’impasse plus qu’il ne l’a résout. Et ce n’est pas un hasard si le mouvement anti-régime s’est donné pour nom « Hirak », qui signifie étymologiquement « mise en mouvement ». On a ainsi, d’un côté, une classe dirigeante moribonde, boiteuse et claudicante, qui, férocement se dispute la rente pétrolière, et de l’autre un peuple de marcheurs impénitents prêts à en découdre.

C’est peu dire que le régime algérien est un régime décadent. Bâti sur l’exclusion sociale, il est l’adepte d’une politique dégénérative ayant pour postulat la dépossession de tout ce qui constitue l’identité politique, culturelle et sociale des différents acteurs sociaux. De cette politique, les généraux ont en fait un instrument stratégique du processus de déclin économique, de décomposition institutionnelle et du dépérissement social. L’élaboration de cette politique est dominée par les stéréotypes qui distribuent aux uns et aux autres les bons et les mauvais points, décrétant ainsi qui doit vivre et qui doit mourir. Ainsi, le Haut conseil de sécurité, en violation de la constitution de 2020, a classé deux mouvements politiques -Rachad et le MAK – comme organisations « terroristes ». Le mouvement associatif n’a pas échappé à la vindicte du gouvernement. Implantée dans un quartier de la capitale, l’association SOS culture Bab El Oued, s’est vue accuser de financement étranger alors que ses dirigeants ont été qualifiés de « criminels ».

En réalité, c’est le soutien actif de cette association au mouvement populaire qui lui a valu les foudres des autorités. Non moins grave, a été la procédure judiciaire initiée par le ministère de l’Intérieur pour dissoudre le Rassemblement action jeunesse (RAJ), une association qui n’a eu de cesse d’œuvrer pour la consolidation du Hirak. Ces actions appuyées par des arrestations de militants et d’activistes ainsi que de journalistes ont préludé à la répression massive des manifestations du vendredi et du mardi habituellement animées par les étudiants. Les hirakistes se sont cependant distingués par un pacifisme sans faille, refusant de verser dans la violence alors même que l’occasion leur a été offerte. Il en est résulté que les rues d’Alger s’emplissent chaque vendredi de cars de police aux lieu et place des foules grandioses. Une confrontation avec les forces de l’ordre aurait débouché sur une situation catastrophique qui aurait pu justifier le report ou l’annulation des élections législatives prévues le 12 juin prochain. Ces élections, dont personne ne veut, vont se dérouler si elles venaient à se tenir sur un fond aux teintes sombres. Les populations revendiquent une transition démocratique, jugeant que le parlement sert d’objet ornemental à un système dont le vrai pouvoir est exercé par les généraux.

Ainsi, le pouvoir en place peine à mobiliser l’électorat et à trouver des candidats. Les moins de quarante ans ont été avisés qu’ils pouvaient percevoir la somme de 30 millions de centimes (1800 environ) en guise de financement de leur campagne. Mais l’attrait du lucre est d’autant plus intéressant que les députés et les sénateurs touchent un traitement « 20 fois supérieur au salaire minimum » selon le mot du politologue Lahouari Addi. N’empêche, des partis sur papier et des personnalités « indépendantes » croient savoir qu’ils ne doivent pas rater la chance de leur vie pour se remplir les poches. On ne peut expliquer autrement les motivations des participationnistes dès lors qu’un minimum d’éthique politique et de rectitude morale auraient incité à l’abstention.

En effet, dans une Algérie où croupissent en prison 180 détenus d’opinion, il ne saurait avoir d’élections démocratiques. Le Hirak, objectivement, est appelé à perdurer pour longtemps…

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Journaliste algérien établi en France

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Annuler la dette de l’Afrique. Et après ?

Les rencontres ayant traité du financement des économies et de la dette de l’Afrique sont légion. Et, ce ne sera pas forcer le trait que de dire celle convoquée, à Paris en l’unique journée du 18 mai, par Emmanuel Macron, président français, en est une de trop. Juste, pour souligner que l’argent chaque fois sorti – et c’est beaucoup d’argent -, a moins profité au développement du continent noir, qu’à enrichir ses dirigeants.

Qu’à cela ne tienne. Le Covid-19, cette déferlante sanitaire qui terrasse les Terriens, oblige l’humanité à la solidarité sans faille. L’idée émerge, l’an dernier, parmi les pays riches du monde. Ils prévoient la débâcle économique des pays africains subsahariens, à juste titre, et parlent de financer la relance post Covid-19, sans alourdir le fardeau de leur dette. C’est dans ce sens, en première itération, qu’il faut comprendre la volonté du président Macron de créer une occasion de son New Deal avec l’Afrique. Autrement dit, une autre manière – positive -, de pratiquer la coopération.

A Paris, l’Afrique était représentée par 19 pays, dont le président congolais Félix Tshisekedi, président en exercice de l’Unité africaine (UA), le Sénégalais Macky Sall, l’Angolais Joao Lourenço et autres le Rwandais Kagame, tandis que du côté des créanciers, ils étaient presque tous au rendez-vous. Tant au niveau des pays que des institutions internationales (Etats-Unis, Chine, Union européenne, Fonds Monétaire International, Banque Mondiale…).

“Journée économique africaine”, donc ou, comme à l’accoutumée, plutôt, nouvelle séance de perfusion pour cette Afrique moribonde ! Au premier abord, le regard devait être porté sur le continent impacté par la pandémie, ce maelström (sans doute passager) et, accessoirement, sur la dette. Pathologie de longue durée.

 

Crotté jusqu’aux genoux

Contre la première, l’Afrique n’y pouvait rien. Solution : recours aux DTS (Droits de tirage spéciaux). En termes simples, ce sont des chèques convertibles, garantis par la réserve internationale de 183 pays membres au sein du Fonds Monétaire International (FMI). La part de l’Afrique, dans les 650 milliards de dollars à allouer, est mince : 34 milliards, au lieu de 250 milliards minimum. D’où la proposition de Macron, faite aux pays nantis de « réallouer » leurs DTS à l’Afrique. Encore une dette !

Quant à la dette, proprement dite : allégement ou suppression ? Un sursis est accordé jusqu’à la prochaine rencontre du G 20 (groupe de pays riches associés à certains pays du Sud).

De cette dette dans laquelle le continent est crotté jusqu’aux genoux, avec 365 milliards de dollars. Qu’a-t-on fait avec ce montant abyssal ? Surtout, en Afrique noire, où la majorité des populations vivent avec moins d’un dollar par jour. Pourtant, Jean-Ferdinand Céline (1894-1961), un écrivain français, affirme que « l’on ne meurt pas de dette, on meurt de ne plus pouvoir en faire ».  C’est à quoi Dambisa Moyo, économiste de renom zambienne, dans un ouvrage intitulé “L’aide fatale”, rétorque que « l’Afrique marche sur du sable mouvant ».

 

Comment en sortir ? Le défi est lancé à Jean-Christophe Gallien, politologue et communicant, dont l’optimisme au zénith va jusqu’à dire : « Au-delà des messes diplomatiques, Paris, 55e capitale du continent, doit devenir celle d’une nouvelle finance africaine ».

Au fait, annuler la dette, c’est recommencer la dette. Cercle vicieux.

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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RD Congo : un nouveau gouvernement sans issue

Le nouveau gouvernement a été investi le 26 avril par l’Assemblée nationale. Mais, il aura fallu patienter dans l’angoisse 4 mois durant. L’attente du précédent gouvernement avait duré 9 mois, le temps qu’un bébé prenne forme et naisse. Pourtant, l’enfant est né malingre.

Le nouveau gouvernement a été investi le 26 avril par l’Assemblée nationale. Mais, il aura fallu patienter dans l’angoisse 4 mois durant. L’attente du précédent gouvernement avait duré 9 mois, le temps qu’un bébé prenne forme et naisse. Pourtant, l’enfant est né malingre.

Enfin, le voilà, le gouvernement Sama Lukonde (le nom du nouveau Premier ministre). Seulement voilà : il porte les mêmes tares que celui qui l’a précédé, concocté à l’aune des désidératas de l’ancien président Kabila.

Quant à la forme et de par son programme, ce gouvernement est proprement ce qu’il convient d’appeler un « inventaire à la Prévert », c’est-à-dire un méli-mélo comprenant près de 350 devoirs à accomplir, en un laps de temps record. (Un inventaire à la Prévert est une énumération hétéroclite).

Sur le fond, on retrouve les mêmes failles d’ossature : le gigantisme ronflant (57 ministres budgétivores) ; absence d’équilibre régional (facteur important en RD Congo) ; inconséquence politique (projets formés sur la base d’un budget chimérique), qui est, en fait, un mensonge vis-à-vis du peuple ; retour au gouvernement de mêmes têtes, blanchies sous les harnais des combines, de la triche et des massacres du peuple congolais…

Une sarabande mortifère

A bien regarder, ces défauts ne sont pas que conjoncturels. Ils tissent leur origine bien loin dans le temps, depuis que le pays connaît la faillite politique, à l’aube de son indépendance, en 1960. Depuis, il y a comme une sorte de lien organique qui prospère et oriente les hommes politiques à n’épouser que le négativisme (pathologie à plusieurs spécificités).

Pour ceux qui croient aux forces obscures de sortilèges – et ils ne sont pas moins nombreux -, ils évoquent volontiers la malédiction proférée par le général belge Emile Janssens (surnommé Petit Maniaque). Pris d’une folle colère, à l’idée que le Congo aller acquérir son indépendance, il jeta l’anathème : « Le Congo avant l’indépendance est égal au Congo après l’indépendance ». C’était fin 1959.

Les Romains qui aimaient bien la guerre de conquête disaient aux vaincus : « Statu quo ante bellum », signifie littéralement « comme les choses étaient avant la guerre ».

Qu’on ajoute foi à ces deux hypothèses ou non, la réalité est sous nos yeux, toute crue. Depuis 1960, le Congo tourne en rond, dans une sarabande mortifère. Le Congolais vit depuis des décennies avec un demi-dollar (cinquante cents) par jour. Les statistiques qui lui accordent plus de ce montant méritent d’être corrigées.

De fait, en dehors du gouvernement Lumumba – du 24 juin au 5 septembre 1960 -, soit 74 jours seulement de vie démocratique, le reste est une véritable parodie de démocratie. Depuis, trente-deux « gouvernements d’apparat » se sont succédé, s’étirant sur une période de 61 ans de mensonge éhonté et de dictature.

Il y eut donc trente-deux « Premiers ministres bidon », au service de la volonté des maîtres des horloges Mobutu et Kabila Joseph, pour ne pas le citer. Qu’y a-t-il changé entre les deux régimes précédents et celui que dirige Tshisekedi ? Du parlement monocolore de Mobutu, à parti unique, à l’indéfinissable « Union sacrée » de l’actuel chef de l’Etat, en passant par les années de plomb sous Kabila Joseph, le « système » demeure vivace. C’est du même au pareil.

De la poudre aux yeux

Le maître mot qui englobe ces trois régimes s’appelle « illégitimité ». Et, celle-ci a plus d’épaisseur, d’autant que Tshisekedi a été nommé par un deal plutôt qu’élu, deal conclu avec son prédécesseur Kabila.

Sama Lukonde devient donc le 33ème « Premier ministre bidon », au service d’un prince à qui il doit obéir au doigt et à l’œil. Mais qui, contrairement aux princes jadis disposant des ressources, est presque désargenté. Le Trésor public ayant été siphonné par le prince lui-même et ses conseillers voraces. Le pays est financièrement exsangue.

Pourtant, le nouveau Premier ministre s’entête. Son plan d’action sur trois ans, jusqu’à fin mandat de Thisekedi, en 2023, s’appuie sur 36 milliards de dollars, dont presque 15 milliards destinés au budget ordinaire, pour la même période. Sama Lukonde, avec son inventaire à la Prévert, se prévaut de ces chiffres sans pour autant préciser les moyens par lesquels il disposera de cette somme. C’est de la poudre aux yeux du peuple.

Fatigué de mensonges, ce peuple, sceptique, attend de voir. La communauté internationale, par élégance, se mure dans le silence. Nombre d’analystes, friands d’actualités du Congo, se replient dans leur tour d’ivoire, n’ayant plus grand-chose à dire. Sama Lukonde, à l’instar de ses trente-deux prédécesseurs, va aller fatalement droit dans le mur.

Tant que la chaîne de l’illégitimité ne sera pas rompue, pour libérer la démocratie, aucun gouvernement ne sortira du labyrinthe.

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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Algérie. Le Hirak aux prises avec la police politique

Cœur battant du régime, la police politique algérienne donne des signes d’essoufflement dans sa fonction d’animatrice « souterraine» de la vie politique nationale. Usée jusqu’à la corde sa propagande est devenue inopérante, signe s’il en est, que la population a changé.

Cœur battant du régime, la police politique algérienne donne des signes d’essoufflement dans sa fonction d’animatrice « souterraine» de la vie politique nationale. Usée jusqu’à la corde sa propagande est devenue inopérante, signe s’il en est, que la population a changé. 

Les montages médiatiques récurrents à l’effet d’entraver l’action du mouvement anti-régime, Hirak, sont désormais accueillis par l’opinion publique avec ironie et incrédulité. Toutes les tentatives de criminalisation du mouvement populaire se sont soldées par un échec. 

Après que la télévision publique eut consacré un temps d’antenne à un « terroriste islamiste » qui disait préparer des opérations violentes au niveau du Hirak, et ce, sous l’instigation du mouvement « islamiste » Rachad, la même télévision s’est offert quelques jours plus tard, un show à la limite du grotesque, dont l’acteur est un « marchand d’armes », qui prétendait avoir pris contact avec des éléments du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) pour une livraison d’armes. Le mouvement indépendantiste kabyle projetait, selon lui, de perpétrer des attentats aux quatre coins de l’Algérie.

 Aussi, des opposants de courants divers installés à l’étranger, pour la plupart des lanceurs d’alertes sur les réseaux sociaux, avaient été la cible d’une campagne d’intimidation orchestrée par Alger. Des communiqués officiels les ayant accusés d’entreprise terroriste, avaient annoncé que des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés à leur encontre. Plus d’un mois après ces accusations, les lanceurs d’alertes incriminés continuent de narguer les autorités en poursuivant leur activisme avec la même détermination. Visiblement, les autorités n’ont aucune preuve et avaient misé sur l’effet d’annonce comme si elles voulaient occuper le terrain avec un produit inexistant. 

Ce qui retient l’attention, c’est que les attaques contre le Hirak puisent leur vigueur dans ce que le pouvoir croit être les failles de la société algérienne : l’inclination islamiste et la peur d’une dissidence kabyle. En réalité, la police politique a, depuis l’indépendance, joué sur ces deux tableaux. Elle n’a fait que mettre à jour son logiciel d’attaques. Le spectre d’un zéro vote en Kabylie constitue une véritable hantise pour les décideurs militaires qui ont imposé la tenue d’élections législatives pour le 12 juin prochain. Pour les tenants du pouvoir, casser du kabyle revient à casser le Hirak. Tout est bon pour diviser la société algérienne et l’amener à substituer à la lutte contre la classe dirigeante, la lutte religieuse et la lutte ethnique. C’est dans cet ordre d’idées que l’islamologue Saïd Djabelkhir est traîné dans la boue. La justice algérienne, instrumentalisée qu’elle est par les officines de l’ombre, a condamné en première instance cet universitaire à trois ans de prison pour « offense aux préceptes de l’islam » livrant ainsi à la presse et surtout à la presse internationale une matière dont elle raffole. 

Quand les agressions fusent dans le registre ethnique, elles sont souvent exprimées par des ministres, des chefs de partis ou des députés obséquieux appartenant à la mouvance dite « islamiste ». Une faune politique très impliquée dans les réseaux de corruption de l’État. Une députée fantasque dont les élucubrations l’ont amenée à déclarer avoir été victime d’un ensorcellement, a passé la totalité de son mandat à susciter, via les réseaux sociaux, la haine entre berbérophones et arabophones. Les officines de l’ombre ont découvert une curieuse façon de capitaliser la parité politique hommes-femmes dans l’assemblée nationale. Notre députée doit son intrusion dans le champ politique grâce au quota des femmes instauré par une loi de 2012 suivant en cela, les recommandations de la communauté internationale. Ce qui devait être ainsi un progrès s’est transformé sous la latitude algérienne en un cirque de féminisme de mauvais aloi.

Également cheffe de parti, notre députée s’était crue obligée de faire ses déclarations politiques sous le regard approbateur de son époux. Se revendiquant d’une descendance prophétique, l’«élue » du peuple n’a pas eu froid aux yeux, en soutenant être favorable à la polygamie au motif que c’est un précepte religieux. C’est dire que la police politique algérienne excelle dans le raffermissement de la structure patriarcale de la société. Elle sait que sa survie est tributaire du conservatisme social.

On aura aussi noté la gestion épouvantable de l’affaire Saïd Chetouane. Un jeune hirakiste, plutôt un adolescent qui n’a pas encore atteint la majorité. Arrêté et conduit dans un commissariat lors d’une manifestation du Hirak, il s’était plaint à sa sortie de violence sexuelle. Au lieu de dénoncer les droits bafoués de l’enfant, une certaine presse aux ordres avait mis en exergue le fait que ses parents étaient divorcés, la mère ayant la garde de l’enfant. Aussi, a-t-on laissé parfois entendre que ce dernier était « illégitime » comme pour jeter l’anathème sur la mère. Il est stupéfiant de constater que les autorités ont fini par arracher Said Chetouane à sa mère en le plaçant dans un centre de protection de l’enfance. Ainsi l’État, en bon protecteur de la famille, prétend être le plus à même d’assurer le rôle du père. Triste histoire, le jeune Saïd refuse de boire et de manger depuis qu’on l’a enfermé dans le centre. Ainsi, si le Hirak n’a pas encore réussi à améliorer les droits de l’Homme, il a néanmoins démystifié le régime. 

Celui qui a incarné en Algérie leur défense, maître Ali Yahia Abdennour, aimait à écrire à peu près ceci : « la police politique s’occupe d’accompagner l’Algérien et l’Algérienne depuis sa naissance jusqu’à sa tombe ». Mais, je crois que cette affirmation a cessé d’être vraie depuis le Hirak. Membre fondateur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) avant d’en devenir le président, Ali Yahia Abdennour vient de décéder le 25 avril 2021. Ses obsèques sont emblématiques du combat que le défunt avait livré contre les services algériens. Le drapeau national et le drapeau berbère, interdit par le général Gaïd Salah, avaient orné son cercueil.

En outre, un autre événement a émaillé ces funérailles. Un échange rude et vif s’était engagé entre Bouzid Lazhari, président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et l’opposant Karim Tabbou. Coquille vide, la CNDH est un énième organisme étatique recommandé par la communauté internationale. Malheureusement, le « Conseil » a été détourné de sa vocation. Il est devenu une entité qui fait écran aux violations des Droits de l’Homme qu’il est censé protéger. Aussi, en marge de la cérémonie, Tabbou, très remonté contre Lazhari, lui avait asséné: « Vous avez gardé le silence alors que les détenus d’opinion croupissent dans les prisons ». S’étant vu signifier qu’il était « persona non grata », le Monsieur Droits de l’Homme officiel, fut contraint de quitter précipitamment les lieux sous les cris de « Dégage ! ». Force est de constater que la militance hirakienne, c’est aussi le surgissement d’une conscience émancipatrice qui entend s’affranchir de la tutelle de la police politique d’où du reste les nombreux slogans dénonçant cet appareil anti-constitutionnel.

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Journaliste algérien établi en France

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Les islamistes, une marque déposée en Algérie

L’image des islamistes est une « marque déposée » en Algérie. Nul ne peut y toucher sans se rendre coupable de félonie. C’est une image maudite et immuable qui annonce la condamnation à la perpétuité.

C’est ainsi qu’en a voulu le régime en place. Confronté à une opposition inédite, qui menace de l’emporter, le pouvoir algérien est en train d’engager en ce moment la bataille de l’image et de la mémoire autour de la guerre civile des années 1990. Au fur et à mesure que le mouvement anti-régime, Hirak, prend de l’envergure, les islamistes sont montrés du doigt comme les instigateurs sournois de cette insurrection populaire. Du coup, ils sont renvoyés à leur violence djihadiste. C’est eux qui seraient à la manœuvre pour manipuler les millions d’Algériens qui manifestent dans les quatre coins du pays. Comme le dit Gaston Bachelard « Les images ne sont pas des concepts. Elles tendent à dépasser leur signification. » Ainsi, la télévision d’État n’a pas lésiné sur les mises en scène en montrant des « terroristes  ‘daechisés’ » tenant des propos selon lesquels ils seraient impliqués dans un projet violent au sein du Hirak. Depuis Bouteflika, et même au-delà, le récit sur les islamistes est sous contrôle, et il n’est pas jusqu’à la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » qui ne les considère comme les uniques responsables de la décennie sanglante. Aucune nuance n’y est permise. Le régime tente une énième division des populations en espérant voir des pans de la société se désolidariser du courant islamiste Rachad, qui s’est tenu à l’écart du système rentier.  Ce qui confère à ce mouvement politique une certaine virginité politique par rapport à ses homologues islamistes corrompus et largement discrédités. 

Que ce courant ait pu, depuis, évoluer dans le bon sens, ou qu’il ait pu aspirer à se conformer aux desiderata de la démocratie, ou même qu’il ait pu vouloir s’inspirer du modèle islamiste à la tunisienne; cela doit relever du domaine de l’impossible et de l’impensable. Si la presse algérienne était véritablement libre, elle aurait pu se faire l’écho des mutations de l’acteur islamiste qui outre, refuse lui-même l’étiquette d’« islamiste », affirme vouloir contribuer à bâtir un État de droit.

La transgression du « politiquement correct » par le journaliste El Kadi Ihsane

N’empêche, la presse algérienne recèle des individualités remarquables, qui de temps en temps, parviennent à briser la loi de l’omerta. Un petit article intitulé « Pourquoi la place de Rachad doit être protégée dans le Hirak » paru le 23 mars 2021, a mis sens dessous dessus le régime algérien. Signé par le journaliste et éditeur de presse électronique, El Kadi Ihsane (proche de la mouvance laïque), ce papier qui plaide pour l’intégration de l’acteur islamiste dans le mouvement anti-régime, a valu à son auteur d’être convoqué par la gendarmerie nationale sur une plainte, tenez-vous bien, du ministère de …la Communication. El Kadi Ihsane avait, par message vidéo, averti avant de se rendre à la convocation qu’il observerait une « grève de la parole » face aux gendarmes au cas où on l’interrogerait sur le contenu de son travail journalistique. Évidemment, il a tenu parole, ce qui, irrémédiablement en dit long sur la portée de cette affaire.

Larbi Graïne https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2021/02/logo-rond-twitter.png?resize=36%2C36&ssl=1

Journaliste algérien établi en France

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