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UNESCO : préserver l’héritage culturel de l’artiste afghan Rumi

[Par Bahram RAWSHANGAR]

Le 25 juin l’association AZADI a organisé devant le bureau de l’UNESCO à Paris une manifestation contre l’injustice culturelle qui sévit en Afghanistan. Des dizaines de personnes y ont participé. Ceux qui ont pris la parole ont déclaré que l’Iran et la Turquie n’avaient pas le droit d’enregistrer le chef d’oeuvre de Rumi « Masnavi Masnavi » comme faisant partie de leur héritage culturel. Et ce à cause du fait que Rumi était originaire d’Afghanistan et était né là-bas. A la fin de la manifestation les responsables de l’association AZADI ont déposé un courrier dans le bureau de l’UNESCO à l’attention de son secrétaire général.

(Crédits : Bahram Rawshangar)

(Crédits : Bahram Rawshangar)

Le courrier indiquait que depuis quelques décennies, l’Afghanistan est non seulement confronté à la guerre et à de multiples crises politiques, mais il est également victime d’un « vol culturel » commis par certains pays voisins. L’un de ces pays est l’Iran, la nation ayant tenté de se faire passer pour le vrai propriétaire de l’héritage culturel afghan.

L’association AZADI rajoutait qu’un exemple de ce « pillage culturel » avait encore eu lieu récemment : « Le 7 juin, Said Reza Salhie, le consultant présidentiel et le directeur de l’institution des Documents et de la Bibliothèque Nationale Iranienne, a annoncé que le gouvernement iranien s’était mis d’accord avec la Turquie pour définir le chef-d’œuvre de Maulana Jalaluddin Balkhi « Masnavi Manavi » en tant qu’héritage culturel de leurs deux pays ». Cependant, si l’on considère la position géographique de l’artiste en question – en terme d’origines, cette décision contredit la résolution de l’UNESCO de 2005 qui affirme que « la ville de Balkh est en Afghanistan et que, par conséquent, il s’agit bien du pays d’origine de Maulana (Rumi) ».
L’artiste est en effet né à Balkh, l’une des villes très connues de l’ancien Khorasan, située au Nord de l’actuel Afghanistan.

Et le courrier de déduire que par conséquent, l’Afghanistan est le réel propriétaire de l’héritage de Maulana et de ses œuvres, et non l’Iran ou la Turquie.

Et ce n’est qu’une occurrence parmi d’autres pour l’Iran. Depuis longtemps, le pays tente de présenter les sages, les grands poètes et penseurs Afghans comme membres à part du patrimoine iranien sur la scène internationale, ce fut le cas pour Nasir Khusraw Balki, Abou Ali Sina (Avicenna), Rodaki, Al Biruni, Khawâdjâ Abdallâh Ansârî, et tant bien d’autres. Ce « vol culturel » n’est pas que le fait du gouvernement Iranien, des penseurs et intellectuels du pays, tentent aussi de s’approprier cette autre culture, tant à l’extérieur et à l’intérieur de l’Iran.

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Et la missive de faire un rappel historique sur les origines de l’artiste : « Bahāʾal-DīnWalad le père de Maulana, inquiété par le Roi Khawarizme, quitta Balkh pour aller faire le pèlerinage du Hajj. Lors de son voyage, il traversa l’Iran avec sa caravane et sa famille pour rejoindre Bagdad, puis La Mecque. Quand les Mongols, menés par Gengis Khan, conquirent le Khawarazme en 1219, la famille de Maulana (Rumi) décida de partir vers Konya en Turquie, puis ensuite vers la Mecque ».

La loi est claire, indique encore le courrier : « l’Iran n’a pas le droit de s’approprier les œuvres de Maulana et d’en faire le patrimoine de son pays. L’association AZADI considère que la décision prise par l’Iran est très inquiétante et qu’il s’agit d’une action irrespectueuse envers la culture et l’histoire de l’Afghanistan ».

Et de conclure que cette décision iranienne a été prise au moment où le gouvernement afghan a fermé le bureau représentatif de l’Afghanistan à l’UNESCO dû à des problèmes politiques.

Le courrier indique enfin trois propositions pour l’UNESCO :

« 1- L’association Azadi et les intellectuels afghans reconnaissent l’UNESCO en tant qu’organisation internationale prestigieuse et nous souhaiterions qu’elle réagisse suite aux propositions iraniennes et turques qui consistent à inclure le chef d’œuvre de Maulana (Rumi), Masnavi Manavi dans leur patrimoine national.

2-Nous souhaitons que l’UNESCO reconnaisse Maulana et ses œuvres en tant que patrimoine culturel de l’Afghanistan.

3- Nous souhaiterions que l’UNESCO prenne conscience du fait que le patrimoine culturel afghan est menacé par la politique de l’Iran qui s’accapare les philosophes, poètes et mystiques afghans en affirmant qu’ils appartiennent à un Iran ancien ou à l’Iran d’aujourd’hui. »

Le massacre des Koulbars, encore un secret honteux de l’Iran

[Par Rebin RAHMANI]

Traduit du persan au français par Nujin


Silence, on tue. Les travailleurs frontaliers kurdes sont massacrés par le régime iranien dans l’indifférence générale et en toute impunité.

Ci-dessous un court-métrage documentaire consacrée à la question des koulbars kurdes produit par le Réseau pour les Droits de l’Homme au Kurdistan (sous-titré en anglais).

Les Kurdes sont un peuple apatride disloqué entre quatre États du Moyen-Orient (l’Iran, la Turquie, la Syrie et l’Irak) où ils constituent une minorité ethnique numériquement importante mais toujours politiquement oppressée, économiquement marginalisée et culturellement discriminée. Naitre kurde dans chacun de ces pays, c’est se retrouver privé du moindre droit en tant qu’individu appartenant à un peuple pourtant millénaire.
Dans la province du Kurdistan iranien située au Nord-Ouest de l’Iran près de la frontière irakienne et que les Kurdes appellent Kurdistan de l’Est ou Rojhelat, le régime de la République Islamique s’est toujours senti menacé par ce peuple insoumis et a mené dès 1979 une politique tout « sécuritaire » aussi bien dans le domaine politique, social, économique et culturel. La moindre aspiration autonomiste, nationaliste ou séparatiste a été systématiquement écrasée. On a vu des boutiques se voir imposer une fermeture administrative simplement à cause d’une enseigne en langue kurde et les propriétaires arrêtés au motif de « propagande nationaliste ». La République Islamique a toujours utilisé l’arme économique pour contrôler la région du Kurdistan notamment en faisant tout pour empêcher le développement économique et l’entreprenariat. Les résultats de cette politique volontaire de marginalisation économique ne se sont pas faits attendre : la région du Kurdistan compte parmi les plus pauvres d’Iran et le chômage y est galopant.

Trahir son peuple ou risquer les balles, le choix impossible des Kurdes d’Iran

Les Kurdes (qui représentent environ 10% de la population iranienne avec près de 7 millions d’habitants) paupérisés et désespérés n’ont quasiment que quatre options : devenir des agriculteurs, migrer vers des grandes villes d’Iran à la recherche d’un emploi, rejoindre les rangs des Gardiens de la Révolution Islamique et donc trahir leur peuple ou bien (c’est l’option la plus fréquemment choisie) devenir un transporteur frontalier de marchandises de contrebande (“koulbar” en langue kurde) entre l’Iran et l’Irak.
Chaque année, un nombre important de ces travailleurs pauvres sont pris pour cible par les forces armées de la République Islamique et abattus sans sommation dans l’exercice de leur activité alors qu’ils traversent la frontière entre l’Iran et l’Irak, leurs marchandises sur le dos. Un peu comme si en France, les Alsaciens qui s’essayaient au transport de marchandises entre la France et l’Allemagne dans l’espoir d’échapper à la misère étaient systématiquement abattus par la police française dans les zones frontalières.

(Source : kurdistanhumanrights.net)

(Source : kurdistanhumanrights.net)

Il y’a une dizaine de jours, le Réseau pour les Droits de l’Homme au Kurdistan (une association fondée en France en 2014 dans le but de documenter et d’informer sur les violations des droits de l’Homme dans la province du Kurdistan iranien) a publié son rapport annuel concernant le massacre systématique de ces travailleurs nomades kurdes et est en mesure de fournir quelques chiffres. En 2015, au moins 44 koulbars kurdes ont été tués par les forces armées du régime et au moins 21 autres ont été blessés. Au moins sept autres sont morts d’hypothermie, se sont noyés dans des rivières ou lors de chutes dans les montagnes. De très jeunes kurdes exercent également cette profession : en 2015 deux jeunes koulbars de moins de 17 ans dont l’un a été identifié comme étant Seyffedine Nouri ont été assassinés par les forces armées iraniennes. La moitié des victimes sont assassinés dans des villages frontaliers et l’autre moitié dans des villes ou villages parfois éloignés de plus de 100 km de la frontière.

Pourquoi, « Koulbar » ?

« Koulbar » est un mot valise kurde formé à partir du mot « koul » qui signifie « dos » et du mot « bar » qui signifie « transport ». Il désigne ces travailleurs nomades kurdes iraniens vivant dans cette zone frontalière de carrefour entre le Kurdistan iranien et irakien. Démunis et désespérés de ne pouvoir faire subsister leurs familles, ces hommes choisissent de transporter à dos d’homme (ou à dos de mulets) des marchandises de contrebande telles que du textile, des produits électroniques, des boîtes de thé et plus rarement (même si ça arrive quelquefois) des boissons alcoolisées qu’ils vont chercher côté irakien afin de les introduire en Iran. Ils chargent ces marchandises le plus souvent sur leurs dos et retraversent la frontière le plus discrètement possible, généralement la nuit, dans la neige, en prenant garde à ne pas exploser sur une mine anti-personnel vestige de la guerre Iran-Irak et à éviter les tirs nourris des militaires iraniens en embuscade dans la région.

Les boutiquiers (ou kassebkar) quant à eux sont ces marchands qui récupèrent ces marchandises auprès des koulbars et vont les revendre dans des villes ou villages sur l’ensemble du territoire iranien.
Bien entendu, la plupart des Kurdes qui se tournent vers cette périlleuse profession sont bien conscients des risques, mais cette vie laborieuse leur paraît préférable à une vie de servitude contre leur propre peuple au sein des Gardiens de la Révolution. Le chômage endémique, l’absence d’opportunités professionnelles, la faible part du budget national allouée au développement du Kurdistan, le non-investissement de l’État dans l’agriculture, les mines toujours enfouies et actives dans le sol du Kurdistan depuis la fin du conflit avec l’Irak en 1988 et bien d’autres problèmes désespèrent ces jeunes kurdes qui n’ont d’autres choix que de se tourner à leurs risques et périls vers cette dangereuse profession.

(source : kurdistanhumanrights.net)

(source : kurdistanhumanrights.net)

La question des koulbars kurdes pourrait n’être qu’un simple problème économique qui se pose dans quasiment toutes les régions du monde : celui de la contrebande de marchandises. Quel pays peut prétendre ne jamais y avoir été confronté ? Néanmoins, le Régime de la République Islamique, fidèle à ses habitudes, traite ce problème économique comme un problème sécuritaire et use de la répression et de la plus grande violence à l’égard de ceux qu’il accuse de contrebande.

En théorie, les lois de la République Islamique ont prévu une sanction spécifique pour chaque type de délit ou crime en fonction de sa gravité et en théorie chaque individu reconnu coupable doit être condamné en fonction de cette grille. Cependant, les faits prouvent que le régime ne respecte pas ces propres règles. Dans la majorité des cas, les koulbars sont considérés coupables de contrebande avant même d’être arrêtés ou jugés et sont abattus sur place et sans sommation préalable par les forces armées iraniennes qui patrouillent systématiquement dans la région.

Ces dernières années, le gouvernement central iranien a vainement tenté de lutter contre ce phénomène de contrebande qui loin de faiblir malgré le nombre effarant de victimes parmi les koulbars, ne faisait au contraire qu’augmenter. Pour cela, il a instauré un semblant de libre circulation des marchandises dans les zones de Mariwan et Bané (à la frontière irakienne) et a distribué des autorisations de travail pour un certain nombre de koulbars. Toutefois, cette tentative a plus tard fait l’objet d’une mesure d’impeachment par le Parlement Iranien et n’a pu obtenir de voix suffisantes pour être maintenue. Un certain nombre de koulbars qui travaillaient légalement ont du se tourner vers la contrebande illégale.

Un massacre aveugle

Il n’y a pas que les koulbars qui tombent sous les balles. Les bêtes de sommes qui accompagnent le labeur de ces infatigables travailleurs nomades ne sont pas épargnées. Chaque année une bonne centaine de ces malheureux animaux sont également massacrés. Un koulbar originaire de Bané a raconté au Réseau pour les droits de l’Homme au Kurdistan : « Les forces armées iraniennes et les Gardiens de la Révolution patrouillent dans les zones empruntées par les koulbars et nous tendent des embuscades. Quand ils nous arrêtent, ils confisquent nos marchandises puis regroupent nos bêtes et les mitraillent littéralement sous nos yeux. Plus d’une fois, j’ai même vu les forces du régime incendier nos bêtes. Quand ils nous arrivent de croiser leur route, nous avons si peur d’être arrêtés que nous déguerpissons en catastrophe en laissant tout derrière nous. Les forces du régime se vengent sur nos animaux et balancent les carcasses sur les routes.”
Les efforts de collecte d’informations effectuées sur le terrain par le Réseau pour les Droits de l’Homme au Kurdistan permettent d’attester que depuis 2011, au moins 439 travailleurs frontaliers ont été tués ou blessés dans l’exercice de leur activité par les forces armées iraniennes. Ces travailleurs nomades qui comptent parmi les plus pauvres et les laissés pour compte du Kurdistan, laissent après leur mort brutale des familles endeuillées qui perdent par la même occasion leur unique source de revenus. Non seulement, l’État ne leur verse aucune indemnité après la mort de leur proche mais leur demande de verser une somme d’argent en compensation du prix des balles qui a servi à abattre leur mari, frère ou fils afin que le corps leur soit rendu.

(Source :  kurdistanhumanrights.net)

(Source : kurdistanhumanrights.net)

Certaines familles ont eu le courage de porter plainte contre l’État iranien mais aucune de ces plaintes n’a conduit à l’arrestation et encore moins à la condamnation des coupables (qui dans le meilleur des cas ont simplement été mutés dans d’autres régions). Des citoyens et activistes kurdes manifestent régulièrement pour protester contre ces massacres et sont systématiquement arrêtés par les forces de sécurité du régime.

Une seule fois et unique fois en 2011, Ahmad Shaheed le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des Droits de l’Homme en Iran a mentionné dans son rapport annuel (sous la forte pression d’activistes kurdes) les meurtres systématiques de ces koulbars. Aucune autre organisation internationale de défense des droits de l’homme n’a évoqué ce problème et le silence assourdissant autour de ces massacres continue en toute impunité.

 

Rebin Rahmani, la voix des Kurdes d’Iran

[Par Lisa Viola ROSSI]

« Je me sens comme déchiré entre deux mondes. Je ne peux ni me détacher de ma patrie ni totalement m’adapter à ce nouveau pays ». Il s’appelle Kareem « Rebin » Rahmani, il est kurde iranien et est exilé en France depuis deux ans et demi. L’exil, un lourd tribut qu’il a dû payer en raison de son activisme pour les droits de l’homme en Iran.

Malgré les difficultés auxquelles il a dû faire face en tant que réfugié, Rebin n’a jamais perdu l’espoir : il croit dans la possibilité de rentrer un jour en Iran. « La lutte pour la démocratie est un défi qui se joue à long terme – précise-t-il -. Il faut travailler à un niveau plus profond, à un processus de démocratisation partant du bas, à un changement de culture et de mentalité des gens, pour créer une société civique dans laquelle il est nécessaire d’enraciner le sentiment d’une urgence démocratique envers les droits des femmes et des minorités religieuses et ethniques en Iran.».

Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)

Dialogue sur les droits des minorités ethniques d’Iran (Genève, mars 2015)

Dans ce but, Rebin s’est engagé avec le Réseau pour les droits de l’homme au Kurdistan, une organisation pour la défense des droits de l’homme fondée en janvier 2014 en France à l’initiative d’activistes des droits et d’avocats kurdes. « Le but est d’observer, de documenter et d’informer sur les violations des droits de l’homme dans le Kurdistan iranien. Le site du Réseau – explique Rebin – a été lancé en février 2014, mais en raison de difficultés matérielles, seule la version anglaise est pour l’instant disponible. Une version en kurde et en persan est en cours de préparation».

La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/

La page d’accueil du site http://www.kurdistanhumanrights.org/

Le site de Kurdistan Human Rights Network est aujourd’hui parvenu à se faire connaître comme une source d’information fiable et sérieuse, et il compte des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux : « Nos reportages et nos informations ont été repris par de nombreuses organisations et médias – fait savoir Rebin -. Toutefois, comme tous nos collaborateurs sont bénévoles, et que nous ne percevons aucune aide matérielle et financière, nos activités avancent très lentement. Nous espérons pouvoir pallier ces difficultés dans un avenir proche – souhaite l’activiste -, pour avancer plus rapidement dans la mise en œuvre de nos projets, comme passer par les mécanismes internationaux qui peuvent améliorer véritablement la situation des droits de l’homme au Kurdistan.»

Le peuple kurde est disloqué entre quatre pays : Iran, Irak, Syrie et Turquie. « Pour leur liberté, – rappelle Rebin – les kurdes ont payé le prix fort aussi bien sur le plan matériel qu’humain. Ce qui me donne de la force pour continuer mes activités, c’est l’ensemble de ces personnes qui ont donné leur vie pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Parmi ces gens, – ajoute Rebin – j’accorde une place particulière aux prisonniers politiques avec qui j’ai été en contact téléphonique ces dernières années et dont malheureusement j’ai souvent été l’un des premiers à apprendre la nouvelle de leur exécution. »

Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)

Le Kurdistan (source : ddc.arte.tv)

Garder les contacts en Iran n’est pas du tout facile. Le gouvernement iranien arrive à ralentir la vitesse des connections internet en dérangeant les communications via Skype. Les appels, les comptes email et les profils personnels sur Facebook, Twitter et Youtube sont systématiquement surveillés. L’utilisation des antennes paraboliques est défendue : « La police du régime monte sur les toits pour les chercher – explique Rebin -. Par ailleurs, au Kurdistan, à partir de la révolution de 2009, le régime émet des ondes afin de perturber les transmissions via satellite : des ondes qui ont des effets très graves sur la santé des citoyens, comme m’a confirmé un médecin que j’ai interviewé : les avortements spontanés seraient en fait en train d’augmenter dans toute la région ».

Les conditions de vie des kurdes en Iran ne sont pourtant pas toujours connues dans les pays occidentaux, soutient Rebin : « Le silence des médias est dû au fait qu’ils craignent qu’une attention aux conditions des prisonniers politiques au Kurdistan puisse encourager les idées séparatistes ». La conséquence de cela est « un regard centralisé sur la question des droits de l’homme en Iran », considère Rebin : « Cela signifie que malgré les risques que prennent les activistes kurdes pour informer les médias étrangers et les ONG internationales, en rédigeant rapports et statistiques qui donnent la preuve des violations et des abus dans cette région, ces derniers n’y accordent pas l’intérêt qu’on est en droit d’attendre. Et voilà, les arrestations et les exécutions d’activistes politiques et sociaux ainsi que les tortures terribles subies par ces derniers continuent, dans l’indifférence de l’opinion publique mondiale ».

De son coté, Rebin se fait garant du travail dur de médiateur. « Les moments les plus pénibles et les plus marquants de ma vie ont probablement été ceux où j’ai dû annoncer aux familles des prisonniers politiques kurdes l’exécution de leur proche. J’entends encore parfois résonner à mon oreille les pleurs et les lamentations de douleur des mères et des sœurs des prisonniers. Comment est-ce possible que leur fils ou frère soit exécuté sans que les familles ne soient prévenues et ne se soient entretenues une dernière fois avec lui? Bien souvent, les dépouilles des prisonniers exécutés ne sont pas rendues aux familles qui, par conséquent, refusent de croire à l’exécution de leur proche. Elles ne peuvent pas faire leur deuil et continuent d’attendre leur retour. Les victimes et les prisonniers politiques comptent donc sur nous – explique Rebin – pour faire parvenir leurs voix au monde extérieur. Cet espoir qu’ils ont placé en nous, rend notre tâche plus difficile encore. Nous espérons être à la hauteur de la mission et que les institutions et médias internationaux nous aideront à faire parvenir ces voix au monde entier ».

Rebin cultive cet espoir depuis des années. C’est en 2006, à l’époque du président réformiste Khatami, que la vie de Rebin a définitivement changé. Il n’était qu’un étudiant, mais aussi le rédacteur en chef d’un journal des étudiants kurdes, “Rojhelat”, “Orient”.

Rebin Rahmani

Rebin Rahmani

C’est à cette époque que Rebin décide, avec un compagnon sociologue, de mener une étude sur les causes de la toxicomanie, le SIDA et la prostitution à Kermanshah. Pendant environ six mois, ils conduisent des interviews vidéo de toxicomanes. C’est là qu’ils prennent conscience de la recrudescence de ces problèmes, une tendance systématique qui serait délibérément planifiée par la République islamique elle-même. A côté de l’Université de Razi de Kermanshah, dans le quartier résidentiel de “Bagh Abrisham”, “Le jardin de soie”, Rebin et son collègue filment une quarantaine de toxicomanes qui chaque jour frappent à la porte d’une sorte de kiosque pour obtenir de la drogue. Le voisinage les informe qu’il a déjà fait appel aux autorités mais sans obtenir de réponse. « Certains nous ont par ailleurs signalé le rôle de certains fonctionnaires de Renseignement de la ville de Kermanshah dans le trafic de drogue dans la région, drogue destinée aussi à la Turquie », précise Rebin. Plus tard, pendant un interrogatoire auquel Rebin sera soumis, un fonctionnaire lui dira : « Quel imbécile vous êtes de vous battre pour ces gens! Nous les avons fait devenir toxicomanes, et ils ne se soucient plus de ce qui se passe autour d’eux ! ».

Le 19 novembre 2006 Rebin a été arrêté par la police sur la route entre Kermanshah et Sarpol-e Zahab. Les fonctionnaires trouvent dans son sac des livres politiques. Il découvre qu’il était recherché. C’est exactement en ce moment-là que son calvaire commence. Un calvaire de deux ans durant lequel il passe de cellule en cellule, sous torture physique et psychologique permanente. Son arrêt est confirmé sous la surveillance du service au Renseignement. En mars 2007, deux jugements seront prononcés contre lui : activités contre la sécurité nationale et propagande contre l’Etat. Ils se traduisent en une peine de prison de cinq ans, réduite en appel à deux ans. Pas de remise sur les tortures, ce qui le conduit à une tentative de suicide. Rebin sort de la prison Dizel-Abad de Kermanshah le 7 novembre 2008. Malgré les convocations continuelles par les services secrets – l’Intelligence-, il commence sa collaboration avec l’organisation Activistes pour les droits de l’homme en Iran, sous le pseudonyme d’Hiva Shalmashi. Après sa libération, sa vie n’est plus comme auparavant : « Je me suis rendu à l’Université – rappelle-il -, où j’ai été informé de ma radiation. Chaque personne que je rencontrais, était convoquée et interrogée par l’Intelligence qui lui recommandait de n’avoir aucun contact avec moi. C’était dur ». Après l’exil de son frère, lui aussi activiste, les pressions de la part des fonctionnaires des services secrets augmentérent. « Mon activisme est la chose la plus importante de ma vie – dit Rebin -. Les tortures que j’ai pâties en prison, m’obligent à répondre maintenant à un devoir: aider les autres prisonniers. En Iran je ne pouvais pas faire cela, parce que j’étais sous surveillance. Donc, en mars 2011, j’ai quitté mon Pays ».

Rebin a traversé à pied la frontière montagneuse du Kurdistan d’Iran et le Kurdistan irakien avec un groupe de “passeurs” (passeurs de marchandises et d’hommes) jusqu’au moment où les forces iraniennes ont commencé à tirer sur eux. « Je me suis retrouvé complètement seul. Il faisait nuit, il y avait de la neige, j’ignorais que j’étais dans une zone minée. Mais je suis arrivé en Irak ». Une fois à Erbil, Rebin s’est adressé au bureau de l’UNHCR : « Je n’avais pas l’intention de partir pour l’Europe et je suis resté sans titre de séjour dans le Kurdistan d’Irak un an et demi ; jusqu’au jour où j’ai subi des pressions du régime en place, opposé à mes activités : c’était pour préserver ma vie; mais également pour préserver les intérêts du pouvoir irakien qui collabore avec les autorités iraniennes ». En même temps les services secrets iraniens menaçaient la famille de Rebin, restée en Iran et lui aussi était menacé à nouveau. « Je me suis rendu à l’ambassade française et grâce à une lettre de soutien de Reporters sans frontières, j’ai reçu les papiers nécessaires et je suis parti immédiatement. Quatre mois après mon arrivée en France, j’ai découvert la Maison des journalistes où j’ai été enfin accueilli jusqu’au moment où j’ai reçu mon statut de réfugié ». Et maintenant en France, à cinq mille kilomètres de sa terre natale, Rebin cultive opiniâtrement sa foi dans le pouvoir de la connaissance, de la vérité, pour les droits de son peuple.

Pour en savoir plus sur le Kurdistan Human Rights Network : www.kurdistanhumanrights.org

Iran : Grève de la faim de 27 prisonniers politiques kurdes à Orumieh

[Par Rebin RAHMANI]

Traduit de l’anglais au français par Quentin DAVIDOUX

Le jeudi 20 novembre 2014, vingt-sept prisonniers politiques kurdes ont entamé une grève de la faim pour protester contre le transfert dans leur section de criminels et de malfaiteurs notoires et le départ pour d’autres sections de certains des leurs.

La prison d'Orumieh (source :hra-news.org)

La prison d’Orumieh (source :hra-news.org)

La section douze de la prison d’Orumieh, d’une capacité de cinquante personnes, est connue comme le quartier des prisonniers politiques. Mais les autorités pénitentiaires s’efforcent depuis deux ans de mettre fin à cette habitude en déplaçant certains de ses prisonniers politiques dans d’autres sections abritant des meurtriers et des criminels des milieux de la drogue, tout en amenant dans la section douze des criminels et malfaiteurs habitués à la violence en prison.
De plus, durant cette période, la plupart des prisonniers politiques nouvellement incarcérés n’ont pas été placés dans la section douze. En ce moment, environ trente-cinq prisonniers politiques sont enfermés dans les quartiers de dangereux prisonniers. Selon les dernières statistiques, quatre-vingt prisonniers (trente prisonniers politiques kurdes pour cinquante criminels) sont retenus dans la section douze. A cause de cette surpopulation carcérale, les prisonniers politiques kurdes souffrent de gros problèmes concernant les aménagement de la prison, notament au niveau des installations sanitaires, de la santé, du renouvellement de l’air etc.
En plus de tout cela, certains gardes spéciaux de la prison viennent dans la sections douze et, tout en insultant les prisonniers politiques, fouillent leurs affaires personnelles et confisquent leurs livres, magazines, et notes.
les prisonniers politiques de cette section n’ont d’ailleurs pas le droit d’utiliser la bibliothèque, ni la salle de gym de la prison, et n’ont pas non plus le droit de recevoir de livres ou de magazines, même approuvés par le ministère de la culture iranien. Une difficulté supplémentaire à gérer pour les prisonniers politiques est la présence d’un bureau du ministère des renseignements au sein même de la prison. Les agents du ministère y convoquent fréquemment les détenus et les menacent de mises en accusation supplémentaires, de transfert dans les locaux du ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale, ou d’arrestation de proches du détenu.
Pour protester contre les sévères conditions de détention à la prison centrale d’Orumieh, trente prisonniers politiques de la section douze ont entamé une grève de la faim le 20 novembre, et vingt-six la poursuivent à ce jour. Depuis le début de la grève, les autorités pénitentiaires, au lieu de préter attention à leurs exigences légitimes, ont menacé, convoqué et transféré ces prisonniers. Le 23 novembre, le bureau des renseignements de la prison a convoqué Osman Mostafa Pour (un prisonnier politique kurde condamné à trente-quatre ans de prison, et qui en a déjà passé vingt derrière les barreaux) et l’a conseillé de cesser sa grève de la faim s’il ne voulait pas faire face à une nouvelle sentence et des charges supplémentaires.

Mansour Arwand

Mansour Arwand

Le matin du 29 novembre, les gardes de la prison, équipés de matraques électriques se sont placés devant les portes et les fenêtres de la section douze. Le chef de la prison a averti les prisonniers que, si ceux-ci poursuivaient leur grève de la faim, les gardes attaqueraient la section et battraient les prisonniers. Le même jour, avant les visites des familles, ces prisonniers avaient eu à subir les insultes des officiers et un déshabillage complet pour “rechercher des lettres”. Le prisonnier politique kurde condamné à la peine capitale Mansour Arwand qui avait participé à un rassemblement à la prison, a été transféré sans notification préalable à la prison de Mahabad. La nuit du 29 novembre, les autorités pénitentiaires ont ensuite tenté de faire transférer Mohammad Abdullahi dans la section des meurtriers, mais ils se sont heurtés à la résistance des prisonniers politiques.

Le mardi 9 décembre, le prisonnier politique kurde Ali Afshari, gréviste, a été convoqué au bureau des gardes pour parler par téléphone avec le bureau des renseignements de la prison. On lui a annoncé que les prisonniers politiques devaient cesser leur grève de la faim le plus tôt possible. Autrement, les conséquences seraient terribles. L’agent du service des renseignements a ajouté qu’Ali Afshari précipitait son exécution en poursuivant sa grève de la faim.
Le 9 décembre, Jaafer Afshari, un autre prisonnier politique kurde, a été convoqué au bureau des gardes de la prison et transféré au quartier des travailleurs. Ce jour-là, Arafat Asgeri et Jafar Mirzayi, deux grévistes prisonniers politiques, ont été libérés après une période de six mois en prison.
Le 10 décembre, Ali Afshari a perdu conscience dans les toilettes de sa section à cause de son état de grande faiblesse, d’une basse tension, de troubles respiratoires et des conséquence de la balle reçu lors de son arrestation, toujours présente dans son corps.
Selon les derniers rapports, Reza Rasouli, Yusef Kaka Mami, Sherko Hasanpour, Sirwan Njawi, Abdulla Omumi et Mohammad Abdollahi sont dans un état critique.

Massud Shemsnjad

Massud Shemsnjad

Toujours le 10 décembre, Massud Shemsnjad, un avocat kurde, à entamé une grève de la faim pour protester contre sa détention dans le quartier des travailleurs de la prison d’Orumieh, et pour obtenir une remise en liberté provisoire des autorités pénitentiaires.
Il a été condamné à quatre mois de prison pour avoir eu des contacts avec des médias étrangers et pour son affiliation à des groupes d’opposition. Il a été l’avocat de plusieurs prisonniers politiques kurdes condamnés à mort.
En ce moment, vingt-sept Kurdes poursuivent leur grève de la faim dans la prison de Orumieh. Les noms des grévistes sont:

1-Masoud Shams Nejad , condamné à quatre mois de prison, 2- Sherko Hasan Pour, condamné à cinq ans de prison. 3- Abdullah Bislnun, condamné à un an et demie de prison. 4- Yusef Kaka Mami, condamné à neuf ans de prison, 5- Osman Mostafa Pour, condamné à trente-quatre ans de prison, 6- Mostafa Ali Ahmad, condamné à onze ans de prison, 7- Abdullah Omuyi, en situation irrésolue, 8- Wali Afshari, condamné à cinq ans de prison, 9- Kayhan Darwishi, condamné à trois ans de prison,10- Mostfa Dawoudi, condamné à dix ans de prison, 11- Shursh Afshari, condamné à cinq ans de prison, 12- Khezr Rasul Mrwat, condamné à cinq ans de prison, 13- Mohammad Abdullah Bakht, condamné à un an de prison, 14- Amir Moladust, condamné à quatre ans de prison, 15- Ahmad Tamuy, condamné à quinze ans de prison , 16- Jafar Afsharicondamné à cinq ans de prison, 17- Reza Rasouli, condamné à trois ans et neuf mois de prison. Et aussi dix prisonniers kurdes condamnés à la peine capitale: 1- Sayed Sami Hosseini,2- Sayed Jamal Mohamadi,3- Behruz Alkhani, 4- Ali Ahmad Soleiman, 5- Saman Nasim, 6-Sirwan Njawi, 7- Ebrahim Eis Pour, 8- Ali Afshari , 9- Rezgar Afshari, 10 – Mohamad Abdullahi.

L’oeil de Reza Jafarian

[Crédit photo : Reza JAFARIAN]

Des opposants iraniens le 8 mars 2013: A Paris, il y a beaucoup de groupes d'opposants iraniens qui manifestent lors des journées internationales, comme ici le 8 mars (journée internationale de la femme) avec les Parisiens. [ crédit : Reza Jafarian]

Des opposants iraniens le 8 mars 2013:
A Paris, il y a beaucoup de groupes d’opposants iraniens qui manifestent lors des journées internationales, comme ici le 8 mars (journée internationale de la femme) avec les Parisiens.
[ Crédit photo : Reza Jafarian]

 

L’exposition Omid est mon nom à Francfort : Je suis allé à Francfort pour soutenir deux femmes (Paraste Frohar et Monire Baradaran) qui se sont opposées au gouvernement iranien. Beaucoup de leurs œuvres et de leurs statues ont été exposées. Leur mouvement d’opposition a débuté lors de l’exécution des prisonniers politiques en Iran en 1988. J’ai pris de nombreuses photos de personnes vraiment tristes au cours de l’exposition.

 La Tour Eiffel sur la place du Trocadéro: C'est la photo de la Tour Eiffel que je préfère depuis que je me suis installé à Paris en décembre 2010. [Crédit photo : Reza Jafarian]

La Tour Eiffel sur la place du Trocadéro:
C’est la photo de la Tour Eiffel que je préfère depuis que je me suis installé à Paris en décembre 2010. [Crédit photo : Reza Jafarian]

Quelques lieux touristiques à Paris : J’ai fait des photos de certains lieux touristiques de Paris en 2011 et 2012 pour un livre qui n’a jamais été publié à cause de ma situation. Voici les meilleurs:

Journée internationale : Norouz le 21 mars 2014: Il existe une association internationale qui s’appelle Norooz. Elle célèbre Norouz (nouvel an perse) chaque année le 21 mars en face du palais de Chaillot à Paris.

Manifestation à Paris contre la peine de mort en Iran: Voici une manifestation d’opposants iraniens contre la peine de mort en Iran. Ils ont manifesté le 20 janvier 2010 avec des portraits de personnes que le gouvernement iranien a voulu supprimer.

Le cimetière en face de l'association la Maison des Journalistes: J'ai vécu six mois à la Maison des Journalistes. Voici la première photo que j'ai prise par la fenêtre de ma chambre en mai 2011. [Crédit photo : Reza Jafarian]

Le cimetière en face de l’association la Maison des Journalistes:
J’ai vécu six mois à la Maison des Journalistes. Voici la première photo que j’ai prise par la fenêtre de ma chambre en mai 2011. [Crédit photo : Reza Jafarian]

Le soir de l'élection présidentielle de 2012 sur la place de la Bastille: Je fais de nombreuses photos de manifestations parisiennes. En voici une de la soirée de la première élection présidentielle que j'ai vue à Paris.  [Crédit photo : Reza Jafarian]

Le soir de l’élection présidentielle de 2012 sur la place de la Bastille:
Je fais de nombreuses photos de manifestations parisiennes. En voici une de la soirée de la première élection présidentielle que j’ai vue à Paris.
[Crédit photo : Reza Jafarian]

Liberté : Le fruit défendu des iraniens

[Par Sadegh HAMZEH]

Sans la force des médias, seule puissance capable de poser un regard critique sur la société et ses activités, un pays et son peuple ne peuvent pas continuer à avancer sur un chemin stable.

Dessin tiré par le site www.kayhanpublishing.uk.com/

Dessin tiré par le site www.kayhanpublishing.uk.com/

Quand les dictatures et les régimes fondés sur une idéologie s’emparent du pouvoir, ils plantent leurs griffes acérées dans le cœur de la Constitution. Ils font ensuite du peuple les esclaves d’un système rigide dont le principal objectif est de garder le pouvoir politique. Dans ce système, c’est la santé des médias qui est menacée. La préoccupation première des dictateurs et des idéologues étant de censurer et de s’assurer du contrôle des médias afin de les asservir au profit de leur propagande. En Iran, depuis que la République Islamique a pris le pouvoir en 1979, nous avons été les témoins d’un régime qui n’a pu fonctionner et perdurer uniquement par l’arrestation des personnes susceptibles de dénoncer ou de s’opposer au système. En première ligne, de très nombreux journalistes, dont les publications ont été bien entendus interdites, mais également des avocats et des personnes travaillant pour les Droits de l’Homme. Ils ont été condamnés au silence et à l’isolement en prison, jusqu’à la mise à mort de nombreux journalistes. Le dernier d’entre eux qui a succombé en prison s’appelait Hoda Saber (en juin 2011).
Mashallah Shamsolvaezin, journaliste et consultant au Centre d’Etudes du Moyen Orient, fait un parallèle entre les quatre saisons et les quatre piliers de la démocratie : le droit, le parlement, les partis politiques et les médias. Pour lui, dans le cas de l’Iran, la démocratie ne repose que sur trois piliers, le quatrième ayant été confisqué par le pouvoir. Il manque à la démocratie les médias. Lorsqu’un nouveau journal paraît, il lui est difficile de survivre plus d’un jour dès lors que le gouvernement estime qu’un article ne va pas dans le sens de l’idéologie islamique. Tous les domaines, politiques, économiques, ou les questions de société, sont concernés. La durée de vie des médias en Iran est donc toujours très précaire.
Les journalistes et sociologues iraniens s’interrogent constamment sur les raisons d’une telle précarité des médias : qui en est le responsable ? Les journalistes eux-mêmes ou l’Etat iranien ? En fait, les journalistes ont souvent accusé l’Etat iranien d’être le responsable de cette situation car cet acharnement sur les médias n’est pas nouveau. En effet, lorsque la monarchie était encore en place, avant la révolution, le gouvernement avait déjà cette fâcheuse manie de contrôler, censurer et exterminer tout média susceptible de critiquer le gouvernement. Après la révolution, le terrible héritage paranoïaque est tombé entre les mains du nouveau gouvernement islamique, poursuivant ainsi le travail de censure de son prédécesseur.
Depuis le régime du Shah et durant les présidences successives, jusqu’à aujourd’hui avec Hassan Rohani, nombreux ont été les journalistes emprisonnés et les journaux interdits. Au moment où j’écris cet article, 48 journalistes sont toujours détenus en prison. Il y a trois semaines, le corps des Gardiens de la Révolution Islamique (ou Sepah-e Pasdaran,organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution, le chef de l’Etat iranien), a envoyé un groupe armé dans la prison Evin section 350 à Téhéran, prison réservée aux journalistes et aux opposants politiques. Ce groupe, qui figure sur la liste officielle des organisations terroristes des Etats-Unis, a été envoyé pour torturer les journalistes et les politiques contestataires. Ils les ont brutalisés gravement à coup de bâtons, leur ont brisé les mains, la nuque et rasé la tête, car en prison, ils continuaient à communiquer avec l’étranger et faisaient la grève de la faim pour dénoncer l’atrocité de leur détention. Lorsque les familles des victimes ont décidé de manifester auprès du procureur, les services secrets les ont arrêtés à leur tour pour les jeter en prison.
Finalement, nous pouvons dire que la liberté d’expression des journalistes est le fruit défendu des iraniens. Comme Dieu a interdit à Adam de manger la pomme, l’Etat Iranien interdit aux journalistes d’exercer leur métier. Si le journaliste se risque à croquer le fruit défendu, tel Adam chassé du paradis, la patte griffue se pose sur sa proie. Le dénouement est presque toujours le même… réduit au silence.​

Situation de la liberté de presse en Iran : Discours de Rasoul Asghari, journaliste iranien

Par Saida HUSEYNOVA

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L’intervention de Rasoul Asghari, journaliste iranien, dans le cadre de la 25e session du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies à Genève

Dans le cadre de la 25e session du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies à Genève, Rasoul Asghari, journaliste iranien et analyseur de la situation politique en Iran, a prononcé un discours sur la situation de la liberté de la presse en Iran.
Rasoul Asghari, en s’appuyant sur ses propres expériences journalistiques au cours des 18 dernières années, a donné un aperçu de la situation des journalistes et des médias en Iran depuis 1992.

 

D’après lui, durant ces années, la liberté d’expression et le droit d’être informé et d’avoir accès à une information libre, ont été les premières victimes du « changement » qui n’a jamais été réalisé, tout comme la liberté de la presse et des médias sociaux l’ont été. La propagande du gouvernement a été modernisée, mais le paysage politique et social est de plus en plus réprimé et la liberté des journalistes de plus en plus limitée.

 

En attirant attention sur la gravité de la situation, M. Asghari a cité l’exemple de ses propres expériences : il a travaillé dans 11 journaux iraniens, dont certains n’ont pu exister qu’un seul jour car ils ont été fermés juste après la première sortie, alors que d’autres ont pu continuer leur travail pendant des mois ou peut-être des années.

 

En un seul jour, en Avril 2001, 20 journaux ont été fermés, des centaines de personnes ont perdu leur emploi et certaines ont été arrêtées. La répression sur les journaux a continué sans arrêt jusqu’à atteindre à l’été 2009 son point le plus élevé quand il n’y avait presque plus de voix opposées. Elle a été ensuite poursuivie par l’administration de Rohani : depuis son accession à la présidence 13 journaux ont été fermés. Certains d’entre eux n’avaient même pas sorti leur premiere publication. Dans le rapport annuel des “Reporters sans frontières” l’Iran est identifié comme l’une des cinq plus grandes prisons de journalistes dans le monde. C’est le 173e pays sur 180 pour l’Indice de liberté de la presse 2014. Le rapport indique: «Il n’a eu aucun changement dans la situation de la liberté de la couverture des nouvelles par rapport à l’année précédente. Les autorités iraniennes continuent de contrôler la couverture des nouvelles strictement. Les rapports sur la question nucléaire, les droits de l’homme et les prisonniers d’opinion, sont également censurés. À la fin de 2013, l’Iran a continué d’être l’une des plus grandes prisons du monde pour les professionnels des médias, avec 50 journalistes et net-citoyens détenus ».

 

Rasoul Asghari

Rasoul Asghari

Dans son discours M. Asghari a mis en évidence un autre point problématique dans le travail des journalistes, celui de l’espionnage. « L’espionnage et le contact avec les gouvernements étrangers sont des crimes communs que vous avez à affronter si vous décidez d’être journaliste en Iran. La raison donnée pour cela est la coopération avec les sites Web non-gouvernementaux ou d’opposition ou les chaînes de télévision étrangères qui sont les choses les plus normales que chaque journaliste fait dans le monde entier. Cependant, c’est considéré comme de l’espionnage dans mon pays ».
Parlant de la situation d’internet en Iran, M. Asghari a mentionné que l’autorisation pour une publication ou l’ouverture d’un nouveau site ne sera même pas accordée à un citoyen neutre. « Seuls ceux qui représentent les intérêts des gouverneurs peuvent obtenir une autorisation. La censure officielle a été intensifiée avec l’aggravation de la crise nucléaire et l’augmentation des difficultés avec l’Occident au point que les autorisations officielles sont maintenant délivrées par les plus hautes autorités comme « Le Conseil de sécurité nationale». « Une Cyber Army avec des tonnes d’autres institutions contrôlent les activités des utilisateurs d’Internet et surveillent le filtrage des sites, des blogs et des réseaux d’information ».

 

« Avant, les journaux étaient ciblés après la publication de quelque chose que le gouvernement n’aimait pas, mais depuis le début de la deuxième administration d’Ahmadinejad et surtout après le soulèvement du peuple en 2009, il est devenu normal de contrôler les publications avant leur impression. Le régime veut créer des fantômes qui ne sont ni vus ni entendus, des hommes et les femmes qui ont perdu leur voix: des personnes sourdes ».

 

Le discours complet de M. Rasoul Asghari vous pouvez trouver ici en anglais.