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« La persécution ne s’arrête jamais » : à Cuba, les journalistes muselés par le pouvoir

Arrivés à la Maison des journalistes début janvier 2023, le couple cubain Laura Seco Pacheco et Wimar Verdecia Fuentes n’a rien perdu de sa verve. Ils ont toujours cette volonté de se battre pour la liberté de la presse et d’expression à Cuba, et ont accepté de nous détailler la censure subie sur l’île. 

Âgés respectivement de 29 et 35 ans, Laura et Wimar n’avaient jamais visité la France jusqu’à leur arrivée sur le territoire, le 9 décembre 2022. Lors de notre entretien, Wimar n’hésitera pas à s’emparer d’un marqueur pour expliquer sa pensée sur le tableau blanc à notre disposition. Laura, journaliste depuis 2018, a d’abord travaillé pour le journal gouvernemental Vanguardia, où elle produisait des articles sur des thèmes variés, mais principalement culturels. 

Le temps que j’ai passé à Vanguardia était dû à mon service social, qui est obligatoire dans un média d’État après l’obtention du diplôme”, explique-t-elle sur un ton mesuré. Elle y est restée trois ans, années durant lesquelles la jeune femme a nourri une forte envie d’indépendance. Elle finit par rejoindre le quotidien El Toque en janvier 2022, par amour de l’information libre. 

Laura en visite à Paris.

Plus de 1000 prisonniers politiques à Cuba

La presse indépendante est cependant interdite dans le pays par la Constitution cubaine, compliquant d’autant plus sa tâche. En septembre 2022, les pressions gouvernementales étaient telles qu’El Toque a connu une vague de démissions forcées. 

Dans un article datant du même mois, le média explique que « les scénarios d’interrogatoires et de chantage, ainsi que l’utilisation de la réglementation de voyage à plusieurs des collègues résidant à Cuba, ont fait que, jusqu’au 9 septembre 2022, le nombre de démissions de membres de notre équipe s’élevait à 16. » 

Face aux menaces constantes et sérieuses, Laura finit à son tour par renoncer « à la possibilité de travailler dans toute autre plateforme de journalisme indépendant à Cuba. » Ceux qui souhaitent continuer de travailler se voient forcés de le faire depuis l’étranger, au risque d’être emprisonnés, sans accès aux sources et informations gouvernementales. 

« Il y a aujourd’hui le journaliste Lázaro Yuri Valle Roca en prison, à ma connaissance », recense Laura. « Le bureau du procureur l’a inculpé des crimes présumés de propagande ennemie continue et de résistance. Mais il existe au moins 1000 prisonniers politiques à l’heure actuelle. Les disparitions et détentions de plusieurs jours sont monnaie courante à Cuba. »

« Beaucoup ne sont pas politiciens, la plupart sont accusés d’avoir commis des délits de droit commun. Ils sont considérés comme des prisonniers politiques à cause des accusations pesant sur eux : corruption ou espionnage, par exemple. » Politiques, sociaux, économiques ou sportifs, l’équipe d’El Toque tenait à couvrir tous les événements de la société cubaine, au grand dam du gouvernement.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

De la pointe aiguisée de son crayon, le caricaturiste et illustrateur Wimar Verdecia Fuentes dénonce et défie le régime cubain depuis des années, notamment pour le quotidien El Toque. 

Membre de la presse indépendante depuis 2018, Wimar a d’abord entamé sa carrière en tant qu’illustrateur. Non sans fierté, il a confié au micro de la MDJ être l’un des premiers à introduire la caricature politique dans les nouveaux médias indépendants de Cuba : ses caricatures étaient publiées dans le supplément Xel2, appartenant à El Toque. 

Depuis septembre 2022, il fait partie du “Cartoon Movement”, et a déjà dessiné sur des sujets internationaux (la guerre en Ukraine), sportifs (la coupe d’Europe), ou sociétaux (les armes aux Etats-Unis). 

Encadré : [“Cartoon Movement” est une plateforme en ligne, destinée aux dessinateurs et caricaturistes du monde entier afin de publier leurs œuvres et obtenir une meilleure visibilité.]

Wimar était également le directeur de publication de Xel2. Sa démission a poussé la rédaction à fermer le site de Xel2, à son plus grand désarroi.

Peu à peu, leur travail au sein d’el Toque a suscité l’ire du gouvernement cubain. Le journal est devenu la cible principale de l’Etat car la population s’intéressait de plus en plus aux dessins de Wimar et aux articles de journalistes telle Laura.

Face à cette popularité dérangeante, le gouvernement cubain a resserré l’étau autour de la presse. Entre 2020 et 2021, la guerre est déclarée. 

Le taux de change, arme de la liberté d’expression cubaine 

« Le journal a publié le taux informel de change entre le dollar et le peso cubain, conduisant de nombreuses personnes à utiliser ce taux comme guide pour leur transaction, dans un pays où l’économie est fortement dollarisé », nous explique Wimar. 

« Après cette publication, El Toque est devenu très populaire aux yeux du public, le même taux était affiché partout dans le pays. Le gouvernement a alors estimé que 120 pesos égalaient un dollar américain (contrairement à notre taux), ce qui a fait monter les prix en flèche avec la spéculation. Ils ont ensuite rejeté la faute sur les journalistes. Mais le peuple n’était pas dupe, le gouvernement savait qu’il avait perdu sa crédibilité pour une grande partie des Cubains. Il a néanmoins maintenu son discours officiel pour ceux qui ont toujours foi en ses dires, mais il a perdu l’hégémonie de la communication grâce aux médias indépendants.”

De là, la vie de Wimar et Laura bascule. « La persécution ne s’arrête jamais. Jusqu’en septembre 2022, je n’avais pas de problème à être une journaliste indépendante. Mais à la fin du mois d’août 2022, les autorités ont visé tous les collaborateurs d’el Toque à Cuba et d’autres journalistes indépendants et militants politiques. »

Un matin, « ils sont venus chercher Wimar en voiture et l’ont emmené durant trois heures pour le menacer. Ils m’ont fait la même chose le lendemain, avec les mêmes menaces à la clé. Ils ont essayé de nous dissuader de continuer notre travail, mais nous avons poursuivi en catimini. » « Ils nous ont obligés à démissionner publiquement et à tourner une vidéo dans laquelle nous reconnaissons avoir travaillé pour El Toque et dévoiler notre salaire. »

Laura Seco Pachecho et Wimar Verdecia Fuentes quelques jours après leur arrivée sur Paris.

« Après cela, ils ont diffusé la vidéo à la télévision nationale en nous accusant d’être des mercenaires à la solde des Etats-Unis, en éditant la vidéo de sorte à ce que l’on pense que nous travaillions pour un gouvernement étranger, afin d’instaurer un changement de régime à Cuba et déstabiliser le pays. Ce type d’accusation est particulièrement utilisé contre les journalistes et les activistes politiques. » 

Heureusement, le journal est entièrement digital et une grande partie de ses journalistes est basée à l’étranger, lui permettant de continuer de tourner.

« A cause de mes caricatures dénonçant les abus du pouvoir, j’ai subi des persécutions et des interrogatoires », confie Wimar. « Ils m’ont forcé à quitter mon travail aussi, me disant que je risquais dix ans de prison si je refusais. Avec le supplément Xel2, nous avons pu contourner la censure à travers Xel2 à laquelle l’humour graphique est soumis depuis plus de 60 ans, notamment dans les médias officiels de l’Etat. » Le simple fait de publier « des articles qui sortaient de l’agenda gouvernemental exposant le gouvernement, était une gifle pour les censeurs », affirme Laura avec un sourire vaillant.

« Nous avons ravivé le goût pour ce type de journalisme et d’autres médias ont commencé à suivre, ouvrant une place à la caricature dans les médias indépendants. Le gouvernement ne pouvait pas laisser grandir une telle liberté. » 

« Certains journalistes ne peuvent ou ne savent pas comment quitter l’île »

Pour le dessinateur, « le gouvernement cubain poursuit même les médias de gauche qui défendent le socialisme. Même la simple initiative de communication venant de l’extérieur du Parti communiste est considérée comme suspecte et peut conduire à la persécution. Il n’y a pas de gouvernement de gauche à Cuba, il s’agit d’une oligarchie bureaucratique où le pouvoir est entre les mains de quelques proches de la famille Castro. »  

« L’économie, elle, est entre les mains d’un conglomérat d’entreprises militaires appelé GAESA. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs à Cuba, tout est contrôlé par le Parti. Cela génère un contexte sans garantie légale pour quiconque considéré comme un dissident. »

Si les deux journalistes sont parvenus à s’enfuir, c’est grâce au réseau international Cartoon for Peace et RSF. « Après nos démissions forcées, Wimar a demandé de l’aide au Cartoon Movement qui l’a mis en contact avec Cartooning for Peace. Ils nous ont aidés à obtenir nos visas et à nous installer à Paris. La France a un historique avec la liberté d’expression, et je pense qu’ils nous ont aidé pour protéger ces valeurs », analyse Laura, qui a connu la France à travers ses idéaux d’égalité et de liberté.

Un pouvoir très discret

Des idéaux auxquels le couple de journalistes et la population cubaine aspirent depuis des années. « Si Cuba demeure très discrète sur ses agissements et sa manière de faire taire la population, il est devenu de plus en plus compliqué pour le gouvernement de cacher ses violations des droits de l’Homme avec l’avènement d’Internet. Il y a cinq ans, on ne savait pas ce qu’il se passait niveau activisme, même quand Laura travaillait pour un journal gouvernemental. Internet a été un véritable levier pour la liberté de la presse. »

S’ils ont réussi à échapper à la dictature, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs confrères et consœurs, dont ils essayent d’obtenir des nouvelles. « Certains journalistes ont décidé de rester mais sont toujours menacés, mais ils ne veulent pas quitter le pays qui les a vu naître. Il faut bien qu’il y ait des journalistes à Cuba, surtout indépendants, et d’autres ne savent pas comment quitter le pays. Ou bien d’autres encore préfèrent rester anonymes pour se protéger. » 

Désormais, Cuba est devenue trop dangereuse pour qu’ils puissent y travailler en toute sérénité : ils continuent donc leur combat depuis la France et la Maison des journalistes. Pour l’instant, Laura collabore de temps en temps avec El Toque et Wimar pour “La Joven Cuba”, où il dessine chaque dimanche une colonne humoristique. 

Mais ils ne peuvent pas recevoir de soutien en ligne, « le peuple cubain a très peur car beaucoup dépendent de leur travail avec le gouvernement ou craignent des représailles. Il existe une loi à Cuba permettant d’infliger une amende ou emprisonner quelqu’un pour avoir donné son avis sur les réseaux sociaux ou pour s’être moqué du gouvernement, alors personne n’ose rien dire. » Un phénomène loin de les décourager dans leur combat, qu’ils savent nécessaire et inéluctable. 

Maud Baheng Daizey

URGENT. Le journaliste et ancien résident de la MDJ Mortaza Behboudi capturé en Afghanistan

Ce matin 6 février 2023, la nouvelle de la détention du journaliste Mortaza Behboudi en Afghanistan il y a 30 jours, alors qu’il effectuait un reportage seul, a été rendue publique. Reporters sans Frontières et 14 médias français s’indignent de cet enlèvement et réclament sa libération immédiate dans une tribune, de même que la Maison des journalistes.

Mortaza Behboudi retenu à Kaboul

Selon les dernières informations de Reporters sans Frontières, le journaliste est détenu à la prison de Kaboul depuis le 7 janvier 2023, alors qu’il était arrivé sur le sol afghan seulement deux jours plus tôt. L’organisme indique dans son communiqué de presse avoir « épuisé toutes ses ressources » pour libérer Mortaza, bien qu’ils aient réussi à « établir un canal de communication » avec les Talibans. Il ferait l’objet d’une accusation d’espionnage. Journaliste-photographe depuis 2012, Mortaza Behboudi a travaillé pour les médias Ava press, Bakhtar news et pour son propre journal Bazar

© QUEMENER YVES-MARIE

Il avait dû fuir l’Afghanistan en 2015 après une tentative de reportage sur sa ville natale, dans la province de Wardak. Il avait alors été arrêté par un groupe de Talibans, qui avait confisqué son matériel et ses papiers d’identité. Inquiet pour le contenu de ses pellicules qui pouvaient lui attirer des représailles, Mortaza s’était enfui en Iran de crainte pour sa vie. S’étant déjà rendu en France au nom de l’ambassade afghane basée à Paris, le journaliste photographe avait été invité la même année à l’événement Paris International Model United Nations, où il en profita pour faire une demande de visa et d’asile en France. Il avait alors été accueilli à la maison des journalistes fin 2015.

Un professionnel de l’Afghanistan depuis son plus jeune âge

« Nous appelons le régime des Talibans à mettre un terme à cette situation insensée. Mortaza Behboudi est un journaliste réputé, respecté et apprécié de ses consœurs et confrères. Nous espérons que notre message portera jusqu’à la capitale afghane dans les bureaux des autorités qui ont pris la décision de son arrestation et qui détiennent la clé de sa libération », a déclaré Reporters sans Frontières ce matin. « Il collabore avec de nombreux médias français et francophones : France Télévisions, TV5 Monde, Arte, Radio France, Mediapart, Libération, La Croix, notamment. Il est coauteur de la série de reportages « À travers l’Afghanistan, sous les Talibans », publiée sur Mediapart et qui a été primée en 2022 par le prix Bayeux des correspondants de guerre et le prix Varenne de la presse quotidienne nationale. Il a contribué au reportage « Des petites filles afghanes vendues pour survivre », diffusé sur France 2, qui sera également récompensé en 2022 au Prix Bayeux », peut-on lire sur le site de France Info.

Choquée d’une telle détention arbitraire, la Maison des journalistes apporte son soutien inconditionnel à Mortaza Behboudi et appelle à sa libération immédiate.

La Maison des Journalistes au cœur de la lutte contre la désinformation

Ce jeudi 26 janvier, la Maison des Journalistes a accueilli une conférence sur l’action européenne en faveur de la liberté de la presse et contre la désinformation, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères. La MDJ a eu l’honneur de recevoir la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Laurence Boone, ainsi que Patrick Penninckx, chef du service « Société de l’Information » au Conseil de l’Europe.

Dans son propos introductif, Darline Cothière directrice de la MDJ a rappelé l’étendue de l’action de la Maison des journalistes en faveur de la liberté de la presse et la lutte contre la désinformation. « Cette conférence a toute sa pertinence dans ce lieu unique au monde qui accueille des journalistes exilés venus des quatre coins du monde. Elle permet d’apporter un éclairage sur les initiatives européennes pour lutter contre le fléau de la désinformation qui affecte nos sociétés », a-t-elle déclaré avant d’adresser ses remerciements à la Secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Laurence Boone, initiatrice de l’événement. 

La directrice de la MDJ Darline Cothière avec la secrétaire d’Etat Laurence Boone. Crédit photo : MEAE

Au micro de la MDJ, la secrétaire d’Etat affirme avoir choisi la Maison des Journalistes pour sa raison d’être, à savoir protéger la liberté de la presse et d’expression. « Tenir cette conférence au sein de la MDJ était l’évidence-même », a-t-elle assuré avec le sourire.

La secrétaire d’Etat chargée de l’Europe Laurence Boone ouvre la conférence. Crédit photo : MEAE

La secrétaire d’Etat Laurence Boone.

Sciences Po Media Lab, l’AFP et l’INA étaient également présents pour discuter du projet, accompagnés de divers journalistes européens. Sabina Tsakova, responsable juridique et politique de la DG Connect de la Commission européenne, a évoqué le « Media Freedom Act », instauré en septembre 2022 et dont les bénéfices se font déjà sentir auprès des populations concernées. Cet acte permet en effet de préserver l’indépendance éditoriale des médias, tant de la part des états-membres que de la presse elle-même. La nouvelle législation accorde également un large pan à la protection des sources et à la transparence des détenteurs de médias (qui possède quoi).

Des outils toujours plus nombreux pour assister les journalistes

« La vérité n’est pas une chose absolue, nous pouvons tous avoir des opinions, mais les faits demeurent une fondation stable. » Ainsi fut lancé la seconde partie de la conférence, consacrée à la lutte contre la désinformation en Europe. Des journalistes biélorusse, maltais, polonais, lituanien se sont succédés pour évoquer la censure, les mensonges étatiques et l’exil que certains ont subi. Antoine Bayet, directeur éditorial de l’INA, était chargé de la modération. Pour éviter les fake news, deux grands outils : l’éducation et les fact-checker.

Soutenue par l’AFP, le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le Media Lab de Sciences Po, « De Facto » est la plateforme recensant les outils de fact-checking des médias français, pour permettre à tous de lutter contre la désinformation. Affiliée au réseau européen EDMO (European Digital Media Observatory), « De Facto » sera en position jusqu’en 2024 et continue de présenter ses nouveaux outils et méthodes dans les écoles et pour le grand public.

Pour ce faire, la plateforme européenne « De Facto » permet aux professeurs, citoyens, et organismes de presse d’utiliser les outils en ligne pour vérifier les informations, apprendre à s’informer ou encore « debunker » les rumeurs les plus populaires (notamment sur la guerre en Ukraine). Mais ces outils et plateformes peuvent se révéler insuffisants, à l’instar de la lutte contre la désinformation en Lituanie, très préoccupante depuis le début de la guerre. 

« Certains des outils créés pour combattre la désinformation ne s’appliquent pas sur les petites langues comme le lituanien. Ce pourquoi nous avons besoin de spécialistes et chercheurs pouvant adapter nos outils à tous les pays-membres », a expliqué un des intervenants.

Autre problème, la plupart des lois européennes se basent sur la démocratie et la pluralité, poussant les Etats-membres à ne pas interdire certaines chaînes d’informations russes sur leur territoire. Alors, comment l’Europe va-t-elle se prémunir de la désinformation ? Patrick Penninckx, chef du service « Société de l’information » au Conseil de l’Europe, a accepté de nous adresser quelques mots, notamment sur la mauvaise situation de la presse en Grèce.

Le chef de service Patrick Penninckx

Une conférence réussie au sein de la Maison des Journalistes, qui continue d’œuvrer pour la liberté de la presse et de protéger des journalistes du monde entier.

Un article de Maud Baheng Daizey. Tournage d’Alhussein Sano.

Exclusive. Does the end of the war in Tigray mean the return of freedom of the press ? 

24/01/2023

After two years of tug-of-war between the government of Abiy Ahmed and the Liberation Front of Tigray (TPLF), the conflict seems to have arrived at its end. The exact number of victims as well as the precise unfolding of events however remain to be determined, the Tigray region had been closed to journalists since 2021. With peace, is the return to the press possible in the region? 

The MDJ had the opportunity to contact journalists and defenders of media based in Ethiopia to inquire about the situation. If the violence in Tigray ended up stopping, the neighboring regions of Afar and Amhara are the new theater of human cruelty. Moreover, massacres are often still reported in the war-torn region by the war, the population fearful that this one will not know a short truce. 

Tens of thousands of deaths in two years

The conflict started in November 2020, when the Ethiopian prime minister Abiy Ahmed attempted to organize elections in the Tigray region in the north of the country, in which a part of the inhabitants claimed independence. The regional authorities had defied the power for some months already and the prime minister Ahmed no longer intended to be silent. Accusing the TPLF of having attacked the military bases, the prime minister had then sent his army to Tigray. But the armed rebels would not let the military reach the capital region Mekele, repelling them from day one. 

The rebels of the TPLF had then won all of Tigray to “liberate” it from Abiy Ahmed’s government. Numerous testimonies denouncing hundreds of abuses by the army and the rebels, provoking the death of tens of thousands of people, implying thousands of rapes and pushing two millions Tigrayans into exile. For two months, the famine threatens the 13 millions of Tigrayans traumatized by the war, while the destruction of infrastructures leads to grave problems with water supply for numerous cities. 

The situation is such that Doctors Without Borders announced in July 2021 to stop their activities in the region, following the death of three members of their staff on June 24. Hundreds of sexual abuses had equally traumatized the population, committed as much by the separatist rebels as the Abiy Ahmed regime, however without any media coverage. As the freedom of the press was already restrained, the Ethiopian journalists and localized foreigners in Tigray were forced out in November 2021, i.e. one year since the start of the war. 

Despite the peace, the press is always muzzled

Abiy Ahmed’s government banned the coverage of military operations in Tigray, Afar and Amara and imprisoned journalists during their reporting, according to NGOs and several reporters. We contacted the African branch of the Committee of Journalists Protection, an international NGO, that indicated to us, “there isn’t any assurance on a return of journalist security in Tigray or the opening of possible investigations on crimes that they would have suffered.” They also informed us of the liberation of three journalists of the channel Tigray TV,  “but two others are still in detention,” according to Mythoko Mumo, responsible for the Sub Saharan branch of the CPJ. 

The peace treaty between the Ethiopian federal authority and the Tigrayan rebels was signed on November 2, 2022, formalizing the disarmament of the TPLF. The federal authorities are now working on the reestablishment of the electric current, to deliver humanitarian aid in famine stricken areas, and to retrieve the heavy arms used by the TPLF. The federal army and the foreign forces (Erythrée) were also invited to withdraw from the country under the peace agreement. 

An apparent return to normal, because many interrogations remain in suspense without the work of media actors. Certain men and women nevertheless tried to bring some information to Ethiopia and the international community.

Amongst the whistleblowers, Solomon Weldegerima and Isaac Welday, two investigative journalists revealed the names of prisoners to the general public, although the communication services in Tigray are only partially restored.

Solomon Weldegerima is a Tigranyan journalist who worked in a regional media before the war. He fled his house during the repeated assaults not far from his home, being a prime target as a journalist. For him, his colleagues and himself would soon have new access to Tigray, in the controlled zones by the federal government and international forces. “On the other hand, they will not access the zones under the yoke of the TPLF.” Solomon explains, “to battle for the truth,” and to have no fear of belligerents. For him, “peace cannot return as long as the TPLF,” which he did not hesitate to label, “a terrorist group,” stays in power.

Solomon Weldegerima during a press conference.

Solomon has not lived in Tigray for two years, but at the border of the region where he reached during this period to obtain information on the war from the inside. The reporter only has one goal: to show the atrocities committed by the army and the TPLF, as well as to combat the “the propaganda” of the rebels in the region. His last excursion, of which he does not wish to communicate the exact date, lasted two days. He obtained information from locals who still have an internet connection, although it is very unreliable, “mainly workers for NGOs or humanitarian associations. I include people supporting the governmental action and those considering that the TPLF is at the origin of the war. Some anti-TPLF fighters spoke to me also. Many of them were only able to interact with me with the restoration of government communication services.”

Not a word on the abuses of the army of Prime Minister Abiy Ahmed, who according to numerous external observers had participated in murderous raids and campaigns of mass rapes, as well as blocked the delivery of humanitarian aid.

“The TPLF was the first in declaring the war during a blitz fomented by the leader Seque Turea. They should be held entirely responsible for the war. However, abuses have been committed by the two camps, and all the individuals that had participated should be arrested and judged.” 

“I could not move freely, I was terrorized by the rebels. They threatened anyone not supporting their version of the facts and considered them as enemies to Tigray to be destroyed.” 

He says he was blackmailed by the TPLF for doing his job as a journalist, including the leaking of his personal information. That does not stop him though: “an ethiopian proverb says: hilmi ferihka leydekeska aytihedry, you cannot sleep without being frightened by a dream. Mine is to expose the truth. I know that the TPLF is dangerous but as long as I fight for my people, the risk is worth it.”

The journalist affirms that some journalists “governmental and independent” will soon be able to have the right to go to Tigray again, “notably in the regions under the control of the ENDF, the ethiopian army: Welkayt, Shre, Adwa, Aksum. Raya remains accessible.”

He also confirms, “the atrocities committed by the rebels: the mass rapes, robberies, and destruction,” have been commonplace in Tigray for two years now, “but also in the neighboring regions of Afar and Amhara.” 

Propaganda, the number one enemy of the press

Solomon repeats it on multiple occasions throughout our interview, the intense propaganda of the TPLF interferes with the understanding of events within the region, further dividing the population. For two years, I struggle against the rebels through the debunking of fake news, in order to allow my people and the international community to shed light on the war. We should realize the gravity of the danger that the TPLF represents.” He hopes that he will soon be able to return home freely. Moreover, he decided to launch his media in order to distribute his own information. 

Isaac Welday, another independent journalist, had reported in the media on the arrests of five Tigrayan journalists in May and July of 2022 by the federal authorities for covering events in the region. He tells us he had worked for the interim government, a little before the start of the war. 

He subsequently left his job to concentrate entirely on his vocation as a journalist. “I want to re-establish the truth, I am not on anyone’s side,” he assured over the phone. On three occasions, I was arrested by the federal government and placed in custody. For him, the rebels, like the government, “are torturers. They are anti-journalists and against all the actors of peace,” civil or not.

For the director of the African office of Reporters Without Borders, Sadibou Marong, the speech is not so clear-cut. “The peace agreement is a good sign for the future, notably for a better circulation of information and journalists in the country. But there is always the fear of retaliation and numerous journalists prefer to stay safe abroad. It is up to the authorities to work on their return and give them guarantees. According to him, the bigger problem resides “in the control of the narrative of the war, i.e. the propaganda and misinformation on social networks that has been picked up by the media.”

The NGO has struggled since the start of the war against this propaganda, “that we find as much within the TPLF and the federal government. The authorities spoke of a security operation but it was really a war,” he stated. The TPLF and the central power are guilty of abuses and arbitrary detentions. When the war broke out we helped to assassinate and detain journalists. Certain people were accused of promoting terrorism and were sentenced to death. Others were persecuted by the federal authorities and had to go into exile abroad or seek assistance.”

The peace has been signed between the parties since November 2, 2022 only, highlighting its fragility. Despite the violence that endures in the neighboring regions of Afar and Amhara, the african and european Unions try to endorse the peace agreement, like the head of foreign diplomacy Catherin Colonna on January 12 and 13. She was accompanied by her counterpart, Annalena Baerbock, and president of the African Commission, Moussa Faki. The total balance of victims remains unknown, due to poor documentation despite the efforts of several journalists who remained in place. The repatriation of the exiled, the counting and judicial processing of crimes during these two years, the future of the TPLF and Tigray remains a problem without solutions that multiple parties have yet to discuss. 

Written by Maud Baheng Daizey, translated by Amelia Seepersaud.

EXCLUSIF. La fin de la guerre au Tigré annonce-t-elle le retour de la liberté de la presse ?

Après deux ans de lutte acharnée entre le gouvernement d’Abiy Ahmed et le Front de libération du Tigré (TPLF), le conflit semble être arrivé à son terme. Le nombre exact de victimes ainsi que le déroulé précis des événements restent cependant à déterminer, la région du Tigré étant fermée aux journalistes depuis 2021. Avec la paix, le retour de la presse est-il désormais envisageable dans la région ?

La MDJ a eu l’opportunité de contacter des journalistes et des défenseurs des médias basés en Éthiopie pour s’enquérir de la situation. Si les violences au Tigré ont fini par s’interrompre, les régions voisines d’Afar et Amhara sont le nouveau théâtre de la cruauté humaine. Des massacres sont par ailleurs toujours signalés dans la région meurtrie par la guerre, la population craignant que celle-ci ne connaisse qu’une courte trêve.

Des dizaines de milliers de morts en deux ans

Le conflit débute en novembre 2020, quand le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed tente d’organiser des élections dans la région du Tigré au nord du pays, dont une partie des habitants réclament l’indépendance. Les autorités régionales défient le pouvoir depuis plusieurs mois déjà et le Premier ministre Ahmed ne compte plus se taire. Accusant le TPLF d’avoir attaqué des bases militaires, le Premier ministre envoie alors l’armée au Tigré. Mais les rebelles armés ne laisseront pas les militaires atteindre la capitale régionale Mekele, les repoussant dès le premier jour.

Les rebelles du TPLF ont ensuite gagné tout le Tigré pour le « libérer » du gouvernement d’Abiy Ahmed. De nombreux témoignages dénoncent des centaines d’exactions commises par l’armée et les rebelles, provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes, impliquant des milliers de viols et poussant deux millions de Tigréens à l’exil. La famine menace depuis des mois les 13 millions de Tigréens traumatisés par la guerre, tandis que les destructions d’infrastructures conduisent à de graves problèmes d’alimentation en eau pour de nombreuses villes. 

La situation est telle que Médecins Sans Frontières annonce en juillet 2021 stopper ses activités dans la région, à la suite de la mort de trois membres de son personnel le 24 juin. Des centaines d’abus sexuels auraient également traumatisé la population, commis autant par les rebelles indépendantistes que le gouvernement d’Abiy Ahmed, sans pour autant qu’une quelconque couverture médiatique soit assurée. Car si la liberté de la presse était déjà restreinte, les journalistes éthiopiens et étrangers localisés au Tigré sont expulsés à partir de novembre 2021, soit un an depuis le début de la guerre. 

Malgré la paix, la presse toujours muselée

Le gouvernement d’Abiy Ahmed a interdit la couverture des opérations militaires au Tigré, Afar et Amhara et a emprisonné les journalistes durant leur reportage, selon des ONG et plusieurs reporters. Nous avons pu contacter la branche africaine du Comité de Protection des Journalistes, une ONG internationale, qui nous a indiqué « qu’il n’y a aucune assurance sur un retour sécurisé des journalistes au Tigré ou de l’ouverture de possibles enquêtes sur les crimes qu’ils auraient subi. » Ils nous ont également informés de la libération de trois journalistes de la chaîne Tigray TV, « mais deux autres sont toujours en détention », selon Mythoki Mumo, responsable de la branche sub-saharienne du CPJ.

Le traité de paix entre l’autorité fédérale éthiopienne et les rebelles tigréens a été signé le 2 novembre 2022, officialisant le désarmement du TPLF. Les autorités fédérales travaillent désormais au rétablissement du courant électrique, à l’acheminement de l’aide humanitaire dans les zones en proie à la famine, et à la récupération des armes lourdes utilisées par le TPLF. L’armée fédérale et les forces étrangères (Erythrée) sont également invitées à se retirer du pays dans le cadre de l’accord de paix.

Un retour apparent à la normale, car de nombreuses interrogations demeurent en suspens sans le travail des acteurs des médias. Certains hommes et femmes ont néanmoins tenté d’apporter quelques informations aux Éthiopiens et à la communauté internationale.

Parmi ces lanceurs d’alerte, Solomon Weldegerima et Isaac Welday, deux journalistes d’investigation qui ont révélé les noms des prisonniers au grand public, bien que les services de communication au Tigré ne soient que partiellement rétablis. 

Solomon Weldegerima est un journaliste tigréen qui travaillait dans un média régional avant la guerre. Il a fui sa maison lors des assauts répétés non loin de son domicile, étant une cible privilégiée en tant que journaliste. Pour lui, ses collègues et lui-même auront bientôt à nouveau accès au Tigré, dans les zones contrôlées par le gouvernement fédéral et les forces internationales. « Par contre, ils n’accèderont pas aux zones sous le joug du TPLF. » Solomon explique « se battre pour la vérité » et n’avoir peur d’aucun des belligérants. Pour lui, « la paix ne pourra revenir au Tigré tant que le TPLF », qu’il n’hésite pas à qualifier de « groupe terroriste », restera au pouvoir. 

Solomon Weldegerima en pleine conférence.

Solomon ne vit plus au Tigré depuis deux ans, mais à la frontière de la région où il est parvenu durant cette période à obtenir des informations sur la guerre depuis l’intérieur. Le reporter n’a qu’un seul but : montrer les atrocités commises tant par l’armée et le TPLF, ainsi que de combattre la « propagande » des rebelles dans la région. Sa dernière excursion, dont il ne tient pas à communiquer la date exacte, a duré deux jours. Il obtient ses informations de la part de locaux ayant encore une connexion internet, bien que très faible, « principalement de travailleurs pour des ONG ou d’associations humanitaires. J’inclus des personnes soutenant l’action gouvernementale et ceux considérant que le TPLF est à l’origine de la guerre. Quelques combattants anti-TPLF m’ont également parlé. Nombre d’entre eux n’ont pu échanger avec moi qu’avec le rétablissement des services de communication du gouvernement. »

Pas un mot sur les exactions de l’armée du Premier ministre Abiy Ahmed, qui selon de nombreux observateurs extérieurs aurait participé à des raids meurtriers et des campagnes de viols de masse, ainsi que bloqué l’acheminement de l’aide humanitaire. « Le TPLF a été le premier en déclarant la guerre lors d’une attaque-éclair fomentée par le leader Seque Turea. Ils doivent être tenus entièrement responsables de la guerre. Des exactions ont cependant été commises par les deux camps, et tous les individus y ayant participé doivent être arrêtés et jugés. »

« Je ne pouvais pas me déplacer librement, j’étais terrorisé par les rebelles. Ils menacent quiconque ne supportant pas leur version des faits et les considèrent comme des ennemis du Tigré à abattre. » 

Il raconte avoir subi du chantage de la part du TPLF du fait de son statut de journaliste, comprenant la fuite de ses informations personnelles. Cela ne l’arrête pas pour autant : « un proverbe éthiopien dit : hilmi ferihka leydekeska aytihedry, tu ne peux pas dormir sans être effrayé par un rêve. Le mien est d’exposer la vérité. Je sais que le TPLF est dangereux, mais tant que je me bats pour mon peuple, le risque en vaut la peine. »

Le journaliste affirme que quelques journalistes « gouvernementaux et indépendants » pourront bientôt avoir le droit de se rendre à nouveau au Tigré, « notamment dans les régions sous le contrôle de l’ENDF, l’armée éthiopienne : Welkayt, Shre, Adwa, Aksum, Raya demeurent accessibles. »

Il confirme également « les atrocités commises par les rebelles : les viols de masse, les vols et les destructions » sont monnaie courante depuis deux ans au Tigré, « mais également dans les régions voisines d’Afar et Amhara. »

La propagande, ennemi numéro un de la presse

Solomon le répète à plusieurs reprises lors de notre entretien, la propagande intense du TPLF nuit à la compréhension des événements au sein-même de la région, divisant d’autant plus la population. Depuis deux ans, « je lutte contre les rebelles à travers le debunkage de fake news, afin de permettre à mon peuple et à la communauté internationale de faire la pleine lumière sur la guerre. Nous devons réaliser la gravité du danger que représente le TPLF. » Il espère pouvoir bientôt pouvoir retourner librement chez lui. Il a par ailleurs décidé de lancer son média afin de diffuser ses propres informations.

Isaac Welday, autre journaliste indépendant, avait rapporté aux médias l’arrestation de cinq journalistes tigréens en mai et juillet 2022 par les autorités fédérales pour avoir couvert les événements dans la région. Il nous confie avoir travaillé pour le gouvernement d’intérim, peu avant le début de la guerre. 

Il a par la suite quitté son travail pour se consacrer entièrement à sa vocation de journaliste. « Je veux rétablir la vérité, je ne suis dans le camp de personne », assure-t-il au téléphone. « A trois reprises, j’ai été arrêté par le gouvernement fédéral et placé en garde-à-vue. » Pour lui, les rebelles comme le gouvernement « sont des tortionnaires. Ils sont anti-journalistes et contre tous les acteurs de la paix », civils ou non. 

Pour le directeur du bureau Afrique de Reporters sans frontières Sadibou Marong, le discours n’est pas aussi tranché. « L’accord de paix est un bon signe pour l’avenir, notamment pour une meilleure circulation des informations et des journalistes dans le pays. Mais il y a toujours la crainte des représailles, nombre de journalistes préfèrent rester en sécurité à l’étranger. Il appartient aux autorités de travailler sur leur retour et leur donner des garanties. » Le plus grand problème réside selon lui « dans le contrôle du narratif de la guerre, c’est-à-dire la propagande et la désinformation sur les réseaux sociaux qui ont été repris par les médias. »

L’ONG lutte depuis le début de la guerre contre cette propagande, « que l’on retrouve autant au sein du TPLF et du gouvernement fédéral. Les autorités parlaient d’opération de sécurisation mais c’était véritablement une guerre » à dénoncer. « Le TPLF et le pouvoir central sont coupables d’exactions et des détentions arbitraires. Dès lors que la guerre a éclaté nous avons assisté à des assassinats et détentions de journalistes. Certains étaient accusés de faire la promotion du terrorisme et étaient condamnés à la peine de mort. D’autres étaient persécutés par les autorités fédérales et ont dû s’exiler à l’étranger ou demander une assistance. »

La paix est signée entre les parties depuis de 2 novembre 2022 seulement, soulignant sa fragilité. Malgré les violences qui perdurent dans les régions voisines d’Afar et Amhara, les Unions africaine et européenne tentent d’entériner l’accord de paix, à l’instar de la cheffe de la diplomatie étrangère Catherine Colonna les 12 et 13 janvier. Elle était accompagnée de son homologue Annalena Baerbock et du président de la Commission africaine, Moussa Faki. Le bilan total des victimes demeure inconnu, du fait de la faible documentation malgré l’effort des quelques journalistes restés sur place. Le rapatriement des exilés, le comptage et traitement judiciaire des crimes commis durant ces deux années, l’avenir du TPLF et du Tigré restent des problématiques sans solutions, que les multiples parties doivent encore discuter.

Maud Baheng Daizey

GUINEE. La presse au front contre la junte militaire

Journaliste, animateur TV, producteur et réalisateur de documentaires institutionnels et de fictions, Alhussein Sano est un intellectuel guinéen au sourire facile. Entré dans le monde des médias avec la création de son agence de production MAXI PLUS en 1995, il peut se targuer d’une expérience journalistique de 28 ans. Aujourd’hui accueilli à la Maison des Journalistes, Alhussein nous évoque l’affaiblissement de la liberté de la presse en Guinée à travers ses épreuves.

En 2007, son émission CLAP centrée sur les arts et la culture intègre le programme de la télévision nationale (RTG1) est sa plus grande fierté. Satisfaite des audiences, la chaîne lui demande de parfaire les programmes de la grille à partir de 2009. Malgré la belle route professionnelle qui s’offre à lui, Alhussein note néanmoins que les remplacements au sein de la chaîne RTG sont basés sur l’ethnie : « l’administration de la RTG a été très malinkinisée à partir de 2010 (NDLR : l’ethnie malinké est devenue majoritaire chez les administrateurs), c’était impressionnant : la nouvelle ligne éditoriale se basait désormais sur les éloges du nouveau président de l’époque, Alpha Condé », au mépris de la neutralité journalistique. 

Malgré une situation politique chaotique, Alhussein est nommé directeur des programmes en 2013, « sur proposition du directeur de l’époque. » Il poursuit alors ses projets pour RTG et pour MAXI PLUS, « l’une des sociétés de production les mieux équipées du pays. » 

L’ethnie, élément central de la vie d’un journaliste guinéen

Mais en février 2019, alors que le président Alpha Condé était arrivé au terme de son second mandat, le pays s’embrase. Président du pays depuis 2010, Alpha Condé tente à l’époque de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir, déclenchant des manifestations violemment réprimées et la colère de l’opposition. Le FNDC, parti politique rival d’Alpha Condé, Des élections sont organisées malgré les dizaines de morts, réaffirmant sa position pour un troisième mandat en 2020. Le coup d’État de la junte militaire le 5 septembre 2021 mène finalement à sa destitution. 

Une période sombre pour Alhussein, et ce dès 2019 : invité par le directeur général de RTG à une réunion de son parti politique, le RPG, Alhussein comprend qu’on s’attend à ce qu’il rentre dans les rangs. « Il a décrété qu’il s’agissait d’une bonne opportunité pour moi car j’appartiens à l’ethnie Malinké comme lui », un des principaux groupes ethniques du pays et dont est issu Alpha Condé. « Ses propos m’avaient choqué », nous explique notre JRI d’un ton implacable. « Je lui ai dit que mon métier de journaliste exigeait d’être impartial dans mon travail. » Une résistance qui lui coûte son logement et qu’il paie par l’exil. Il affirme « n’avoir jamais accepté sa proposition car cette ligne de clivage communautaire n’a joué aucun rôle sur moi, surtout que je ne soutenais pas leur projet du troisième mandat. Au fil du temps, le divorce entre nous a été définitif. »

Petit à petit, Alhussein voit ses responsabilités et son travail se faire piétiner : le simple refus d’une participation à un meeting politique suffit à détruire sa carrière en Guinée. « J’ai été exclu de toutes les activités de la chaîne. Nos rapports se sont vraiment envenimés à cause de mon cousin Abdourahamane Sano, Coordinateur National du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution), un regroupement civil opposé à la junte militaire. » 

Le prix élevé de la résistance de la presse

Mouvement social d’opposition, le FNDC est à l’origine d’une série de manifestations contre la modification de la Constitution en février 2019 face à Alpha Condé. Le CNRD avait proposé à son cousin Abdourahamane Sano de faire partie du gouvernement de transition, ce qu’il avait refusé. Il avait attisé l’ire du régime, qui s’était donc concentré sur Alhussein.

« J’ai alors été remplacé par un militant du parti RPG à mon poste, pour casser mon plan de carrière. » Comme si cela ne suffisait pas, Alhussein est rétrogradé en tant que chef de Section Production et Réalisation de la RTG 2, une chaîne qui ne diffuse pas. 

Ayant toujours la féroce envie de faire son métier et doté de sa boîte de production, le journaliste guinéen s’est donc concentré sur ses projets, notamment la réalisation d’un documentaire sur les activités du FNDC, pour lequel son cousin travaillait. Malheureusement pour lui, ses difficultés ne s’arrêtent pas là.

Il explique à notre micro que « suite au coup d’état du 5 septembre 2021, perpétré par le groupe de militaires CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement), les Guinéens ont pensé perdre un bourreau (Alpha Condé) et ont cru se trouver un héros, le chef de la junte militaire le colonel Mamady Doumbouya. » Or, comme Alhussein le rappelle si bien, Mamady Doumbouya « avait assisté et participé aux exactions du régime d’Alpha» 

Sceptique, Alhussein observe l’étau se resserrer autour des journalistes guinéens, y compris lui-même. « Les régimes militaires sont souvent peu respectueux des droits de l’homme et utilisent tous les moyens pour réduire au silence les cadres et leaders politiques qui ne partagent pas leurs idéaux », déplore le journaliste. 

En janvier 2022, Alhussein est convié à une rencontre avec le nouveau Secrétaire Général du ministère de la Communication, afin de remanier les programmes de RTG1 et 2. Expliquant vouloir conserver son intégrité professionnelle, Alhussein se heurte à un mur démagogique, lui coûtant son poste de directeur des programmes. « Le Secrétaire général m’a interpellé rudement : “Tu refuses toujours de nous aider ?”. J’ai été vraiment surpris de cette réaction, puis il a rajouté sur le même ton : “quand tu changeras d’avis, les portes du département te seront grandement ouvertes”. Il y avait anguille sous roche à travers toutes ces violences verbales. En avril, nouvelle réunion dans le bureau du directeur général. Deux hommes me faisaient face : le premier m’a dit qu’il aimait bien mon émission et l’autre m’a confié vouloir faire visionner mon documentaire aux membres de la FNDC. » 

Un piège dans lequel il ne tombe pas. « J’ai répondu que selon le contrat, après la réalisation, le producteur devait récupérer le film avec tous les supports et rushes utilisés. Ils ont insisté, en vain. Je me doutais qu’ils étaient là pour me piéger. » 

Au fil de la discussion, les hommes présents dans le bureau du directeur général apprennent que le passeport d’Alhussein est expiré. Ils lui proposent alors d’en faire une photocopie pour mettre un terme à son impasse administrative. Pas dupe, Alhussein ne leur remet qu’un seul passeport, l’autre possédant encore un visa. « J’ai compris qu’il s’agissait d’agents du renseignement qui voulaient me confisquer mon passeport valide. C’est une pratique très courante en Guinée », raisonne-t-il non sans fierté.

La presse, dommage collatéral d’une crise politique

À la suite de la chute d’Alpha Condé face au CNRD, le FNDC appelle à de nouvelles vagues de protestations contre la junte militaire. Celle-ci avait en effet promis de remettre aux civils le pouvoir, mais s’est installée sans annoncer de date d’expiration. 

Photo d’Elijah Merrell.

CNRD et FNDC s’affrontent alors sur tous les plans. « Les militaires ont jugé nécessaires d’anéantir tous les acteurs du FNDC qui avaient joué un rôle majeur pour la chute d’Alpha Condé et tous les supposés collaborateurs », notamment lui-même. Le 5 juillet 2022, alors que le FNDC organise une conférence de presse, ses membres sont brutalement arrêtés par les forces de l’ordre et frappés devant les caméras. Ils sont relâchés au bout d’une semaine, à la demande de la population.

Après la visite des agents gouvernementaux, Alhussein est contraint de vider sa maison sans préavis, expulsé sommairement. Il se réfugie donc dans sa famille à Hamdallaye, mais celle-ci est surveillée et reçoit des visites impromptues de l’armée, l’obligeant à aller se cacher chez des amis. 

Le 29 juillet 2022, suite à une large mobilisation citoyenne, Alhussein décide de prendre des nouvelles de sa famille. « En moins de 30 minutes, deux pick-ups de militaires cagoulés ont fait irruption dans la cour de la résidence familiale. Ils savaient que j’étais là et ils ont commencé à fouiller la maison, confisquer les téléphones, voler notre argent et à brutaliser mes sœurs. Je me suis enfui de justesse en escaladant le mur de l’arrière-cour. » S’il parvient à s’enfuir, Alhussein doit laisser derrière lui ses précieux ordinateurs, désormais aux mains des militaires, de même que son matériel de montage.

« En Guinée, quand on t’arrête, on peut te tuer sans suite ou bien tu risques de mourir en prison ou d’y passer des années sans être jugé. »

Pour lui, toute la presse guinéenne est en sursis. « Bien sûr, c’était pareil avec Alpha Condé, il y a une véritable continuité de sa politique. On ne peut pas tout dire sur la junte guinéenne et cela se sent. » Indépendants ou d’Etat, les médias ont été et sont toujours muselés par le pouvoir. 

Derniers exemples en date, un journaliste convoqué en juillet après un article sur un camion de médicaments bloqué par les militaires, ainsi qu’un autre arrêté pour avoir couvert le travail social d’employés d’une mine à Boké cette année. Une situation asphyxiante pour les Guinéens, dont il semble impossible de se défaire.

« Tous les médias sont contrôlés par la Haute Autorité de la Communication, qui a gardé le même président après Condé. Des scénarios sont montés par le gouvernement et distribués aux médias publics. Si une radio veut faire du commercial, elle deviendra forcément politique. Ils sont l’expression et la communication même du pouvoir. Si on ne joue pas le jeu, les journalistes peuvent se voir interdire d’antenne », assure Alhussein.

Peu optimiste, il aimerait poursuivre son travail en France, « où on protège la liberté d’expression. L’Etat préserve mieux sa liberté, je peux maintenant parler de la Guinée sans être inquiété. Même si le chef de la junte s’en va, tous ses hommes ont été placés dans les ministères, ce serait une illusion. » Une impasse dans laquelle Alhussein n’envisage plus de se glisser. D’autres Guinéens continuent néanmoins de défier le pouvoir et l’armée en réalisant simplement leur métier. Des soldats de l’information dont il ne faudrait pas oublier le courage.

Maud Baheng Daizey

La fin de l’espoir pour les journalistes afghans ?

Alors que l’actualité en Ukraine et en Iran accapare l’attention des médias, les journalistes afghans ayant fui au Pakistan après la chute de Kaboul espèrent toujours un visa occidental qui les mettrait tout à fait hors de danger. Or d’après un récent règlement pakistanais, certains pourraient être renvoyés aux mains des talibans à partir du 31 décembre.

Le mois d’août 2022 a donné l’occasion à nombre d’organisations de journalistes de faire un bilan pour la presse de la gouvernance talibane. Du fait de la censure et de la fermeture de près de 220 médias sur 547, « 60% des 12000 journalistes exerçant avant août 2021 ont cessé leur activité », précise Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans Frontières (RSF)… Et des centaines, parce que leur profession est parmi les plus exposées à des représailles, ont fui le pays.

Le journaliste afghan Ramazan réfugié en France continue de recevoir des menaces de la part des talibans sur son téléphone. Il a longtemps documentés les violences talibanes sur la population gazara, et était visé depuis de longues années par les talibans.

Depuis août 2021, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a reçu près de 9000 demandes d’aide. Le groupe de travail « Afghanistan » créé par le Syndicat national des journalistes (SNJ) dès le 15 août 2021 a quant à lui demandé au ministère français des Affaires étrangères l’évacuation urgente de centaines d’entre eux. Et de fait, près de 250 journalistes ont été accueillis en France avec leurs familles.

Mais quid des autres ? Marzia Khodabakhsh, 27 ans, était productrice de l’information à la télévision Ariana News, média aujourd’hui contrôlé par les talibans. « Mon employeur m’avait depuis longtemps fourni une voiture blindée, parce que j’avais reçu des menaces de mort, et il changeait souvent mon
planning pour que les talibans ne repèrent pas mes horaires.
» Elle a fui au Pakistan en février 2022, et a demandé un rendez-vous à l’ambassade de France dès son arrivée. « Je n’ai même pas reçu de réponse à mon mail », témoigne-t-elle, angoissée par le silence des autorités françaises.

Lors d’une rencontre, fin octobre 2022, au ministère français des Affaires étrangères (MAE), Nicola Edge, une militante du SNJ a de fait cru sentir un désengagement des autorités françaises sur le dossier afghan. « Ils nous ont dit “Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a aussi l’Ukraine », raconte-t-elle, dépitée, ajoutant que le SNJ avait évoqué les très longs délais d’attente de rendez-vous auprès des ambassades de France au Pakistan et en Iran. Les journalistes afghans auraient plutôt besoin que les pays qui en août 2021 avaient fait de grandes annonces sur la nécessité de sauver les défenseurs des valeurs démocratiques et la liberté de la presse déploient plus de moyens pour leur venir en aide.

Or, nombre de journalistes au Pakistan n’ont, comme Marzia Khodabakhsh, même pas eu de réponse à une demande de rendez-vous envoyée il y a six à dix mois. Et ceux qui ont eu le précieux rendez-vous attendent aussi leur visa, tandis que leur situation économique se détériore. « Certains sont dans une extrême précarité, sans ressource aucune, témoigne Nicola Edge. Il y a des femmes seules à la rue au Pakistan, si démunies que quelques-unes ont fait des tentatives de suicide. Elles campent dans des parcs et ont vu leurs tentes lacérées par la police pakistanaise. »

Samiullah Jahesh, 33 ans, un autre journaliste d’Ariana News, est arrivé au Pakistan en janvier 2022 avec sa femme et son fils de trois ans. Il a pu déposer sa demande de visa à l’ambassade de France le 28 juin et n’a pas reçu de réponse. « Je suis acculé financièrement, j’ai épuisé toutes les possibilités d’emprunt auprès de ma famille et de mes amis, le loyer, l’électricité coûtent cher, et le Pakistan ne nous permet pas de travailler. » D’autres témoignent qu’ils rationnent le pain sec et ne mangent plus à leur faim.


Des menaces continues

Mais Samiullah Jahesh craint surtout pour sa vie. Depuis qu’il est à Islamabad, il a reçu des menaces de mort via WhatsApp, et a changé trois fois de domicile afin « de ne pas être repéré par des Pachtouns du Pakistan qui pourraient indiquer ma localisation aux talibans ». Ces messages inquiétants sont le quotidien des journalistes. Marzia Khodabakhsh en a reçu aussi. « Dans un message vocal, un taliban me disait “Où que tu sois, on te trouvera et on te découpera en morceaux”. Ma situation psychologique et morale s’est détériorée, j’ai très peur », dit-elle la voix tremblante. Les menaces emploient aussi d’autres canaux.

Mohammad Eivaz Farhang, 33 ans, travaillait pour le quotidien Hasht-e sobh (« Huit heures du matin », en français) publié en ligne depuis l’étranger. Il s’est senti encore plus menacé lorsque les talibans ont fermé le domaine Internet du journal, et que le porte-parole de l’Émirat islamique d’Afghanistan, Mujahid Zabiullah, a tweeté pour dénoncer les « dizaines de nouvelles que nous entendons dans les médias occidentaux, et des journaux comme Hasht-e Sobh », en concluant: « notre peuple connaît les ennemis de cette nation ». Ces menaces directes ou voilées amplifient le sentiment de danger chez les journalistes, qui savent qu’ils ne sont pas les seuls à être désignés comme « ennemis de la nation » : les militants, artistes, politiciens, juges y ont droit aussi.

En attente d’un visa français depuis des mois à Islamabad, les journalistes afghans se réunissent souvent ensemble pour travailler ou faire avancer collectivement leurs dossiers.

Mais les journalistes connaissent le lourd tribut qu’ils ont payé dans l’exercice de leur profession : chacun a eu un ou plusieurs collègues tués par balles ou dans l’explosion de leur voiture, et un grand nombre connaît des troubles de stress post-traumatique… Retourner en Afghanistan n’est donc pas une option, mais rester au Pakistan non plus. « Se retrouver en exil dans un pays dans lequel le régime qu’on est en train de fuir a des correspondants, c’est-à-dire des gens qui peuvent exporter la répression, c’est extrêmement périlleux, et c’est le cas pour le Pakistan s’agissant des journalistes afghans, car on sait les liens étroits entre les talibans et ce pays », alerte Christophe Deloire, de RSF.


Un prochain visa pour l’enfer

Mais si les portes d’un autre exil restaient fermées aux journalistes, l’option « rester au Pakistan » leur sera aussi bientôt interdite. Le ministère pakistanais de l’Intérieur a en effet annoncé le 29 juillet dernier un durcissement de sa politique à l’égard des étrangers, indiquant qu’après le 31 décembre 2022, « des actions seront engagées contre les étrangers en séjour prolongé dépassant plus d’un an », et qu’une peine de trois ans pourra être prononcée pour les étrangers en séjour irrégulier. Ou l’expulsion.

« La durée de mon visa pakistanais est courte, s’alarme Samiullah Jahesh, et si l’ambassade de France ne me donne pas un visa rapidement, le Pakistan me renverra aux mains des talibans. Et vous savez ce que ceux-ci me feront », conclut le journaliste, qui se dit rongé par la tension morale.

D’une manière générale, tous les journalistes ayant dénoncé dans leurs reportages les actes terroristes des talibans sont exposés à des représailles. Et ce n’est pas le récent bilan de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (Unama), qui va pouvoir les rassurer, qui a déclaré le 2 novembre avoir enregistré « plus de 200 violations de droits humains à l’encontre des journalistes depuis août 2021 ». Des chiffres qui incluent « arrestations arbitraires, mauvais traitements, menaces et intimidations ».

« Du fait de cette date butoir pakistanaise, l’attente du SNJ lors de la dernière réunion au ministère français des Affaires étrangères était la délivrance en urgence de visas par la France, raconte Nicola Edge. Mais nos interlocuteurs ne semblaient pas vouloir prendre de mesure particulière. »


Sortir de l’impasse

Le 20 novembre, une vingtaine de journalistes afghans a donc envoyé une lettre au ministre français de l’Intérieur, Gérard Darmanin, lui demandant « d’accélérer le processus de délivrance de visas ». L’un d’eux, Tariq Peyman, qui a fui la ville d’Hérat avec sa femme également journaliste, n’a cependant qu’un maigre espoir que le président français « conformément à ses engagements, sauvera la vie des journalistes afghans en danger. »

« C’est pourtant la responsabilité des démocraties que de défendre ceux qui représentent la démocratie », déclare Christophe Deloire. Mais il invite aussi le Pakistan à exercer ses propres responsabilités. « Quels que soient ses liens avec le régime des talibans, ce pays se déshonorerait à renvoyer des journalistes dans un pays qu’ils ont fui parce qu’ils étaient en danger. »

Du côté du groupe Afghanistan du SNJ, on sent que la tension monte chez les journalistes. « Certains nous écrivent tous les jours, ils n’en peuvent plus », témoigne Nicola Edge. Elle rappelle que notre pays a évacué environ 4000 Afghans depuis la chute de Kaboul, tandis que l’Allemagne en accueillait 15000 et que ce même pays vient de lancer un programme qui prévoit 1000 évacuations par mois pendant trois ans. « On aurait aimé que la France engage un programme de ce genre », regrette pour sa part Patrick Kamenka, du SNJ-CGT.

« Si on n’aide pas les journalistes afghans, une génération complète disparaît avec les compétences qu’elle a développées depuis vingt ans », relève Elyaas Ehsas, un reporter afghan en exil en France. « L’avenir du journalisme en Afghanistan, ironise-t-il, est-ce un groupe de talibans paradant sur un plateau télé ? » Il ajoute: « Toutes ces puissances qui ont occupé l’Afghanistan pour, selon leurs dires, y instaurer la démocratie, pour aider la société civile à s’organiser, vont-elles abandonner à leur sort ceux qui ont fait vivre ces valeurs pendant vingt ans, ceux qui portent la voix d’un peuple entier, privé pour l’heure de presse libre ? » Marzia Khodabakhsh, Samiullah Jahesh et leurs collègues attendent désespérément à Islamabad une réponse à ces questions.

Frédérique Le Brun, avec Elyaas Ehsas.